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00:00 Et on va s'arrêter un instant sur les activités de la ministre Wagner en République centrafricaine.
00:05 La présence de ces mercenaires dans le pays n'est plus un secret, elle est régulièrement documentée.
00:09 Plusieurs rapports à câble ont été publiés, on y découvre les agissements de ce groupe.
00:13 Ces hommes se seraient rendus coupables de crimes de guerre, de viols, de torture.
00:17 Vivement encouragés par les Etats-Unis à se séparer de ses alliés.
00:20 Le président Antoadera aurait reçu une offre en contrepartie.
00:23 Alors quels intérêts les Etats-Unis ont-ils à faire une telle proposition ?
00:26 Qu'ont-ils mis dans la balance ?
00:28 Que risque le président Antoadera s'il refuse ?
00:31 Voilà autant de questions que nous poserons à notre invité et confrère.
00:34 Bonsoir à vous Mathieu et Olivier, vous êtes journaliste à GenneAfrique et vous travaillez sur le sujet.
00:40 Merci d'avoir accepté l'invitation de France 24.
00:42 Mathieu, est-ce qu'on sait comment dans un premier temps s'organisent les activités,
00:47 l'implantation plus généralement de Wagner en République centrafricaine ?
00:50 Alors aujourd'hui, on estime que Wagner a environ 1400, 1500 hommes en Centrafrique.
00:57 C'est un chiffre qui a un petit peu augmenté ces derniers mois
01:00 en raison de l'augmentation des attaques des groupes armés centrafricains qui ont repris.
01:07 On distingue deux bases, notamment à Bangui,
01:10 la base qu'on appelle le camp Kassaï où la majorité des hommes sont situés
01:15 et le camp de Roux où le leadership de Wagner est implanté.
01:20 Puis on a cinq ou six bases dans des zones un petit peu plus éloignées de la capitale,
01:26 à Bria, à Boda, à Bosangua et puis à Beringo où il y a encore un centre logistique
01:32 qui est assez connu puisque Beringo, c'est l'ancien palais de l'empereur Bokassa,
01:36 donc c'est assez symbolique.
01:37 Donc aujourd'hui, on a un maillage assez large sur la totalité du territoire centrafricain.
01:44 Et leur mission principale, officiellement, c'est d'épauler les militaires, l'armée nationale ?
01:49 C'est pas seulement ?
01:50 Alors officiellement, c'est une mission d'instruction de l'armée nationale.
01:54 C'est comme ça qu'ils sont arrivés et aujourd'hui, il y a vraiment une interconnexion
01:58 dans les missions de combat aux côtés des forces armées centrafricaines
02:04 pour aller repousser dans certaines zones les différents groupes armés.
02:08 Et ils obéissent à la hiérarchie haut gradé de l'armée centrafricaine
02:13 ou alors est-ce qu'ils agissent seuls comme ils l'entendent ?
02:16 Est-ce qu'il y a un commandement centralisé ?
02:18 Il y a un commandement conjoint entre l'armée centrafricaine,
02:22 entre le chef d'état-major de l'armée centrafricaine
02:25 et le numéro 1 de Wagner en Centrafrique, M. Perfileff.
02:30 La stratégie est évidemment coordonnée puisque les Russes de Wagner
02:36 ne connaissent pas forcément très bien le terrain centrafricain.
02:39 Donc ils ne peuvent pas décider de toutes les actions qu'ils peuvent mener
02:42 sur le terrain et dans la brousse, forcément.
02:44 Et on sait de quelle manière on les a invités, on leur a proposé d'intervenir sur le terrain
02:49 parce que je parlais tout à l'heure en préambule de notre interview
02:53 des exactions dont ils se seraient rendus coupables.
02:56 C'est un déploiement qui s'est fait progressivement depuis 2017-2018
03:02 mais qui s'est surtout accentué à la fin de l'année 2020
03:06 au moment où les groupes armés ont attaqué Bangui,
03:10 donc ont rompu les accords de paix de Khartoum qui avaient été signés en février 2019.
03:15 Donc ils ont vraiment contribué à maintenir le régime toit derrière à flot
03:20 et ensuite ils ont permis une contre-attaque et un recul des groupes armés.
03:25 Donc c'est là où Wagner a vraiment pris une emprise très forte
03:29 sur le système de sécurité centrafricain qui n'existait pas encore complètement avant.
03:35 Et c'est quoi la contrepartie ? Quel est le bénéfice, pour parler clairement de leur présence sur place ?
03:40 C'est ce qui est intéressant aujourd'hui de constater,
03:42 que Wagner ce n'est plus uniquement des mercenaires,
03:45 c'est aussi des ingénieurs, des spécialistes en propagande,
03:49 c'est des civils aujourd'hui, il y en a de plus en plus,
03:52 qui ont monté d'ailleurs un certain nombre d'entreprises
03:54 et qui s'implantent dans le tissu économique centrafricain.
03:57 Donc ils font de l'exportation de bois qui passe ensuite par le port de Douala au Cameroun.
04:02 Ils font l'exploitation de la principale mine d'or du pays,
04:05 donc la mine d'or de Ndacima,
04:07 qui pourrait représenter, si elle était exploitée complètement,
04:10 plusieurs milliards de dollars.
04:13 Ils ont la volonté d'exploiter le café,
04:16 ils ont lancé leur propre marque de bière,
04:20 qui va concurrencer aujourd'hui le groupe Castel.
04:22 Donc on est vraiment sur un groupe aujourd'hui tentaculaire,
04:25 y compris dans le domaine économique.
04:27 Est-ce que c'est ce qui pousse alors aujourd'hui les Etats-Unis à tenter de les évincer ?
04:31 Alors les Etats-Unis, je pense, sont dans une stratégie qui est globale,
04:34 en lien avec ce qui se passe en Ukraine.
04:36 C'est-à-dire qu'il faut voir la Centrafrique comme un second front,
04:39 à la fois pour la Russie et pour l'Occident.
04:41 Et une source de financement aussi, possiblement, de cette guerre ?
04:44 Wagner, aujourd'hui, utilise la Centrafrique comme une source de financement.
04:47 On a du mal à savoir combien ça peut représenter,
04:51 mais très clairement, ils font fondre des lingots d'or
04:55 qu'ils revendent sur le marché international.
04:57 Donc il y a, au bas mot, plusieurs millions d'euros par an
05:01 qui rentrent dans les caisses de Wagner.
05:03 Donc c'est intéressant, tout ça pour des coûts qui sont dérisoires,
05:06 puisque l'engagement de Wagner sur le terrain ne coûte pas grand-chose.
05:10 Donc c'est toujours intéressant, mais le gain, il est avant tout politique, quand même.
05:14 C'est-à-dire que Wagner a réussi à ouvrir un front avec la France
05:18 et avec les Etats-Unis en Afrique.
05:20 Et le fait que les Etats-Unis répondent de façon tout à fait officielle
05:23 et fassent une pression diplomatique,
05:25 fait finalement de Wagner un acteur diplomatique quasiment normal.
05:29 Finalement, ça le banalise un peu.
05:31 Est-ce que les Etats-Unis ont mis quelque chose d'important ?
05:34 En gros, on vous fait une offre, on vous propose d'évincer Wagner du pays,
05:38 on vous propose autre chose, ce serait quoi ?
05:40 Ce qu'ils auraient mis sur la table, c'est une mission de formation
05:45 de l'armée centrafricaine, donc typiquement ce que faisait Wagner au début,
05:49 quand il en arrivait, et sans doute une augmentation de leur aide
05:52 au développement via l'USAID.
05:54 L'aide humanitaire aussi ?
05:57 Est-ce que ce serait efficace ?
06:00 Je pense que ça arrive un peu tard, dans le sens où aujourd'hui,
06:04 Wagner est suffisamment implanté, et il y a vraiment des interconnexions
06:07 beaucoup trop importantes, y compris avec une partie de l'Etat centrafricain
06:11 et une partie des hommes politiques centrafricains du plus haut niveau.
06:15 Qui n'ont pas intérêt à les voir partir ?
06:17 Qui n'ont pas intérêt à les voir partir.
06:18 Si le président Antoine Hérard refuse Mathieu Olivier,
06:20 il se passe quoi du côté des Etats-Unis ?
06:23 Je pense que les Etats-Unis ont en tête de mettre certaines personnalités
06:27 centrafricaines dans une liste de sanctions.
06:30 Donc c'est une forme de chantage ?
06:31 C'est une forme de chantage. Maintenant, est-ce que ce sera efficace ?
06:35 Sans doute pas. Le président Antoine Hérard est engagé vraiment
06:39 dans une politique très pro-russe. Sans doute qu'elle s'affirmera
06:43 encore plus lors du forum de Saint-Pétersbourg, qui aura lieu cette année,
06:47 le forum Russie-Avrique, en juillet prochain, où la Centrafrique risque
06:51 de monter comme le symbole d'une réussite, d'une nouvelle relation Russie-Afrique.
06:56 Donc je pense que les Etats-Unis, et par extension la France,
07:00 puisqu'on est dans la même stratégie, on part un peu en retard sur ce débat-là.
07:06 Merci beaucoup. Merci Mathieu Olivier. Je rappelle que vous êtes journaliste
07:09 à Jeune Afrique. Un grand merci d'avoir pris le temps de répondre à nos questions.
07:12 Merci à vous de votre attention. Paris Direct.