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00:00 On va en parler avec l'essayiste Atem Nafti.
00:02 Bonjour, vous êtes auteur de plusieurs ouvrages consacrés à la Tunisie,
00:05 le dernier, celui-ci, "Tunisie vers un populisme autoritaire",
00:08 avec une préface de Pierre Aski.
00:11 Il y a un point d'interrogation.
00:12 On va voir avec vous si justement, ce point d'interrogation vaut toujours ce soir.
00:16 En tout cas, lors de cette réunion hier du Conseil de sécurité nationale,
00:19 Qaïs Saïd a tenu des propos très durs sur l'arrivée de hordes de migrants clandestins.
00:25 Ce sont ses termes.
00:26 Ses accusations, elles sont étayées par les faits, Atem Nafti.
00:29 Alors, ces accusations, comme pour toute théorie du complot,
00:33 elles reposent toujours sur un fond de vrai.
00:36 Il y a un fond de sauce qui est qu'il y a un problème
00:39 avec les migrants en général et les migrants subsahariens,
00:45 dû notamment aux procédures administratives,
00:48 dû aussi à l'instabilité, notamment en Libye,
00:51 et y compris sur la frontière algérienne.
00:53 Donc, effectivement, la question peut se poser.
00:57 En revanche, depuis à peu près maintenant un an,
00:59 il y a sur les réseaux sociaux, il y a un parti fasciste
01:02 qui s'appelle le Parti Nationaliste Tunisien,
01:04 qui propage cette théorie du complot,
01:06 digne du grand remplacement de Renaud Camus,
01:10 et qui parle précisément d'un complot ourdi
01:14 pour remplacer les populations non noires en Afrique du Nord.
01:18 Jusqu'ici, c'était marginal.
01:21 Et ce discours, les derniers mois, on l'a vu fleurir sur les réseaux sociaux,
01:26 être repris par beaucoup, beaucoup de concitoyens.
01:29 Et hier, on a vu une adoption officielle par le président de la République.
01:34 Donc, ce n'est pas tant la présence en tant que telle,
01:36 c'est vraiment cette idée dont a parlé le président,
01:39 d'un remplacement de la population qui a été évoquée dans ce discours.
01:44 D'après les chiffres officiels sur 12 millions de citoyens tunisiens,
01:48 il y aurait 21 000 migrants d'Afrique subsaharienne,
01:53 en majorité en situation régulière.
01:54 Ça représente à peine 0,2% de la population.
01:57 Absolument.
01:59 Et la Tunisie, rappelons-le, il y a dix ans, avec la guerre en Libye,
02:03 a reçu près d'un million de Libyens qui sont venus.
02:07 Il y a aussi des migrants syriens qui fuient la guerre.
02:11 Mais comme, encore une fois, ça a été évoqué hier,
02:14 des migrants subsahariens, ça se voit.
02:18 Et donc, avec cette théorie du complot, avec ce ressentiment,
02:23 ça donne l'impression, comme en France, ça rappelle aussi ce qu'on dit,
02:28 "la France n'est plus la France", etc.
02:29 Donc, il y a ce discours, c'est surtout la visibilité qui fait que,
02:33 mais en réalité, effectivement, le chiffre est exagéré.
02:35 Aujourd'hui, on a entendu à la radio des gens parler de 2 millions.
02:38 C'est insensé.
02:40 Vous évoquiez les théories de Renaud Camus du grand remplacement.
02:43 Voilà ce que dit Kaïs Saïed.
02:44 Il évoque une entreprise criminelle, ourdie à l'orée du siècle,
02:47 pour changer la composition démographique de la Tunisie,
02:51 afin de la transformer en un pays africain seulement,
02:53 et estomper son caractère arabo-musulman.
02:55 Ça parle à qui, au sein de la population tunisienne, ce type de discours ?
02:59 Ça parle à beaucoup de gens.
03:01 Il n'y a qu'à voir les réactions hier sur les réseaux sociaux.
03:04 Il n'y a qu'à voir ce qui se dit un petit peu partout.
03:06 À chaque fois que quelqu'un prend la défense des migrants subsahariens,
03:10 il y a un discours rôdé qui a été travaillé par ce parti fasciste
03:13 dont je vous ai parlé, et qui, aujourd'hui, est devenu acceptable,
03:19 à partir du moment où, encore une fois,
03:21 on a aussi une caractéristique très importante du pouvoir actuel,
03:24 c'est le recours systématique au complot.
03:26 C'est-à-dire que ce n'est pas le seul complot dont parle Kaïs Saïed.
03:29 Aujourd'hui, encore des opposants ont été arrêtés.
03:33 Des opposants qui déclarent, clairement, vouloir en finir avec le régime actuel,
03:38 et donc qui ne s'en cachent pas.
03:39 Ils sont accusés de complot contre la sécurité de l'État.
03:43 - Hissam Chebbi, Jaouer Ben Barek, notamment.
03:46 - Et Chaïma Aïssa, une opposante, a été arrêtée ce soir.
03:52 Et en plus, il y a une criminalisation de l'opposition.
03:56 Et encore une fois, il y a cette mécanique de la théorie du complot
04:00 qu'on utilise, qu'on mobilise pour expliquer les problèmes économiques.
04:04 On entend souvent dire que ce qui se passe en Tunisie, c'est un complot.
04:09 Et c'est quelque chose qui est dirigé contre le pouvoir actuel.
04:14 On a un gouvernement qui donne des éléments, qui explique qu'il y a la crise ukrainienne,
04:19 il y a la reprise post-Covid, il y a des éléments objectifs.
04:21 Et il y a le discours présidentiel qui privilégie le complot en tout.
04:25 Tout s'explique par le complot.
04:26 - Kays Saïed insiste sur la nécessité de mettre fin rapidement à cette immigration.
04:31 Par quels moyens, d'après vous ?
04:32 - Tout dépend des chiffres.
04:35 Parce que si, effectivement, on parle de 2 millions, ce qui est aberrant,
04:38 il faudrait, je pense, envoyer des tchats toutes les 30 secondes.
04:41 L'État n'a pas les moyens.
04:44 Encore une fois, toute théorie du complot repose sur quelque chose de vrai.
04:48 C'est-à-dire que les autorités européennes, notamment françaises et italiennes,
04:52 sous-traitent le traitement de l'immigration en Tunisie.
04:56 Et donc, la Tunisie refoule des embarcations en direction de l'Europe.
05:00 Dans ces embarcations, il y a des subsahariens.
05:03 C'est-à-dire que, encore une fois, le problème, et c'est le propre de toute théorie du complot,
05:06 repose toujours sur un fond de vrai.
05:08 Après, l'État, de toutes les façons, hier, dans toutes les décisions,
05:12 c'était "il faut", "il n'y a qu'à", "faut qu'on".
05:14 Et il n'y avait aucune décision, et je ne vois aucune décision,
05:17 capable de tarir n'importe quel flux.
05:21 Donc, encore une fois, c'était quelque chose qui fait plaisir au public.
05:25 On est aussi, c'est très important de savoir,
05:27 il y a une crise économique à laquelle le gouvernement n'arrive pas à trouver de solution.
05:32 Il y a un projet qui essaye d'installer le "Qaïs Saraïd",
05:35 qui n'a pas été suivi par les électeurs.
05:37 Il y a eu 11% aux législatives, premier et deuxième tour.
05:39 Et donc, là, on essaye de créer des ennemis de l'intérieur,
05:43 en diabolisant notamment toute opposition,
05:45 et en diabolisant aussi l'ennemi extérieur,
05:48 qui hourdirait ses complots.
05:50 - La crise économique, ou du moins sociale, c'était déjà la raison du printemps arabe,
05:56 la révolution de Jasmin, qui avait éclaté maintenant, voilà, 11 ans, 12 ans presque.
06:00 Qaïs Saraïd a été porté au pouvoir sur la volonté de renverser la table,
06:05 d'un changement presque, de régime,
06:08 puisque lui-même était juriste constitutionnel,
06:10 et donc spécialiste, pensait-on, de ce type de situation.
06:15 En tout cas, l'homme hors du système, capable peut-être de changer les choses.
06:19 Aujourd'hui, le lien est-il rompu avec la population tunisienne,
06:23 ou au contraire, préservé ?
06:24 - Ah non, le lien est plus que préservé.
06:25 C'est-à-dire qu'il y a deux choses.
06:27 Le projet que présente Qaïs Saraïd, de cette démocratie à partir de la base,
06:31 n'est pas suivi, les gens ne vont pas voter.
06:32 Et à chaque fois qu'ils ont été sollicités,
06:34 au maximum qu'il a fait, c'était 28% du corps électoral
06:39 sont prononcés pour sa constitution.
06:41 Mais en revanche, la division de l'opposition,
06:45 le fait qu'il agrège plutôt des colères diverses et variées,
06:50 ça lui permet un certain soutien.
06:52 Il reste populaire.
06:53 Le lien, ce qu'il dit, en plus, là, sur les subsahariens, c'est très populaire.
06:57 Les arrestations, les violations des droits de l'homme, ça fait plaisir.
07:00 Parce que, encore une fois, pour expliquer son échec,
07:03 on dit voilà, on essaye, on arrête.
07:04 En plus, on explique qu'on arrête des traîtres, des corrompus, des terroristes.
07:08 C'est des personnes qui sont arrêtées en vertu de la loi antiterroriste.
07:12 Ça, ça fait monter sa popularité.
07:16 Et aujourd'hui, il n'y a pas un sondage d'opinion
07:18 qui ne le donne pas largement en tête de n'importe quelle élection.
07:22 Ça, c'est très important aussi à dire.
07:24 Donc, le lien n'est pas rompu.
07:25 Il reste populaire, mais les gens ne le suivent pas sur son projet.
07:29 Et c'est peut-être ça qui le pousse encore à criminaliser,
07:35 mais vraiment, son opposition.
07:36 Et d'un autre côté, à crier à l'ennemi de l'intérieur, à l'ennemi de l'extérieur.
07:41 Et ce qui explique les arrestations d'aujourd'hui et le discours d'hier.
07:45 Merci, Hatem Nafti, d'avoir été avec nous.
07:47 Je rappelle le titre de votre dernier ouvrage, "Vers un Tunisie",
07:49 "Vers un populisme autoritaire".