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INTERVIEW - En 1955, dans le Mississippi, Emmett Till, un adolescent afro-américain, est lynché, après avoir sifflé une femme blanche. Sa mort va constituer un point de bascule dans le combat pour les droits civiques aux Etats-Unis. Pour le comprendre, l’historienne Virginie Girod reçoit le journaliste spécialiste des Etats-Unis Gilles Biassette. Au moment de la mort d’Emmett Till, « on est encore au plein cœur de la ségrégation qui sévit dans le sud des États-Unis », rappelle Gilles Biassette, grand reporter à La Croix. « Au lendemain de la guerre de Sécession perdue par le Sud, les États du Sud ont mis en place ce qu'on a appelé les lois Jim Crow, qui ont fait de fait des Noirs des citoyens de seconde zone avec des droits différents, inférieurs, vivant séparément des Blancs. C'est une forme d'apartheid », résume encore le journaliste spécialiste des Amériques. Pour lutter contre ces discriminations raciales, une organisation est en première ligne : la NAACP. « C’est véritablement l'organisation pionnière du combat pour les droits civiques aux États-Unis. Elle est née au début du XXᵉ siècle et elle est née aussi après toute une série de lynchages et d'émeutes anti-Noirs, y compris dans le Nord », indique Gilles Biassette. Et d’ajouter : « La première stratégie de la NAACP, c'était de faire du lobbying auprès du gouvernement à Washington. Mais un axe central de sa politique a aussi été d'attaquer devant les tribunaux cette division qui justifiait la ségrégation. C'était un travail d'avocat essentiellement, avec des cas plus ou moins célèbres ». Parmi eux donc : Emmett Till.

Cette interview a été produite à l’occasion de la sortie en salles le 8 février 2023 du film «Emmett Till, le visage d’une révolution », réalisé par Chinonye Chukwu, avec Danielle Deadwyler et Whoopi Goldberg.
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Transcription
00:00 Bienvenue au cœur de l'histoire dans les interviews du vendredi.
00:03 Quand on parle de la lutte pour les droits civiques aux États-Unis,
00:06 on pense tout de suite à Martin Luther King ou à Rosa Parks.
00:09 Mais il y a une autre personne que l'on connaît moins
00:12 et qui a fait l'objet d'un film sorti au cinéma le 8 février.
00:15 Il s'agit d'Emmett Till.
00:17 Pour mieux comprendre le contexte si particulier de cette époque,
00:21 je reçois Gilles Biasset, grand reporter au journal La Croix,
00:24 spécialiste des Amériques et auteur du livre "L'amour des Loving"
00:28 aux éditions Poinceuil.
00:30 Ce roman évoque l'histoire vraie d'un couple mixte aux États-Unis
00:34 dans les années 1950.
00:36 Bonjour Gilles Biasset.
00:37 Bonjour.
00:38 Les États-Unis et la France n'ont pas du tout le même rapport
00:40 historique et culturel au racisme.
00:42 Pour commencer, est-ce que vous pouvez nous expliquer
00:44 ce que ça signifie aux États-Unis que d'être blanc et d'être noir ?
00:48 Oui, alors bien sûr, être blanc ou être noir aux États-Unis aujourd'hui,
00:51 ce n'est plus du tout la même chose qu'à l'époque de la ségrégation
00:54 d'Emmett Till ou de Martin Luther King.
00:57 Il n'y a plus de ségrégation, les États-Unis ont un président noir,
01:01 la vice-présidente actuelle est noire,
01:03 donc il n'y a plus du tout, comme auparavant,
01:06 cette notion de citoyen de seconde zone.
01:08 Néanmoins, quand on regarde les statistiques,
01:10 on constate qu'être noir aux États-Unis,
01:12 ça reste une expérience tout à fait particulière.
01:15 On l'a vu avec l'affaire Floyd il n'y a pas si longtemps,
01:17 ne serait-ce que sur la question des violences policières.
01:20 Pour donner un chiffre, une petite statistique,
01:22 chaque année, à peu près 1000 personnes meurent
01:24 après avoir rencontré la police aux États-Unis.
01:26 Il y a à peu près autant de victimes côté blanc et côté noir,
01:29 or il n'y a que 14% d'afro-américains dans la population américaine.
01:33 Donc, ces statistiques, en termes économiques, en termes sociaux aussi,
01:37 elles disent toutes à peu près la même chose,
01:38 c'est-à-dire que c'est beaucoup plus compliqué d'être noir
01:40 en termes d'opportunité que d'être blanc aux États-Unis.
01:43 Néanmoins, le poids de l'histoire, malgré tout,
01:46 reste très frappant aux États-Unis.
01:48 Il y a eu des tentatives, on a vu la discrimination positive,
01:50 par exemple, pour essayer de revenir sur les effets de long terme
01:53 de l'histoire des États-Unis.
01:55 Il y a encore aujourd'hui d'autres propositions
01:58 qui font un peu leur chemin, c'est l'idée de réparation.
02:01 Il y a des villes, il y a des États qui réfléchissent
02:03 à mettre en place des politiques de réparation
02:05 pour venir en aide de façon assez massive
02:08 envers les populations noires pour réparer
02:10 l'héritage de l'esclavage et de la sérégation.
02:13 Et vous me disiez, dans les années 50,
02:15 il y a quelque chose de très manichéen,
02:16 on est noir ou on est blanc, il n'y a pas de métisse.
02:19 Oui, tout à fait, c'est pour ça aussi,
02:21 quand on dit Obama était le premier président noir des États-Unis,
02:24 en France, ça surprend un peu, parce qu'on se dit,
02:26 mais après tout, pourquoi noir ?
02:28 Sa mère était blanche, c'était une femme du Kansas.
02:30 De la même façon, pour Kamala Harris,
02:32 on dit sa première vice-présidente noire,
02:34 mais sa mère venait d'Inde, elle venait de Madras.
02:36 Mais effectivement, aux États-Unis,
02:38 ce qui depuis la création des États-Unis
02:41 était au cœur de la sérégation et au cœur du racisme,
02:44 c'était l'idée de la goutte de sang noir.
02:46 Il suffisait d'avoir une goutte de sang noir
02:48 dans ses veines pour être considéré comme noir.
02:51 Il n'y avait pas la notion de métisse, de métissage.
02:53 C'était l'obsession de pureté des ségrégationnistes américains.
02:57 Donc, une goutte de sang noir, vous êtes noir.
02:59 En 1955, Emmett Till,
03:01 c'est un adolescent originaire de Chicago,
03:03 est lynché dans le Mississippi
03:05 pour avoir sifflé une femme blanche.
03:08 Au moment où il la siffle,
03:10 il ne comprend pas qu'il a franchi un interdit.
03:12 Dans le Sud, la condition des Noirs
03:14 n'est pas la même que dans le Nord, où il a grandi ?
03:16 Non, pas du tout. En effet, en 1955,
03:18 c'est l'époque, on était encore au plein cœur de la ségrégation
03:21 qui sévit dans le Sud des États-Unis.
03:23 Ce qui s'est passé, c'est qu'au lendemain
03:25 de la guerre de sécession, perdue par le Sud,
03:28 les États du Sud ont mis en place ce qu'on appelait
03:30 les lois Jim Crow,
03:32 qui ont fait de fait des Noirs,
03:34 des citoyens de seconde zone,
03:36 avec des droits différents, inférieurs,
03:38 vivant séparément des Blancs.
03:40 C'est une forme d'apartheid.
03:42 Et cette politique de ségrégation
03:44 a été sanctionnée par la Cour suprême,
03:46 sanctionnée au sens de validée,
03:48 qui a instauré ce principe
03:50 qui a perduré pendant 50-60 ans,
03:52 et qui était de dire
03:54 "séparés mais égaux".
03:56 Ce qui était évidemment une fiction,
03:58 parce que les transports pour les Noirs,
04:00 les écoles pour les Noirs, étaient moins bonnes que pour les Blancs, évidemment.
04:02 Mais on disait,
04:04 pour la Cour suprême, à l'époque,
04:06 ce n'est pas en contradiction avec la Constitution américaine,
04:08 qui insiste évidemment sur l'égalité,
04:10 notamment après la guerre de sécession,
04:12 qui faisait des Noirs des citoyens égaux aux Blancs.
04:16 Mais cette ségrégation a perduré,
04:19 et quand Emmett Till,
04:21 qui lui, est né à Chicago,
04:23 est né dans le Nord, se rend en vacances dans le Sud,
04:25 il n'est pas au courant de tout ça,
04:27 il n'a pas intégré tout ce style de vie
04:29 qui est radicalement différent dans le Sud.
04:32 Alors pour autant, la situation des Noirs dans le Nord
04:35 n'était pas paradisiaque, évidemment.
04:37 Mais il n'y avait pas la ségrégation,
04:39 il n'y avait pas le Ku Klux Klan,
04:41 qui était une menace extrêmement sérieuse pour les Noirs dans le Sud.
04:43 Et donc, c'est la problématique centrale de cette histoire.
04:48 Même s'il a fait la merde,
04:50 Emmett Till l'avait mis en garde,
04:52 la situation dans le Sud était pour les Noirs
04:54 effectivement une situation de citoyens de seconde zone
04:56 et lourde de menaces,
04:58 parce qu'il y avait le Ku Klux Klan.
05:00 Au début du XXe siècle, il y a une organisation
05:02 qui s'appelle la NAACP,
05:04 N-A-A-C-P en anglais.
05:06 Elle lutte pour les droits des Noirs.
05:08 Comment est-ce qu'elle s'y prend ?
05:10 Comment elle se différencie des autres organisations
05:12 en faveur des droits des Noirs ?
05:14 Alors la NAACP, c'est véritablement
05:16 l'organisation pionnière du combat pour les droits civiques aux Etats-Unis.
05:20 Elle est née au début du XXe siècle
05:22 et elle est née aussi après toute une série
05:24 de lynchages,
05:26 séries d'émeutes anti-Noirs, mais y compris dans le Nord.
05:28 Un élément assez déterminant
05:30 dans la création de cette organisation
05:32 était des émeutes et un lynchage
05:34 à Springfield, dans l'Union Royale,
05:36 qui était la ville d'Abraham Lincoln.
05:38 Donc, ça a été un moment décisif
05:40 et se sont réunis des intellectuels,
05:42 des avocats, des journalistes
05:44 d'horizons divers, des Noirs, des Blancs,
05:46 pour créer cette organisation
05:48 qui donc visait à saper
05:50 précisément cette
05:52 vision d'une ségrégation légale
05:54 parce que reposant sur ce principe
05:56 séparé et maigre.
05:58 Donc, dès le début, la NAACP
06:00 avait comme stratégie
06:02 une stratégie double. Première stratégie,
06:04 c'était de faire du lobbying auprès du gouvernement
06:06 à Washington, mais un axe central
06:08 de sa politique a été
06:10 d'attaquer devant les tribunaux
06:12 une vision qui justifiait
06:14 la ségrégation. Donc, c'était un travail d'avocat
06:16 essentiellement, avec des cas
06:18 très célèbres, mais d'autres moins célèbres, mais qui ont
06:20 commencé dès le début. Dès le début, la NAACP
06:22 a obtenu des succès devant
06:24 les cours pour essayer de saper
06:26 la légitimité de la ségrégation.
06:28 Donc, c'était quand même une organisation qui est
06:30 devenue très puissante au fil du temps
06:32 et qui était très marquée par
06:34 une approche juridique. Il y avait
06:36 beaucoup d'avocats. Une des figures
06:38 de la NAACP, c'était Serge Marshall,
06:40 qui sera en 1967
06:42 le premier juge noir de la Cour
06:44 suprême des Etats-Unis. Et d'ailleurs,
06:46 la NAACP obtient de grandes
06:48 victoires. Dès 1954,
06:50 ils obtiennent la fin de la ségrégation
06:52 à l'école dans le Sud. Comment cette
06:54 loi est accueillie par les Blancs à l'époque ?
06:56 Alors, cette victoire-là, effectivement, en 1954,
06:58 c'est un élément déterminant.
07:00 C'est le premier succès
07:02 d'ampleur obtenu par la NAACP
07:04 et un des points
07:06 marquants du combat pour un droit civique.
07:08 Et d'ailleurs, elle a été plaidée
07:10 précisément par Ségoune Marshall.
07:12 Et donc, elle met fin, en tout cas
07:14 sur le principe, à la ségrégation
07:16 dans les écoles. - Ça ne veut pas dire que la ségrégation
07:18 disparaît ailleurs dans la société du Sud ?
07:20 - Non, et puis ça ne veut pas dire que même
07:22 dans les écoles, elle disparaît tout de suite.
07:24 Parce que la décision, ça a donné lieu à beaucoup
07:26 de débats, mais elle n'établit pas
07:28 de calendrier. Elle précise que
07:30 la fin de la ségrégation dans les écoles, dans le Sud,
07:32 dans les écoles publiques, devra être
07:34 mise en place au rythme
07:36 nécessaire. Donc, il n'y a pas du tout de calendrier,
07:38 il n'y a pas d'impératif, d'une certaine façon,
07:40 tel qu'elle s'est formulée dans la RAI, il n'y a pas d'urgence.
07:42 Donc, évidemment, les États du Sud
07:44 vont tout faire pour empêcher
07:46 la mise en place de la déségrégation.
07:48 Il y a des cas très fameux. Il y a un cas
07:50 en 1957,
07:52 quand le gouverneur de l'Arkansas refuse
07:54 de permettre à des
07:56 étudiants noirs d'aller au lycée.
07:58 Ça a donné lieu à des émeutes et à Eisenhower
08:00 d'envoyer l'armée.
08:02 Il y a aussi un autre cas très célèbre, et qui est assez
08:04 stupéfiant, c'est dans un comté
08:06 de Virginie, où
08:08 les autorités du comté décident
08:10 de fermer les écoles publiques,
08:12 plutôt que de devoir les intégrer.
08:14 Puisque vous voulez qu'on mette ensemble
08:16 les élèves noirs et les élèves blancs dans nos écoles publiques,
08:18 alors on les ferme.
08:20 Et elles n'ont réouvert que dix ans plus tard.
08:22 - Dix ans plus tard ! Ah oui !
08:24 On voit que le lynchage des médecins a été
08:26 relayé par la presse en 1955,
08:28 et qu'il fait prendre conscience
08:30 à tout le pays de la violence
08:32 et des lynchages. Comment est-il
08:34 devenu le symbole de la lutte
08:36 pour les droits civiques ?
08:38 - Je crois qu'il y a eu un effort très stratégique
08:40 de la NWLACP,
08:42 qui a bien compris que ce lynchage
08:44 qui, malheureusement, est un lynchage
08:46 d'une certaine façon parmi d'autres,
08:48 on considère qu'il y a eu 4000 lynchages
08:50 aux Etats-Unis.
08:52 - Dont 500 rien que dans le Mississippi, depuis le début du siècle.
08:54 - 4000 lynchages aux Etats-Unis,
08:56 majoritairement, évidemment, de noirs.
08:58 Pas uniquement, mais majoritairement noirs.
09:00 Mais là, je crois qu'il y a eu un élément
09:02 déterminant qui était les photos
09:04 qui ont été publiées.
09:06 Les photos qui ont été mises en avant
09:08 par la NWLACP,
09:10 et qui a fait un travail de mobilisation
09:12 qui a été très efficace.
09:14 De nombreux acteurs
09:16 du mouvement pour les droits civiques plus tard
09:18 citeront et mettent-ils comme un élément
09:20 déterminant dans leur volonté de s'engager.
09:22 On sait que Rosa Parks,
09:24 dont on parlera sans doute plus tard,
09:26 quatre jours avant de refugier,
09:28 avant de se lever dans le bus,
09:30 était à une manifestation
09:32 protestante contre ce qui était arrivé à Emmett Till.
09:34 Martin Luther King citera
09:36 souvent ce cas, évidemment, dans ses discours.
09:38 Donc la violence
09:40 et aussi
09:42 l'absence de justice, parce que le corollaire
09:44 de l'assassinat d'Emmett Till, c'est
09:46 la décision de justice,
09:48 d'innocenter les coupables.
09:50 Tout ça créera un choc que la NWLACP
09:52 saura utiliser
09:54 pour susciter
09:56 l'émotion et déclencher
09:58 des mouvements de masse.
10:00 C'est vrai que nous on le connaît peu en France,
10:02 mais il était très très connu aux Etats-Unis
10:04 à cette période-là. Donc si on rajoute
10:06 à ce qu'il représente
10:08 un personnage comme Rosa Parks
10:10 que vous venez d'évoquer, ils ont quand même
10:12 en commun certaines choses. Ce sont
10:14 des Noirs éduqués, presque membres
10:16 d'une petite bourgeoisie. Comment
10:18 le NAACP choisit ces figures
10:20 de proue ?
10:22 Oui, je crois que c'est intéressant d'insister là-dessus.
10:24 C'est aussi l'idée
10:26 que ce combat-là
10:28 supposait des choix stratégiques.
10:30 Il y avait des débats sur la meilleure stratégie
10:32 à mettre en œuvre, non seulement entre les différents
10:34 organismes, mais même au sein de la NWLACP.
10:36 Quel cas mettre en avant ?
10:38 Est-ce qu'il fallait privilégier
10:40 déjà une forme de désobéissance
10:42 civile ? Ce qui n'était pas à l'origine du tout
10:44 le projet de la NWLACP.
10:46 Dans le cas effectivement de Rosa Parks,
10:48 on sait que ce n'était pas la première
10:50 à avoir refusé de se lever dans le bus
10:52 dans cette même ville de Montgomery.
10:54 Quelques mois plus tôt, il y a eu le cas de Claudette Colvin.
10:56 Il y en a eu d'autres dans la même année.
10:58 Pourquoi un cas comme Claudette
11:00 Colvin n'est pas défendu
11:02 par la NAACP ?
11:04 Le cas de Claudette Colvin, comme d'autres cas
11:06 indépendants de Rosa Parks,
11:08 il y a eu des procès, les affaires sont remontées
11:10 jusqu'à la Cour suprême. Ces cas-là ont participé
11:12 aussi à la fin de la sérégation
11:14 dans les bus en Alabama.
11:16 Par contre, pour la NWLACP, c'était important
11:18 aussi d'avoir une figure publique
11:20 pour mettre en avant, parce qu'il fallait gagner
11:22 aussi l'opinion publique. Il fallait convaincre
11:24 les Blancs. Ce n'était pas uniquement une affaire
11:26 de Noirs. Il fallait pouvoir convaincre les Blancs.
11:28 Et c'est vrai que dans ce... en termes de stratégie,
11:30 comme ça, c'était important d'avoir une figure
11:32 qui soit respectable
11:34 ou plus respectable
11:36 peut-être qu'une autre. Avoir une figure qui soit
11:38 à même de rassurer aussi, je pense, d'une certaine façon
11:40 les opinions publiques
11:42 Noires et Blanches. Et donc Rosa Parks,
11:44 c'est vrai qu'elle était plus âgée
11:46 que Claudette Colvin. Colvin avait
11:48 15 ans au moment des fêtes.
11:50 Elle avait un tempérament un peu plus fougueux,
11:52 on va dire. Alors que Rosa Parks,
11:54 une quarantaine d'années,
11:56 couturière, une femme
11:58 posée, présentait un visage rassurant.
12:00 - Oui, et puis Claudette, on l'accuse
12:02 d'avoir eu des relations avec un homme marié, si j'ai
12:04 bonne mémoire. - Elle l'a été enceinte,
12:06 mais après, alors il y a tout un débat, encore
12:08 aujourd'hui, il y a tout un tas de discussions
12:10 sur est-ce que véritablement
12:12 il y a eu... on ne l'a pas soutenue.
12:14 On sait que Rosa Parks et Claudette Colvin étaient très proches.
12:16 Que toutes militaient
12:18 à la NAACP.
12:20 Donc il y avait aussi, depuis
12:22 quelques temps, et ça fait partie
12:24 de la stratégie de Mouvement Point Droit Civique,
12:26 c'était
12:28 d'utiliser des cas
12:30 pour arriver devant les tribunaux
12:32 et remonter jusqu'à la Cour suprême.
12:34 Donc je
12:36 ne suis pas certain que ce soit des décisions
12:38 aussi claires, aussi
12:40 nécessairement aussi manichéennes.
12:42 Je crois qu'il y a eu des opportunités, il y a eu
12:44 aussi le constat de voir
12:46 qu'il y avait plus d'émotion dans l'opinion
12:48 publique et c'est ainsi
12:50 que Rosa Parks est devenue le symbole qu'on connaît.
12:52 - La madone de Montgomery.
12:54 Et d'ailleurs dans votre livre "L'amour des Lovings",
12:56 il y a une autre affaire que vous évoquez, qui se passe
12:58 à peu près à la même époque que le lynchage
13:00 des Médecines, c'est une histoire d'amour
13:02 en Virginie, entre un homme
13:04 blanc et une femme noire. Une histoire d'amour
13:06 réciproque d'un couple qui veut se
13:08 marier. C'est normal de pouvoir
13:10 se marier aux Etats-Unis, en Virginie,
13:12 entre un homme blanc et une femme noire ?
13:14 - A l'époque, non. Effectivement, à la fin
13:16 des années 50, il était encore
13:18 interdit, en Virginie, mais comme dans
13:20 une dizaine d'États du sud
13:22 des États-Unis, de se marier entre
13:24 personnes d'ethnies différentes. Mais ça nous ramène
13:26 effectivement à la question qu'on avait évoquée
13:28 un peu plus tôt. Le cœur même de la ségrégation,
13:30 c'était cette obsession
13:32 de la pureté de la race et du refus
13:34 de mixité, de
13:36 métissage. Et c'est
13:38 pour ça que cette histoire, l'histoire des Lovings, est
13:40 très impressionnante parce qu'elle nous ramène
13:42 à la chronologie. L'arrêt de la
13:44 Cour suprême pour la fin de la ségrégation
13:46 dans les écoles, vous l'avez évoquée tout à l'heure, c'est 1954.
13:48 Jusqu'en 1967,
13:50 il y avait
13:52 encore des États du sud des
13:54 États-Unis qui interdisaient
13:56 les mariages mixtes. 1967,
13:58 c'est hier ou avant-hier.
14:00 Encore une fois, pour amener
14:02 à Barack Obama, il est né en 1961.
14:04 Donc,
14:06 d'une mère blanche, d'un homme noir.
14:08 Si les parents de Barack Obama avaient vécu
14:10 en Virginie, ils auraient
14:12 été incarcérés, comme
14:14 c'était le cas de Richard et de
14:16 Mildred Loving, ce couple,
14:18 qui se battra jusqu'à lui aussi
14:20 arriver à porter
14:22 leur cas devant la Cour suprême en
14:24 1967.
14:26 - Entre 1965 et 1968,
14:28 le mouvement pour les droits civiques connaît justement
14:30 de vraies victoires, comme celle que vous venez d'évoquer.
14:32 Et on voit qu'une série de lois
14:34 met fin à la ségrégation
14:36 et donne les mêmes droits aux noirs qu'aux blancs.
14:38 C'est une victoire pour les noirs
14:40 ou est-ce que la société était en train
14:42 de progresser et que c'était inéluctable ?
14:44 - Je crois qu'il y a les deux, évidemment.
14:46 Je pense qu'il y a les deux parce que la société
14:48 changeait, la société américaine changeait.
14:50 Il y avait aussi la diffusion des médias.
14:52 Donc, on voyait ce qui se passait dans le Sud.
14:54 On voyait les atrocités.
14:56 Ça devenait de plus en plus choquant quand même
14:58 aux yeux de l'opinion publique américaine, qui était en train
15:00 de changer. Le pays rajeunissait.
15:02 Kennedy a été élu président
15:04 en 1960. Donc, ça va de soi
15:06 que le pays changeait. Néanmoins,
15:08 on aurait tort de penser que c'était
15:10 inéluctable et que, de toute façon,
15:12 les choses allaient advenir dans leur temps.
15:14 Je crois que c'était, il ne faut pas oublier
15:16 que ça a été un combat, qu'il y a eu des morts,
15:18 qu'il y a eu des stratégies payantes,
15:20 d'autres qui ont échoué,
15:22 que les lois sur les droits civiques des années 60
15:24 ont été arrachées de hautes luttes.
15:26 C'était un vrai combat pour les ségrégationnistes
15:28 qui ont utilisé
15:30 des stratégies incroyables. Bon, il y a des films
15:32 qui évoquent ces efforts-là des élus du Sud
15:34 pour empêcher l'adoption d'une loi
15:36 où un sénateur va parler
15:38 pendant 24 heures au Sénat
15:40 en lisant la Bible,
15:42 en lisant des recettes de cuisine
15:44 pour empêcher l'adoption d'une loi.
15:46 Donc, on aurait tort de penser que tout ça
15:48 était une espèce de, comme on peut le penser
15:50 de manière un peu anachronique,
15:52 de penser que tout... Bon, ben voilà,
15:54 c'était la marche de l'histoire. Il a fallu des acteurs.
15:56 Et beaucoup de courage.
15:58 Rosa Parks, elle a été menacée,
16:00 elle a quitté assez rapidement
16:02 l'Alabama après le boycott des bus
16:04 parce qu'elle a été menacée X fois.
16:06 Et puis, il y a eu beaucoup de morts. Mais là aussi,
16:08 elle a donné lieu à des films. Donc, je pense
16:10 que c'est important de rappeler que ce n'était pas acquis.
16:12 - Merci, Gilles Biasset, pour cet éclairage
16:14 passionnant sur la société américaine
16:16 et les raisons de son racisme structurel.
16:18 On vous retrouve dans
16:20 le journal La Croix, où on peut lire vos reportages.
16:22 Et je rappelle que votre très
16:24 beau livre "L'amant des Loving"
16:26 est paru aux éditions Poinceuil
16:28 et qui raconte la première histoire d'amour
16:30 entre un homme blanc et une femme noire
16:32 aux États-Unis.
16:34 Chers auditeurs, si vous avez aimé cette interview,
16:36 mettez-nous plein d'étoiles, comme sur le drapeau américain.
16:38 Quant à moi, je vous donne rendez-vous
16:40 sur votre plateforme d'écoute préférée
16:42 pour de nouveaux récits au cœur de l'histoire
16:44 et des interviews inédites.
16:46 A très bientôt !
16:48 [SILENCE]

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