• il y a 4 ans
L'apprentissage du temps dans À la recherche du temps perdu, c'est d'abord celui de la « non-simultanéité des contemporains », thèse remarquable de Siegfried Kracauer et critique de l'idée de Zeitgeist, d'unité d'une période historique, d'esprit du temps. Proust, avant Kracauer, voyait dans le présent un assemblage d'instants hétérogènes, de tendances autonomes et d'événements incohérents, situés sur des trajectoires différentes, soumis aux lois de leur histoire. Le savoir-vivre, c'est essentiellement cela, la découverte de la non-simultanéité du monde. Sans cela, on commet des impairs, comme Madame Verdurin à table avec le baron de Charlus. L'enfant pense que le monde est synchrone, uniforme. La leçon historique du narrateur est celle de l'enfant, qui comprend qu'une ville fait coïncider les époques, offre une coupe dans le temps, comme dans Le cygne de Baudelaire. « Je n'avais jamais songé qu'il pût y avoir un édifice du XVIIIe siècle dans la rue Royale », observe le narrateur, « de même que j'aurais été étonné si j'avais appris que la porte Saint-Martin et la porte Saint-Denis, chefs-d'œuvre du temps de Louis XIV, n'étaient pas contemporains des immeubles les plus récents de ces arrondissements sordides. » La ville, comme le monde, comme la vie, n'est pas simultanée. Le Temps retrouvé, c'est aussi la découverte que la vie est anachronique, ou qu'elle avance « à rebrousse-poil », comme disait Walter Benjamin.

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