• l’année dernière
Une cheffe d'orchestre au sommet de la gloire perd pied lorsqu'elle est accusée de harcèlement. Les deux critiques Marie Sauvion et Samuel Douhaire ont été agréablement surpris par le dernier film de Todd Field. On y voit Cate Blanchett dans un rôle écrit à sa (dé)mesure. L'actrice, extraordinaire, sublime ce film d'une maîtrise folle. Mais l'autre atout du film est cette volonté de la part du metteur en scène d'entretenir le doute sur ses intentions. Un grand film mental pour lequel un seul visionnage ne suffira peut-être pas. Un film complexe où chacun pourra s'approprier les questions qui l'intéressent. Sans pour autant pouvoir tout résoudre... La recette des grands films ?
Transcription
00:00 Il y a des films qui rendent fous, dans le bon sens du terme,
00:02 des films dont on devient obsédé, des films qui nous hantent,
00:06 et TAR en fait partie.
00:07 [Musique]
00:15 [Musique]
00:40 TAR, c'est l'histoire d'une chef d'orchestre américaine, Lydia Tarr,
00:43 qui est au sommet de sa gloire, elle dirige un orchestre symphonique à Berlin,
00:46 et puis la machine, splendide, en or, en béton même, va s'enrayer.
00:52 Il va y avoir mille grains de sable et on va assister à sa chute.
00:55 La bande-annonce qu'on peut voir en salle du film est un peu trompeuse,
01:01 on a l'impression qu'on nous vend un thriller.
01:03 Alors il y a un petit peu d'éléments d'angoisse, de tension,
01:06 le film flirte parfois avec une ambiance fantastique,
01:08 mais attention, on est plutôt dans le portrait d'une femme,
01:11 un portrait d'un paysage mental en train de se fracturer,
01:14 d'un personnage absolument saisissant.
01:17 [Explosion]
01:43 Alors quête blanchette, depuis que le film a été présenté,
01:46 elle gâche tous les prix auxquels le festival concourt.
01:49 Elle a eu le prix d'interprétation à la Mostra de Venise,
01:51 elle vient d'obtenir le Golden Globe de la meilleure actrice,
01:53 elle est archi-favorite aux prochains Oscars, malgré une concurrence très sévère.
01:59 On la voit finalement s'effondrer de l'intérieur,
02:02 mais elle joue ça à la quête blanchette,
02:05 c'est-à-dire avec cette espèce de prestance, presque un peu virile,
02:09 avec sa voix grave, avec une absence de minauderie,
02:13 qui fait qu'on est percuté par le moindre demi-sourire,
02:17 par un haussement de sourcils, etc.
02:19 Et puis il y a les séquences où elle dirige l'orchestre,
02:21 elle a bossé comme une dingue pour faire ce film, évidemment,
02:24 où elle passe de l'anglais à l'allemand comme qui rigole.
02:27 On est fascinés par les mains de quête blanchette pendant tout le film,
02:30 que ce soit les mains qu'elle utilise évidemment pour diriger ses musiciens,
02:33 les mains qui appuient ou au contraire tempèrent le discours
02:38 qu'elle peut avoir dans ses conversations avec les uns et les autres.
02:41 [Musique]
02:54 Le film est assez malin aussi dans ce qu'il dit de l'époque,
02:57 à la fois le fait qu'une femme chef d'orchestre doit pouvoir s'imposer,
03:01 doit peut-être être encore plus dure que les hommes,
03:03 c'est un milieu extrêmement macho,
03:06 et en même temps il montre que les dérives de pouvoir
03:09 peuvent aussi toucher les femmes qui arrivent à ce stade de pouvoir.
03:12 C'est cette accusation d'harcèlement sexuel qui la vise.
03:16 Certains reprochent à Todefield d'avoir consacré un film
03:21 à peindre une prédatrice plutôt qu'un prédateur,
03:24 dont on sait qu'ils sont quand même largement plus nombreux statistiquement.
03:27 Et en inversant les rôles, il échappe à la fois à la banalité
03:30 et ça lui permet aussi de s'intéresser au pouvoir par essence.
03:34 Qu'est-ce que le pouvoir fait aux gens ?
03:37 Et puis, qu'est-ce qui permet aux gens de pouvoir
03:41 de se comporter comme ils le font ?
03:43 La grande force du film, c'est qu'il est indécidable.
03:46 On pensait tenir le film sur la cancel culture,
03:51 la culture de l'annulation, des accusations etc. post-me too,
03:54 et finalement on découvre un grand film mental, absolument obsédant.
03:59 Un visionnage ne suffit pas, deux visionnages ne suffisent pas.
04:02 Tout à coup, on a un film complexe, où chacun pourra s'approprier
04:08 les questions qui l'intéressent.
04:10 Et je dis bien les questions, parce qu'il n'y a pas de réponses dans TAR.
04:12 C'est un film parfois aride, un peu complexe,
04:18 mais pour peu qu'on accepte de rentrer dans cette mise en scène
04:22 très longue, très ample, pour peu qu'on ait prêt à accepter
04:26 un cinéma qui dérange, TAR est vraiment un très grand film.
04:30 Ça en fait, à mon sens, un film rare, parce que c'est comme si
04:34 la source du cinéma intelligent, adulte, complexe, parfois offensant,
04:42 c'est comme si cette source était tarie à Hollywood,
04:45 et que tout à coup, c'est le film qu'on n'attendait plus.
04:47 Il y en a un ou deux par an, des grands films américains,
04:50 parfois ils sont signés Paul Thomas Anderson,
04:52 et puis celui-là, il est signé Todd Field,
04:54 et vraiment, on ne l'attendait pas.
04:57 [Bruit de moteur de voiture]
05:03 [Musique]

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