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00:00 J'ai pas d'autres images que le tournevis ou le poignard qu'on nous enfonce dans l'oeil et qu'on nous tourne parce que c'est vraiment cette sensation là.
00:05 L'impression qu'on nous broie l'oeil, moi j'ai envie qu'on m'enlève l'oeil très clairement.
00:09 Les médecins disent que c'est pire qu'une amputation sans anesthésie.
00:13 Mes premières douleurs sont arrivées, je m'en souviens très très bien.
00:15 J'avais 14 ans, donc j'étais jeune.
00:18 C'était une décharge électrique au niveau du cou à droite qui allait jusqu'à la mâchoire.
00:23 Je comprenais pas ce qui m'arrivait.
00:24 J'avais ces décharges électriques qui revenaient, ces douleurs qui revenaient jusqu'à l'âge de mes 23 ans. Donc je vivais.
00:30 J'allais à l'école, etc. Mais ça revenait de temps en temps.
00:33 Je n'avais pas encore pris conscience de l'ampleur que ça allait prendre par la suite. Pas du tout, du tout.
00:39 Ma première crise, elle m'a marquée, elle me marquera jamais.
00:41 Moi j'avais l'impression que j'allais crever. Et puis c'était de voir aussi la terreur dans les yeux de mon mari.
00:46 Ça a été vraiment très très très difficile et puis on ne sait pas ce qu'on a. Et puis quand ça va s'arrêter ?
00:51 Moi je me demandais comment j'allais pouvoir survivre à une prochaine crise et si j'allais pouvoir y survivre en fait.
00:56 Et ça a pris 10 ans pour qu'on me diagnostique.
00:58 24 ans en septembre 2004, c'est la crise de Trot.
01:03 C'était essentiellement la nuit, ça a commencé la journée.
01:06 J'essayais de continuer à avoir une vie à peu près normale.
01:08 Et c'était compliqué, j'avais perdu plus de 10 kilos. J'étais l'une de moi-même.
01:12 Et je me suis écroulée dans la rue, on m'a récupérée.
01:14 J'ai été hospitalisée une journée aux urgences Lariboisière.
01:18 C'est le seul hôpital à avoir des urgences téfalées en France.
01:22 Et c'est en une journée, j'ai été diagnostiquée alors que ça faisait 10 ans que j'attendais.
01:27 On m'a dit "vous êtes atteinte d'algélescuaire de la face".
01:29 Je ne savais pas ce que c'était.
01:31 Mais j'ai pleuré et j'ai été contente, j'ai appelé ma mère, mon mari.
01:33 Et je lui ai dit "on sait ce que j'ai".
01:35 C'est une maladie qui est neurologique, qui donne des douleurs qui sont extrêmes au niveau de la face,
01:40 particulièrement au niveau de l'œil.
01:42 On pense au suicide, quand on est en crise, il y en a qui vont jusqu'à se suicider, jusqu'à demander l'euthanasie.
01:48 La neurosurgery, ça m'a brisée.
01:49 Déjà que j'étais brisée par la maladie, je partais pour une opération
01:53 et j'ai été opérée à 10 reprises pour l'algélescuaire de la face.
01:57 Ça a été la descente aux enfers.
01:59 Lors de la première opération, on m'avait vraiment vendu du rêve.
02:02 On m'a dit que j'avais 80% de chance de ne plus avoir de crise.
02:06 Et ce n'était pas du tout la réalité.
02:07 J'ai eu des opérations sur opérations sur opérations parce que j'ai été mal opérée de base.
02:11 J'ai dû faire mon testament à l'âge de 26 ans.
02:14 Je risquais ma vie, quoi.
02:15 Je risquais ma vie.
02:16 Et c'est ça aussi, cette maladie-là, c'est qu'on est prêt à crever pour aller mieux.
02:21 Je me rappelle encore des adieux qu'on s'est fait avec mon mari.
02:24 Je savais que c'était peut-être la dernière fois que j'allais le voir.
02:26 Ça a été aussi beaucoup de culpabilité en moi de lui avoir fait subir tout ça.
02:29 Il y a des traitements de crise qui permettent, une fois que la crise est là, de la traiter.
02:34 Donc il y a l'imigecte, qui sont des piqûres qu'on se fait dans la cuisse ou dans le ventre.
02:38 Moi, je la fais dans la cuisse.
02:39 Moi, en cinq minutes, c'est réglé.
02:41 Donc je me rappelle encore de la première piqûre que je me suis faite.
02:43 J'ai chialé tellement... C'était soulagé, c'était un truc de dingue.
02:47 Il y a l'oxygène, qui permet aussi d'aider pendant la crise, mais c'est beaucoup plus long.
02:52 Mais ça existe.
02:53 Je suis hospitalisée toutes les six semaines.
02:55 On me fait des perfusions de kétamine,
02:57 donc qui est un anesthésiant très, très puissant qu'on utilise notamment pour les chevaux.
03:01 Ça a mis un an, mais ça fonctionne, ça diminue mes crises de moitié.
03:05 Moi, ce qui est très difficile, c'est qu'il n'y a pas une journée où je n'ai pas de crise.
03:08 Quand mon traitement ne fonctionne pas, j'ai 7 à 8 crises par jour.
03:11 Quand il fonctionne, j'ai 4 à 5 crises par jour, ce qui est déjà trop.
03:13 Et ça dure en moyenne entre 15 minutes et 30, 40 minutes.
03:17 Il y a plein de choses que je ne peux pas faire.
03:18 Aller au cinéma, je ne peux pas le faire.
03:20 Aller au restaurant quand c'est un endroit clos, je ne peux pas le faire.
03:22 Tous les endroits où il y a beaucoup de bruit, au-delà de 5, 6 personnes, je ne peux pas y aller.
03:25 Donc ça englobe plein de choses.
03:27 Aller au supermarché, c'est très, très compliqué pour moi.
03:29 Donc plein de petites choses du quotidien, c'est difficile.
03:32 Les crises qui sont à l'extérieur, on les appréhende d'autant plus
03:34 parce qu'on a besoin de notre cocon et de nous enfermer.
03:39 Moi, j'ai eu beaucoup de temps à accepter qu'on puisse me regarder, avoir une crise.
03:43 Ma famille, j'avais du mal qu'ils me voient comme ça.
03:46 On est ultra vulnérables.
03:47 Il y a aussi une crise dans ma voiture avec mon fils derrière, avec mon mari à côté.
03:54 Il nous restait 20 minutes de voiture.
03:56 C'était horrible, j'avais l'impression d'être un lion en cage.
03:58 Je ne pouvais plus rien faire, c'est ça en fait.
04:00 Et puis je savais que j'avais mon fils derrière, donc c'est très difficile.
04:02 J'ai peur de sortir seule parce que je sais que si j'ai une crise,
04:05 la douleur peut être tellement importante que je vais m'évanouir de douleur
04:09 et chez moi, limite, je préfère m'évanouir, comme ça la douleur, je ne la sens plus.
04:12 La réalité de la maladie, c'est ça.
04:13 Mes enfants, j'essaie de les protéger au maximum,
04:15 c'est-à-dire que le maximum de mes crises, je les fais dans ma chambre, etc.
04:18 Mais par exemple, la crise où j'étais dans la voiture et mon fils était derrière,
04:21 je ne peux rien faire.
04:22 Je ne peux pas me cacher parce qu'il y a des personnes qui me reprochaient ça.
04:25 Oui, mon fils a déjà assisté à mes crises.
04:29 C'est notre quotidien.
04:31 Raphaël a 5 ans.
04:32 Au départ, moi, j'étais...
04:33 On ne lui dit rien, on lui cache au maximum pour le protéger, c'est le mieux.
04:38 Et finalement, ça crée des angoisses, il s'imagine encore pire.
04:40 On a essayé de discuter avec lui,
04:42 avec des mots qui sont bien évidemment adaptés, il y a des choses qu'on ne dit pas.
04:45 Les livres aussi, qui permettent de mettre des images.
04:47 Et on a vu qu'en fait, finalement, ça déchargeait beaucoup au niveau des angoisses, etc.
04:53 Raphaël, ses mots, c'est "maman a bobo à la tête".
04:56 Il me dit parfois, quand je vais à l'hôpital, "j'aimerais venir avec toi".
04:59 Donc ça me fait mal d'entendre ça parfois, même souvent.
05:01 Oui, ça me fait mal.
05:03 Quand je suis hospitalisée une semaine, par exemple, je prépare Raphaël
05:06 en lui disant "voilà, je vais être hospitalisée quelques jours".
05:09 Je lui montre dans ses livres la chambre d'hôpital,
05:11 les infirmières vont s'occuper de maman.
05:13 Ça le rassure, ça le rassure beaucoup.
05:15 Et puis ça en fait, moi, un garçon empathique, qui prend soin des autres.
05:20 Voilà, il y a plein de belles qualités qui en ressortent.
05:22 J'ai plus la même vie qu'avant, et d'ailleurs, c'est ça qui a fait que je suis tombée en dépression.
05:26 Parce que je voulais récupérer ma vie d'avant.
05:28 Ça a été très, très compliqué, il y a eu beaucoup de culpabilité, beaucoup de frustration, etc.
05:32 Et je pense que c'est en se disant qu'on n'aura pas la même vie qu'avant,
05:35 mais qu'elle ne sera peut-être pas pour autant moins bien.
05:38 Qu'on peut quand même profiter des petits moments de la vie,
05:40 parce que la maladie, elle nous prend beaucoup, mais elle nous donne aussi.
05:42 Moi, elle m'a permis aussi de savoir profiter de tous ces petits moments
05:45 qui me paraissaient futiles.
05:46 Aujourd'hui, j'en profite à 1000%.
05:48 Et c'est cette urgence de vivre dont je parle dans mon livre,
05:50 que je n'avais pas du tout avant.
05:51 On en prend confiance.
05:52 L'Algiers-Escouade de la Fasse, c'est un handicap invisible parce qu'on ne le voit pas.
05:54 Alors, j'ai un œdème aujourd'hui, mais on pourrait croire que je suis tombée,
05:58 qu'on m'a frappée, enfin voilà.
05:59 Je le dis souvent, mais un handicap invisible, c'est un handicap de plus,
06:02 parce qu'on doit se justifier.
06:04 On a l'impression qu'on n'est pas légitime.
06:05 Moi, j'ai une carte de priorité, par exemple une carte de stationnement.
06:08 Je ne compte même pas le nombre de fois où on m'a insultée.
06:13 Parfois, je ne la sors même pas ma carte,
06:15 parce que je sais que je vais soit être regardée mal,
06:17 soit on ne va même pas vouloir me laisser passer, soit on va m'agresser.
06:19 On est jeune, donc on ne devrait pas être malade.
06:21 Ça ne se voit pas, donc on ne devrait pas être malade.
06:22 Je souris, donc je ne devrais pas, je ne suis pas malade.
06:25 Je m'habille correctement, donc je ne suis pas malade.
06:28 C'est tous ces amalgames qui sont faits.
06:29 Donc même moi, je me dis, je culpabilise.
06:31 Alors peut-être que je ne devrais pas m'habiller comme ça,
06:33 parce que c'est vrai que ça ne se voit pas encore moins, du moins.
06:35 Donc au niveau professionnel, moi, avant, j'étais dans la banque.
06:39 Pendant très longtemps, je me suis dit, je vais récupérer mon boulot d'avant.
06:42 Je ne faisais même pas les démarches MDPH, adulte handicapé,
06:45 pour être déclarée, etc.
06:46 Et moi, ça a été difficile, parce que ça voulait dire que
06:48 si je faisais les démarches, je ne retravaillerais jamais
06:50 et j'acceptais ma maladie.
06:51 L'acceptation, c'est très compliqué.
06:53 Aujourd'hui, je travaille sur les réseaux sociaux
06:55 et ça me permet d'adapter mon environnement de travail.
06:57 Moi, travailler, ça a été aussi très salvateur.
07:01 Parce qu'encore une fois, je me sentais capable.
07:04 Ce mot "capable" pour une personne en situation de handicap,
07:07 c'est... je me sentais capable.
07:10 Je suis fière de mes proches, de mon mari, de ma famille.
07:13 On sous-estime souvent l'importance des aidants.
07:17 Il y a des moments où je pense à tout arrêter, à me suicider.
07:21 J'ai du mal encore à dire ce mot-là.
07:22 Et je pense à ma famille, c'est ma famille qui me maintient en vie.
07:25 Donc oui, les aidants sont ultra importants.
07:28 Et je trouve qu'on n'en parle pas assez,
07:29 alors que chaque jour, ils œuvrent dans l'ombre pour nous.
07:33 Voilà.