La politique et moi - Ségolène Amiot

  • l’année dernière
Ségolène Amiot, députée "La France insoumise" de Loire-Atlantique.
Elle se définit comme une "salariée lambda", une "madame tout le monde" fière de représenter les Français à l'Assemblée. Ségolène Amiot revendique son côté novice en politique, elle en fait même sa marque de fabrique.

Pourquoi s'engage-t-on en politique ? Comment tombe-t-on dans le grand chaudron de l'Assemblée ?
Chaque jour, Clément Méric, dans un entretien en tête à tête de 13 minutes, interroge un parlementaire sur les personnalités, les évènements - historiques ou personnels - qui l'ont conduit à choisir la vie publique.
Car on ne naît pas politique, on le devient !
Transcript
00:00 Elle se définit comme une salariée lambda,
00:02 une madame tout le monde fière de représenter
00:05 les Français à l'Assemblée.
00:06 Mon invitée revendique d'ailleurs son côté novice en politique.
00:10 Elle en fait même sa marque de fabrique.
00:12 Musique douce
00:15 ...
00:27 -Bonjour, Ségolène Amiaux. -Bonjour.
00:30 -Votre première prise de parole dans l'hémicycle
00:32 n'est pas passée inaperçue.
00:34 C'était juste après la déclaration polémique
00:37 de l'ancienne secrétaire d'Etat Caroline Cailleu,
00:40 qui avait voulu justifier son hostilité au mariage gay
00:43 tout en se défendant d'être homophobe.
00:45 On va revivre ça en image.
00:47 -Je vais vous dire quand même que j'ai beaucoup d'amis
00:50 parmi tous ces gens-là.
00:52 Et franchement, c'est un mauvais procès qu'on me fait
00:56 et ça m'a beaucoup contrariée.
00:58 -Madame la Première ministre, je suis de ces gens-là.
01:01 La liste des déclarations homophobes est trop longue.
01:04 Béchut, Darmanin et Cailleu,
01:05 qui affirment toujours son mépris des homosexuels.
01:08 Je vous le rappelle au cas où, mesdames et messieurs les ministres,
01:12 l'homophobie n'est pas une opinion, c'est un délit.
01:15 -On sent de l'émotion, forcément, dans votre voix, ce jour-là.
01:19 Tout est parti de cette expression,
01:21 "ces gens-là", qu'emploie Caroline Cailleu.
01:24 Qu'est-ce qu'elle porte en elle, cette expression ?
01:27 -En fait, au-delà de l'expression "ces gens-là",
01:30 c'est de dire "ce sont des gens qui ne sont pas moi",
01:33 "ce ne sont pas des autres moi",
01:35 mais au-delà de ça, c'est ce qu'on entend souvent,
01:38 "je ne suis pas raciste, j'ai un ami noir,
01:40 "je ne suis pas homophobe, j'ai des amis gays".
01:43 -Ca vous a mis en colère ? -Oui, complètement,
01:46 de dire "on en est encore là" en 2022.
01:48 De dire, à ce moment-là, en 2022,
01:51 "mais on en est encore là"
01:52 et de se dire, à se défendre d'être homophobe
01:55 parce qu'on a des amis gays.
01:57 -Vous vous sentez ostracisé ?
01:58 -C'est pas tant moi que le fait qu'on a encore à apprendre
02:02 de ce que ça signifie que d'être homophobe,
02:04 que c'est pas forcément déclarer de la haine envers l'autre,
02:08 mais de faire une différence entre les uns et les autres.
02:11 C'est pareil pour le racisme et les autres formes de discrimination.
02:15 -Vous revendiquez votre appartenance à la communauté LGBT.
02:19 Je crois que vous-même, vous vous définissez
02:22 comme pansexuelle. Je suis pas sûr que tout le monde
02:24 sache ce que ça veut dire.
02:26 -En quelques mots, pansexuelle,
02:28 c'est que je n'ai pas d'attache au corps des gens.
02:33 Ce qui va m'attirer chez quelqu'un, c'est qui il est, qui elle est,
02:36 sans discrimination... -Sans regarder le genre,
02:39 l'apparence physique. -Exactement.
02:42 En vrai, je tombe amoureuse de personnes
02:44 parce qu'elles sont belles à l'intérieur.
02:46 -Homme ou femme ? -Homme ou femme.
02:48 -Vous avez pris la parole sur le sujet
02:51 de votre premier engagement public.
02:53 Vous avez été vice-présidente du centre LGBT de Nantes.
02:56 Qu'est-ce qui a motivé votre démarche, à l'époque ?
02:59 Pourquoi vous avez décidé de vous engager ?
03:01 -J'ai décidé de m'engager parce que j'ai eu la chance
03:04 déjà d'être accueillie par ce centre LGBT
03:07 au moment où moi-même, je me posais des questions
03:10 sur mon orientation sexuelle, et que j'ai constaté
03:14 qu'il y avait besoin de coups de main, tout simplement,
03:17 pour aller expliquer aux jeunes c'est quoi la discrimination
03:20 et comment on se parle. -Ce combat,
03:22 c'est le premier combat que vous avez porté
03:25 dans le cadre de cette association.
03:27 Vous-même, vous aviez été victime de discrimination ?
03:30 -J'ai été victime de discrimination,
03:32 au départ par des petits mots des serveurs de café,
03:36 ici, à Paris, qui, parce que je venais d'embrasser
03:40 ma compagne, nous demandent de sortir
03:43 parce qu'on est un établissement respectable, madame.
03:46 Donc, voilà, ce genre de choses,
03:49 jusqu'à vivre l'agression d'une autre de mes compagnes
03:52 en plein centre-ville de Nantes,
03:55 et tout ce qu'on peut vivre au quotidien de "non, mais t'as pas
03:59 "rencontré le bon mec", ou un médecin, même,
04:03 qui, du jour où je lui dis que non, je n'ai plus besoin
04:06 de la pilule, parce qu'en vrai, je n'ai aucun risque
04:10 de tomber enceinte avec une compagne,
04:13 commence à pratiquer des examens qui deviennent douloureux,
04:16 incomplets, pour me faire comprendre
04:19 qu'on n'est pas là pour prendre du plaisir.
04:21 Donc, voilà, c'est à la fois dans ma chaire,
04:24 mais aussi dans mon quotidien, de voir mes amis,
04:26 certains, aller jusqu'au suicide, parce que ce qu'ils vivaient,
04:30 et notamment ce qu'on leur faisait vivre,
04:32 était beaucoup trop douloureux.
04:34 -Vous avez eu un deuxième engagement avant la politique,
04:37 c'est un engagement syndical. Vous étiez employée
04:40 dans un centre d'appels téléphoniques,
04:43 vous avez été élue déléguée du personnel,
04:45 mais finalement, ça n'a plus suffi,
04:47 et vous dites "la politique, je m'y suis intéressée par obligation".
04:51 Ca veut dire quoi ? -En fin de compte,
04:53 c'est au moment de la réforme du Code du travail,
04:58 où... -Ce qu'on appelait la loi El Khomri.
05:00 -La loi El Khomri, exactement, de comprendre
05:03 pourquoi on avait tout cassé, et de me rendre compte
05:06 que je n'avais plus les outils à ma disposition
05:09 en tant que syndicaliste pour défendre mes collègues,
05:12 pour porter des affaires. -Vous vous êtes dit...
05:15 -C'est en politique qu'il faut aller.
05:17 -C'est ça, j'ai plus les outils pour aider.
05:19 Le seul moyen de faire changer les choses,
05:22 c'est de faire changer les lois,
05:24 et donc je me suis engagée en tant que militante,
05:27 pas en tant que candidate, je me suis engagée
05:29 pour aider, en l'occurrence, une candidate
05:32 à devenir elle-même députée.
05:35 -Ca, c'est à peu près 2017.
05:36 Campagne de 2017, vous êtes militante
05:39 au sein de la France insoumise,
05:41 et puis, vous vous présentez en 2022,
05:43 vous êtes élue députée, vous l'employez
05:45 d'un centre d'appels téléphoniques,
05:47 je le disais. Vous êtes plusieurs,
05:49 à représenter une France qui n'avait pas trop sa place
05:53 jusqu'à présent, dans l'hémicycle.
05:55 Est-ce que vous le ressentez comme une responsabilité ?
05:58 Ca fait peser un poids sur vos épaules,
06:00 en tant que députée ? -En fait,
06:02 au-delà d'un poids, j'espère que ça va devenir
06:05 un étendard. C'est-à-dire que j'aimerais vraiment
06:07 que les jeunes de nos quartiers,
06:10 que les femmes, que les personnes
06:12 lambda, comme moi,
06:14 intègrent et acceptent
06:17 que la politique, ça nous appartient aussi,
06:20 à toutes et tous, et qu'il faut absolument
06:22 s'en saisir. -Vous espérez que ça donne
06:24 envie à d'autres de faire comme vous ?
06:27 -Je le souhaite, et vraiment, je milite même pour ça,
06:30 pour que chacun s'approprie
06:31 les questions politiques.
06:34 -On l'a entendu, vous parlez de salariés lambda,
06:37 vous utilisez souvent l'expression "madame tout le monde",
06:40 ou "noob". -Noob.
06:42 -C'est-à-dire quoi ? -Noob, c'est une expression
06:45 de geek, une expression de joueur, de gamer.
06:49 -De joueur de jeux vidéo. -Exactement.
06:51 Ca veut dire qu'on vient de commencer,
06:54 on connaît pas un peu... On est débutant.
06:56 -On débute. -Exactement.
06:58 -Ce côté débutant, ou novice, en politique,
07:00 ça veut dire que vous avez une façon de faire
07:03 de la politique différente ? -Je le pense,
07:05 dans le sens où j'ai pas forcément les codes.
07:08 On est à l'Assemblée nationale, il y a des codes,
07:11 des façons de faire, des façons de se tenir,
07:13 de s'habiller, de se parler, que j'ai pas,
07:16 parce que j'ai pas grandi dans ce milieu-là.
07:19 -Ca se traduit comment dans votre action politique ?
07:22 -Parfois, j'enfonce des portes
07:23 que je devrais pas enfoncer.
07:25 Je crois qu'une des toutes premières questions
07:28 que je me suis posée en arrivant ici,
07:30 et que j'ai posée, et à tous les gens
07:32 que j'ai pu rencontrer, c'est "est-ce que quelqu'un
07:35 a le numéro de téléphone du ministre de l'Education ?"
07:38 -Ca a surpris, ça a choqué ?
07:40 -Oui, et puis tout le monde me dit "non,
07:43 "c'est pas comme ça qu'on fonctionne",
07:45 et donc j'ai demandé à mon assistant,
07:47 qui, le pauvre, était tout seul en plus,
07:50 pour m'aider à ce moment-là.
07:52 Ca faisait 48 heures que j'étais élue.
07:54 Il s'est débrouillé, il a trouvé un moyen de le contacter.
07:58 -Vous avez réussi à agir sur un dossier
08:00 avec votre méthode à vous. -Exactement.
08:02 -Est-ce qu'avec ce regard totalement neuf,
08:05 presque neuf sur la politique,
08:07 est-ce qu'il y a des choses qui vous ont choquées ?
08:10 -Déjà, le décorum.
08:12 Quand je dis décorum, c'est pas uniquement le bâtiment
08:15 et le faste. -On le voit un peu,
08:18 ça, quand même, aussi.
08:19 Les palais de la République, on en parle souvent.
08:22 -C'est tout ce qui va autour, le fait d'avoir
08:25 énormément d'administrateurs,
08:27 énormément de juiciers,
08:29 beaucoup de fonctionnaires qui sont là pour nous aider,
08:32 nous accompagner, et finalement, de constater
08:35 la quantité de personnes qui sont là pour nous aider
08:38 d'une manière ou d'une autre,
08:40 pour nous rendre la vie la plus facile possible.
08:43 Notre exercice le plus aisé possible,
08:45 ça m'a évidemment interpellée,
08:47 parce que jusqu'ici, que ce soit dans l'espace syndical
08:50 ou dans l'espace associatif,
08:52 à chaque fois qu'on avait besoin de quelque chose,
08:55 c'était à nous de le faire.
08:57 Avec des bouts de ficelle, à enfoncer les portes,
08:59 surtout qu'on ne nous attendait pas,
09:02 on ne voulait pas, nous, là où on allait,
09:04 donc il fallait y aller.
09:06 -Le revers de l'engagement, c'est qu'on devient la cible
09:09 de ses adversaires et que les attaques sont parfois
09:12 très éloignées du terrain politique.
09:14 Le 15 octobre 2022, vous avez découvert un message
09:17 posté sur Twitter par Gilbert Collard,
09:19 qui a utilisé une photo de vous dans l'hémicycle,
09:22 prenant la parole, accompagnée de ce texte.
09:25 "Regardez cette députée nuque qui donne de sa personne
09:28 "pour la transparence à la Chambre."
09:30 Comment avez-vous réagi ?
09:32 -J'ai utilisé beaucoup de gros mots,
09:34 soyons honnêtes, quand j'ai découvert ça.
09:37 Et puis, surtout, ça a réveillé une autre colère,
09:40 c'est qu'au-delà de ma personne, et c'est pas grave,
09:43 en soi, c'est tout le mépris qu'il y avait derrière,
09:48 le mépris à la fois de classe, le mépris sexiste,
09:51 grossophobe, vraiment tout le mépris,
09:54 qui venait me dire que je n'avais pas ma place
09:57 dans l'hémicycle et qui venait dire à tous les gens,
10:00 et pas que les femmes, d'ailleurs,
10:02 qui, d'une manière ou d'une autre, peuvent s'identifier et se dire
10:05 "moi aussi, je peux être à cette place un jour",
10:08 dans ce tweet, dans ce message, Gilbert Collard venait leur dire
10:12 que non, ils n'ont pas leur place.
10:14 Et ça, c'est d'une violence extrême.
10:17 -La violence, est-ce que ça a été des messages
10:19 que vous avez reçus après ?
10:21 -Des messages tous aussi dégueux, les uns que les autres.
10:27 -Vous étiez préparée ? -Des menaces de viol,
10:30 de meurtre, des avis, évidemment,
10:34 sur non pas ce que je suis ou ce que je représente,
10:37 mais qui je suis et ce que je devrais faire,
10:40 et de mon argent et de mon temps.
10:43 -Vous étiez préparée à cette forme de violence
10:46 qui peut exister en politique ?
10:48 -Non, d'autant plus que c'est pas ma façon de faire.
10:51 Je suis jamais dans l'attaque à nominem
10:54 et encore moins sur le physique des gens.
10:57 Donc, bon.
10:59 -On arrive à la fin de l'émission.
11:01 C'est l'heure de notre petit quiz.
11:03 Je vais commencer une phrase et ça va être à vous de la compléter.
11:07 On y va.
11:08 "Depuis que je suis députée,
11:10 "mes anciens collègues de la plateforme téléphonique
11:13 "pensent que..." -Qu'on se voit pas assez.
11:16 Qu'on se voit pas assez, c'est sûr.
11:18 -Et que vous-même, vous n'arrivez pas à les voir.
11:21 -Ah non, j'en ai revu quelques-uns, fort heureusement,
11:24 des vrais amis, mais c'est compliqué.
11:26 -A l'Assemblée, tout s'arrange quand tu comprends...
11:29 -Ah. Parce qu'au début, vous vous sentiez un peu seule ?
11:33 -Bah que, en fait, collectivement,
11:35 on arrive à faire tellement plus de choses.
11:38 Que ce soit au sein de nos groupes politiques
11:41 ou en transpartisan,
11:43 ou vraiment...
11:45 C'est assez fabuleux.
11:46 -Ce qui me manque le plus depuis que je suis députée, c'est...
11:50 -Du temps. -Du temps.
11:52 -Du temps. -Pour faire...
11:53 -Pour voir mon mari, pour faire un peu de sport,
11:57 pour ne pas faire de politique,
12:00 et pour faire de la politique.
12:02 Il me faudrait des journées de 50 heures.
12:05 -Pour conclure, vous disiez que vous aviez voulu
12:08 devenir députée pour changer la loi,
12:10 mais là, vous êtes dans l'opposition,
12:12 vous ne changez pas la loi. Vous dites pas
12:15 que vous auriez été plus utile en restant syndicaliste ?
12:18 -Non, je ne me dis pas ça, en vrai.
12:20 -Vous avez trouvé une autre utilité ?
12:22 -J'ai trouvé d'autres façons d'exercer mon mandat,
12:26 je travaille quand même à construire des lois
12:28 de façon transpartisane aussi,
12:30 et qu'il y a d'autres façons
12:32 que d'apporter un texte tout fait dans l'hémicycle,
12:35 il y a aussi d'aider à la construction du texte,
12:37 et du coup, là, on peut déjà apporter sa pierre,
12:40 d'une part, par les amendements, mais aussi en amont.
12:43 Mais il y a aussi le fait de pouvoir faire changer
12:46 des petites choses par-ci, par-là,
12:48 parce que j'ai un mandat,
12:50 parce que j'ai une écharpe tricolore,
12:52 parce que quand on appelle n'importe qui en disant
12:55 "Madame la députée souhaiterait vous rencontrer",
12:58 ça fait changer des choses,
12:59 et parce qu'on continue à construire un Parlement plus à gauche,
13:03 et peut-être que la prochaine élection,
13:05 on sera dans la majorité. -Merci, Céguélen-Amiaux,
13:08 d'être venu dans "La Politique". -Avec plaisir.
13:11 ...

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