“Un petit frère”, le film de Léonor Serraille au souffle romanesque, suit pendant deux décennies Rose, une mère célibataire Ivoirienne et ses deux fils, Jean et Ernest.
Pour jouer le rôle d’Ernest, le petit frère qui donne le titre au film, l’humoriste Ahmed Sylla a dû changer de registre : dans cette odyssée migratoire, racontée sans tragédie ni de sociologie facile, Ernest est un enfant très sensible qui compte sur la protection de sa mère et du grand frère pour vivre. Dans son émancipation, il va devenir professeur de philosophie. “Quand j’ai lu le scénario, j’ai tout de suite reconnu ma mère dans le personnage de Rose (jouée brillamment par Annabelle Lengronne), comme si j’avais déjà vécu cette histoire de famille.” Dans cette interview Ahmed Sylla raconte comment il a ainsi pu jouer juste, loin de son personnage comique habituel.
Entretien : Guillemette Odicino / Réalisation : Pierrick Allain / Télérama, Février 2023
Pour jouer le rôle d’Ernest, le petit frère qui donne le titre au film, l’humoriste Ahmed Sylla a dû changer de registre : dans cette odyssée migratoire, racontée sans tragédie ni de sociologie facile, Ernest est un enfant très sensible qui compte sur la protection de sa mère et du grand frère pour vivre. Dans son émancipation, il va devenir professeur de philosophie. “Quand j’ai lu le scénario, j’ai tout de suite reconnu ma mère dans le personnage de Rose (jouée brillamment par Annabelle Lengronne), comme si j’avais déjà vécu cette histoire de famille.” Dans cette interview Ahmed Sylla raconte comment il a ainsi pu jouer juste, loin de son personnage comique habituel.
Entretien : Guillemette Odicino / Réalisation : Pierrick Allain / Télérama, Février 2023
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00:00 Je vais vous donner le secret, je suis très proche de ma maman.
00:03 Moi, j'ai été touché déjà à la lecture du scénario parce que ça m'a frappé.
00:07 Je me suis dit, mais attends, en fait, elle raconte l'histoire de ma mère.
00:10 -Voilà ici, c'est modeste, mais on va s'arranger pour que chacun soit confortable.
00:26 C'est la France, on est là pour se serrer, c'est la famille.
00:29 Ce film, c'est l'histoire de Rose, qui arrive de Côte d'Ivoire dans les années 80,
00:33 qui arrive en France avec ses deux enfants, Ernest et Jean.
00:36 Et on va suivre son parcours sur trois décennies,
00:39 et on va voir leur évolution.
00:41 Comment ils habitent dans un petit quartier modeste,
00:44 chez la famille, ils vont partir en Normandie,
00:48 et comment la famille va se fracturer, se retrouver,
00:53 et est-ce qu'ils vont rester ensemble ou pas.
00:56 -Ces derniers temps, ton frère a dépassé les limites.
00:59 Tu m'en veux parce que tu n'as pas eu de père.
01:05 -De père, non.
01:06 Des papas, j'en ai eu plein.
01:09 -Moi, je les fais tous au cas où j'ai pu.
01:11 Et si j'ai fait des erreurs ?
01:13 -Tu fais de ton mieux.
01:14 -Léonore raconte l'histoire d'étrangers,
01:18 mais qui fait écho à des gens qui sont ici.
01:21 L'histoire d'une femme, donc, qui est une femme seule,
01:23 qui va enchaîner les petits boulots
01:25 pour pouvoir offrir la meilleure éducation
01:27 et le meilleur avenir à ses enfants.
01:29 Mais combien, aujourd'hui, de femmes en France,
01:32 qui sont nées en France, qui sont blanches,
01:35 vivent ce genre de galères ?
01:36 -Il faut être des champions.
01:38 Il faut travailler à l'école, être plus fort que les autres.
01:40 Et on ne pleure pas.
01:42 -Cette femme battante, cette femme libre,
01:46 qui n'a pas peur de dire "merde",
01:47 qui va chercher les choses, qui attend pas,
01:49 qui veut le meilleur pour ses enfants,
01:51 qui a compris que c'était l'école qui allait pouvoir sauver ses enfants.
01:55 Je vous jure, ça, ça m'a frappé.
01:57 Je me suis dit "attends, en fait, elle raconte l'histoire de ma mère".
02:01 Et puis, Annabelle, elle était nourrie,
02:03 au moment où je suis arrivé sur le tournage,
02:05 elle était nourrie de tout le tournage.
02:07 Elle était déjà chargée, en fait, d'émotions.
02:09 Donc, elle m'a renvoyé une espèce d'énergie,
02:12 un truc qui était tellement puissant.
02:14 Moi, j'ai tout de suite pensé à ma mère,
02:17 et ça a marché tout de suite.
02:19 On s'est regardés dans les yeux.
02:21 Il y a un truc, on s'est tenus la main.
02:22 Et ça, c'était...
02:26 Enfin, ça a tout de suite pris, quoi.
02:28 C'était fort, c'était puissant, c'était vraiment dingue.
02:31 Je vous en parle, j'ai encore des frissons.
02:33 -Julien ? -Ouais ?
02:35 -Moi, j'ai pas peur de la mort.
02:36 J'ai plus peur de mon plan de retraite que de ma mort.
02:38 Parce qu'il y a un âge où, en fait,
02:41 je pense que ce qui est pire que ça s'arrête,
02:43 c'est que t'as du temps,
02:44 mais tu pourras pas forcément faire ce que tu veux,
02:47 ou prévoir trop loin.
02:51 -A un moment, c'est vite, quoi.
02:52 Et la vieillesse, moi, ça me fait flipper.
02:53 -C'est le temps. -Ça vous fait flipper ?
02:55 -J'ai peur d'ennuyer, en fait.
02:56 -C'est une notion...
02:57 L'avenir, c'est quelque chose qui nous appartient pas,
03:00 et on va voir ça tout à l'heure dans le texte de Blaise Pascal.
03:02 Ça nous appartient pas.
03:03 C'est pour ça que ça vous fait peur, peut-être.
03:05 -Ernest, c'est très simple.
03:06 C'est le cadet d'une famille, quelqu'un de très timide,
03:09 qui fait énormément confiance à son grand frère,
03:12 qui adore sa maman,
03:13 qui a besoin de la protection de sa maman.
03:15 La maman, elle va énormément travailler,
03:17 elle sera pas très présente,
03:18 donc il va se réfugier dans les bras de son frère,
03:21 qui, lui aussi, va se retrouver à partir.
03:24 Et donc, il va devoir se construire avec cette absence,
03:27 mais en même temps, cet amour qu'il a pour ses deux êtres,
03:29 ses deux partenaires de famille, ses deux partenaires d'aventure,
03:33 il va se construire avec ça,
03:35 et puis ça va devenir un prof de philo
03:36 qui va essayer de s'émanciper de cet amour,
03:39 de ce lien avec sa maman, quoi.
03:41 En fait, c'est là où je mets tout le mérite,
03:43 où je donne tout le mérite à Léonore,
03:46 c'est que du fait qu'elle ait pas voulu faire un film militant et politique,
03:50 la force, elle en a encore plus grande.
03:52 C'est-à-dire que je pense que quand on se met dans la tête
03:55 qu'on a envie de raconter ça,
03:57 on a envie de propager ce message-là,
04:00 il est pas forcément audible.
04:01 Alors que quand on vous met en face de quelque chose,
04:05 et de fait, en fait, par l'œuvre,
04:09 c'est militant et ça raconte quelque chose de politique,
04:11 y a pas besoin de le dire plus.
04:13 J'ai pas besoin de dire que je suis noir
04:16 pour dire "Regardez, je suis noir, hein, je suis noir".
04:19 C'est le genre de film et c'est le genre d'expérience
04:21 qu'on pourrait faire pour pas un rond,
04:24 parce qu'on apprend beaucoup plus qu'on gagne, en fait.
04:27 -Vous avez peur de l'avenir, monsieur, ou pas ?
04:30 -Est-ce que j'ai peur de l'avenir ?
04:32 C'est une bonne question, mais en vrai, je me pose pas la question.
04:38 La seule chose qui m'inquiète,
04:41 c'est que vous ayez tous votre bac, pour l'instant.
04:44 *musique du générique*