VIDÉO. Chlordécone : un nouveau scandale

  • l’année dernière
Le non-lieu prononcé le 2 janvier par le Tribunal administratif de Paris dans l'affaire d'empoisonnement au chlordécone, a soulevé une vague d'indignation, aussi bien en Guadeloupe et en Martinique qu'en métropole, au moment où rien n'est fait par l'Etat pour indemniser les victimes de cet insecticide.

Entretien avec le député européen Younous Omarjee, l'un des deux premiers, avec Michèle Rivasi, à avoir dénoncé le scandale du chlordécone en Europe.

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Transcript
00:00 Bonjour et bienvenue dans cette rencontre au Parlement européen de Strasbourg.
00:04 Avec vous, nous sommes Argy.
00:06 Je rappelle que vous êtes député européen du groupe La Gauche.
00:09 On va parler avec vous d'un nouveau scandale dans la très longue affaire du chlordécone,
00:14 cet insecticide extrêmement dangereux, extrêmement toxique pour la santé humaine,
00:19 qui était employé dans les traitements des bananiers dans les Antilles françaises.
00:22 Le 2 janvier, il y a quelques jours,
00:24 le tribunal administratif de Paris a prononcé un non-lieu
00:27 dans l'affaire d'empoisonnement au chlordécone.
00:30 Ça a soulevé une vague d'indignation aussi bien dans les Antilles qu'en métropole.
00:34 Il y a eu une manifestation à Paris, je crois.
00:36 Quelle est, j'allais dire, à vous, votre réaction en tant que député européen
00:41 qui est impliqué depuis des années sur cette question de la défense de ceux qui ont souffert ?
00:46 On en reparlera après de la chlordécone.
00:48 Oui, je crois d'ailleurs que Michel Rivasi et moi-même avons été les premiers
00:56 à lancer l'alerte sur le scandale du chlordécone.
01:00 Et nous avions demandé d'ailleurs aux groupes politiques à l'Assemblée nationale
01:05 de demander une commission d'enquête parlementaire.
01:08 Et dès le départ, nous sommes aux côtés des collectifs
01:13 qui ont porté plainte devant la justice.
01:16 Et c'est ce que nous leur avions recommandé.
01:19 Cette décision, d'une certaine manière,
01:23 cette décision de justice est un déni de justice.
01:27 Et elle est profondément choquante.
01:29 Pourquoi ?
01:31 Parce qu'on pousse l'obscénité à ne pas reconnaître la qualité même de victime.
01:41 Et vous avez en Martinique, en Guadeloupe,
01:46 des centaines de milliers de personnes qui sont malades.
01:52 Et leur souffrance par cette décision n'est pas reconnue.
01:58 Leur qualité de victime n'est pas reconnue.
02:01 Et donc, le préjudice subi n'est pas reconnu.
02:06 Mais plus grave encore, cela pose la question,
02:11 dans la relation entre la France et les Outre-mer et ces territoires des Antilles,
02:19 de la confirmation, en tout cas c'est ressenti comme ça par les populations,
02:23 la confirmation d'un abandon de société
02:27 devant les ravages et les fléaux de ce pesticide.
02:32 C'est un empoisonnement, je le dis, je l'avais dit et je le répète,
02:38 c'est un empoisonnement généralisé.
02:41 D'abord, l'empoisonnement des corps.
02:45 Tout le monde le sait aujourd'hui, et tant mieux.
02:48 Nous avons en Martinique et en Guadeloupe
02:51 les plus hauts taux de cancer de la prostate au monde.
02:56 Et vous avez aussi, et c'est une vraie question pour le coup,
03:00 beaucoup de maladies rares qui restent à être véritablement,
03:08 sur lesquelles il faut mettre un nom.
03:11 Vous avez l'empoisonnement des corps, donc un scandale sanitaire.
03:16 Vous avez un scandale écologique parce que c'est l'empoisonnement des rivières,
03:23 des sols, des terres et des eaux.
03:28 C'est l'empoisonnement aussi des aliments,
03:32 parce que ce poison qu'est le chlordécone,
03:37 finalement, qui est présent dans les terres et dans les eaux pour des siècles,
03:43 empoisonne les aliments qui...
03:46 - Rappelons qu'il n'est pas biodégradable.
03:48 C'est extrêmement important,
03:49 parce qu'il peut rester dans les sols ou effectivement dans le milieu aquatique
03:53 pendant des siècles.
03:54 - Exactement.
03:55 Et puis c'est un scandale économique,
03:58 parce que ce sont des sociétés aujourd'hui qui sont malades de cet empoisonnement
04:04 et sur lesquelles il faut malgré tout construire un développement,
04:10 et en particulier le développement agricole.
04:12 Je suis président de la Commission du développement régional.
04:15 Nous essayons ici de faire en sorte que ces pays avancent vers l'autosuffisance alimentaire,
04:22 mais quelle confiance peut-on avoir dans les produits de l'élevage ?
04:28 Quelle confiance peut-on avoir sur toutes les...
04:32 Sur les fruits, les légumes, etc. ?
04:35 Donc il y a un abandon, il y a un scandale,
04:38 et je crois qu'on ne peut en rester là.
04:42 - Rappelons aussi que le clorvécone était utilisé pour le traitement du charbonçon des bananiers,
04:48 mais également dans l'agriculture en règle générale,
04:51 partout en réalité dans l'agriculture, donc il est partout aujourd'hui.
04:54 - Oui, pendant très longtemps, les Outre-mer, des efforts ont été faits depuis,
04:59 mais pendant très longtemps, les Outre-mer utilisaient beaucoup plus de pesticides
05:05 que sur le continent ou en Europe.
05:08 Et plus grave, on utilisait des pesticides qui étaient interdits ailleurs,
05:15 en France ou en Europe.
05:18 - Le clorvécone était interdit en France jusqu'en 92, en 90,
05:23 en 93 il y en avait encore dans les Antilles françaises,
05:26 alors qu'il était interdit en métropole.
05:28 - Et il faut toujours rappeler que les États-Unis n'ont plus utilisé le clorvécone
05:33 depuis 1976 ou 1977.
05:37 Donc vous avez tout de même cette question qui reste posée
05:42 de l'utilisation d'un pesticide reconnu comme cancérogène probable
05:50 ailleurs dans le monde et qui continue à être utilisé en France.
05:55 Et les liens de causalité entre les maladies qui se sont déclarées
06:02 et l'utilisation du clorvécone, elles sont là.
06:08 - C'est un peu de doute pour personne.
06:10 - Et c'est pourquoi cette décision de justice est incomprise
06:14 et renforce ce sentiment à la fois de mépris, d'abandon
06:20 et de traitement différencié en réalité des ultramarins.
06:24 Il y a une très grande culture, malheureusement,
06:27 de scandale sanitaire dans les Outre-mer.
06:32 - On va parler peut-être des deux aspects que vous avez soulignés
06:36 il y a quelques instants.
06:37 D'abord, j'allais dire, qu'est-ce qui est fait déjà pour les personnes
06:41 qui sont atteintes de maladies liées au clorvécone aujourd'hui ?
06:47 Qu'est-ce qui est fait pour qu'on s'occupe d'eux ?
06:50 Est-ce qu'on peut dire qu'il y a des choses qui sont en train d'être faites ?
06:54 - Mais pas grand-chose précisément.
06:56 Et c'est pourquoi, il y a des années déjà,
06:59 j'avais demandé au président de la République
07:02 de bâtir un véritable plan d'urgence sanitaire, économique,
07:08 par rapport aux impacts du clorvécone.
07:11 Pas grand-chose, pourquoi ?
07:13 Parce que nous devons lier cette question
07:17 avec aussi l'abandon de l'hôpital public dans les Outre-mer
07:22 et regarder la situation des hôpitaux en Guadeloupe et en Martinique
07:29 et aussi ailleurs dans les Outre-mer.
07:32 Ca veut dire que les pathologies ne peuvent pas être prises en charge.
07:37 Très souvent, le diagnostic n'est pas fait
07:40 puisqu'on ne reconnaît pas aux gens leur qualité de victime.
07:45 Donc les gens arrivent, ils disent "nous avons tel ou tel effet,
07:49 nous pensons peut-être que c'est le clorvécone".
07:52 Pas grand-chose.
07:53 Donc, avec Michel Rivasi,
07:56 nous pensons qu'il faut aussi renforcer le volet sur la recherche.
08:02 C'est important, recherche médicale, renforcer les moyens
08:07 et nous voulons européaniser cette question.
08:11 La question que j'allais vous poser tout à l'heure.
08:12 D'abord, ici au Parlement européen, lancer l'alerte,
08:16 remettre le débat au centre des débats.
08:19 Nous l'avions fait à l'époque lorsque la commission pesticide siégeait.
08:23 Elle était présidée par notre ami et camarade français.
08:30 Et puis, nous voulons maintenant,
08:33 cette commission n'existe plus,
08:34 mais remettre le débat au Parlement européen
08:37 et en ma qualité de président de la commission du développement régional,
08:41 discuter avec les présidents de Guadeloupe et de Martinique
08:45 pour voir comment il serait possible, avec les fonds structurels,
08:49 en particulier tout ce qui concerne l'innovation,
08:52 voir comment et la recherche, on pourrait renforcer ce pôle.
08:56 Mais l'État doit être au rendez-vous également.
08:59 Et pour le moment, il ne l'est pas.
09:00 C'est d'autant plus étonnant, entre guillemets,
09:03 que des scandales dans le domaine de la santé,
09:07 il y en a eu d'autres, et des scandales sanitaires.
09:09 Le glyphosate, tout le monde pense à ça.
09:11 Il y en a eu plusieurs.
09:13 Et finalement, on a réussi, au bout du compte, à indemniser,
09:17 en tous les cas, à prendre en compte la parole et l'état des malades.
09:21 Et finalement, les indemniser.
09:23 On a l'impression que dans cette affaire de Chlordécone,
09:27 on fait exception de ce qui a été finalement fait
09:31 dans l'affaire du sang contaminé, dans l'affaire du médiator, etc.
09:35 La miante, où finalement, les personnes qui ont été touchées
09:39 ont finalement obtenu une gaine pause.
09:41 Mais pas là !
09:42 – Oui, mais comme vous dites, c'est finalement.
09:45 Et ce sont toujours des combats qui sont longs, plus ou moins longs.
09:50 Mais ce sont toujours des combats.
09:52 Et ce que je veux dire aux Guadeloupéens et aux Martiniquais,
09:57 c'est qu'il ne faut pas arrêter le combat.
10:02 Le combat doit se poursuivre.
10:05 Et il faut continuer à actionner les voies judiciaires
10:11 qui peuvent encore exister.
10:14 Car à la fin, il ne fait pas de doute, à mon avis,
10:19 compte tenu du dossier qui est écrasant, indiscutable,
10:25 que gain de cause sera obtenu.
10:29 Donc ce combat, c'est une étape perdue devant un tribunal,
10:34 mais qui doit se poursuivre.
10:37 Et nous entrons, nous, élus européens, évidemment, en soutien.
10:41 – Alors l'autre aspect que vous soulignez,
10:43 évidemment aussi fondamental, c'est-à-dire la pollution
10:47 par le clandécone des sols, des eaux, des eaux douces,
10:53 des eaux maritimes, des organismes qui sont en mer ou dans les rivières,
10:58 les poissons, les crustacés, les coraux maintenant.
11:02 Donc c'est l'autre aspect.
11:05 Sachant que par ailleurs, on est en train d'essayer de faire
11:09 que les Antilles françaises arrivent à le tout-suffisance.
11:13 Donc on développe des projets agricoles nouveaux, intéressants,
11:17 qui fassent que les populations soient mieux servies, j'allais dire,
11:20 entre guillemets, par leur agriculture qu'ils ne le sont à l'heure actuelle.
11:24 Il y a un véritable obstacle avec cette pollution de la clandécone.
11:28 Comment faire à l'heure actuelle, dans quelle voie s'engager ?
11:32 Parce que, comme vous le dites, le problème ne va pas être résolu demain matin,
11:36 mais dans quelle voie s'engager pour qu'on travaille à essayer de dépolluer
11:41 ce qui peut l'être et donner en tous les cas une nouvelle image
11:44 à l'agriculture, par exemple, de la Martinique ou de la Guadeloupe ?
11:47 - Bien sûr. Ce n'est pas seulement une question d'image.
11:50 C'est aussi une question de sauvegarde. - De réalité, bien sûr.
11:53 - De sauvegarde du vivant et puis de sauvegarde de la santé des personnes.
12:00 Je vais répondre à votre question, mais dans cette pollution,
12:04 c'est-à-dire que nous avons affaire à une pollution continue
12:10 qui se diffuse sur le temps long et qui est presque sans fin dans ses conséquences,
12:18 même si on a arrêté aujourd'hui d'utiliser le chlordécone.
12:23 Mais la pollution, elle est là et elle se poursuit.
12:27 Et les conséquences ne vont pas être stoppées du jour au lendemain.
12:33 C'est pourquoi le combat porte d'abord sur la reconnaissance du statut de victime
12:40 pour les personnes exposées, mais les personnes exposées,
12:43 c'est quasiment toute la population de ces pays.
12:48 L'évaluation du préjudice.
12:51 Et j'en viens à votre question.
12:54 Je pense que dans les solutions que l'État doit mettre sur la table,
13:00 c'est aussi un effort exceptionnel pour ces pays, pour leur développement.
13:10 À travers un plan d'urgence, d'aide au développement de la Guyane et de la Martinique.
13:18 Et quand vous voyez à quel point les investissements publics sont exemples,
13:25 je laisse de côté les fonds européens qui compensent considérablement
13:30 la faiblesse de l'intervention de l'État, ce ne serait pas de trop.
13:34 Donc, accompagné évidemment, le préjudice subi par un effort exceptionnel
13:43 d'investissement de l'État dans ces pays et en particulier dans le secteur de la santé,
13:51 mais aussi dans le secteur de l'écologie.
13:56 Donc voilà la feuille de route que nous proposons.
14:01 Mais le mal est commis, il y a un crime originel qui a été commis,
14:08 une catastrophe historique et il faudra beaucoup de temps aujourd'hui pour en sortir.
14:14 Je veux dire aussi, comme je l'avais fait déjà sur votre plateau,
14:19 que la banane qui est à l'origine évidemment de ce scandale,
14:26 et on ne peut pas laisser non plus de côté les responsabilités qui ont pu exister à l'époque.
14:33 Ce n'est pas possible.
14:35 Autrement ça va aggraver les tensions dans ce pays,
14:39 ainsi que fragiliser la cohésion de ces territoires.
14:44 Mais depuis, le chlordécone, d'abord n'est plus utilisé,
14:51 mais le chlordécone n'a jamais remonté dans le fruit.
14:56 C'est incontestable scientifiquement.
14:59 Et comme je l'avais fait, et je le redis aujourd'hui,
15:03 les consommateurs en Europe peuvent consommer en pleine confiance
15:10 la banane de Martinique et la banane de Guadeloupe qui n'est pas contaminée du tout.
15:16 En revanche, les bananes qui viennent d'Équateur,
15:20 les bananes qui viennent de Côte d'Ivoire,
15:24 sont des bananes beaucoup plus chargées en pesticides que les produits communautaires.
15:30 Parce que nous avons, nous, au niveau européen,
15:34 érigé un certain nombre de règles pour essayer au fur et à mesure
15:39 de limiter au maximum l'utilisation des pesticides.
15:43 Mais notre marché est ouvert, ouvert sur les produits des pays tiers.
15:49 Les pays tiers envoient leurs produits sans concession aucune de droit,
15:55 avec des produits qui sont effectivement beaucoup moins chers,
16:00 mais beaucoup plus chargés en pesticides.
16:04 Ce qui aggrave la difficulté économique par ailleurs de ces pays.
16:09 Le procès des responsabilités, vous y viez allusion il y a quelques instants,
16:13 c'est aussi quelque chose d'inévitable si on veut retrouver
16:17 une atmosphère un peu plus saine, un peu plus pacifiée dans le cadre de cette catastrophe.
16:24 – Bien sûr.
16:24 – Qui n'a pas lieu pour l'instant.
16:26 – Non, qui n'a pas lieu et puis c'est la justice.
16:29 Parce que, et c'est pourquoi nous demandions une commission,
16:34 une véritable commission d'enquête parlementaire,
16:37 même si notre groupe à la France Insoumise, avec Mathilde Panot,
16:41 nous avons conduit un certain nombre d'auditions sur ces questions,
16:46 mais il y a des responsabilités.
16:49 Et il y a une chaîne de responsabilités qui se situe à la fois aux Antilles,
16:57 dans les services de l'État à l'époque sur place,
17:00 – Au ministère de l'Agriculture, etc.
17:02 – Et puis à Paris dans l'acceptation d'une situation.
17:07 Donc il faut regarder de près et faire l'autopsie de ce scandale.
17:13 Et on ne pourra renouer, rebâtir une confiance, aujourd'hui totalement dégradée,
17:24 entre les ultramarins de Guadeloupe et de Martinique et les autorités de l'État,
17:33 qu'en faisant ce travail.
17:35 Autrement, la distanciation sera prolongée par une volonté de dissociation
17:44 et peut-être même de sécession.
17:47 – Merci Younous Omarji pour toutes ces informations,
17:51 toutes ces précisions extrêmement importantes.
17:53 Bien sûr, on continuera à suivre avec vous ce dossier du Chlordécone,
17:57 parce que comme on vient de le dire, comme vous venez de le dire,
18:00 ça va être long, aussi bien au plan juridique qu'au plan environnemental, etc.
18:04 On continuera ici au Parlement européen à suivre ce dossier avec vous.
18:07 Merci beaucoup et merci à vous qui nous avez suivis, à bientôt, au revoir.
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