L’invité du jour - Philippe Besson

  • l’année dernière
Aujourd’hui c’est l’écrivain Philippe Besson qui vient partager un café avec nous. L’occasion de parler de son nouveau roman « Ceci n’est pas un fait divers » dans lequel il s ’empare d’un sujet de société trop présent dans l’actualité : le féminicide.

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Transcript
00:00 Il est l'un des écrivains français les plus lus et tous ses livres sont systématiquement des best-sellers.
00:04 Bonjour Philippe Besson.
00:06 Bonjour.
00:07 Bienvenue sur notre plateau en ce dimanche matin.
00:09 On a prévu un petit mur de quelques-uns de vos livres,
00:12 histoire que nos téléspectateurs se disent "Ah celui-là je l'ai lu, celui-là je l'ai lu".
00:16 Voilà, une petite séduction.
00:17 Oui, ça y est beaucoup oui.
00:18 Bah oui, vous en avez donc écrit 22 et vous venez nous présenter votre 23ème Philippe.
00:23 Ça s'intitule "Ceci n'est pas un fait divers", c'est chez Julliard.
00:26 Dans quelques instants, on va évidemment raconter avec vous l'histoire de celui-ci,
00:29 mais on voulait commencer par un petit jeu.
00:31 On a enquêté Philippe sur vos auteurs, en l'occurrence ce seront des autrices préférées.
00:36 On trouve trois femmes, il y a Françoise Sagan, Marguerite Duras et Annie Ernaud.
00:40 Alors regardez, on vous a mis donc les trois visages qui correspondent à trois archives de la télé.
00:44 Vous ne savez absolument pas ce qui se cache derrière.
00:46 Non.
00:46 Mais ce sont des thématiques évidemment liées à la littérature,
00:48 donc on sera intéressé de savoir votre réaction par rapport à ce que disaient ces femmes.
00:52 Vous choisissez qui ?
00:54 Françoise Sagan.
00:55 Donc là on est en 1959, on va parler de son succès fulgurant.
00:59 Bonjour Tristesse, regardez.
01:01 Lorsque vous repensez aujourd'hui à ce qui vous est arrivé il y a cinq ans,
01:06 quand vous aviez 19 ans, vous avez eu tout d'un coup, soudainement, beaucoup d'argent, la gloire.
01:11 Est-ce que vous pensez que c'est une épreuve qui est très difficile pour la jeune fille que vous étiez alors ?
01:17 Ce n'est pas vraiment une épreuve, c'est une espèce de cataclysme.
01:21 C'est comme si vous n'êtes plus dans le tourbillon, vous vous suivez, il n'y a pas grand-chose à faire.
01:24 Ce n'est pas une épreuve au sens que, comme perdre quelqu'un,
01:29 ce n'est pas comme le bachot, vous n'avez pas à faire des efforts, vous suivez le mouvement.
01:35 Bachot.
01:36 Réaction.
01:37 Françoise Sagan a 18 ans quand elle a, bonjour Tristesse, elle parle de cataclysme.
01:41 Vous, le succès est arrivé vite, mais pas à 18 ans, un peu plus tard.
01:43 - Beaucoup plus tard. - Sans vous manquer de respect.
01:45 Oui, et puis pas dans les mêmes proportions qu'elle.
01:48 Mais moi ce que j'aime c'est ça, c'est sa jeunesse, son insouciance,
01:51 et en même temps elle traversa comme si de rien n'était.
01:53 Et puis toujours cette idée que sa littérature était une petite musique,
01:57 alors qu'en fait, il y a quand même des tragédies qui se cachent derrière cette petite musique.
02:00 J'ai une passion pour elle, pour la simplicité apparente de son écriture,
02:04 pour la désinvolture qu'elle manifeste, par exemple comme ici à la télévision,
02:08 alors que derrière il y a aussi des gouffres.
02:10 Donc ça m'intéresse beaucoup ce personnage-là et son écriture.
02:12 Et vous, quel est votre rapport au succès ?
02:14 Alors c'est une bénédiction le succès, parce que d'abord ça vous donne la liberté,
02:17 ça vous donne la liberté de continuer à écrire évidemment.
02:19 Et puis parce que ça, on écrit dans une grande solitude et un grand silence.
02:23 Donc on est avec soi, avec l'écriture, avec les personnages qu'on vient d'inventer, voilà.
02:27 Et puis tout d'un coup on va au dehors et puis il y a des gens qui viennent et qui disent,
02:30 en fait vous savez, votre héroïne c'est moi.
02:34 Et c'est extraordinaire parce qu'on tend un miroir en fait.
02:36 Et donc les gens viennent raconter ça, qu'ils ont été émus, touchés,
02:39 qu'ils ont trouvé quelque chose de même dans un livre.
02:41 Et donc il y a des conversations qui commencent comme ça.
02:43 Donc oui, c'est une vraie bénédiction.
02:45 Tout à l'heure, vous choisirez une autre autrice, chère Philippe.
02:48 D'ailleurs, puisqu'on est le 29 janvier, bon anniversaire il me semble.
02:51 - Ah merci, c'est gentil. - C'est aujourd'hui, dimanche 29 ?
02:53 - C'est aujourd'hui, oui. - Dimanche 29 janvier.
02:54 Allez, parlons de votre livre Philippe, ceci n'est pas un fait divers.
02:58 Dès les premières pages, deuxième page,
03:01 le narrateur de 19 ans entend sa petite sœur au téléphone,
03:04 apeurée lui dire "papa vient de tuer maman".
03:07 Et alors nous lecteurs, on est pétrifiés.
03:09 Ça démarre mais vraiment comme un coup près qui tombe.
03:11 Oui, ça raconte ça, l'histoire d'une fratrie, un frère et une petite sœur.
03:15 Lui 19 ans, elle 13 ans et puis lui s'est éloigné, il vit à Paris.
03:19 Elle, elle est restée du côté de Bordeaux.
03:21 Et puis elle appelle et puis elle dit ça "papa vient de tuer maman".
03:23 Et donc c'est une sidération, une stupéfaction absolue.
03:26 Et ça, ça fait écho à une histoire qui m'a été racontée,
03:29 un témoignage qui m'a été donné puisqu'un jour j'ai rencontré
03:31 justement un jeune homme dans une librairie
03:33 qui était venu me voir parce qu'il aime mes livres.
03:35 Et puis on s'est revus.
03:37 Et puis comme c'est normal, j'ai cherché à en savoir un petit peu plus sur lui,
03:39 sur son histoire familiale et il m'a dit cette phrase-là.
03:41 - Il s'est parti de là. - Absolument.
03:43 "Mon père a tué ma mère".
03:44 Donc je suis resté dans une forme de stupéfaction quand il m'a dit ça.
03:47 Et puis un petit peu plus tard, je lui ai dit
03:49 "pourquoi tu n'en as pas parlé plus tôt ?"
03:50 Et il m'a dit deux choses qui m'ont bouleversé,
03:53 qui m'ont décidé à écrire ça.
03:54 La première chose, c'est la mort de ma mère emporte tout.
03:57 Et donc moi, je suis à côté.
03:58 Moi qui n'écris que sur les gens qui sont à côté.
04:01 Ça m'intéresse toujours.
04:02 Et puis après, il a dit "je ne saurais pas raconter l'histoire".
04:04 Alors quand quelqu'un ne sait pas raconter l'histoire,
04:06 je me dis l'écrivain, il a peut-être quelque chose à faire,
04:08 à trouver des mots pour dire ça,
04:10 ce que les autres n'ont pas réussi à dire,
04:11 pour que ces victimes invisibles et silencieuses aient une parole.
04:14 Et puis pour qu'on arrive à nommer une forme d'innommable.
04:17 Mais le féminicide dans le livre n'est que le point de départ.
04:19 En fait, ce qui est le livre, c'est comment ces enfants vivent après.
04:23 Comment ils doivent surmonter la sidération, le chagrin, la colère,
04:26 la culpabilité et aller vers la résilience.
04:29 Et pour nourrir ces personnages,
04:30 vous les avez nourris de ces conversations avec ce jeune homme
04:32 ou d'autres affaires aussi ?
04:34 Alors avec ce jeune homme, bien sûr, j'ai essayé de l'écouter le plus possible
04:36 parce que c'était pour moi extrêmement important
04:38 et que je voulais trouver une forme de justesse dans l'écriture.
04:41 Il fallait rendre justice et être juste.
04:43 Et puis, hélas, comme le féminicide, il y en a un tous les deux jours et demi
04:48 et que c'est documenté par les médias, justement, par les journaux.
04:51 147 en 2022.
04:52 Absolument.
04:53 Donc on trouve, hélas, des informations sur ce sujet.
04:56 Donc j'ai pu, évidemment, avoir accès à cette information-là.
05:00 Mais après, ce qui m'intéressait, c'était vraiment plus les sentiments éprouvés
05:04 quand on vit cette calamité, ce cataclysme, justement.
05:06 C'est-à-dire qu'après le cataclysme, comment on fait ?
05:08 Et là, il faut trouver, il faut être dans le registre du sensible, de l'émotion,
05:13 parce que précisément, je pense que c'est le rôle de la littérature
05:15 à côté de ces documentations des journalistes, des essayistes, etc.
05:19 Nous autres, les romanciers, on peut peut-être laisser entendre une réalité
05:21 qui est une réalité évidemment terrible,
05:23 une vie prise et des vies à côté dévastées,
05:26 mais aussi cette nécessité de réapprendre à vivre.
05:29 Vous, qui avez tant écrit sur l'amour,
05:30 là, on est vraiment dans un registre particulier.
05:33 Même pour vous, l'écrivain, c'est un terrain que vous ne connaissez pas ou peu.
05:38 Oui, celui des sentiments, je le connais très bien
05:40 parce que je suis avant tout un écrivain du sensible.
05:42 Mais c'est vrai que... Et puis de l'amour, il y en a aussi.
05:44 Il y en a eu entre ce couple au tout début,
05:47 parce que les histoires d'amour qui finissent mal
05:48 ont été des histoires d'amour à un moment.
05:50 Et puis, il y a de l'amour aussi de ses enfants pour la mère morte,
05:53 parce que c'est comment on porte le chagrin
05:55 et comment on fait le deuil d'une mère qui est partie.
05:57 Et puis de l'amour, hélas, il y en a aussi,
05:59 enfin, hélas, je ne sais pas, mais de la petite sœur pour encore son père,
06:02 parce que l'ambivalence aussi de ses enfants à l'égard de leur père est là.
06:06 C'est-à-dire que vous vous dites cinq minutes avant le crime,
06:08 c'était mon père et cinq minutes après, qu'est-ce qu'il est ?
06:10 Comment je le regarde ?
06:11 Et autant le narrateur, le jeune homme, lui, prend une décision radicale,
06:14 cet homme est un meurtrier, il n'est plus dans mon champ de vision,
06:17 autant la petite sœur, elle est évidemment dévastée
06:19 parce qu'elle se jaime.
06:21 Donc, comment je fais ?
06:22 Et ça, ça m'intéresse d'essayer de comprendre comment on surmonte un cataclysme,
06:25 comment on fait pour exister après ce cataclysme.

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