Sébastien Le Fol : «Il y a plusieurs voies d'épanouissement et de réussite»

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Sébastien Le Fol, journaliste et éditorialiste au Télégramme, répond aux questions de Dimitri Pavlenko à l'occasion du vendredi thématique "L’ascenseur social est-il en panne en France ?". Il est l'auteur de l'ouvrage "Reste à ta place" aux éditions Albin Michel.

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Transcript
00:00 Peut-on réussir encore aujourd'hui en France ?
00:02 C'est la question que l'on se pose ce matin,
00:04 c'est le Vendredi Thématique que vous propose la rédaction d'Europe 1.
00:07 Est-ce qu'il est encore permis de regarder vers le haut dans un pays qui,
00:11 d'abord c'est vrai, n'a jamais trop aimé les têtes qui dépassent,
00:13 qui entretient un rapport un peu trouble à l'argent et qui s'est convaincu,
00:17 ça c'est le cas d'au moins deux Français sur trois, d'être sur la pente du déclin ?
00:21 Ces questions traversent la vie et l'œuvre aussi de notre premier invité aujourd'hui.
00:26 Bonjour Sébastien Le Folle.
00:27 Bonjour.
00:27 Bienvenue sur Europe 1 Sébastien, vous êtes journaliste, éditorialiste au quotidien Le Télégramme,
00:32 vous êtes auteur d'un ouvrage "Reste à ta place"
00:35 qui est paru il y a un peu plus d'un an chez Albain Michel.
00:37 "Reste à ta place", alors ça c'est la phrase qui tue Sébastien Le Folle,
00:40 qui rabaisse, qui parfois vous détruit une ambition.
00:43 Est-ce qu'on vous la dit à vous cette phrase ?
00:45 Oui je l'ai sentie en tout cas.
00:47 On la dit pas, on la fait sentir.
00:48 Oui on fait sentir, je ne vais pas me plaindre parce que je ne tire aucune gloire
00:54 d'être issu de la petite classe moyenne française,
00:58 au contraire je suis très fier de ce que j'ai réussi.
01:00 Mais c'est vrai que c'est une sorte de...
01:03 c'est ce qu'on vous fait sentir dans une société qui reste,
01:06 par bien des aspects, une société d'ancien régime.
01:09 Vous savez, il y a une sorte de cascade de mépris qui coule de rang en rang.
01:14 Une société encore beaucoup de cours, de privilèges, de connivences, de rentes,
01:19 très extrêmement hiérarchisées avec des ordres, des corporations.
01:23 Et ce sentiment-là, il est encore très présent, je trouve, dans les interstices de la société.
01:29 Et c'est, comment dire, cet immobilisme social, on le retrouve d'ailleurs à tous les niveaux
01:33 parce qu'on peut dire effectivement tout en haut, au sommet, on n'aime pas trop les impétrants,
01:37 on n'aime pas trop les parvenus, mais si l'on prend par exemple la résistance du monde syndical,
01:42 la protection de l'emploi à vie d'une certaine manière, ça aussi c'est une forme d'immobilisme.
01:47 Ce livre, vous l'avez construit, "Reste à ta place Sébastien Le Foll" autour d'une vingtaine de témoins.
01:52 Et alors quels noms ? Bernard Tapie, Annie Dalgo, Fabrice Lucchini, François Pinault,
01:56 Éric Dupond-Moretti, Nicolas Sarkozy et d'autres encore.
01:59 Bon, tous ont plutôt bien réussi leur vie.
02:01 C'est un livre sur justement les parvenus, votre ouvrage, Sébastien Le Foll.
02:06 En tout cas, c'est plutôt l'histoire de ceux qui n'ont pas emprunté la voie royale de la réussite.
02:12 Parce qu'en France, on a un modèle méritocratique qui reste pour une bonne part scolaire.
02:18 C'est-à-dire que c'est la réussite à un examen, un concours entre 20 et 25 ans qui détermine votre place dans la société.
02:25 - Le roi diplôme. - Voilà.
02:27 - Et on accède à une place dont on ne redescend jamais en dessous d'un certain rangé.
02:30 - Oui, alors encore que aujourd'hui, les très diplômés, quand on regarde les statistiques,
02:34 les nouvelles générations, la part dans les jeunes générations de gens très diplômés,
02:39 au moins bas de +5, a fortement augmenté.
02:42 Et ces surdiplômés, comme on les appelle, ressentent une forme de frustration
02:46 parce qu'ils estiment que les jobs qu'ils occupent ne sont pas à la hauteur des études qu'ils ont réalisées.
02:54 Donc moi, les personnages que j'ai interrogés, c'est montrer un peu la phase B de la France.
03:01 C'est-à-dire, c'est de voir, quand on n'emprunte pas cette voie-là, scolaire, d'excellence,
03:05 comment on réussit ?
03:07 Et c'est vrai que c'est un peu plus dur.
03:09 C'est aussi le paradoxe du système français qui lève des ponts-levis, met des digues.
03:18 Donc il faut redoubler d'efforts, d'imagination, pour passer entre ces digues.
03:24 - Est-ce qu'on ne confond pas un petit peu ? Parce que là, vous nous décrivez,
03:27 ce sont tous des perceurs de plafond de verre, d'une certaine manière.
03:30 Mais ce sont surtout des gens, plus que la réussite, qui ont rencontré le succès.
03:34 Quelle a été la clé, quelles ont été les clés, si l'on peut dire, de leur réussite et de leur succès, Sébastien Lefeuvelle ?
03:41 - Alors, il y a un discours, aujourd'hui, assez réducteur, qui me déplaît,
03:45 sur ce qu'on appelle les transfuges de classe,
03:47 les gens qui se sont hissés au-dessus de leurs conditions,
03:50 qui est une vision très plaintive, il faudrait avoir honte d'être hissé dans la société.
03:57 Là, je crois que la réussite, elle est le fruit de multiples facteurs.
04:02 C'est notre personnalité, notre éducation, nos rencontres, la chance, ça existe, le hasard.
04:07 Mais je ne crois pas qu'on soit déterminé par notre milieu.
04:10 - Le travail aussi, peut-être un peu.
04:12 - Le travail, ça c'est fondamental.
04:13 - Je suis étonné que vous ne l'ayez pas cité en premier.
04:15 - C'est la première condition de la réussite.
04:17 Et ce qui est formidable, c'est qu'il y a un total décalage, aujourd'hui,
04:19 entre des élites, justement, très diplômées,
04:22 qui sont d'ailleurs à l'abri des conséquences de leur discours,
04:24 qui nous expliquent qu'aujourd'hui, la panacée, c'est la paresse.
04:28 Le modèle de la réussite, c'est la paresse.
04:30 Quand on, justement, on veut se hisser dans l'échelle sociale,
04:35 au contraire, on sait que c'est le travail qui va payer.
04:37 Et ce n'est pas la paresse.
04:38 - Mais alors, vous parliez tout à l'heure du roi diplôme,
04:41 ce qui est assez frappant, c'est de voir que vous travaillez très beaucoup,
04:44 jusqu'à 20, 25 ans, et puis ensuite, après, on peut lever le pied,
04:47 et quelque part, on est déjà un peu arrivé.
04:49 - Notre modèle social, c'est son paradoxe,
04:51 il est construit pour les gens qui sont rentrés dans la forteresse, très jeunes.
04:55 - Les insiders.
04:56 - Voilà, les insiders.
04:57 Ils ont un statut, ils ont un CDI,
05:00 mais ce système-là, il est beaucoup plus difficile pour les nouveaux entrants,
05:03 les nouveaux venus.
05:05 C'est un système finalement assez conservateur dans sa conception.
05:08 - Mais comment vous regardez ce discours qu'on entretient volontiers en France,
05:12 on lit ça à peu près partout,
05:14 ce fantasme, il faut bien le dire, de l'immobilité sociale.
05:17 On a vu avec Baptiste Morin dans le journal de 7h,
05:20 que la mobilité sociale, elle est là.
05:22 70% des jeunes vont terminer leur parcours
05:25 dans une classe d'âge différente de celle de leurs parents,
05:28 alors des fois en dessous, mais aussi assez souvent au-dessus.
05:31 Donc le fantasme du déclassement, quelque part,
05:34 est contredit par ces parcours individuels.
05:36 - Il y a plusieurs choses.
05:37 Si on s'en tient aux statistiques, elles sont très difficiles à...
05:40 Il y a eu un rapport de l'INSEE l'année dernière
05:42 sur la mobilité intergénationnelle de revenus,
05:45 qui dit que finalement, tout va très bien en France,
05:48 on ne serait pas le pays de la reproduction, des inégalités...
05:51 Mais il y a eu, il y a 4 ans,
05:54 une étude de l'OCDE qui est accablante pour la France,
05:57 qui montre que c'est l'un des pays de l'OCDE
06:00 où la mobilité est la plus faible,
06:02 où le système scolaire, parce qu'on parle beaucoup aujourd'hui
06:05 des retraits, de la fin de vie,
06:07 mais notre système scolaire, je dirais,
06:10 accroît cette immobilité.
06:12 Et il y a une reproduction très forte,
06:14 une reproduction sociale très forte, à travers le système scolaire.
06:17 - Mais ce n'est pas un peu paradoxal ?
06:18 Vous nous avez dit tout à l'heure,
06:19 c'est par le mérite scolaire, finalement,
06:21 qu'aujourd'hui se font les ascensions sociales,
06:23 et vous nous dites à l'instant, Sébastien,
06:25 que précisément, c'est l'école qui bloque,
06:28 qui empêche finalement cette culture de la réussite.
06:30 - Oui, dans un système qui conçoit la réussite
06:32 à partir d'abord d'une réussite scolaire.
06:34 Mais moi, je note que dans les jeunes générations,
06:36 il y a aujourd'hui une envie, par exemple,
06:38 de devenir entrepreneur, quand je vois le succès
06:40 d'une association comme les Déterminés,
06:42 qu'a créé Moussa Kamara.
06:43 - Il y a un sondage qui montre aujourd'hui
06:44 que les Français sont très attachés à l'entreprise,
06:46 et considèrent que c'est un vecteur de réussite et de changement.
06:49 - Et d'ailleurs, beaucoup de jeunes,
06:50 à la fois dans des quartiers populaires,
06:52 dans les zones rurales, aujourd'hui,
06:53 savent que finalement, c'est mieux pour eux
06:55 d'essayer d'avoir un projet d'entreprise
06:57 que d'essayer de trouver un job.
07:00 La France peut peut-être devenir une société d'entrepreneurs,
07:03 et c'est vécu de plus en plus,
07:05 l'image de l'entrepreneur s'est beaucoup améliorée
07:07 dans l'opinion, et d'ailleurs,
07:09 ils souffrent d'un problème de reconnaissance,
07:11 c'est parce que ce sont eux qui créent
07:13 l'écrasante majorité des emplois dans ce pays,
07:15 on ne peut pas dire qu'on les applaudisse,
07:18 au contraire, on leur crache dessus.
07:20 - Alors, il y a quelque chose aussi,
07:21 c'est peut-être un effet pervers
07:23 de la méritocratie, dont on parle beaucoup,
07:25 Sébastien Lefol a cette fameuse méritocratie,
07:28 entre ceux qui d'un côté vous disent
07:30 "bah c'est normal que ceux qui ont mérité,
07:33 ceux qui ont beaucoup travaillé, soient récompensés",
07:36 et puis ceux qui vous disent
07:37 "oui mais regardez les effets pervers que ça génère".
07:40 La conséquence immédiate, c'est que
07:43 quelqu'un qui a réussi, qui a bien travaillé à l'école,
07:45 va regarder ceux qui n'ont pas réussi comme lui,
07:47 avec un certain mépris, en disant
07:49 "finalement, il n'avait qu'à travailler à l'école".
07:52 Et quelque part, la solidarité de classe
07:55 qui était assez naturelle sous l'Ancien Régime,
07:57 on avait une conscience quand même de la nécessité
07:59 d'assister les plus pauvres.
08:01 Finalement, on la délègue à l'État aujourd'hui,
08:03 et individuellement on se dit "c'est pas mon problème".
08:05 - Et encore, l'Ancien Régime,
08:08 vous aviez aussi une aristocratie
08:10 qui considérait que travailler,
08:12 que de mener une activité mercantile...
08:14 - C'était bourgeois.
08:15 - C'était ville, c'était s'abaisser.
08:17 Aujourd'hui, non, il y a dans nos sociétés,
08:19 c'est pas seulement en France, on voit ça aussi aux États-Unis,
08:22 il y a une crise de la reconnaissance
08:24 autour du mérite.
08:26 C'est-à-dire que,
08:28 je parlais tout à l'heure de ces surdiplômés
08:30 qui estiment que leur mérite n'est pas assez reconnu,
08:32 que leur job n'est pas au niveau
08:34 de ce qu'il doit être, mais il y a beaucoup de professions,
08:36 effectivement, ça c'est aussi bien les enseignants,
08:39 mais même beaucoup de cadres aujourd'hui,
08:41 mais des entrepreneurs,
08:43 qui estiment que dans la société actuelle,
08:45 leur travail, leur mérite n'est pas assez reconnu.
08:47 - Mais est-ce que c'est pas une question...
08:49 - On est confronté à cette crise-là.
08:50 - Est-ce que c'est pas une question de salaire ?
08:51 - Je vous donne le chiffre, il a été donné encore par l'INSEE,
08:53 vous avez la moitié des Français aujourd'hui
08:55 qui gagnent plus de 2012 euros,
08:57 mais vous en avez la moitié qui gagnent
08:59 moins de 2012 euros.
09:01 J'ai beau avoir travaillé, j'ai beau avoir un métier sympa,
09:03 si ça paye pas, j'ai pas l'impression d'avoir réussi,
09:05 Sébastien Lefort, ça pèse lourd ça.
09:07 - Oui, mais ça c'est pas seulement un sentiment,
09:09 c'est que le travail ne paye pas assez en France.
09:13 Et en plus, on essaie en plus d'évaluer cette valeur.
09:17 Mais on est dans un pays où la reconnaissance
09:21 se distribue beaucoup avec un statut,
09:23 un rang, des médailles,
09:25 vous savez qu'est-ce qu'on distribue comme médaille en France ?
09:27 Et ça, il faut se poser la question de comment on reconnaît
09:31 le mérite des gens.
09:33 Et il y a plusieurs voies méritocratiques,
09:35 on en a une principale, scolaire,
09:37 aujourd'hui tout le défi pour la société française,
09:41 c'est de reconnaître qu'il y a plusieurs voies d'épanouissement,
09:43 de réussite, d'ailleurs l'ascension sociale
09:45 c'est pas une fin en soi,
09:47 de progresser dans l'échelle sociale,
09:49 c'est de se réaliser, de faire un métier qui nous plaise,
09:51 d'être heureux, enfin voilà.
09:53 - Ne pas confondre la réussite et le succès, c'est très important.
09:55 Merci Sébastien Lefort,
09:57 reste à ta place votre livre
09:59 à lire, c'est aux éditions Albin Michel,
10:01 merci à vous, et on vous lit dans les colonnes du Télégramme.
10:03 Merci à vous.

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