"Ils refoulaient toute mon identité, sans déjà moi-même m'être acceptée, je l'étais déjà pas. Inconsciemment je me suis dit : mais comment je vais me construire et comment je vais grandir là-dedans ?"
Léontin revient sur la lesbophobie qu'elle a subi de la part de sa famille, lors de son adolescence.
Léontin revient sur la lesbophobie qu'elle a subi de la part de sa famille, lors de son adolescence.
Category
📚
ÉducationTranscription
00:00 Ce qui a été le plus dur pour moi, c'était de voir dans le regard de mes parents
00:03 qu'ils m'aimaient, mais qu'ils n'aimaient pas cette partie-là de moi.
00:05 Ils m'ont dit "on t'aime, mais ton homosexualité, ce n'est pas toi".
00:09 J'ai grandi dans un milieu chrétien et protestant,
00:12 donc ma famille est très croyante.
00:14 J'ai toujours été élevée là-dedans,
00:15 et c'est qu'aujourd'hui que je me rends compte un peu des mécanismes
00:18 qui se sont mis en place dans mon enfance.
00:19 J'étais en troisième ou en seconde quand "La vie d'Adèle" est sortie.
00:22 C'était avant même que je me dise lesbienne, en fait.
00:25 C'était déjà là, je ne peux pas trop l'expliquer,
00:27 c'était déjà là que j'ai voulu aller voir le film. Et mes parents m'ont appelée
00:30 cinq minutes avant le début de la séance du ciné.
00:32 Ils m'ont appelée furieux au téléphone.
00:35 "On a vu le programme du cinéma, tu vas voir 'La vie d'Adèle',
00:38 est-ce que tu sais ce que c'est ?"
00:40 Et moi paniquée, j'étais là "ben non, non, non, je ne sais pas".
00:43 Ils sont venus me chercher hyper énervée dans la salle de cinéma.
00:47 C'était inconcevable pour eux que j'aille voir un film comme ça.
00:49 Et moi, je ne voulais pas leur avouer non plus parce que ça aurait trahi
00:51 tous mes questionnements qui n'étaient pas encore aboutis.
00:53 Ça m'a retournée le ventre de ne pas pouvoir y aller.
00:54 Ça m'a vraiment mis hyper mal parce que de un,
00:58 j'avais besoin de cette représentation et de deux,
01:00 ça voulait dire qu'ils refoulaient déjà avant que je leur dise
01:05 qu'ils refoulaient toute mon identité.
01:06 Donc, sans déjà moi-même m'être acceptée, je n'étais déjà pas.
01:10 Inconsciemment, je me suis dit "comment je vais me construire
01:13 et comment je vais grandir là-dedans ?
01:15 Comment est-ce que je vais trouver ma propre identité
01:18 si les seules représentations que je peux avoir me sont fermées ?
01:21 Ça a fait que je m'incriminais en me disant que j'étais une mauvaise personne.
01:24 Mes parents m'abonnaient aussi à des magazines jeunesse protestant.
01:28 Et un jour, j'ai phasé sur une page qui parlait de l'homosexualité.
01:31 J'ai dit "ah enfin, quelque chose qui me parle un peu de l'homosexualité
01:34 dans la Bible et dans la religion et peut-être que ça va me rassurer."
01:36 Alors non, ça ne m'a pas du tout rassurée.
01:38 C'était des propos du genre "quand vous vous découvrez homosexuel,
01:41 vous avez trois possibilités.
01:43 Soit vous vous refoulez complètement
01:46 et vous n'acceptez aucune relation sexuelle avec autrui du même sexe que vous
01:49 et vous pouvez avoir une relation avec Dieu.
01:51 Deuxièmement, vous décidez d'avoir des relations amoureuses
01:55 avec une personne du même sexe que vous,
01:58 mais vous ne voulez pas de relation sexuelle.
02:00 Et là, la relation avec Dieu va se compliquer un peu.
02:03 Et troisièmement, vous vivez ce que vous avez à vivre
02:06 et là, votre relation avec Dieu ne sera plus possible.
02:08 Donc vous ne serez plus chrétien,
02:10 vous ne mériterez plus d'être sauvé, le paradis, tout ça, c'est fini."
02:13 Et ça, c'était adressé à des jeunes de 12-14 ans, ce magazine.
02:17 Donc j'étais là "bon, un, deux ou trois ?"
02:20 Mon coming out, je crois que c'est le pire des coming outs,
02:22 c'est-à-dire que je ne l'ai pas fait en fait.
02:24 Je n'ai pas eu cette chance de le faire et de décider quand est-ce que j'allais en parler.
02:28 C'est un moment où j'avais 18 ans,
02:30 c'était l'été, donc les vacances scolaires,
02:32 j'avais pu encore une fois aller à la Pride.
02:35 J'étais super heureuse,
02:36 j'avais échangé deux, trois messages avec une fille sur Messenger.
02:39 Alors je ne sais pas comment ces messages se sont retrouvés dans les mains de ma mère.
02:43 Ils les ont ouverts, ils les ont lus et c'était des mots hyper maladroits
02:48 d'ado ou de jeune adulte de 18 ans,
02:51 où ça parle un peu de cul, ça parle un peu de relation.
02:53 Ils m'ont appelée en pleurant et en priant et m'ont dit "est-ce que c'est vrai ?"
02:57 Et moi, il devait être 11h du soir, j'étais au téléphone,
03:00 je n'avais plus vraiment ni la force ni l'envie de le cacher à ce moment-là
03:04 et pour moi c'était trop tard.
03:05 Donc je leur ai dit que oui, j'étais bien lesbienne
03:08 et que les messages qu'ils avaient vus, c'était bien moi qui les avais envoyés,
03:11 que c'était bien ce qu'ils pensaient.
03:13 Et ils pleuraient, ils priaient, ils me disaient "ah papa, elle est en train de prier dehors,
03:16 je ne sais pas prier de quoi".
03:17 Et je leur ai dit "mais vous n'en êtes jamais douté ?"
03:20 Et en fait non, ils ne l'ont jamais vu ou ils n'ont jamais voulu le voir.
03:24 Donc ils sont vraiment tombés de haut apparemment.
03:26 Et ça m'a mis super mal à l'aise parce que je ne contrôlais plus ce qu'ils ressentaient.
03:31 Ils m'ont posé des questions, ce soir-là ils me les ont posées
03:34 vraiment de manière hyper incriminante tout de suite.
03:36 Et c'était des questions qui n'avaient rien à voir en fait avec le fait que je sois lesbienne.
03:41 C'était des questions autour de la drogue, autour...
03:45 En fait ils cherchaient une explication à pourquoi j'étais lesbienne.
03:48 Ils m'ont demandé si je m'étais fait violer,
03:50 s'il y avait eu un inceste à un moment donné quand j'étais petite,
03:54 qu'est-ce que j'avais contre les hommes,
03:57 qu'est-ce qu'ils avaient mal fait dans leur éducation.
03:59 Donc là c'était vraiment un gros tas de questions à encaisser.
04:02 Et rien que comment ils formulaient ces questions et le sujet auquel ça renvoyait,
04:06 je me suis dit "mais est-ce que c'est ça qu'ils voient en moi en fait ?
04:10 Quelqu'un de détruit, de malheureux, de malade ?"
04:13 Et en fait à partir de ce moment-là, c'est parti en couille dans ma vie.
04:16 J'avais une copine à ce moment-là,
04:18 qui était déjà venue à la maison en tant qu'amie et ils l'ont insultée.
04:21 Ils m'ont dit "mais jamais elle remet les pieds à la maison".
04:24 Mon frère après m'a regardé et m'a dit "si jamais je la revois à la maison, je la frappe".
04:27 Un jour je suis rentrée, il y avait un silence de plomb dans la maison.
04:30 Donc je me suis dit "ok, c'est encore à cause de moi".
04:32 Donc je suis allée m'isoler dans ma chambre.
04:34 Et là mon père est arrivé très énervé dans la chambre.
04:37 Il m'a mis par terre, il ne m'a pas frappée, mais ce n'était pas loin non plus.
04:41 Et en fait, il m'a criée dessus parce qu'il ne comprenait pas.
04:44 Il me criait dessus que ce n'était pas comme ça qu'il m'avait éduquée,
04:48 que ce n'est pas ce que disait la Bible et tout ça en criant.
04:50 En criant et en me tenant par le cou par terre.
04:52 Et donc à ce moment-là, j'étais en grosse panique.
04:56 J'ai appelé mon frère à l'aide qui était dans la maison,
04:59 qui est venu et qui a juste regardé la scène de mon père vraiment sur moi,
05:03 en train de me tenir le cou par terre et qui n'a rien fait.
05:05 Et j'ai trouvé ça tellement dur que je me suis dit
05:09 la seule manière de me sortir de cette situation,
05:11 ça va être avec moi-même et juste il faut que je les fasse partir,
05:13 il faut que je prenne mes affaires, il faut que je me casse.
05:14 Ce qui a été le plus dur pour moi cet été-là,
05:17 c'était de voir dans le regard de mes parents qu'ils m'aimaient,
05:21 mais qu'ils n'aimaient pas cette partie-là de moi,
05:22 qu'ils n'aimaient pas le fait que je sois lesbienne.
05:25 Ils n'ont pas arrêté de me dire qu'ils m'aimaient,
05:27 mais ils m'ont dit "on t'aime, mais ton homosexualité, ce n'est pas toi".
05:31 Donc il y avait moi d'un côté, mon homosexualité,
05:34 qui relevait du diable et du mal.
05:37 Il y a eu plusieurs séquelles à toute cette frustration-là,
05:40 au coming out qui s'est mal passé, depuis mon enfance.
05:42 C'est déjà que j'ai beaucoup manqué d'assurance et d'affirmation aussi.
05:47 Je n'arrivais pas à m'affirmer devant les gens,
05:52 déjà en tant que lesbienne, le mot "lesbienne", c'était super difficile.
05:57 Et puis énormément de mal aussi à construire quelque chose de sérieux.
06:01 J'enchaînais les relations de un ou deux mois, quatre mois à tout casser,
06:05 et j'étais incapable de parler à ce moment-là.
06:08 J'étais incapable de m'ouvrir avec la personne avec qui j'étais ou avec qui je flirtais.
06:13 J'étais incapable de dire ce que je ressentais, mes sentiments, mes émotions.
06:18 En fait, je me suis fait une grosse carapace.
06:19 J'étais incapable de dire si j'étais contente, joyeuse, en colère.
06:22 Ça me faisait assez flipper, j'avais l'impression de rien ressentir.
06:24 Ça a foiré tellement de relations comme ça,
06:28 où je ne suis pas assez bien avec moi-même pour être bien aussi avec l'autre.
06:33 Et c'est quelque chose que j'ai réussi à déconstruire tout récemment,
06:35 avec Lou, qui est ma première vraie relation sérieuse qui dure depuis un moment maintenant.
06:40 Elle m'a pris, elle m'a secouée comme ça, elle m'a dit "qu'est-ce que tu ressens ?"
06:43 Et le fait qu'elle m'ait secouée comme ça, je me suis dit "ok, je vais essayer de faire des efforts".
06:47 Je vais m'ouvrir, je vais parler, et je me suis pris des claques dans la gueule.
06:51 Je ne pensais pas que ça allait être si difficile de juste se dire "ah ben je suis contente",
06:54 "ah ben je t'aime".
06:56 Et en fait, elle m'a fait comprendre l'importance de me connaître vraiment
06:59 et de m'accepter en même temps.
07:00 Parce que j'ai beau dire que j'acceptais toute mon identité et tout,
07:03 j'étais quand même vachement refermée sur moi-même.
07:05 Donc pour m'emmener de cet événement, il m'a fallu...
07:09 4 ans, je dirais.
07:10 Il m'a peut-être même fallu plus parce que récemment, j'ai écrit une lettre à mes parents,
07:14 et pour moi, ça a vraiment été le point où je me suis dit "ok".
07:17 J'ai fait tout ce que j'avais à faire, je leur ai dit tout ce que j'avais sur le cœur,
07:20 où je me suis dit "tant pis si je les blesse un peu,
07:22 je vais faire ce que moi j'ai besoin de faire pour clore cette page-là".
07:26 Ça m'a libérée, et aujourd'hui je me dis "ben...
07:29 déjà je peux être transparente vis-à-vis de mes parents,
07:31 parce que je leur ai écrit noir sur blanc qui j'étais,
07:34 donc j'ai plus peur de leur dire "ah ben tel jour je suis allée en manif,
07:38 parce que je leur ai dit que j'étais militante".
07:41 Donc juste mettre les mots sur "je suis militante",
07:44 "je suis lesbienne", puis "j'aime bien ce mot en plus",
07:48 puis "je suis heureuse".
07:49 J'ai moins d'appréhension à leur amener les choses,
07:51 donc je sais que la prochaine fois que je vais les voir, j'aurai moins peur.
07:54 J'attends plus quelque chose de leur part.
07:56 L'été dernier, je leur ai présenté Lou.
07:58 J'ai vu dans les yeux de mes parents que c'est pas ce à quoi ils s'attendaient.
08:01 J'avais tellement envie de leur présenter Lou,
08:03 juste qu'ils voient une personne humaine, tout simplement.
08:06 Ils se sont dit "ah, ben elle est normale".
08:10 Donc oui, je vois une vraie évolution dans leur mentalité,
08:13 et je suis super contente d'en arriver là,
08:15 et je sais que c'est pas fini, mais c'est déjà un pas énorme,
08:18 où moi je suis contente qu'ils prennent de ses nouvelles au téléphone,
08:22 qu'ils nous invitent toutes les deux à la maison,
08:24 c'est impensable, jusque-là c'était impensable.
08:27 Et donc en fait, j'essaie juste de leur montrer petit à petit que tout va bien,
08:31 que je suis heureuse, qu'on est normal, qu'on n'est pas malade,
08:34 et je vois que ça prend, ça commence à prendre.
08:36 Le milieu familial, c'est quand même le noyau dans lequel on a grandi,
08:40 donc savoir qu'on y a accepté, c'est quand même hyper satisfaisant,
08:44 et même pour se construire, aller de l'avant, c'est super important.
08:47 Ça m'aide quand même un peu, rien n'aboutit et tout est fluide,
08:50 mais ça m'aide à m'accepter encore finalement de plus en plus dans qui je suis.
08:55 Moi je vais très bien aujourd'hui.
08:56 Je suis la plus heureuse d'être lesbienne.
08:58 En fait, le fait d'être lesbienne, ça m'a ouvert à tellement de questionnements,
09:02 à tellement de possibilités, à tellement de personnes.
09:06 Je suis super heureuse d'être lesbienne, c'est vraiment...
09:09 limite je me réveille en me disant ça, quoi.
09:12 Parce que je trouve que c'est une super belle identité.
09:15 Ça me permet de m'ouvrir sur plein de questionnements,
09:17 de genre aussi, de sexualité, c'est tellement...
09:21 Tout est à construire en fait, il n'y a pas de schéma prédéfini.
09:24 Ce que je dirais à la jeune Léontin qui vient de fuguer de chez elle,
09:27 c'est n'aie pas peur.
09:29 Tout va faire sa route et tu vas devenir qui tu es en fait.
09:32 Tu ne vas pas passer à côté de toi, donc...
09:34 il ne faut pas avoir peur de ça.
09:36 C'est ça que je lui dirais.
09:37 [Sous-titres réalisés par la communauté d'Amara.org]
09:43 [SILENCE]