Ivan Rioufol et Véronique Jacquier passent en revue l’actualité de la semaine dans #FaceARioufol
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00:00 Bonsoir à tous, bienvenue dans votre rendez-vous du dimanche soir face à Rufol.
00:05 Nous sommes ensemble pendant une heure.
00:07 Bonsoir Yvan.
00:08 Bonsoir Élodie.
00:09 Avec nous également Véronique Jacquier pendant une heure.
00:11 Bonsoir Véronique.
00:12 Bonsoir à tous.
00:13 Et on commence comme d'habitude par un point sur l'actualité avec Isabelle Piboulot.
00:17 Une marche blanche en hommage à Lucas s'est tenue à Epinal dans les Vosges.
00:24 Près d'un mois après le suicide de l'adolescent de 13 ans,
00:27 plus de 500 personnes se sont réunies pour honorer sa mémoire.
00:31 La marche s'est conclue par une minute de silence.
00:34 Au printemps, 4 collégiens âgés de 13 ans seront jugés pour avoir harcelé l'adolescent
00:39 en raison de son homosexualité supposée.
00:42 En Ukraine, les combats sont rudes, notamment à Barmout, point chaud du front dans l'est du pays.
00:48 A Kharkiv, au moins 5 personnes ont été blessées lors de deux frappes russes.
00:53 Grâce à la situation, le ministre ukrainien de la Défense a critiqué les réticences
00:58 des Occidentaux à livrer des avions de combat,
01:01 alors que le pays s'attend à un assaut russe d'envergure ce mois-ci.
01:05 Aux Etats-Unis, les Républicains critiquent Joe Biden pour sa gestion de l'incident du ballon chinois.
01:11 Selon eux, le président démocrate a été trop lent à agir.
01:15 Il avait donné l'ordre d'abattre l'engin mercredi,
01:18 mais le Pentagone attendait que le ballon survole la mer pour éviter des dégâts au sol.
01:23 De son côté, Pékin accuse les Etats-Unis d'avoir surréagi en employant la force
01:28 et se réserve le droit de répliquer.
01:31 Et puis au tournoi des 6 nations, ça n'a pas été simple, mais le 15 l'a fait.
01:36 A Rome, l'équipe de France s'est imposée face à l'Italie, 29-24,
01:40 pour son entrée en liste dans le tournoi.
01:42 Tenant du titre, les Bleus ont souffert, trop de fautes,
01:45 mais un bonus offensif pour les hommes de Fabien Galtier.
01:48 Prochaine rencontre, ce sera à Dublin, le week-end prochain, face à l'Irlande.
01:52 Au sommaire de l'émission aujourd'hui, d'abord le texte des retraites
01:59 qui arrive dans l'hémicycle ce lundi.
02:02 Mais les mobilisations continuent, des journées de manifestations sont prévues mardi et samedi.
02:07 Alors le gouvernement peut-il tenir face à la ruine à Decez ?
02:11 De rappeler que le débat parlementaire est important, oui.
02:14 Mais que faire de cette colère qui s'exprime dans la rue ?
02:17 Doit-on craindre un bras de fer qui mènerait au blocage ?
02:19 Alors que selon un sondage, 60% des Français comprendraient le blocage du pays.
02:24 Et puis autre texte qui fait débat, le projet de loi immigration.
02:28 Un texte qui doit trouver une majorité.
02:30 Le gouvernement veut faire plaisir à tout le monde.
02:32 Il veut faire plaisir à la droite avec la fermeté, à la gauche avec l'humanité.
02:36 Et finalement, il ne satisfait personne, pas même sa propre majorité.
02:40 Alors le texte est-il à la hauteur des enjeux ? On en débattra.
02:43 Et puis dans la deuxième partie de l'émission, nous recevrons Jean-Paul Brighelli,
02:47 normé amalien, agrégé de lettres.
02:49 Il enseignait pendant 45 ans au collège, au lycée, puis en classe préparatoire.
02:54 Premier thème de l'émission, les syndicats ont renouvelé avec succès
02:59 leur démonstration de force mardi contre la réforme des retraites.
03:02 Deux autres manifestations prévues cette semaine.
03:05 Emmanuel Macron peut-il tenir, Yvan ?
03:07 La rue est un obstacle, un sérieux obstacle.
03:11 Vous avez, dans le Figaro Magazine de ce week-end, une interview de Nicolas Sarkozy
03:15 qui rappelle qu'il a connu cette épreuve de la rue, qu'il a connu cette épreuve de la grève
03:19 quand il avait décidé, c'était en 2010, de faire passer la retraite de 60 à 62 ans,
03:24 alors même que ce n'était pas dans son programme.
03:26 Et donc il a affronté ce mouvement et il a gagné.
03:29 Et donc, a priori, il me semble que la conjonction est encore plus favorable
03:33 pour Emmanuel Macron pour au moins deux raisons.
03:35 D'abord, Emmanuel Macron ne se représentera pas,
03:38 donc il n'a pas à flatter un électorat, il n'a pas à s'assurer de sa réélection
03:42 comme Nicolas Sarkozy avait pu avoir cet obstacle-là.
03:47 D'ailleurs, il avait été battu.
03:49 De plus, on voit bien que dans la psychologie du président de la République,
03:53 il tente de vouloir imprimer, en tout cas, son passage à l'Élysée
03:59 et d'être à la hauteur de la réputation qu'il s'était donnée,
04:02 d'être un président réformiste.
04:04 Pour l'instant, il n'a rien réformé du tout, tout à fait à la marge.
04:07 Et donc, j'imagine, même étant à sa place, qu'il veut imprimer sa marque,
04:11 en tout cas sur la réforme des retraites, même si c'est une réforme à minima,
04:14 il faudrait au moins qu'il réussisse ceci.
04:16 S'il échoue sur la réforme des retraites, c'est toute la politique,
04:20 c'est la politique qui échoue elle-même, qui recule devant la rue.
04:23 Et donc, ça ne me semble pas peu probable.
04:25 Donc, d'autant plus que face à ce front syndical qui, naturellement,
04:30 mène des actions qui sont tout à fait honorables, bien entendu,
04:35 c'est un front syndical qui n'ira pas jusqu'au bout de la guerre.
04:38 Il ne veut pas une guerre totale, parce que la majorité,
04:42 la totalité des syndicats qui appellent à manifester, ont voté pour Emmanuel Macron,
04:47 très directement pour la CFDT, indirectement pour la CGT et les autres,
04:51 en disant qu'ils voulaient battre Marine Le Pen.
04:53 Or, on sait bien que si le gouvernement est fragilisé,
04:55 si par exemple il y avait une dissolution ou quoi d'autre,
04:59 l'alternative qui se présente aujourd'hui, c'est le Rassemblement national.
05:03 Or, le Rassemblement national, qui demain va mettre au vote à l'Assemblée
05:09 une proposition référendaire, ne sera pas suivie.
05:13 Cette proposition référendaire, qui voulait donc mettre le débat des retraites
05:17 en référendum, sera rejetée par la gauche et l'extrême gauche,
05:20 alors même qu'elle l'a demandé, mais comme cela vient du Front national,
05:23 qui est considéré comme étant un parti fascisant par une partie de l'EFI,
05:28 je crois que c'est Mme Rousseau qui l'a dit ça, d'ailleurs ça donne une idée,
05:31 quand même, de l'enfermement intellectuel de ces gens-là,
05:34 parce que s'il y a un fascisme, il n'est plus tellement à droite,
05:37 mais il serait plutôt à gauche.
05:38 Enfin bon, en tout cas, la gauche se fera encore front commun
05:42 pour défendre, dans le fond, la pérennité de ce pouvoir.
05:45 Puis la troisième chose, et on l'a vu encore aujourd'hui avec Mme Elisabeth Bord,
05:49 qui avait dit qu'elle s'accrocherait maintenant aux 64 ans,
05:52 après avoir dit 65 ans, 64 ans, et là, dans le JDD,
05:56 elle a fait encore un autre recul en disant que ce sera 63 ans,
05:59 en tout cas pour ceux qui ont travaillé plutôt pour les carrières longues
06:03 et ceux qui ont travaillé à partir de 20 ans et qui ont alors 43 années d'annuité.
06:07 Donc tout ceci me fait dire qu'Emmanuel Macron a de grandes chances de gagner,
06:12 même s'il est vrai que sa réforme est mon conduite en dépit du bon sens.
06:16 Et là, toute cette colère populaire a raison de montrer que c'est une réforme technocratique
06:20 qui dit tout et son contraire.
06:22 D'abord, Emmanuel Macron lui-même avait dit qu'il n'était pas question
06:27 de passer de 62 à 65 ans et on retrouve les vidéos et elles sont accablantes.
06:32 Avec sa réforme à points, il avait laissé comprendre que la réforme par répartition
06:37 était obsolète et aujourd'hui il s'accroche sur cette réforme par répartition.
06:41 En fait, la vraie question qui n'est pas posée, c'est de savoir si,
06:44 oui ou non, cette réforme par répartition est viable.
06:46 Moi, je soutiens, je l'ai déjà soutenu, je ne vais pas me répéter,
06:50 qu'elle n'est plus viable par la force des choses.
06:52 C'est-à-dire qu'aujourd'hui, auparavant, en 60 ou en 70,
06:55 il y avait quatre cotisants pour un retraité.
06:58 Aujourd'hui, il y a 1,7 cotisants pour un retraité.
07:01 Demain, pas longtemps, il y en aura 1,2.
07:04 Donc, on voit bien que c'est un système qui s'essouffle et qu'il faut penser autre chose.
07:07 Et je suis de ceux à qui approuve, par exemple, David Linard, le maire de Cannes,
07:12 qui dit qu'il faut penser à une retraite par capitalisation.
07:15 Je ne cesse de le répéter et je l'ai même dit, pardon, avant David Linard,
07:18 mais je suis bien content d'être rejoint par des personnalités de ce type
07:21 qui sont des gens très intéressants.
07:23 Et donc, il faut effectivement maintenant penser à garder une retraite par répartition,
07:29 naturellement pour les plus vulnérables,
07:31 et à ce que la retraite par capitalisation vienne renforcer les revenus
07:36 de ceux qui sinon, dans 15 ans ou 20 ans, ne toucheront quasiment rien.
07:40 Déjà, on touche très peu avec la retraite actuelle
07:42 et ce sera une paupérisation qui sera accélérée.
07:45 Donc, pour toutes ces raisons, je pense que le gouvernement, malgré tout,
07:49 peut voir en tout cas les astres s'aligner dans le bon sens, me semble-t-il.
07:55 Mais est-ce que quand même cette réforme des retraites ne risque pas d'être
07:59 la goutte d'eau qui fait déborder la colère des Français ?
08:02 Ah, c'est une grande question.
08:04 Les syndicats, naturellement, le pensent.
08:07 Et on peut soutenir en effet que cette réforme, que cette opposition très populaire
08:14 est une opposition qui pourrait rassembler toutes les colères françaises.
08:17 J'ai déjà dit que je n'y croyais pas et j'aurais pu être démenti
08:21 par la sociologie de ceux qui ont manifesté, en effet, cette semaine,
08:26 où on a été perçu que toutes les petites villes, y compris les petites villes,
08:29 c'est-à-dire la France périphérique, la France oubliée,
08:31 s'est fortement mobilisée, c'est un fait en effet.
08:34 Et ça a été noté notamment par une étude qui a été menée,
08:38 pour le Figaro, par l'IFOP.
08:40 Et simplement, dans cette étude-là, on montrait que ces petites villes,
08:48 ces sous-préfectures qui se sont fortement mobilisées,
08:50 parfois 10%, 20% de la population, étaient des petites villes
08:53 très fonctionnalisées pour certaines, comme à Foix par exemple,
08:57 ou qui avaient des fortes industries ouvrières ou agroalimentaires,
09:03 comme à Carré.
09:04 À Carré, c'est très intéressant, Carré c'est un finistère,
09:06 c'est une ville où les manifestants ont envahi les rues, en effet,
09:11 comme il y a 10 ans, les Bonnets Rouges, les premiers Bonnets Rouges,
09:16 qui étaient un petit peu l'avatar des Gilets jaunes,
09:18 avaient également commencé à manifester.
09:20 Donc, on pourrait penser qu'il y ait une filiation,
09:22 et d'ailleurs, à l'époque, quand les Bonnets Rouges avaient manifesté,
09:25 Jean-Luc Mélenchon, qui n'avait rien compris de ce mouvement,
09:27 avait dit de ce mouvement que c'était un mouvement de nigos,
09:29 et il avait été tout à fait désagréable,
09:32 il avait été désolidarisé de ce mouvement-là.
09:35 Mais je pense malgré tout que cette lecture doit être relativisée,
09:41 parce que cette même étude de l'IFOP montre que dans les régions
09:46 les plus défavorisées, dans les régions qui n'ont plus accès
09:49 au privilège d'avoir un travail fonctionnarisé,
09:54 c'est-à-dire d'avoir la sécurité de l'emploi,
09:56 ou d'avoir un travail dans des grandes entreprises,
09:58 dans toutes ces régions qui sont beaucoup plus vulnérables à l'emploi,
10:01 elles se sont beaucoup moins,
10:04 qui votent Rassemblement National pour parti, ou qui s'abstiennent,
10:07 elles se sont beaucoup moins mobilisées.
10:10 Et donc, naturellement, on pourrait me faire remarquer
10:13 que cette France périphérique se retrouve dans ce mouvement syndical.
10:17 Je pense que non, ou en tout cas que cette France périphérique
10:19 est elle-même divisée entre le public et le privé,
10:22 si vous voulez, entre les privilégiés, si on peut dire,
10:25 avec plein de guillemets, et ceux qui sont vraiment oubliés du système.
10:28 Et donc, je persiste à penser que cette France-là,
10:32 toute cette France périphérique, cette France des Gilets jaunes,
10:35 même s'il y a eu des Gilets jaunes qui ont rejoint les manifestations,
10:37 ne se reconnaît pas pour l'instant dans cette manifestation-là.
10:42 D'autant que cette manifestation,
10:46 si elle se focalise simplement sur les retraites
10:49 et sur des mouvements très matérialistes,
10:51 passe, balaye toute une grande partie d'une réflexion
10:56 sur la vulnérabilité culturelle identitaire existentielle
11:00 qui, me semble-t-il, est en train d'ébranler une grande partie
11:04 de cette France populaire-là, qui n'estime pas que tout se résume aux retraites.
11:10 Or, a priori, et c'est une sorte de trompe-l'œil qui commence à se voir,
11:15 on laisse comprendre aujourd'hui que toute la colère française
11:17 serait d'abord représentée par les syndicats, ce qui reste à démontrer,
11:21 et qu'elle ne s'arrêterait qu'au petit périmètre des retraites.
11:25 Non, ce n'est pas vrai.
11:26 M. Balladur a fait un grand papier très intéressant dans le Figaro,
11:30 cette semaine, dans lequel il parle de l'affaissement général du pays.
11:34 Quand il parle de l'affaissement général du pays,
11:36 il décrit le grand effondrement que l'on décrit très souvent ici avec Véronique,
11:40 il parle non seulement des retraites, bien sûr,
11:42 d'ailleurs il n'en parle pas, il ne parle même pas des retraites,
11:44 mais il parle des domaines économiques, sociaux, éducatifs,
11:46 de la sécurité, de l'immigration.
11:48 Tous ces grands problèmes-là ne sont pas posés par ces grands mouvements,
11:52 incontestablement populaires, j'y reviens,
11:54 mais qui, me semble-t-il, font l'impasse sur une grande partie d'une vulnérabilité française.
12:00 Et donc, je persiste à penser, et je persiste à dire,
12:03 que ce mouvement-là, ce mouvement en trompe-l'œil,
12:07 est un mouvement qui ne fédérera pas, en tout cas,
12:11 l'autre partie de cette France oubliée qui m'intéresse davantage,
12:14 qui est cette France la plus vulnérable, qui, elle, est un peu désespérée,
12:17 et qui n'a même pas le dynamisme aujourd'hui de descendre dans la rue.
12:20 Je peux me tromper, naturellement, mais pour l'instant,
12:22 c'est un peu ce paysage-là que je vois apparaître.
12:26 Véronique Jacquet, sur la possibilité, effectivement, que les luttes s'agrègent,
12:32 que la rue arrive vraiment à se mobiliser, comment vous voyez les choses ?
12:36 Est-ce que le gouvernement peut tenir ou est-ce que la rue peut peut-être le faire plier ?
12:40 Alors, si on prend le paramètre de 2010,
12:43 parce qu'une réforme des retraites, ça ne passe jamais comme une lettre à la poste,
12:47 donc il y avait quand même jusqu'à la fin de l'examen du texte, 14 défilés,
12:53 dont 4 avec plus de 2 millions de personnes dans les rues,
12:56 et Nicolas Sarkozy récoltait 72% de mécontentement.
13:02 Voilà, c'est beaucoup, c'était aussi un terrain explosif,
13:05 pourtant à l'époque, le président de la République n'a rien lâché,
13:08 et il était dans une épreuve de vérité, parce qu'il disait,
13:12 mais après la crise de 2008, si vous voulez que je paie les retraites,
13:15 il y a un moyen très simple, c'est de passer de 60 à 62 ans,
13:18 sinon on ne peut plus payer les retraites.
13:20 Bon, Emmanuel Macron n'a pas fait cet effort de vérité,
13:23 il n'a pas fait non plus un effort de pédagogie,
13:25 mais il n'a pas été dans un effort de vérité,
13:27 ça fait qu'on se retrouve maintenant effectivement avec Elisabeth Borne
13:29 qui est en train de bouger le curseur,
13:32 et hop, on oublie le 64 ans pour ceux qui ont travaillé entre 20 et 21 ans,
13:36 maintenant on en est à 63 ans, mais alors ça veut dire quoi ?
13:38 Ça veut dire que les 64 ans, ça ne veut fondamentalement rien dire,
13:41 et que c'est simplement un trophée.
13:43 Cette info est importante parce qu'on va voir comment elle va être reçue
13:46 dans les heures et les jours qui viennent par les syndicats,
13:48 par l'opinion aussi, c'est très très important.
13:51 Maintenant je rejoins Yvan sur les fragilités culturelles identitaires de notre pays,
13:55 c'est-à-dire que le contexte a complètement changé depuis 2010.
14:00 Le mécontentement, c'est un agrégat d'angoisse
14:04 par rapport au monde du travail qui se dégrade,
14:07 on l'a entendu dans les manifestations.
14:09 Ce n'est pas tant que les gens ne veulent pas travailler plus longtemps,
14:11 même si ça ne fait plaisir à personne,
14:13 c'est qu'ils ne veulent surtout pas travailler dans les conditions
14:16 qu'ils traversent en ce moment dans le monde du travail.
14:19 C'est valable pour les soignants, c'est valable pour les professeurs des écoles,
14:22 il n'y a plus de sens, on ne leur donne plus d'avenir,
14:25 ils ne sont pas forcément considérés aussi bien public que privé,
14:28 donc il y a vraiment une crise de sens par rapport à la valeur travail.
14:31 Ils ne sont pas bien rémunérés non plus.
14:33 On l'a déjà dit dans diverses émissions,
14:35 il aurait fallu qu'Emmanuel Macron commence par ce chantier
14:38 de réhabiliter la valeur travail avec tout ce que ça avait à l'époque,
14:41 quand Nicolas Sarkozy a dit "si j'ai réussi à faire passer en 2010
14:45 la réforme des retraites, c'est parce qu'il y avait quand même
14:48 cette notion de valeur travail, donc il y avait une forme de cohérence".
14:52 Qu'est-ce qui va se passer dans les jours qui viennent ?
14:54 Je pense que l'épreuve de la rue,
14:57 les syndicats vont vouloir ne pas devenir impopulaires,
15:01 on l'a vu, il va y avoir encore des manifestations cette semaine,
15:04 il va y avoir des grèves, mais ça ne va pas forcément durer très longtemps.
15:07 Et puis, Elizabeth Band tend la main aux Républicains,
15:10 donc sans doute le texte, après avoir été beaucoup amendé,
15:13 va forcément passer.
15:15 Vous avez parlé de mouvement en trompe-l'œil.
15:17 Yvan, vous vous exagérez en utilisant ce terme ?
15:20 C'est comme ça que vous voyez vraiment ?
15:22 Pas tant que ça, non. Je dis mouvement en trompe-l'œil
15:24 parce qu'on voit bien que ce sont des syndicats,
15:27 c'est un peu la gauche zombie dans le fond,
15:29 qui essayent de se refaire une santé en prétendant
15:32 qu'elles maîtrisent toute cette colère française.
15:34 Et puis c'est un trompe-l'œil, me semble-t-il,
15:37 parce qu'en effet, je l'ai déjà dit, je trouve que les retraites
15:40 ne peuvent pas focaliser l'ensemble du désespoir français.
15:44 Tout ce que Christophe Guilut appelle les dépossédés,
15:47 c'est-à-dire toute cette classe qui est oubliée,
15:49 et des syndicats, et des médias, et du reste,
15:52 est une classe qui, encore une fois, attend son expression.
15:54 Et puis je n'oublie pas, pardon,
15:56 j'avais suivi les Gilets jaunes il y a quatre ans,
15:58 je n'oublie pas la manière dont les syndicats
16:00 avaient conspué les premiers Gilets jaunes.
16:02 Ce n'est pas les premiers Gilets jaunes,
16:04 qui avaient même se dérend point.
16:06 Je me souviens que le patron de la CFDT avait dit d'eux
16:10 que c'était un mouvement totalitaire,
16:12 il parlait de totalitarisme populiste,
16:14 je m'en souviens parfaitement.
16:16 Je me souviens que la CGT, de la même manière,
16:18 les avait traités d'homophobes, de racistes, d'antisémites,
16:20 on ne sait pas pourquoi.
16:21 Et dès les premiers jours, donc, il y avait eu
16:23 cette réticence syndicale à vouloir soutenir
16:28 ce mouvement spontané qui me paraît toujours
16:31 être beaucoup plus révélateur de la crise existentielle
16:34 et de la crise démocratique qui s'installe
16:37 et qui s'est enquistée en France.
16:39 Et donc, pour ces raisons-là, je pense que, d'abord,
16:41 les Français, enfin ceux des Gilets jaunes en tout cas,
16:43 ont de la mémoire et qu'ils voient bien
16:46 qu'ils n'ont pas, en tout cas, à défiler sous les drapeaux
16:50 de la CFDT et de la CGT.
16:52 Mais en même temps, je ferme mon petit bideau dans la République,
16:55 si je puis dire, en même temps, il peut y avoir
16:57 effectivement une surprise de l'histoire
17:00 et de faire en sorte que ces Gilets jaunes-là,
17:02 tous ces oubliés, puissent s'approprier à leur tour
17:05 ce mouvement protestataire, comme les syndicats
17:08 s'étaient appropriés en deuxième partie
17:11 le mouvement des Gilets jaunes, qui était un mouvement spontané.
17:13 Donc, il est possible, naturellement, que cela se passe ainsi.
17:15 Mais pour l'instant, ce n'est pas ce que je vois.
17:17 Donc, Emmanuel Macron ira jusqu'au bout ?
17:19 Donc, Emmanuel Macron ira jusqu'au bout,
17:21 au risque de détricoter peut-être.
17:24 Il ira jusqu'au bout, à moins qu'il ne perpétue
17:27 ce qu'il avait déjà fait pour la première réforme des retraites,
17:30 où il avait pris prétexte de la guerre contre le Covid.
17:32 Rappelez-vous, il avait dit six fois "nous sommes en guerre"
17:35 et à cause de cette guerre contre le Covid,
17:37 qui n'en était pas une, qui était du théâtre,
17:38 il avait renoncé à cette première réforme par points, cette fois-ci.
17:43 Et là, on pourrait peut-être imaginer,
17:45 mais là, c'est une hypothèse que je pose en éventualité,
17:49 que la perspective d'une guerre qui est sérieuse maintenant
17:52 et qui commence à s'aggraver entre l'Ukraine et la Russie
17:56 et qui commence à devenir une guerre de civilisation,
17:59 que cette perspective d'une guerre soit également un prétexte,
18:01 mais je me doute bien que ce ne serait pas le prétexte essentiel,
18:04 pour le président de la République à renoncer également à cette réforme.
18:07 Véronique Jacquy, pour terminer sur ce thème.
18:09 Moi, je pense que la seule chose qui pourrait faire bouger les Français,
18:12 parce qu'il y a un sacré désarroi, une forme d'apathie,
18:15 c'est si on touchait véritablement au portefeuille,
18:17 mais comme, enfin, s'il y avait une véritable crise d'austérité,
18:20 comme l'ont connu certains pays dans le passé,
18:22 par exemple en 2011, l'Espagne ou le Portugal,
18:24 où on a baissé drastiquement le nombre de fonctionnaires
18:26 et où on a même baissé, pour certains, les retraites en Espagne,
18:30 et au Portugal, où on a baissé aussi le montant des salaires.
18:34 Là, les Français diraient, voilà, je me bouge,
18:38 et on retrouverait peut-être l'esprit gilet jaune.
18:41 On est loin de tout ça.
18:42 La France reste quand même un pays où l'État fait ce qu'il faut
18:45 pour protéger le citoyen qui, malheureusement, est un consommateur,
18:49 donc il en veut toujours plus.
18:50 Autre texte qui va faire polémique, le projet de loi sur l'immigration.
18:54 Il a été présenté mercredi en Conseil des ministres.
18:57 Est-ce qu'il est, selon vous, à la hauteur des enjeux, Yvan ?
19:00 Bien sûr que non.
19:01 Je me demande s'il y a besoin d'argumenter.
19:04 D'ailleurs, on a déjà abordé ce sujet-là.
19:06 Alors, naturellement, le gouvernement nous dit qu'il va accentuer
19:09 les procédures de reconduite à la frontière,
19:11 qu'il va être beaucoup plus dur sur les OQTF,
19:14 c'est les obligations de quitter le territoire, on verra bien.
19:16 En tout cas, ce qui reste et ce qui restera dans la lecture de ce projet,
19:20 c'est qu'en effet, le gouvernement se propose de régulariser
19:24 des clandestins pour ce qu'il appelle des emplois en tension
19:28 dans la restauration ou dans le bâtiment public.
19:31 Il y a d'abord une sorte d'aberration, il dit le logisme,
19:34 à faire venir des immigrés pour construire des logements pour des immigrés.
19:39 Je pense qu'il y a un raisonnement qui bloque quelque part chez eux.
19:42 Et puis surtout, il faut regarder les chiffres, tout simplement.
19:45 Il y a 500 000 emplois vacants, il y a 6 millions de chômeurs,
19:50 il y a 7 millions d'inactifs, en plus des chômeurs,
19:55 dont 3 millions dans la jeune génération qui s'est complètement détournée du travail.
20:00 Et donc, c'est une première chose.
20:02 Donc, il n'y a pas besoin d'imports supplémentaires,
20:06 sauf naturellement à baisser toujours davantage les salaires.
20:10 Et c'est en effet une proposition qui est agréée aux MEDEF et aux patronats.
20:14 Enfin, on va parvenir là-dessus, on a déjà épilogué.
20:17 Et puis surtout, on s'aperçoit que par les chiffres qui ont été donnés cette semaine,
20:20 il y a deux chiffres qui ont été donnés cette semaine, une série de chiffres.
20:23 D'abord, les chiffres sur l'immigration légale,
20:25 qui dépasse maintenant les 500 000 personnes par an.
20:28 500 000 personnes par an, auparavant c'était 400 000.
20:30 C'est-à-dire que là, aujourd'hui, vous avez maintenant,
20:33 c'est les chiffres officiels, 320 000 premiers titres de séjour,
20:36 150 000 demandeurs d'asile, et à tout ceci, vous rajoutez les clandestins
20:41 qui sont entre 500 000, par définition, dont on n'arrive pas à mesurer,
20:46 mais qui seraient entre 500 000 et 1 million.
20:48 Et d'autre part, le ministère de l'Intérieur a donné les chiffres
20:52 des délinquances qui sont également effarants, et moi je les mets en parallèle.
20:57 C'est-à-dire qu'il y a maintenant plus de 15 % en causes et blessures,
21:00 11 % d'augmentation pour les violences sexuelles,
21:04 et 8 % d'augmentation pour les cambriolages.
21:07 C'est-à-dire que l'inflation, sans jeu de mots,
21:10 l'inflation aujourd'hui est partout.
21:11 Et donc, on est obligé naturellement de s'interroger,
21:14 de savoir pourquoi le gouvernement s'aveugle à ce point,
21:16 d'autant que Gérald Darmanin lui-même a fait le lien entre l'immigration
21:21 et l'insécurité.
21:22 Donc il devrait bien voir qu'en faisant venir toujours davantage d'immigration,
21:25 il va conduire naturellement à davantage de sécurité.
21:28 Or, visiblement, le gouvernement est incapable,
21:32 mais on tombe là dans l'idéologie, il est incapable de penser l'immigration
21:35 autrement que d'une manière positive.
21:37 Et d'ailleurs, en effet, le président de la République
21:39 avait toujours dit qu'il reprenait ses tentièmes
21:41 de dire que l'immigration était une chance pour la France.
21:43 Il l'a un peu amordé, mais il reste sur cet objectif-là.
21:46 Et on croit comprendre, et je reprends une réflexion que vous venez de faire,
21:52 Véronique, qu'en effet, le gouvernement ne voit plus,
21:56 dans un français, un citoyen, mais il y voit un consommateur.
21:59 C'est-à-dire un consommateur qui peut être déraciné tout autant,
22:03 qui peut être remplacé et qui n'a plus aucune filiation,
22:06 si je puis dire, affective avec le pays d'accueil.
22:09 Et donc, en effet, dans ce pays de consommateurs,
22:11 vous pouvez multiplier les arrivées, les départs,
22:15 tout ceci n'a plus d'intérêt, sinon de vouloir maintenir un pouvoir d'achat.
22:20 Et le pouvoir d'achat devient maintenant la pièce maîtresse
22:23 de tout raisonnement du gouvernement.
22:25 Véronique Jacquiez, ce texte n'est pas la hauteur des enjeux,
22:27 il ne prend pas l'immigration sous le bon angle ?
22:30 C'est le énième projet de loi, et on voit qu'il y a toujours plus d'immigration,
22:34 et une immigration qu'on lie de plus en plus à l'insécurité et à la criminalité,
22:39 donc il y a quand même un très très gros problème.
22:41 Moi, je pense que c'est une volonté politique,
22:43 on pourrait avoir un texte de loi qui porte du fruit.
22:46 Il suffit pour cela, par exemple, de prendre l'exemple du Danemark.
22:50 Le Danemark qui fait partie de l'Europe, qui fait partie de l'espace Schengen,
22:54 qui est aussi sous la coupe de la Cour européenne des droits de l'homme,
22:58 et qui pourtant a négocié une série de dérogations au traité européen
23:02 pour gérer et réguler l'immigration comme ils l'entendent, et ce depuis 20 ans,
23:07 c'est-à-dire qu'ils ont eu un gouvernement de droite,
23:09 et que la gauche démocrate a continué le travail qu'a commencé la droite.
23:13 Donc il y a une grande cohérence, tout ça pour être très exigeant,
23:16 c'est-à-dire qu'on n'accorde plus la nationalité à n'importe quel prix,
23:19 on veut préserver un modèle social, c'est très compliqué maintenant de rentrer au Danemark,
23:25 il y a la Suède aussi maintenant qui emboîte le pas,
23:27 et chaque fois, chaque fois c'est au nom de la défense d'un modèle social,
23:30 et aussi d'un modèle civilisationnel, donc la France devrait en prendre de la graine.
23:34 Merci à tous les deux, on se retrouve dans un instant avec votre invité,
23:38 juste après cette courte pause.
23:40 De retour dans votre émission, face à Rufold, dans un instant c'est l'invité,
23:47 mais tout de suite le point sur l'actualité avec Isabelle Piboulot.
23:55 Troisième journée de grève nationale contre le projet de réforme des retraites mardi,
24:00 la circulation sera de nouveau fortement perturbée,
24:03 avec pour la SNCF un train sur deux en moyenne,
24:07 pour les TGV Inui et Ouigo, 3 TER sur 10 et 1 RERD sur 6.
24:13 A Paris, la RATP annonce un trafic très perturbé pour les métros et les RER,
24:18 c'est mieux du côté des bus avec 8/4 sur 10 et normal sur le réseau tramway.
24:24 Le trafic aérien aussi ne sera pas épargné,
24:27 certains contrôleurs seront en grève mardi,
24:30 la Direction Générale de l'Aviation Civile demande aux compagnies aériennes
24:34 d'annuler préventivement un vol sur cinq à l'aéroport d'Orly,
24:38 les passagers qui le peuvent sont invités à reporter leur voyage.
24:42 Et puis c'est en retour, renforce Teddy Riner, vainqueur du grand slam de judo de Paris.
24:48 A Bercy, le français s'est imposé en finale contre le japonais Hyoga Ota,
24:53 de retour de blessure, le colosse de 33 ans décroche ainsi un 7e titre à Paris
24:59 à un an et demi des Jeux Olympiques.
25:02 L'invité de cette émission face à Ruffold, Jean-Paul Briguelli,
25:08 norméalien agrégé de lettres auteurs, notamment de la fabrique,
25:12 du crétin vers l'apocalypse scolaire.
25:14 Yvan Ruffold, pourquoi avoir choisi de le recevoir ce soir ?
25:17 Écoutez, si j'avais à faire un rêve, ce serait de voir Jean-Paul Briguelli
25:21 succéder à M. Papandia et à l'éducation nationale.
25:24 J'ai une grande admiration pour ce professeur, cet enseignant
25:28 qui alerte depuis maintenant des années, parce que votre premier livre,
25:31 c'était en 2005, s'appelait "La fabrique du crétin".
25:33 Vous expliquez déjà l'effondrement de l'école, vous n'êtes pas entendu.
25:37 Maintenant, vous refaites un livre sur ce même thème, en parlant même d'apocalypse.
25:41 Et ma question est de savoir si vraiment l'école va aussi mal que vous le dites.
25:44 Alors, il va falloir, je ne veux pas cultiver le paradoxe,
25:48 mais il faut rectifier une idée que vous avez là, l'école va très bien.
25:53 L'école fait très exactement ce pourquoi on l'a programmée depuis 40 à 50 ans.
25:58 Et on est dans le plein rendement.
26:01 J'ai eu la naïveté à un certain moment, en 2005, en ayant une certaine audience
26:05 avec la première époque de "La fabrique du crétin",
26:09 qui était la mort programmée de l'école.
26:13 Je me suis dit, bon, ça va peut-être donner des idées, donner à réagir, etc.
26:19 Non, il ne s'est rien passé, ça a continué, ça s'est accentué,
26:25 simplement parce que la programmation, la vraie programmation de l'école,
26:31 va dans le sens que nous savons, c'est-à-dire,
26:34 on dégage 10% d'élites autoproclamées et 90% de consommateurs.
26:40 C'est un mot qui commence mal d'ailleurs, consommateurs.
26:43 Mais c'est exactement tout ce que l'on veut.
26:45 Alors qu'on soit bien d'accord, ce n'est pas un complot,
26:47 il n'y a pas 3 ou 4 grands esprits qui se sont mis dans un coin pour dire,
26:51 voilà ce que nous allons faire de l'école de la République,
26:54 c'est un mécanisme.
26:56 Et ce mécanisme s'est mis en place entre la fin des années 50 et les années 60.
27:01 - Vous exonérez, en général on dit de mai 68,
27:05 qu'elle a été le point de départ de l'effondrement de la transmission.
27:08 - C'est un édifénomène.
27:12 Je vais raconter une belle histoire, j'aime bien raconter.
27:16 En 62, vous savez les ministres, ça n'a absolument aucune importance.
27:19 Quand vous rentrez dans le ministère de l'éducation,
27:21 vous avez toutes les photos de tous les ministres depuis 1876,
27:26 vous en connaissez à tout casser une dizaine, les plus récents,
27:29 les autres sont d'illustres inconnus,
27:31 ce n'est pas eux qui ont le pouvoir dans l'école.
27:34 Ceux qui ont le pouvoir, ce sont les bureaux.
27:36 En l'occurrence, ce qu'on appelle la DGESCO,
27:38 la Direction Générale d'Enseignement Scolaire.
27:40 En 62, à la tête de la DGESCO, il y a un garçon qui s'appelle René Abbey,
27:45 qui est très proche de Giscard, qui lui-même est ministre de De Gaulle
27:50 et qui va se débrouiller pour faire chuter De Gaulle au référendum 69.
27:54 Ça, c'est l'histoire.
27:56 René Abbey va créer une commission, qu'on appelle la commission Rouchette,
28:00 pour savoir quel est le français que nous devons désormais enseigner à l'école.
28:03 C'est une question qui semble stupide,
28:05 parce que vous et moi, qui appartenons plus ou moins à la même génération,
28:09 nous avions quand même appris La Fontaine, La Martine, Victor Hugo, etc.
28:14 Le français, c'était le français qu'avaient écrit et parlé les meilleurs écrivains.
28:20 C'est fini.
28:22 La commission a déterminé que le français, c'était celui de la rue.
28:26 C'est ce qui a permis à un député en marche, il y a deux ans,
28:29 d'expliquer que le sommet de la poésie, c'était Aya Nakamura, actuellement.
28:34 Et sur cette lancée, alors imaginez, la langue de la rue qui devient la langue à enseigner.
28:41 C'est au même moment qu'on a imposé ce qu'on appelait les mathématiques modernes.
28:46 Les mathématiques modernes, c'était de façon à ce que les parents ne puissent pas aider les enfants.
28:51 De sorte qu'on les mettait face à la théorie des ensembles, etc.
28:55 Les parents flottaient complètement.
28:57 C'était une construction idéologique, dès le départ ?
29:02 Non, c'était une construction idéologique.
29:05 En fait, il faut remonter à Jean Monnet.
29:08 Jean Monnet avait été l'heureux bénéficiaire de deux guerres mondiales.
29:12 Il ne s'est dit plus jamais ça.
29:14 En même temps, d'après De Gaulle, c'était le petit agent de la CIA.
29:20 L'idée générale, c'était d'éliminer les nations en Europe.
29:24 Éliminer les nations.
29:26 Éliminer la langue.
29:28 Éliminer l'étude de l'histoire.
29:30 Éliminer tout ce qui faisait le cœur véritablement de la civilisation française et plus largement européenne.
29:39 On est en plein dedans actuellement.
29:41 Je rappelle, si l'Europe, si Ursula von der Leyen, on n'a plus qu'à tirer l'échelle.
29:48 On l'a très bien réussi.
29:51 D'ailleurs, René Habi, pour prix de ses services, se retrouve ministre de l'Éducation nationale en 1974.
29:57 Ministre de Giscard.
29:59 C'est un modèle américain qu'on veut nous imposer, dans le fond ?
30:03 Non, c'est l'idée, en quelque sorte, d'ouvrir la porte à ce qu'on n'appelait pas encore la mondialisation,
30:09 mais qui était dans les tiroirs.
30:12 L'Europe, de toute façon, je rappelle qu'au départ, c'était un marché commun.
30:16 C'était l'idée de laisser circuler les marchandises.
30:20 Les marchandises, ce n'est pas les idées.
30:22 Vous voyez, c'est un point particulièrement important.
30:25 Et on a éliminé, regardez, n'importe quel billet actuel, vous avez dessus des architectures imaginaires.
30:32 Ce ne sont pas des architectures réelles, représentant des ponts, des portes ouvertes.
30:36 Il y a un symbole dans le pont.
30:38 Chacun va vers l'autre, bla bla bla.
30:40 À l'époque, rappelez-vous, on a eu en main Pascal, Napoléon, Richelieu, Victor Hugo.
30:47 On pourrait même, à notre âge, en scrogne que nous sommes, dire, voilà, Victor Hugo, c'était le billet de 5 francs.
30:54 Et de la même façon, les Allemands avaient Goethe, les Italiens avaient Dante.
31:01 C'est fini, il n'y a plus rien.
31:04 Oui, mais là, vous parlez des années 60.
31:06 Dans les années 60, on avait précisément encore cette référence à notre passé.
31:10 Ça a été un plan en plusieurs moments.
31:12 On a 76, le collège unique.
31:17 C'est-à-dire qu'on va mettre tout le monde indifféremment en sixième.
31:22 Et ça correspond pile au moment où on décide le regroupement familial.
31:27 C'est-à-dire qu'on s'est retrouvé en sixième avec des gosses qui étaient pour rien, qu'on soit bien clair.
31:33 Qui arrivaient d'un Maghreb indistinct, qui ne savaient pas forcément parler français.
31:37 Et vous les avez dans la même classe, n'importe quel prof fait cours pour les plus faibles.
31:42 Ce qui a eu pour effet de descendre encore le niveau.
31:46 La troisième étape, ça a été la loi Jospin.
31:50 La loi Jospin, c'est le moment où chaque élève doit construire lui-même ses propres savoirs.
31:57 C'est pour ça que ce qu'on appelle le pédagogisme.
32:00 Le pédagogiste est également un constructiviste.
32:03 Le constructiviste, c'est simple.
32:06 Il vous met face à une phrase, les arbres que nous avons plantés.
32:11 Il vous dit "que remarques-tu ?"
32:13 D'ailleurs, vous ne remarquez rien du tout.
32:15 Ah oui, il y a un S à planter, mais c'est parce qu'il y a "les" devant.
32:20 "Les" plantés.
32:22 Et "plantés", ça doit être un nom.
32:24 Oui, non ?
32:26 Il va falloir un certain temps.
32:27 On pourrait très bien avoir une relation verticale et lui expliquer que le parti passé s'accorde avec le COD
32:34 lorsque celui-ci est antéposé, etc.
32:37 Et que ça date d'une réforme imposée par Clément Marrault en 1526.
32:41 Tout ça, c'est fini.
32:45 Ce que vous nous présentez là, ce processus de déculturation, d'abrutissement des masses,
32:50 est un processus, dans le fond, totalitaire.
32:52 On le voit dans les régimes totalitaires.
32:54 Les régimes totalitaires se contentent effectivement d'une école qui n'apprend que 500 mots.
32:57 C'est pas à votre âge que vous expliquez que l'Europe est un système totalitaire.
33:01 Parce que la quatrième étape, ça a été le protocole de Lisbonne en 1999-2000
33:09 où on a déterminé que sur toute l'Europe, on allait fabriquer 10% d'élitins,
33:17 c'est-à-dire que l'oligarchie va se débrouiller pour avoir des établissements pour ses enfants,
33:22 et 90% de gens qui seront ubérisables jusqu'au tronion.
33:27 Quand vous dites "on" a déterminé, c'est qui ?
33:30 L'ensemble, finalement, des acteurs économiques.
33:33 J'ai dit bien "économiques".
33:35 C'est-à-dire que ça a échappé complètement aussi bien aux acteurs éducatifs qu'aux acteurs culturels.
33:41 Ils n'ont rien vu.
33:43 Non seulement ils n'ont rien vu, mais c'est ça le plus beau.
33:46 Vous savez, je trouve ça même esthétiquement très réussi.
33:50 C'était une volonté de droite, c'était globalement légiscardien, à peu près, en France.
33:56 Et ils ont trouvé un relais extraordinaire chez les idéologues pédagogues de gauche.
34:02 Et ce sont des gens de gauche, toujours actuellement, là, à l'heure qu'il est,
34:07 si par hasard il y en a qui sont dans l'ancienne news, mais vous savez bien qu'il n'y en a plus d'ailleurs,
34:12 ils sont en train de me vomir, parce que je leur dis "ben voilà, vous avez participé à la destruction de l'école,
34:21 et surtout vous avez participé à l'enterrement des plus fragiles dans les ghettos dont on aurait pu les sortir.
34:29 Mais c'est fini, on a construit des ghettos scolaires à l'intérieur des ghettos sociaux,
34:34 on a créé une école à deux vitesses, entre quelques établissements privés au public,
34:39 ça n'a absolument aucune importance, qui s'occupent de l'élite.
34:44 L'élite se détermine, vous savez, en fonction du prix du mètre carré, à peu de chose de près.
34:50 Et une masse d'établissements, qui sont d'ailleurs beaucoup moins dotés,
34:55 il faut bien voir quand même, il y a tout un discours extraordinaire du style "oui mais nous investissons beaucoup
35:01 dans l'éducation prioritaire, dans les ZEP, dans les REP, dans les préventions violences, etc."
35:08 Je conseille au ministre, qui fait un peu de figuration là, intelligente, mais de la figuration,
35:14 au lieu de faire une minute tous les vendredis sur tel ou tel point,
35:20 de prendre sa voiture, d'aller de façon impromptue, sans le dire, aux gardes du corps, dans tel ou tel établissement.
35:28 Je peux lui en donner d'excellents, de tout point de vue, pour voir comment ça se passe véritablement.
35:36 Ce qui se passe véritablement, c'est que les plus fragiles, ceux qui sont culturellement les moins avantagés,
35:43 sont détruits, et sont détruits par des pédagogies qui, sous prétexte de participer à leur éducation,
35:51 de leur apprendre à apprendre, de leur transmettre des savoir-faire, des savoir-être,
35:56 et des savoir-savoir, les empêchent de savoir quoi que ce soit, véritablement.
36:03 C'est un mépris pour ces gens-là ?
36:05 J'hésiterai à le dire, si ce n'est que tous les pédagogues de gauche qui ont des enfants,
36:14 les inscrivent dans de bons établissements.
36:17 À commencer par le ministre de l'éducation ?
36:19 À commencer par le ministre de l'éducation, mais je ne suis pas sûr que l'école asiatienne,
36:22 où sont ses enfants, soit un si bon établissement que ça, parce qu'il faut bien comprendre une chose,
36:27 il y a une crétinisation générale, c'est pour ça que j'ai parlé d'élite autoproclamée.
36:32 Ce n'est pas forcément très bon ce qu'ils font, ni à l'école asiatienne, ni à Stanislas, ni à Henri IV.
36:37 Il faut bien comprendre ça.
36:39 Le niveau des enseignants a terriblement baissé depuis une dizaine d'années,
36:44 parce que dans les concours, on a mis une part énorme de pédagogie.
36:48 Montrez-nous comment vous faites un cours, au lieu de leur demander véritablement des savoirs, eux aussi,
36:54 parce qu'enfin, si le maître ne sait pas grand-chose, il y a peu de chances que l'élève apprenne quoi que ce soit.
36:59 Voyez ?
37:00 Véronique Jacquier.
37:01 Avec tout ce que vous nous racontez, comment sauver l'école ? Est-ce qu'elle peut être encore sauvable ?
37:06 Je complète. Si vous êtes nommé demain ministre de l'Éducation, ce que je souhaiterais,
37:11 quelles seraient vos premières mesures ?
37:13 La première chose, c'est qu'il va falloir cesser de penser en termes nationaux,
37:18 par exemple faire des programmes nationaux, etc.
37:21 Il va faire des programmes sur mesure, en fonction de l'état des élèves dans tel ou tel établissement.
37:28 C'est-à-dire que ceux qui, actuellement, ne savent presque rien,
37:32 statistiquement, 40% des élèves de 6e ne savent pratiquement ni lire ni écrire.
37:37 Alors, ce que Papin de Villeille a proposé, c'est une heure par semaine de rattrapage,
37:45 fait par des professeurs des écoles, qui viendraient en 6e.
37:50 Alors, j'aimerais savoir comment des professeurs des écoles,
37:53 qui en 5 ans n'ont pas réussi à leur apprendre la syntaxe et la grammaire,
37:58 vont en une heure hebdomadaire, en 6e, rattraper un niveau dont ils se fichent par ailleurs.
38:04 Quelle est la priorité ? C'est le primaire, la maternelle, le primaire, le secondaire, pour aller dans l'ordre ?
38:09 Écoutez, Valobel Kassem, qui était la dernière ministre à avoir pensé le problème globalement,
38:17 c'est-à-dire qu'elle a participé globalement à la destruction générale,
38:23 a tout réformé en même temps. On peut tout réformer en même temps.
38:27 Mais alors, il va falloir se fâcher avec pas mal de gens.
38:31 Prenons un exemple, Blanquer avait imposé l'expérimentation d'une méthode de lecture sur Paris,
38:38 qu'on appelle la… je ne peux pas me revenir… une méthode alphasyllabique.
38:44 Il avait distribué les fables de la Fontaine également, ce n'était pas mauvais.
38:47 Par ailleurs. Mais les syndicats, le SNUIPP a dit "c'est du caporalisme, on veut nous imposer
38:53 le principe de la liberté pédagogique, suffit la liberté pédagogique".
38:58 Le problème c'est, vous avez un enfant dans la case A, il faut l'amener à la case B,
39:05 et si possible à la case Z avant la fin de l'année. Il ne s'agit pas de l'aider à s'exprimer, etc.
39:12 Il faut lui donner des armes, pour lui permettre de rattraper ou de rafistoler un ascenseur social
39:20 qui est en panne depuis des années. Non seulement l'ascenseur social est en panne,
39:25 mais l'escalier de service a été détruit.
39:27 Est-ce que c'est réparable tout ça ?
39:29 Je vais vous citer, c'est un peu comme pour le féminisme, pour les retraites, ou quoi que ce soit,
39:35 je vais vous citer Laclos dans son discours sur l'éducation des femmes,
39:38 "apprenez qu'on ne sort de l'esclavage que par une grande révolution".
39:41 Voilà, on en est là.
39:43 Oui, mais vous la voyez poindre cette révolution ?
39:46 Vous la voyez pas.
39:48 Expliquez-moi où elle est.
39:50 Ah bah écoutez, dans les manifestations des Gilets jaunes, sauf erreur de ma part,
39:55 je sais plus quel jour c'était, ils ont été à deux doigts de prendre l'Elysée.
39:59 C'était le premier jour.
40:01 Voilà, et ils s'en sont même pas rendus compte, tellement c'était spontané.
40:05 Je vous rappelle que...
40:07 J'étais dans cette première...
40:09 Voilà, l'impression que j'ai actuellement, et je suis pas le seul,
40:12 c'est que nous sommes en 1788, que les gens qui ont des privilèges se durcissent,
40:17 exactement comme l'environnement de Marie-Antoinette s'est durci
40:20 quand Turgot puis Necker ont proposé des réformes qu'ils ont jugées inacceptables,
40:25 trois ans plus tard, ils ont tous perdu la tête, y compris Marie-Antoinette, y compris le roi, etc.
40:30 Alors, je n'appelle pas, bien sûr, de manifestations violentes, ni quoi que ce soit,
40:36 mais on va les avoir, parce qu'en cessant de donner à ceux que l'on éduque l'espoir de s'élever,
40:46 à un certain moment, ils vont aller chercher ce qu'on refuse de leur donner.
40:50 Je suis prêt à vous entendre sur ce diagnostic, mais vous l'avez dit vous-même,
40:55 la société a produit non plus des citoyens, mais des consommateurs.
41:00 Est-ce que vous ne pensez pas que cette société se contente, dans le fond, maintenant,
41:04 de son pouvoir d'achat et de pouvoir consommer, d'acheter son Nutella,
41:08 et de s'arrêter, en fait, à cette perspective ?
41:10 Alors, tout à l'heure, vous parliez de la possibilité de faire comme en Espagne
41:14 et de réduire drastiquement les salaires, les retraites, si vous touchez actuellement au pouvoir d'achat.
41:22 Et Dieu sait que le pouvoir d'achat est en train de baisser tout seul du fait de l'inflation.
41:27 Je rappelle que nous avons connu, vous et moi, des périodes de grande inflation,
41:30 mais où les salaires suivaient l'inflation.
41:33 Bon, actuellement, c'est le contraire.
41:35 C'est-à-dire, moi, homme de livre, je vois bien que les livres s'achètent de moins en moins,
41:40 parce que les gens achètent des pommes de terre et des pâtes, plutôt que d'acheter des livres.
41:44 Et ça peut se comprendre.
41:46 Il faut bien comprendre une chose, c'est que, s'ils n'ont plus les moyens d'acheter
41:52 les objets mirifiques de la société de consommation, ils iront les chercher.
41:58 Et ils iront les chercher là où ils sont.
42:01 En vérité, je vous le dis, si dans les deux ans, il y a des manifestations violentes un peu partout en France,
42:08 ce ne sera pas de ma faute, mais en tout cas, je l'aurai...
42:13 J'aurai averti.
42:15 C'est l'apocalypse que vous décrivez.
42:17 C'est l'apocalypse que je décris.
42:20 L'apocalypse, c'est une révélation dans son sens étymologique.
42:23 Oui, effectivement.
42:24 La révélation, c'est que ceux qui n'ont rien, à un certain moment, vont vouloir tout.
42:31 Merci à vous d'avoir été notre invité.
42:35 Merci Yvan, merci Véronique.
42:37 On vous retrouve tout de suite dans Enquête d'Esprit.
42:38 De quoi vous nous parlez dans un instant ?
42:40 De la Providence, qui est un joli mot, qui veut dire "Dieu pourvoit".
42:43 Et bien évidemment, la suite des programmes.
42:45 Vous restez bien sûr CNews avec donc Enquête d'Esprit.
42:48 ...