La politique et moi - Michèle Tabarot

  • l’année dernière
Michèle Tabarot, députée "Les Républicains" des Alpes-Maritmes.
Elle n'a pas connu l'Algérie française: elle est née peu après son indépendance... Mais l'engagement de son père dans l'OAS a déterminé beaucoup de choses dans sa vie... Peut-être même son propre engagement en politique.

Pourquoi s'engage-t-on en politique ? Comment tombe-t-on dans le grand chaudron de l'Assemblée ?
Chaque jour, Clément Méric, dans un entretien en tête à tête de 13 minutes, interroge un parlementaire sur les personnalités, les évènements - historiques ou personnels - qui l'ont conduit à choisir la vie publique.
Car on ne naît pas politique, on le devient !

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Transcript
00:00 Mon invitée n'a pas connu l'Algérie française,
00:02 puisqu'elle est née peu après son indépendance,
00:05 mais l'engagement de son père dans l'OAS a déterminé
00:08 beaucoup de choses dans sa vie,
00:10 peut-être même son propre engagement en politique.
00:13 Musique douce
00:15 ...
00:27 Bonjour, Michel Tabarro. -Bonjour.
00:29 -L'engagement, chez vous, c'est d'abord une histoire de famille,
00:33 avec votre père, Robert Tabarro,
00:35 qui a mené un combat politique pour l'Algérie française,
00:38 un combat qui a pris une forme radicale,
00:40 puisqu'il a été l'un des dirigeants de l'OAS,
00:43 l'organisation de l'armée secrète.
00:45 Avez-vous fait de la politique si votre père était resté
00:48 le champion de boxe qu'il a été,
00:50 puis le vendeur de pièces détachées de voiture ?
00:52 -Probablement pas, parce que j'imagine
00:55 que nous serions restés en Algérie s'il avait pas mené ce combat.
00:59 Et papa, qui était très attaché à la France,
01:02 qui a souhaité protéger les pieds noirs,
01:06 les Harkis, de tout ce qui se passait
01:09 pendant cette guerre terrible,
01:11 entre 54 et 62, a souhaité s'engager.
01:15 Il avait un amour pour la France.
01:17 -Son amour pour la France qui a mené ce combat.
01:20 -Absolument, et puis aussi, au nom d'une certaine injustice,
01:25 parce que lorsqu'en 58, le général de Gaulle
01:28 vous annonce que vous êtes en Algérie
01:31 et que l'Algérie doit rester française,
01:34 être obligé de partir quatre ans après,
01:37 comme les militaires, des hommes remarquables,
01:39 comme Elie Denois-Sammard, qui avait été un résistant,
01:43 avait été à Buchenwald, avait été ensuite en Indochine,
01:46 n'a pas accepté, comme beaucoup de militaires,
01:49 la raison du putsch. On connaît mal cette histoire,
01:51 mais c'est un sentiment de trahison terrible,
01:54 et surtout, il y avait des exactions,
01:56 il fallait protéger les Pieds-Noirs et les Harkis,
02:00 et papa s'est beaucoup battu et nous a inculqués
02:02 à la fois cet amour de la France, ce respect de la parole donnée,
02:06 et puis ce lien aussi indéfectible
02:09 entre les Pieds-Noirs, les Harkis et l'Algérie.
02:12 -Ce combat politique de votre père,
02:14 c'est un peu toute votre famille qui en a payé le prix,
02:17 car quand l'Algérie est devenue indépendante,
02:20 votre famille n'a pas pu retourner en France
02:23 car votre père était condamné en France pour terrorisme,
02:26 et vous êtes allé éligé en Espagne, à Alicante.
02:29 C'est là que vous êtes née, que vous avez grandi,
02:31 loin de la France, pendant presque six ans.
02:34 Quel rapport est-ce qu'on entretient avec son pays
02:37 quand il y a un tel contentieux entre son pays et sa famille ?
02:40 -C'était pas un contentieux avec la France,
02:43 c'était un contentieux avec un pouvoir politique.
02:46 Je peux pas vous dire que de Gaulle était particulièrement apprécié
02:49 à la table lorsque nous évoquions l'Algérie française.
02:53 -Vous l'avez pas vécu comme une blessure ?
02:55 -Bien sûr, comme une blessure, mais pas avec le pays, loin de là.
02:59 La blessure, elle a été énorme,
03:02 parce que quelque part, j'imagine, lorsque vous avez des enfants
03:06 et que vous avez envie d'aller leur montrer
03:09 l'endroit où vous avez vécu, tout ce qui fait leur histoire,
03:12 avoir la possibilité de retourner dans son département,
03:15 dans une autre commune, c'est merveilleux,
03:18 mais pour nous, c'était interdit.
03:20 D'un autre côté, il a fallu récréer une vie
03:23 à la France, en Espagne, créer l'école française,
03:25 ce que mon père a fait avec les Pieds-Noirs,
03:28 créer un journal pour pouvoir informer
03:30 les Pieds-Noirs de ce qu'était la vie.
03:32 -Vous-même, par exemple, à 5 ans,
03:34 vous avez dû être hospitalisée en France,
03:37 votre père a pas pu vous accompagner
03:39 et aller à votre chevet à l'hôpital.
03:41 -Absolument. -Ca vous a pas fâché
03:43 contre la France ? -À ce moment-là,
03:45 je le comprenais très bien. Je pense qu'on a été mûrs
03:48 très tôt, parce qu'on parlait très librement de tout ça
03:51 avec nos parents. Ma mère m'a accompagnée,
03:53 donc j'ai eu cette hospitalisation
03:55 pour un problème d'abcès au poumon,
03:58 et donc j'ai été soignée en France,
04:00 et mon père, voilà, enfin, il était...
04:03 -Loin de vous, à ce moment-là. -Loin de moi,
04:06 mais en prenant des nouvelles régulièrement,
04:08 je le comprenais tout à fait.
04:10 J'ai pas souffert de cette absence,
04:12 parce que je la comprenais quelque part,
04:14 malgré mes 5 ans.
04:16 -Donc tous les membres de l'OAS
04:17 ont fini par être graciés, amnistiés.
04:20 Votre famille est donc rentrée en France
04:22 et s'est installée au Canet, dans les Alpes-Maritimes.
04:25 Votre père est devenu une figure importante
04:27 de la communauté pied-noir qui était sur place.
04:30 Et vous-même, en 1983, je crois que vous avez 20 ans,
04:33 vous êtes élue adjointe au maire du Canet.
04:35 Cinq ans plus tard, c'est votre petit frère
04:38 qui, lui, est élu conseiller municipal à Cannes,
04:40 encore plus jeune.
04:42 Lui, il a à peine 18 ans à l'époque,
04:44 il est aujourd'hui sénateur. -Absolument.
04:46 -Ce double engagement en politique,
04:48 est-ce que c'était une façon un peu de laver l'honneur de la famille,
04:52 de venger votre père, de prendre une revanche sur l'histoire ?
04:55 -Bien entendu, c'est quelque chose qui est en moi,
04:58 qui est très fort, et je comprends tellement
05:02 et je partage cette douleur,
05:05 qui est celle des pieds-noirs.
05:07 D'abord, d'avoir été trahi,
05:09 ensuite, d'avoir été accueillie dans des conditions assez difficiles,
05:13 parce qu'en métropole, on avait la vision
05:16 simplement que de ces militaires qui partaient se battre,
05:19 et l'Algérie, c'était pesant, il y a eu beaucoup de guerres,
05:22 et il n'y a peut-être pas eu la compassion
05:25 que les pieds-noirs auraient pu attendre
05:27 après ce drame terrible qui a touché plus d'un million de personnes
05:31 qui, après plusieurs années de guerre,
05:33 se sont retrouvées un petit peu éclatées
05:36 dans un pays qu'ils ne connaissaient pas,
05:38 qui était leur mère patrie, puisque c'était la métropole,
05:41 mais ils n'avaient jamais vécu en France.
05:44 -Votre père vous dit qu'il faut y aller ?
05:46 -Non, non, non. Mon père nous a laissé très vite.
05:49 Premièrement, moi, j'étais favorable
05:53 et un soutien de Valéry Giscard d'Estaing, en 80.
05:57 Je fais la campagne, mon père la faisait,
05:59 il était actif en politique.
06:01 -Là, on vous voit adjointe... -Voilà, exactement.
06:04 Et donc, je m'engage pour la campagne de 80.
06:09 Et ensuite, je suis tellement déçue
06:11 et affectée par la victoire de François Mitterrand
06:14 que je décide de prendre ma carte au Parti républicain,
06:17 la droite dongoliste de l'époque.
06:19 C'est comme ça qu'on me propose
06:21 de rentrer au Conseil municipal du Canet
06:24 et que je deviens adjoint en maire et ensuite maire du Canet.
06:27 -Votre histoire familiale liée à l'Algérie française
06:30 a aussi ressurgi à l'Assemblée en 2005.
06:33 A l'époque, les députés débattaient de la suppression
06:36 d'un article de loi qui évoquait le rôle positif
06:39 de la colonisation.
06:40 Vous avez pris la parole dans l'hémicycle.
06:42 C'était au nom de tous les vôtres.
06:44 On va le revoir en image.
06:45 -La France coloniale a permis d'éradiquer...
06:49 a permis d'éradiquer des épidémies dévastatrices
06:53 grâce aux traitements dispensés par les médecins militaires.
06:56 Les Français d'Outre-mer ont permis la fertilisation
06:59 de terres incultes et marécageuses,
07:01 la réalisation d'infrastructures
07:03 que les Algériens utilisent encore aujourd'hui.
07:06 La France a posé les jalons de la modernité en Algérie
07:10 en lui donnant les moyens d'exploiter
07:12 les richesses naturelles de son sous-sol.
07:15 C'est ça, votre tolérance ?
07:17 -On le voit, vos propos avaient déjà fait réagir
07:20 une partie de l'hémicycle à l'époque.
07:22 Vous comprenez aujourd'hui que ça puisse choquer
07:26 de défendre le rôle positif de la colonisation ?
07:29 -Ce que je ne comprends pas, c'est qu'on ne le comprenne pas.
07:32 -Vous restez... -La colonisation, le départ...
07:35 -Ce discours, vous pourriez le reproduire ?
07:38 -Je suis hors de moi lorsque je relis
07:42 et lorsque j'entends les propos d'Emmanuel Macron en 2017,
07:46 considérant la colonisation comme un crime contre l'humanité.
07:50 Autant je ne souhaite pas qu'on aille coloniser
07:53 qui que ce soit d'autres aujourd'hui,
07:55 autant il faut bien comprendre notre histoire.
07:57 C'est-à-dire que l'Algérie a connu la France pendant 130 ans.
08:02 Les personnes qui étaient nées là-bas...
08:04 Mon père était là-bas depuis plus de trois générations.
08:07 Il chantait tous les matins avec le drapeau français.
08:10 -La colonisation, ça a aussi été des blessures profondes
08:13 pour les populations locales. -Je les entends,
08:16 mais ce que je veux dire, ce qui s'est passé en Algérie
08:19 ne justifie pas qu'on ait ce sentiment de culpabilité
08:24 vis-à-vis de la France. On voit aujourd'hui tout ça
08:27 avec notre regard d'aujourd'hui,
08:30 mais lorsque vous voyez, eh bien,
08:32 beaucoup de pays ont eu des colonies,
08:36 ont apporté des choses positives, des choses qui l'étaient moins,
08:39 mais la France a quand même, en Algérie,
08:42 et on le voit bien, malheureusement,
08:44 l'Algérie, 60 ans après, est dans un contexte
08:47 compliqué politiquement, elle vit avec une dictature
08:50 qui n'a pas permis à ce peuple exceptionnel,
08:52 avec lequel on a des liens de fraternité et d'amitié,
08:55 de se développer comme il le fallait.
08:58 Mais la France a laissé des hôpitaux, des routes,
09:00 a soigné... Maman était infirmière,
09:03 elle a soigné autant des musulmans que des Européens.
09:06 C'est un problème qui a peut-être été réel chez certains,
09:09 mais la grande majorité des Pieds-Noirs...
09:11 Vous savez, Albert Camus a dit quelque chose de très beau.
09:15 Il a dit "ma famille", et Dieu sait qu'il était
09:18 dans les milieux universitaires
09:21 et dans les milieux gauchistes qu'il pouvait fréquenter,
09:24 parfois attaquer, là-dessus, et il l'a défendu à chaque fois,
09:28 en disant que sa famille n'avait opprimé personne.
09:31 Il faut bien réaliser que la grande majorité des Pieds-Noirs
09:35 se sont comportées en frères avec les Algériens,
09:38 et c'est d'ailleurs la raison qui fait que les Harkis
09:42 ont été des combattants aux côtés des Français,
09:45 parce qu'il y avait ce lien très fort
09:48 entre les Français et les Arabes.
09:50 -On va passer à autre chose.
09:52 Notre quiz. Vous avez droit à une version spéciale
09:55 pour ce quiz. Vous avez passé plus de 20 ans à l'Assemblée.
09:59 Vous êtes du genre à dire "c'était mieux avant".
10:02 -C'était différent. -Vous avez été députée maire
10:05 depuis 15 ans. Est-ce que le cumul des mandats,
10:07 c'était mieux avant ? -Absolument.
10:09 Je suis très favorable au cumul des mandats.
10:12 Je pense que ça nous donnait une grande liberté
10:14 au niveau du gouvernement lorsqu'on est dans la majorité
10:18 et au niveau de l'opposition vis-à-vis du gouvernement.
10:21 -Vous allez me répondre "ancrage territorial".
10:23 -Absolument. -Pourquoi ?
10:25 -Parce qu'ancrage territorial, c'est-à-dire lorsque vous avez...
10:29 -Une légitimité différente. -Lorsque vous êtes quelqu'un
10:32 qui est implanté quelque part, c'est pas le parti
10:34 ou le gouvernement qui va vous dicter les choses.
10:37 Vous jouez collectif, bien entendu,
10:39 mais vous savez que le gouvernement et le parti,
10:42 ça ferait bien que vous soyez enraciné.
10:44 -Vous siégez à l'Assemblée depuis 2002.
10:46 Vous le disiez, la majorité et l'opposition.
10:49 Est-ce que vous diriez que la vie politique à l'Assemblée,
10:52 c'était mieux avant ? -Pour moi, c'est différent.
10:55 J'ai vécu des périodes passionnantes avec...
10:58 La période où Jean-François Copé était président de groupe,
11:01 on faisait de la coproduction législative.
11:04 On avait des parlementaires qui étaient totalement impliqués
11:07 et qui arrivaient à pousser les lignes
11:09 au niveau du gouvernement.
11:11 Ca a été le cas pour un texte comme "La burqa",
11:13 où c'est le Parlement qui a porté ça
11:15 et qui a un peu obligé le gouvernement de l'époque.
11:18 -Ca fait défaut ? -C'est une excellente chose.
11:21 Aujourd'hui, depuis ce mandat,
11:24 on revit quelque chose de positif, je dirais, pour l'Assemblée.
11:28 C'est le fait d'avoir une opposition
11:31 qui arrive à se faire entendre. -Du fait de la majorité relative.
11:34 -Par contre, ce qui me pose problème aujourd'hui,
11:37 c'est l'attitude de certains
11:40 qui sont dans la vective, dans la provocation...
11:43 -Ca, c'est dans le climat global. -C'est assez épouvantable.
11:46 -Vous avez été la première femme élue présidente
11:49 de la Commission des Affaires culturelles en 2009.
11:52 La place des femmes en politique, c'est pas mieux aujourd'hui ?
11:55 -Oui, probablement, mais je l'ai jamais vécue
11:58 comme un problème.
11:59 -Il n'y avait que 12 % de femmes quand vous avez été élue.
12:02 Il y en a trois fois plus.
12:04 -Très peu aussi de femmes maires
12:06 lorsque j'ai été élue maire à 32 ans.
12:08 Mais je dois dire que j'ai jamais souffert de ça,
12:12 parce que j'ai mes convictions,
12:14 mon engagement, et je peux pas dire qu'en étant une femme,
12:18 j'ai été brimée, mais je suis ravie
12:20 que les femmes puissent accéder
12:22 à toutes les fonctions politiques et professionnelles.
12:25 -Le mot de la fin, 40 ans bientôt d'engagement,
12:28 c'est quoi le secret de votre longévité ?
12:30 -Je pense que je continue à faire de la politique
12:33 dans la proximité.
12:34 J'adore, je finis ma semaine à Paris,
12:37 j'arrive rapidement au Canet, dans ma circonscription,
12:40 je vais voir mes électeurs,
12:42 je suis en contact et en lien permanent.
12:44 -Ca vous fait durer ? -Ca me fait durer
12:46 et me fait comprendre la France dans laquelle on vit
12:49 et essayer de la défendre au mieux.
12:51 -Merci, Michel Tabarro, d'être venu vous confier
12:54 dans "La politique et moi".
12:56 ...

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