• l’année dernière
L'Afrique participe de la mondialisation au même titre que les autres continents. Elle ne manque pas d'atouts pour en être un aiguillon du progrès et du développement : une démographie vigoureuse et jeune, des richesses minières et énergétiques, une classe moyenne qui consomme, une croissance soutenue. Mais elle n'en profite pas à la mesure de ses richesses pour des raisons à la fois intérieures, ce continent est sans cesse précarisé par des conflits violents, le terrorisme et une corruption endémique, mais aussi et surtout, selon la majorité des observateurs africains, voir occidentaux, par ce que ce continent n'est pas protagoniste de son destin. Selon le pape François, au cours d'un récent déplacement en République démocratique du Congo, l'Afrique subirait toujours les effets délétères d'un « colonialisme économique déchainé ». Sont incriminés pêle-mêle les drastiques ajustements structurels du FMI, de la Banque mondiale et autre OMC, les pressions de la Chine, de la Russie, de l'Europe, le pillage des ressources, le soutien à des dictateurs, l'ingérence dans les affaires intérieures. Bref, l'Afrique cherche à conquérir une légitime souveraineté pour agir face aux enjeux économiques, sociaux, climatiques et stratégiques qui agitent la planète.

Émile Malet reçoit :
- Aminata Dramane Traoré : ancienne ministre culture et tourisme du Mali (en visioconférence)
- Sylvie Brunel : professeur des Universités, écrivaine, géographe
- Calixthe Beyala : romancière
- Antoine Glaser : journaliste, essayiste

L'actualité dévoile chaque jour un monde qui s'agite, se déchire, s'attire, se confronte... Loin de l'enchevêtrement de ces images en continu, Emile Malet invite à regarder l'actualité autrement... avec le concours d´esprits éclectiques, sans ornières idéologiques pour mieux appréhender ces idées qui gouvernent le monde.

Abonnez-vous à la chaîne YouTube LCP Assemblée nationale : https://bit.ly/2XGSAH5
Et retrouvez aussi tous nos replays sur notre site : https://www.lcp.fr/

Suivez-nous sur les réseaux !

Twitter : https://twitter.com/lcp
Facebook : https://fr-fr.facebook.com/LCP
Instagram : https://www.instagram.com/lcp_an/

Retrouvez nous sur notre site : https://www.lcp.fr/

#LCP

Category

🗞
News
Transcription
00:00 Générique
00:02 ...
00:22 -Bienvenue dans "Ces idées qui gouvernent le monde".
00:26 Les profiteurs de l'Afrique.
00:28 De quoi s'agit-il ?
00:30 L'Afrique participe de la mondialisation
00:33 au même titre que les autres continents.
00:36 Elle ne manque pas d'atouts
00:38 pour être un aiguillon du progrès et du développement.
00:42 Une démographie vigoureuse et jeune,
00:45 des richesses minières et énergétiques,
00:49 une classe moyenne qui consomme, une croissance soutenue.
00:53 Mais elle n'en profite pas, à la mesure de ces richesses,
00:56 pour des raisons à la fois intérieures.
00:58 Ce continent est sans cesse précarisé
01:02 par des conflits violents, le terrorisme
01:04 et une corruption endémique.
01:07 Mais aussi et surtout,
01:09 selon la majorité des observateurs africains,
01:11 voire occidentaux,
01:13 parce que ce continent n'est pas protagoniste de son destin.
01:17 Selon le pape François,
01:20 au cours d'un récent déplacement
01:23 en République démocratique du Congo,
01:25 l'Afrique subirait toujours les effets délétères,
01:29 et je le cite,
01:30 "d'un colonialisme économique déchaîné".
01:34 Sont incriminés pêle-mêle
01:36 les drastiques ajustements structurels
01:39 du FMI, de la Banque mondiale,
01:42 de l'OMC, les pressions de la Chine,
01:45 de la Russie, de l'Europe,
01:47 le pillage des ressources,
01:49 le soutien à des dictateurs,
01:52 l'ingérence dans les affaires intérieures.
01:55 Bref, l'Afrique cherche à conquérir
01:57 une légitime souveraineté
01:59 pour agir face aux enjeux économiques,
02:02 sociaux, climatiques et stratégiques
02:06 qui agissent la planète.
02:09 Pour en parler et discerner
02:11 qui sont ces profiteurs de l'Afrique,
02:14 nous le ferons avec mes invités que je vous présente.
02:18 Alors, nous avons Mme Aminata Draman Traoré,
02:22 qui est en visioconférence
02:24 depuis le Mali.
02:26 Je rappelle, Mme Traoré,
02:27 vous êtes ancienne ministre
02:30 de la Culture et du Tourisme du Mali
02:33 et vous êtes également essayiste.
02:36 Sylvie Brunel, vous êtes professeure
02:38 des universités.
02:39 Calix Beyala, vous êtes romancière.
02:43 Et Antoine Glazer,
02:44 qui est journaliste et essayiste.
02:47 ...
02:55 -Vous venez de voir cette citation
02:57 du pape François,
02:59 qui dit "Cessez d'étouffer l'Afrique,
03:03 "elle n'est pas une mine à exploiter
03:06 "et une terre à dévaliser."
03:08 Alors, d'après les statistiques et autres projections,
03:12 tant internationales qu'africaines,
03:14 l'Afrique connaît un développement certain
03:17 et une avancée conséquente.
03:19 De l'espérance de vie
03:20 aux autres indicateurs du développement humain,
03:23 qu'il s'agisse de la santé, de l'éducation,
03:26 du niveau de vie.
03:27 Alors, pourquoi cette image persistante
03:30 de prédation, de pillage des ressources,
03:33 de corruption croissante,
03:35 bref, de maldéveloppement ?
03:37 Calix Beyala.
03:39 -Bah, écoutez,
03:40 je tenais d'abord à saluer Aminata,
03:43 vraiment, mais vraiment.
03:44 Salut, Sistoun.
03:46 Cela est dû essentiellement d'abord à l'histoire,
03:49 à l'histoire de l'esclavage,
03:51 à l'histoire coloniale aussi.
03:53 Quand un peuple a été, pendant des siècles,
03:57 aussi maltraité, méprisé, écrasé, étouffé,
04:01 n'oubliez pas surtout que, durant ces périodes,
04:05 tous les hommes brillants ont été systématiquement
04:09 soit déportés, soit assassinés.
04:11 Donc, l'Afrique s'est retrouvée, à un moment donné,
04:14 tous les Kwame Nkrumah sont retrouvés morts en exil,
04:17 les Um Nyombe, tous ces hommes qui portaient l'Afrique,
04:21 en réalité, parce que, vous savez,
04:23 toutes les sociétés ont besoin de figures fortes pour avancer,
04:27 ont été toutes décimées.
04:28 On a laissé les plus fragiles,
04:30 ceux qui demandaient le moins des indépendances,
04:33 on les a mis au pouvoir, c'est-à-dire les plus faibles,
04:36 on les a mis au pouvoir pour pouvoir mieux les contrôler,
04:40 mieux exploiter l'Afrique, mieux tuer les Africains,
04:43 et aujourd'hui, nous sommes pris entre ces organisations mondiales
04:47 dont vous parlez, qui nous exploitent,
04:49 mais aussi par, ça dépend des pays, d'ailleurs,
04:52 en Afrique centrale, par nos propres dictateurs,
04:55 nos propres frères, qui nous mettent
04:57 dans une situation difficile.
04:59 Depuis les ajustements structurels...
05:01 -On va rentrer dans le détail.
05:03 Je voulais juste une première impression,
05:06 et vous aurez l'occasion de détailler les différents points.
05:09 On aura une première impression sur cette question-là,
05:14 ce mal-développement, malgré les atouts,
05:17 une première impression.
05:19 Voilà. Qu'est-ce que vous en pensez ?
05:21 -Moi, je doute d'abord...
05:27 Je me pose des questions sur ce que...
05:31 ce développement veut dire.
05:35 Quand vous dites que l'Afrique est dans la mondialisation,
05:39 au même titre que les autres,
05:41 et que...
05:43 Il y a...
05:45 J'entends parler d'un certain nombre d'indicateurs.
05:49 L'idée consiste à dire, de toute façon,
05:52 que la mondialisation a marché,
05:56 et aurait tiré, en tout cas pour ceux qui concernent
05:59 le sud global,
06:01 un bon nombre de gens de la pauvreté,
06:04 et ainsi de suite.
06:05 Soyons réalistes,
06:08 prenons le pouls...
06:10 du monde...
06:13 Au moment où je vous parle.
06:15 D'où vous me parlez et d'où je vous parle.
06:18 J'ai l'intime conviction que la mondialisation heureuse
06:21 est une sorte de chimère,
06:24 et que nous, de toute façon,
06:27 la décolonisation a resté inachevée.
06:30 Nous sommes un pays sous tutelle,
06:33 immédiatement après l'accession, enfin,
06:37 de ce que nous avons cru être des indépendances.
06:41 On est entrés, on a emboîté le pas.
06:44 En fait, on n'a pas su rompre avec un système économique
06:49 destructeur, prédateur,
06:51 lié à la nature du système global.
06:54 -Vous incriminez le système global.
06:57 Vous en pensez quoi, Sylvie Brunel ?
06:59 Cette image peut déconsidérer l'Afrique
07:03 malgré les atouts et le développement.
07:07 -Un fait est certain, c'est que les marchands,
07:10 les militaires et les missionnaires
07:12 qui fondaient la colonisation de l'Afrique
07:15 sont toujours présents à l'oeuvre.
07:17 Dans les Afriques, ils prennent d'autres formes,
07:20 mais ce sont toujours des marchands, des militaires,
07:23 des missionnaires, omniprésents dans les 54 pays d'Afrique.
07:27 -Il y a un continuum colonial ?
07:29 -Oui, mais il a changé de nature.
07:31 Les profiteurs de l'Afrique sont aujourd'hui extrêmement nombreux
07:35 à l'extérieur et à l'intérieur.
07:37 C'est ça, le comble.
07:38 Ce continent formé de forces vives extrêmement marquantes
07:42 et qui pourrait apprendre au reste du monde
07:45 ce qu'est le développement durable, la résilience,
07:48 l'économie de l'ensemble des matières,
07:51 la relation avec la nature, cette vitalité,
07:55 ce continent continue d'être en queue,
07:57 des indicateurs de développement.
08:00 Vœu pour preuve, quelque chose qui me marque,
08:02 c'est le taux de mortalité infantile.
08:05 C'est un bon révélateur de la situation d'un pays.
08:08 C'est le nombre d'enfants qui meurent avant l'âge d'un an
08:11 pour 1 000 naissances vivantes.
08:13 La moyenne mondiale est de 28 pour 1 000.
08:15 Elle a beaucoup baissé.
08:17 On est dans une évolution très encourageante,
08:20 mais en Afrique, c'est toujours presque le double.
08:23 Ce continent africain, c'était un continent riche
08:26 peuplé de pauvres qui se battent au quotidien
08:29 pour leur survie avec des dirigeants
08:31 qui ne font pas ce qu'il faudrait pour aider leur peuple.
08:34 -Et vous, Antoine Glaser ?
08:36 -Pour poursuivre un peu,
08:37 je pense que c'est surtout une sorte de substitution,
08:42 je veux dire, en dehors, effectivement,
08:44 d'un certain nombre d'acteurs qui sont toujours présents.
08:47 Ce qui m'a vraiment surpris,
08:49 j'ai plus connu la période postcoloniale,
08:52 c'est à quel point, finalement,
08:54 des personnalités dans tous les secteurs,
08:58 et moi-même, je me considère comme un profiteur de l'Afrique.
09:01 En tant que journaliste spécialiste de l'Afrique,
09:04 j'ai pu, pendant 30 ans,
09:05 écrire des livres, faire des bouquins,
09:08 car les petites publications que je faisais
09:10 avaient un retentissement,
09:12 parce que mes confrères africains,
09:14 soit français d'origine africaine,
09:16 n'étaient pas pris au sérieux en France,
09:19 soit sous la pression des autocrates dans leur pays.
09:22 Je balayais devant ma porte.
09:24 Seulement, j'ai connu la substitution,
09:26 car dans le domaine de l'enseignement,
09:28 pendant 30 ans, des dizaines de milliers de Français
09:31 faisaient la coopération.
09:33 Je ne critique pas leur travail, ce qu'ils ont fait,
09:36 mais j'ai vu des rapports confidentiels
09:38 de l'Histoire de la coopération.
09:40 En 89-90, encore, ils ont dit qu'il fallait arrêter.
09:43 Parce que là, sur 5 000 coopérants,
09:46 il y en a 70 qui sont des enseignants
09:48 et qui font à la place des Africains.
09:50 Donc, si on ne comprend pas,
09:52 un, qu'il faut arrêter de se substituer
09:54 dans l'enseignement africain constamment.
09:57 Mais faire à leur place, c'est une première chose.
09:59 Et la deuxième chose, c'est vrai qu'à un moment donné,
10:03 il faut comprendre qu'il y a une période
10:05 où il faut arrêter de faire à la place d'eux.
10:08 Et la deuxième chose, apprendre de l'Afrique.
10:10 On a exporté dans tous nos pays,
10:12 pas simplement notre constitution, notre langue, notre façon de faire.
10:17 -Ramin Atta Traoré,
10:18 je voudrais vous poser une question
10:21 qui peut paraître provoquante et délicate.
10:25 Mais j'aimerais avoir votre avis.
10:28 L'Afrique se veut de plein pied dans le monde.
10:33 Même si, là, vous dites que la mondialisation est malheureuse.
10:38 Elle est quand même pleinement active
10:40 parce que c'est une forte population,
10:42 avec des ressources, une activité.
10:45 Mais elle est toujours à la recherche
10:49 d'une aide au développement.
10:51 La question que je vous pose, et c'est à vous que je la pose,
10:54 parce que vous avez exercé des responsabilités politiques,
10:58 comment on peut assumer un destin souverainement
11:02 tout en restant dépendant du reste du monde ?
11:05 -D'abord, je voudrais que l'on fasse la distinction
11:15 entre profiteurs de l'extérieur et profiteurs de l'intérieur.
11:20 Je crois qu'il faut inscrire l'Afrique dans le monde.
11:26 Il y a des spécificités africaines.
11:32 C'est une histoire singulière,
11:34 pour des raisons qu'Alix a évoquées.
11:37 Mais moi, je me dis que les responsabilités...
11:43 Je ne peux pas dire que FMI, Banque mondiale,
11:46 il y a toutes ces institutions financières, monétaires,
11:54 c'est des relations de dominants à dominer.
11:58 Ça a toujours été ça.
12:00 Et de la traite négrière à ce jour,
12:04 le système capitaliste a toujours eu besoin
12:07 des richesses du continent.
12:08 En nom, les esclaves, les ressources naturelles,
12:13 rien n'a changé.
12:15 Quand je regarde ce matin la situation de la dette africaine,
12:19 nous nous sommes endettés pourquoi ?
12:21 En mettant en place des infrastructures
12:23 dont les grandes entreprises étrangères avaient besoin
12:27 et ont besoin, et on rembourse aujourd'hui.
12:30 Et vous me dites que j'ai été au pouvoir,
12:34 j'ai été ministre de la Culture,
12:36 je sais de près que l'Afrique n'a pas eu que des dictateurs,
12:42 que des corrompus.
12:43 Les dirigeants n'ont pas de manoeuvre
12:46 car les décisions se prennent ailleurs.
12:48 C'est pas spécifique à l'Afrique.
12:50 Je fais le va-et-vient.
12:52 -Mme Traoré, sur la question de la dépendance,
12:57 est-ce qu'il n'y a pas un problème
12:59 d'être à la fois dépendant et de vouloir être souverain ?
13:04 Les gens s'interrogent à ce sujet-là.
13:07 -Mais l'Afrique n'a pas choisi d'être dépendante.
13:12 On a créé cette dépendance.
13:13 Quand nous avons cru échapper au joug colonial,
13:19 qu'est-ce que nous avons fait ?
13:21 Nous avons continué les mêmes cultures de rente,
13:23 ce que Samir Amin appelle l'échange inégal,
13:30 et a prévalu et continu.
13:32 Nous, nous ne décidons pas des prix de matières premières.
13:35 Et quand on connaît le processus de l'endettement,
13:39 on a été, je ne suis pas dans la victimisation,
13:42 mais c'est clair que le fardeau de la dette,
13:45 la manière dont le commerce mondial est structuré,
13:50 est géré, c'est un système de pillage de l'Afrique,
13:53 et pas du fait des Africains.
13:56 -Merci, Mme Traoré.
13:58 Alors, Calix Beyala, pour poursuivre le débat,
14:01 j'aimerais avoir votre avis.
14:03 L'Afrique, ce sont des Afriques et de nombreux pays africains.
14:09 Comment expliquer que certains se débrouillent mieux que d'autres,
14:14 à la fois au niveau de l'éducation,
14:17 du système de santé, voire du produit national brut ?
14:21 Comment vous expliquez cette différence
14:24 entre les économies et les sociétés en Afrique ?
14:27 -Avant de répondre à votre question, je voudrais revenir sur quelque chose.
14:31 Vous avez parlé de dépendance de l'Afrique,
14:33 mais aujourd'hui, nous sommes tous interdépendants.
14:37 L'Afrique dépend de l'Occident, de l'Afrique, de l'Asie.
14:40 Je veux dire, nous sommes interconnectés
14:42 à des degrés divers, mais aujourd'hui,
14:45 il n'y a personne qui est totalement autonome.
14:48 Je pense qu'il faut arrêter... -L'aide au développement
14:51 ne concerne pas tous les pays. -Vous voulez récupérer
14:54 votre aide au développement.
14:56 Vous renvoyez de l'aide à des dictateurs
14:59 qui vous les renvoient et vous dites que vous aidez les Africains,
15:03 mais personne ne nous aide.
15:04 Deuxième chose, la jeunesse africaine est devenue très digne.
15:09 Elle n'est pas là en train de commander.
15:11 Même s'il y a quelques gamins qui traversent la mer
15:14 pour se vivre, l'Afrique n'a jamais été aussi digne
15:18 qu'à l'heure actuelle. Je tiens vraiment à le dire,
15:20 nous ne sommes pas des mendiants.
15:22 La jeunesse africaine a conscience, aujourd'hui,
15:25 qu'elle a des matières premières, qu'elle est riche,
15:29 qu'elle peut se développer.
15:30 Nous sommes sur un autre...
15:32 Enfin, un autre schéma.
15:34 Il y a beaucoup de choses qui ont changé.
15:36 Je vais vous répondre à votre question.
15:39 Pourquoi certains pays sont plus avancés que d'autres ?
15:42 Ils ont eu de meilleurs dirigeants, notamment au Ghana,
15:45 avec les Raolings, qui ont quand même éliminé tous les...
15:49 On a beau dire ce qu'on veut, tous les corrompus,
15:52 et qui ont permis qu'avec le peu, malgré ce que les banques mondiales
15:56 et FMI faisaient, ils servaient à éduquer leur peuple,
16:00 servaient à éduquer leur peuple,
16:02 et à les scolariser, et à les soigner.
16:06 Il y a eu, par exemple, en Afrique centrale,
16:09 on a eu des bouffons, il faut quand même se dire la vérité.
16:12 Au Cameroun, au Gabon, on a eu,
16:16 ou en Centrafrique, on a eu des sanguinaires,
16:18 des gens qui étaient là, qui pillaient tout, qui volaient tout,
16:22 qui n'ont pas... qui ne sont pas soucis de leur peuple.
16:25 Il y a cette responsabilité aussi, qui est là.
16:28 Je ne dis pas que la responsabilité est toujours ailleurs.
16:31 Je veux dire que, quelquefois, on peut nourrir sa famille avec peu.
16:35 On peut avoir le sens du partage.
16:37 Et beaucoup d'Africains, aussi, ont été comme leur maître européen,
16:42 n'ont pas eu le sens du partage,
16:45 du vivre ensemble, de donner un peu à l'autre.
16:49 Il y a une responsabilité partagée.
16:51 Moi, au fil des années, quand j'avance dans la vie,
16:54 je trouve qu'il n'y a pas quelqu'un
16:56 qui ressemble plus à un autre qu'un autre homme,
16:59 quelle que soit sa couleur.
17:01 Ils se ressemblent, les capitalistes,
17:03 les pilleurs dans le monde.
17:05 Franchement, j'ai trop vieilli pour penser
17:07 qu'ils sont d'un côté et pas de l'autre.
17:10 -Merci. Alors, Antoine Glazer,
17:12 vous, qui avez crapahuté, si je puis dire,
17:14 dans beaucoup de pays africains, et depuis si longtemps,
17:18 comment vous expliquez, vous,
17:20 cette différence de niveau économique
17:22 entre les pays africains ?
17:25 -D'abord, c'est vrai qu'on est quand même toujours obligés
17:28 de parler de la diversité.
17:30 Un certain nombre de pays
17:32 ont mené des mouvements de libération,
17:34 que ce soit l'Afrique du Sud, l'Algérie et autres.
17:37 Ils ne demandent pas à avoir des cadres de l'extérieur.
17:41 Ou alors, il y a une aide,
17:42 mais c'est vraiment différent que des pays
17:45 qui ont vécu dans une période en un cocon postcolonial
17:48 pour faire court, qu'on appelle la France-Afrique.
17:51 Encore une fois, pour moi, avec le recul,
17:55 c'est vraiment ce truc de faire à la place des Africains,
17:58 de ne pas laisser, finalement, pendant très longtemps...
18:01 Regardez, on parle actuellement beaucoup
18:04 des changements, Emmanuel Macron,
18:06 de nouvelles stratégies africaines vis-à-vis de l'armée,
18:09 qui a été humiliée au Mali et au Burkina Faso.
18:12 Mais pendant des années, j'ai connu pendant 30 ans,
18:15 et pas simplement parce que la France le voulait,
18:17 mais parce que les chefs d'Etat préféraient
18:20 que l'armée française ne forme pas leur propre militaire,
18:24 et donc, on a gagné les coups d'Etat.
18:26 -Très bien. -Voilà, les profiteurs,
18:28 on va dire les profits. -Mais la symétrie économique
18:31 entre les différents pays, comment vous l'expliquez ?
18:34 -Le Gabon, on va s'en rendre, Emmanuel Macron,
18:36 il y a un million d'habitants,
18:38 il y a des richesses absolument incroyables,
18:41 il y a eu de l'uranium, du manganèse, du pétrole,
18:44 je veux dire, si c'était bien géré,
18:46 ça ne devrait poser aucun problème.
18:48 Vous ne pouvez pas comparer ça avec le Nigeria,
18:50 qui est en train de faire des élections...
18:53 Je suis honnête, mais ils font quand même...
18:55 Il y a une vraie démocratie avec des élections,
18:58 il y a 200 millions d'habitants, il y en aura 400 millions en 2050,
19:03 vous vous rendez compte qu'il y aura vraiment un habitant sur terre,
19:07 sur quatre, qui sera africain.
19:09 On ne peut pas comparer...
19:11 La seule chose qu'il faut toujours se rappeler,
19:14 c'est que c'est vraiment le moment, parce que, voilà,
19:17 c'est aux Africains...
19:18 Quand on dit "aux Africains", ce n'est pas un mot,
19:21 c'est pour continuer à faire à leur place.
19:23 Quand j'ai dit "qui se démerde", tu m'en disais.
19:26 -Vous l'avez dit. Sylvie Brunel,
19:28 j'aimerais avoir votre avis à partir de ce qui a été dit, là.
19:32 De ce qui a été dit, de cette différence de développement,
19:37 est-ce qu'il vous paraît illusoire
19:40 qu'un jour, il y ait un marché économique,
19:44 une union africaine, mais qui fonctionne
19:47 en corrigeant toutes ces inégalités,
19:50 tant au niveau des ressources que de démocratie ?
19:53 Est-ce qu'il y a quelque chose, là,
19:55 qui empêche cette harmonie africaine ?
19:59 -Vous savez, dans les années 60,
20:01 on entendait que l'Asie ne pourrait pas se développer.
20:04 On entendait qu'elle allait basculer dans la famine.
20:07 Je me souviens encore, quand j'enseignais,
20:10 dans mes jeunes années, l'Inde et la Chine,
20:12 c'était ce qu'on appelait les PMA, les pays les moins avancés.
20:16 Aujourd'hui, on nous parle de la puissance chinoise
20:19 qui est en train de rivaliser avec la puissance américaine.
20:23 En réalité, quand on regarde le continent africain,
20:26 on se rend compte que c'est un vieux socle géologique
20:29 qui présente l'intérêt d'avoir aujourd'hui
20:32 à peu près toutes les ressources dont le monde a besoin
20:35 pour entamer la nouvelle révolution digitale.
20:38 C'est vraiment le continent le plus avancé,
20:41 à la fois dans sa gestion de l'économie,
20:46 dans sa gestion des ressources naturelles.
20:49 On sait bien que les paysans africains
20:51 sont dans une stratégie de minimisation des risques.
20:55 On sait bien à quel point ils ont, depuis très longtemps,
20:58 mis au point des systèmes pour essayer de faire face aux aléas.
21:01 Le continent africain, ce dont il souffre,
21:04 mais c'est aussi un atout,
21:05 c'est que la moitié de la population a moins de 15 ans.
21:08 Comment voulez-vous gérer un pays
21:10 où la moitié de la population a moins de 15 ans ?
21:13 En plus, quand vous formez ces jeunes,
21:16 eh bien, ils partent.
21:17 C'est-à-dire que vous formez des gens extrêmement compétents
21:21 qui deviennent médecins, ingénieurs, agronomes,
21:23 dans le reste du monde,
21:25 ce qu'on appelle l'exode des cerveaux.
21:27 On a aujourd'hui une sorte de, comment dire,
21:30 de recul qui fait qu'on a l'impression
21:32 que l'Afrique est très difficile à développer.
21:35 En réalité, ma conviction, c'est que dans 30 ans,
21:37 on regardera ça en disant,
21:39 "Quand on pensait que cette Afrique ne se développerait jamais,
21:43 "alors qu'en réalité, qu'il s'agisse des personnes âgées
21:46 "qui sont prises en charge en Afrique,
21:48 "qui ne sont pas livrées,
21:49 "qu'il s'agisse des mécanismes de solidarité,
21:52 "des mécanismes de résistance et de résilience
21:55 "face au choc climatique,
21:56 "de la capacité à adopter très vite l'innovation."
21:59 Dans le saut de grenouille,
22:01 on a l'impression qu'il suffit qu'il y ait un déclic,
22:04 qu'on voit dans certains pays,
22:05 parce qu'il y en a qui sont très avancés,
22:08 très, très avancés.
22:09 Malheureusement, ce sont plutôt des pays
22:12 où les dirigeants sont un peu autoritaires,
22:14 mais nous avons aussi des démocraties très avancées.
22:17 Pour moi, le jour où l'Afrique apprendra
22:19 à gérer intelligemment tous ces gens
22:22 qui veulent, comment dire,
22:23 tirer parti de ces richesses
22:26 en faisant jouer les concurrences et les convoitises chinoises,
22:30 indiennes, turques, israéliennes, françaises,
22:33 anglaises, américaines,
22:35 comme le font déjà certains pays,
22:38 elle deviendra la première puissance mondiale
22:40 parce qu'elle aura la jeunesse, la démographie,
22:43 les matières premières et la capacité à gérer la nature.
22:46 Musique rythmée
22:48 ...
22:53 -Venons-en à des questions
22:55 sécuritaires et stratégiques
22:57 avec vous, Antoine Glazer.
22:59 La France poursuit son désengagement militaire
23:03 de l'Afrique.
23:04 Des puissances émergentes s'y installent
23:08 et se paient en ressources minières
23:10 et autres prédations foncières.
23:13 Qu'est-ce que vous pensez de ces nouveaux profiteurs ?
23:17 -Les nouveaux profiteurs, on pense aux Russes de Wagner.
23:21 C'est bien évident qu'il y a des profiteurs,
23:24 mais ils profitent sur un système...
23:26 C'est pas eux qui créent les problèmes.
23:30 Ils profitent d'un système ancien.
23:32 C'est une sorte d'anachronisme historique.
23:35 Ils vont être là dans des secteurs où, par exemple,
23:38 la France a eu tort de se retirer de la Centrafrique
23:41 avec l'opération Sangharis,
23:44 parce qu'ils ont sous-estimé à quel point, par exemple,
23:47 la Centrafrique était un pays totalement géostratégique,
23:51 compte tenu de ses frontières et du fait que c'est un pays
23:55 où il y a des diamants.
23:56 Ça veut dire que Wagner se paye sur les diamants en particulier.
24:01 Une poignée de diamants,
24:03 si vous allez voir la Debières à Londres,
24:05 vous avez 100 millions de dollars dans votre main.
24:09 Avec ça, évidemment que Wagner,
24:11 il peut se payer des mercenaires.
24:13 La France a laissé tomber la Centrafrique
24:15 à quel point les Américains veulent venir chasser
24:18 les Russes de Centrafrique.
24:20 Sauf que la France a été chassée de sa haine,
24:24 mais à mon avis, c'était une période historique.
24:27 C'était une période décoloniale.
24:29 On était trop présents pendant trop longtemps.
24:32 Donc, je veux dire, c'est l'histoire qui parle
24:35 et il faut vraiment penser que ce continent est devenu...
24:40 L'Afrique s'est mondialisée sans qu'on s'en rende compte.
24:43 A Paris, on avait l'impression de regarder la réunification
24:47 de l'Allemagne et on voyait pas l'Afrique se mondialiser.
24:50 Les meilleurs patronaux disaient à la Chine
24:53 "Arrêtez de nous emmerder, les Chinois auront besoin de nous."
24:56 C'est une période historique et, très honnêtement,
25:00 dans ce continent, il faut faire confiance
25:02 aux gens qui sont à la manoeuvre.
25:04 S'il y a des autocrates, ils se débrouillent.
25:07 Mais les Russes, franchement, ils surfent
25:09 sur des situations anciennes, sur les anachronismes historiques,
25:13 sur le refoulé. Il faut parler de l'histoire
25:15 de cette période particulière. -Oui, mais alors qu'Alix Béala.
25:19 Il s'agit pas d'avoir des questions qui fâchent,
25:23 mais il s'agit d'avancer.
25:24 Bon.
25:26 On parle de profiteurs et c'est le thème de l'émission.
25:29 La Russie, la Chine, la Turquie,
25:32 plein de pays sont là,
25:34 et sont là pour leurs propres intérêts,
25:37 comme l'était la France-Afrique.
25:39 A votre avis,
25:41 l'expérience que vous avez de l'Afrique suffit-elle
25:46 à empêcher ces nouveaux profiteurs
25:50 de piller l'Afrique ?
25:51 Et qu'est-ce qu'il faudrait
25:54 pour ne pas les laisser
25:58 libres de cette prédation ?
26:00 Parce que tous les pays sont prédateurs.
26:03 Il n'y a pas que l'Europe dans ce domaine-là.
26:06 -Je pense que vous sous-estimez beaucoup les Africains.
26:09 Ca me gêne vraiment.
26:11 Ca me gêne parce que nous sommes des êtres humains.
26:14 Nous avons une expérience de la prédation.
26:17 On ne va pas quitter la France-Afrique
26:19 pour tomber dans les mains des Russes.
26:22 Vous pensez qu'on est là parce qu'on les adore,
26:25 on les connaît même pas. Je parle pas le russe.
26:28 Il y a peut-être quelques Africains qui parlent le russe.
26:31 Mais on a eu besoin d'eux
26:32 pour des situations bien précises de terrorisme.
26:36 Vous pensez qu'on va les laisser là ?
26:39 Mais vous vous gourrez.
26:40 Aucun Africain ne va laisser...
26:43 On ne va plus laisser quelqu'un rester là et nous piller.
26:47 On ne va pas non plus s'occuper du reste du monde.
26:50 On aura toujours des partenaires,
26:52 dont les Russes, les Français, les Américains, les Chinois, etc.
26:56 Mais arrêtez de nous prendre, moi, ce qui me gêne dans ce débat,
27:00 pour des gens, des enfants,
27:03 qu'on vient, qu'on pille, qu'on torpille,
27:06 qu'on doit aider, que ce soit ainsi.
27:08 On a grandi.
27:09 Et ce que j'ai aimé dans ce que vient de dire mon ami tout à l'heure,
27:13 c'est que vous n'avez pas vu l'Afrique se mondialiser.
27:18 Vous n'avez pas vu l'Afrique grandir.
27:21 Sinon, vous ne nous poseriez pas ce genre de questions.
27:23 On utilise les autres comme ils nous utilisent.
27:26 Et on va les mettre dehors, ça nous dérange.
27:29 On mettra les Russes dehors, comme la France-Afrique.
27:32 On est en train d'essayer de casser tout ça.
27:35 Donc faites-nous confiance.
27:36 Et j'ai toujours aussi à dire quelque chose, excusez-moi.
27:40 Beaucoup d'Africains ne quittent pas l'Afrique.
27:42 Ça, c'est une idée reçue.
27:44 Il y a à peine 0,2 % d'Africains qui quittent l'Afrique.
27:49 -Il y a plus de médecins béninois en France qu'au Bénin.
27:52 -Peut-être. -C'est ça, le problème.
27:54 -On s'est embêtés à former des gens brillants qui partent.
27:57 -Non, tous les gens brillants ne partent pas.
27:59 0,2 % seulement d'Africains quittent le continent.
28:03 La plupart de l'immigration africaine
28:05 se fait à l'intérieur de ce continent.
28:08 -Je sais bien.
28:09 -Et les médecins tamournains vont travailler au Gabon,
28:13 plus qu'en France.
28:14 Même si, si, ils vont travailler au Gabon,
28:17 où ils seront mieux payés, en Afrique du Sud.
28:20 En fait, l'immigration africaine est d'abord inter-africaine.
28:23 Je veux dire, en même temps, les hommes se sont toujours déplacés.
28:27 Il y a aussi des médecins français en Afrique, aux Etats-Unis.
28:31 Vous n'allez pas empêcher le monde d'être le monde,
28:35 c'est-à-dire que des hommes se rencontrent
28:37 comme depuis la nuit des temps,
28:39 qu'ils échangent des idées, des expériences.
28:41 -Merci, Calyx Meier.
28:43 Sylvie Brunel, il faut qu'on avance un peu dans cette émission.
28:47 Il y a une question économique qui se pose.
28:53 On considère que les ajustements structurels,
28:55 on pourrait même expliquer ce que ça veut dire,
28:59 du FMI, de la Banque mondiale,
29:02 de l'OMC, etc.,
29:05 ont provoqué des faillites socio-économiques,
29:08 pas simplement en Afrique, on l'a vu aussi en Amérique latine.
29:12 Est-ce que vous considérez que c'est encore vrai, aujourd'hui ?
29:16 -Alors, il faudrait rappeler très, très rapidement
29:21 que l'Afrique est entrée dans la crise de la dette
29:23 dans les années 1980-1990,
29:27 qu'à la suite de cela,
29:28 elle a vu des cohortes d'experts internationaux
29:32 lui prendre sa souveraineté
29:35 pour appliquer ce qu'on appelle
29:37 des programmes d'ajustement structurel,
29:39 c'est-à-dire libéralisation, ouverture des frontières,
29:42 privatisation des entreprises publiques.
29:45 Parallèlement à cette ingérence économique,
29:47 il y a eu une ingérence politique,
29:50 parce qu'on a conditionné l'aide à la démocratisation,
29:53 sachant qu'un certain nombre de chefs d'État
29:55 tenaient leur légitimité de leurs soutiens extérieurs,
29:58 que ces soutiens viennent du monde occidental
30:01 ou du monde soviétique.
30:02 Dans les années 1990-2000,
30:04 l'Afrique est entrée dans ce que j'appelle
30:06 dans mon livre "La décennie du chaos",
30:09 c'est-à-dire que ces deux chocs extrêmement brutaux
30:12 ont provoqué un grand nombre de guerres civiles,
30:14 35 pays en guerre sur 53,
30:16 puisque le Soudan du Sud n'existait pas encore,
30:19 face auxquelles nous avons répondu,
30:21 d'abord par de l'humanitaire,
30:22 dans une logique de containment.
30:24 -C'est de l'histoire, mais aujourd'hui...
30:27 -Non, mais vous savez bien, Emile,
30:29 que pour comprendre aujourd'hui,
30:31 il faut mettre un peu le nez dans l'histoire.
30:33 Ensuite, l'Afrique est entrée
30:35 dans une forte période de croissance,
30:37 qui était la période 2000-2010, à peu près.
30:40 Il y a eu, vous le savez, en Occident,
30:42 la crise des subprimes.
30:44 Elle a pensé qu'elle en serait exclue,
30:46 mais elle en a subi le rebond,
30:48 ce qui a provoqué un certain nombre de crises.
30:50 Ensuite, il y a eu de 2010 à 2020,
30:52 ce qu'on pourrait appeler la période chinoise,
30:55 avec une Chine extrêmement présente en Afrique,
30:58 investissant beaucoup,
30:59 et puis des processus d'annulation de dettes
31:02 de la part des Européens,
31:04 enfin, des Occidentaux,
31:05 se rendant compte qu'ils avaient placé les Africains
31:08 dans des conditions dont ils ne pouvaient pas sortir.
31:11 Ensuite, il y a eu la pandémie de Covid.
31:14 Cette pandémie de Covid a eu quelque chose de très surprenant,
31:17 parce qu'elle a rendu compte que l'Afrique manifestait
31:20 une résilience extraordinaire.
31:22 Le reste du monde tombait dans une espèce d'hécatombe,
31:25 et on voyait que l'Afrique résistait,
31:28 d'abord parce que sa population était jeune.
31:30 -Votre diagnostic, aujourd'hui... -Pour comprendre mon diagnostic,
31:34 c'est qu'il n'y a jamais eu autant d'acteurs étrangers
31:37 qui s'intéressent à l'Afrique,
31:39 mais qu'il n'y a jamais eu autant d'opportunités,
31:42 comme l'a dit Calixte,
31:43 pour les Africains, de jouer de ces rivalités,
31:46 de ces concurrences, pour tirer leur épingle du jeu,
31:49 sachant que c'est eux qui possèdent, aujourd'hui,
31:52 les richesses que le monde entier convoite
31:54 pour pouvoir réussir la transition écologique.
31:57 Ils ont toutes ces richesses,
31:59 il s'agit juste qu'ils en reprennent,
32:01 comment dire, la souveraineté.
32:03 -Je vous ai entendu. Aminata Traoré,
32:05 j'aimerais avoir votre avis sur cette question
32:08 des institutions financières internationales,
32:12 le FMI, la Banque mondiale.
32:14 Est-ce que vous considérez que ces institutions,
32:18 aujourd'hui, encore aujourd'hui,
32:21 empêchent, j'allais dire,
32:24 des situations harmonieuses en Afrique ?
32:27 -Bien sûr.
32:29 Moi, je ne suis pas sûre,
32:32 comme Sylvie...
32:34 -Brunel ?
32:37 -Brunel le soutient,
32:41 que les choses vont si bien dans certains pays.
32:46 La question fondamentale,
32:50 ce que développer veut dire,
32:52 qu'est-ce que développer veut dire,
32:54 est-ce que c'est les infrastructures,
32:57 les bâtiments qui poussent,
32:59 les investisseurs étrangers qui viennent ?
33:01 Je n'en suis pas sûre.
33:03 Et nos pays, nos États ont les mêmes maîtres.
33:07 Ils ont les mêmes maîtres.
33:09 FMI, Banque mondiale, OMC,
33:12 l'Union européenne, ce sont les mêmes.
33:16 Et nous nous inscrivons, nous.
33:18 L'Afrique, aujourd'hui, s'inscrit
33:21 dans une dynamique mondiale qui relève de la guerre.
33:25 La mondialisation néolibérale, c'est de la guerre.
33:29 C'est une guerre sans merci.
33:31 C'est elle, aujourd'hui, qui est...
33:33 Aujourd'hui, la guerre russo-ukrainienne,
33:37 l'OTAN... L'Afrique ne fonctionne pas
33:40 en dehors de ces réalités.
33:42 L'OTAN s'occupe aujourd'hui du Sahel. Pourquoi ?
33:45 Et pourquoi on s'étonne qu'au début de cette guerre,
33:48 il y a 10 ans, quand j'ai dit que c'était pas notre guerre,
33:51 aujourd'hui, j'entends les Africains dire
33:53 que ce n'est pas notre guerre.
33:55 Je fais partie de ceux qui, dès 2013, ont dit cette guerre,
33:58 soi-disant anti-Djadis, ce n'est pas notre guerre.
34:00 Les Djadis que je connais, que je vois,
34:03 aujourd'hui, qui sèment la terreur,
34:05 et dans les villages qui tuent,
34:07 sont des victimes des programmes d'ajustement structurel.
34:10 J'en ai des morts. On ne peut pas me dire que c'est fini,
34:13 que c'était une autre histoire. C'est la même histoire.
34:16 Mais sous... Qu'est-ce qu'ils font ?
34:18 Qu'est-ce qui se passe ? Souvenez-vous.
34:20 La grande...
34:21 Et... Et... Et... Disons...
34:23 Quand la Banque mondiale ne jouait que par la lutte
34:26 contre la pauvreté, elle est devenue, aujourd'hui...
34:29 Elle s'est vite transformée en une lutte contre les pauvres,
34:32 parce que les projets mis en oeuvre
34:34 profitaient d'abord à d'autres,
34:36 à une poignée d'Africains initiés,
34:38 qui savent...
34:39 -Mais Mme Traoré, Mme Traoré,
34:41 l'assujettissement économique,
34:44 c'est pas la relation de maître à esclaves
34:47 d'il y a plusieurs siècles.
34:48 Vous... Les pays sont indépendants, aujourd'hui.
34:52 Alors...
34:53 -Les pays ne sont pas... Les acteurs sont les mêmes.
34:56 Et j'ai entendu dire,
34:59 dans le cadre de l'intervention militaire de la France au Mali,
35:03 que c'est un devoir de civilisation.
35:05 C'est ce que j'entends, dans le cadre de la guerre russo-ukrainienne,
35:09 ou bien, plutôt, de l'Occident contre la Russie,
35:13 ou vice-versa, je sais rien.
35:14 Ce que je sais, c'est que rien n'a changé.
35:17 Et c'est notre grille de lecture, c'est le diagnostic
35:21 qui me paraît, aujourd'hui, totalement erroné.
35:23 Vous ne pouvez pas comprendre l'Afrique
35:25 si vous ne l'inscrivez pas.
35:27 Dans ce système global et dans cette levée de bouclier
35:30 des peuples du monde, il n'y a pas qu'ici.
35:32 Les peuples du monde, aujourd'hui, disent non
35:35 à la dictature du marché.
35:36 -Je crois qu'Alix Beyela voulait intervenir
35:39 sur la question des institutions financières
35:42 par rapport à ce qui a été dit.
35:43 -Ecoutez, j'épouse tout ce qui a été dit
35:46 par rapport aux institutions financières,
35:48 n'étant pas économiste.
35:50 C'est vrai que je me souviens de cet ajustement structurel
35:53 qui avait mis le Cameroun KO.
35:55 Mes oncles sont retrouvés au chômage,
35:58 je devais me débrouiller chez toutes jeunes à Paris
36:01 pour leur envoyer de quoi manger.
36:02 Mais sachez aussi qu'au-delà du FMI et tout ça,
36:07 les gouvernements, notamment du Cameroun,
36:10 vont profiter de l'ajustement structurel
36:13 pour dominer les populations.
36:15 Comment ? A savoir que ces ajustements structurels
36:19 ont pris fin dans les années 2000.
36:21 D'accord ? Au Cameroun,
36:23 les salaires avaient été divisés par trois.
36:26 Aujourd'hui, alors que la plupart des pays
36:29 ont remis les salaires en place,
36:31 le Cameroun ne l'a pas fait.
36:33 Ce qui veut dire qu'on a un salaire
36:37 trois fois moindre que, par exemple, au Gabon
36:40 ou en Centrafrique et dans d'autres pays africains.
36:43 C'est fait exprès pour mieux écraser les peuples,
36:47 pour mieux les dominer.
36:49 -Mais comment vous pouvez dire des choses pareilles
36:52 quand on voit que ces 50 dernières années,
36:56 l'Afrique a considérablement progressé
36:59 en espérance de vie,
37:01 en politique d'éducation, de santé, etc.
37:05 Est-ce que c'est pas exagéré
37:09 que de dire que ces institutions sont venues écraser ?
37:13 -Vous oubliez aussi une chose,
37:15 c'est la capacité d'inventivité et de créativité
37:18 du peuple africain.
37:20 Nous avons nous-mêmes, avec nos petits moyens,
37:22 construit des petites écoles dans les villages,
37:25 construit des petits dispensaires,
37:27 on a mis en place les méthodes traditionnelles de soins.
37:30 C'est-à-dire que notre pharmacopée, aujourd'hui,
37:34 est plus valide que jamais.
37:36 Vous avez parlé de la Covid-19.
37:38 Nous n'avons pas attendu les vaccins
37:40 pour soigner nos malades de Covid.
37:42 On a récupéré nos médicaments traditionnels,
37:45 nous nous sommes soignés avec Gietta.
37:47 Donc, tout ce qui était méprisé autrefois
37:50 a été réhabilité.
37:52 Ne pensez pas que nous sommes là,
37:54 on attend qu'on nous apporte ce qu'il faut.
37:57 On bâtit nos universités aujourd'hui,
37:59 des universités panafricaines,
38:01 avec d'autres modes de réflexion,
38:03 d'autres façons d'enseigner aussi.
38:07 Dans un pays comme le Cameroun,
38:09 c'est un peuple extrêmement dynamique
38:12 qui crée des universités.
38:13 On n'attend pas les aides, on n'en a pas besoin.
38:15 Parce qu'on sait que, quelquefois, c'est un poison.
38:19 Et que, souvent, c'était une manière
38:21 de nous inféoder et de nous dominer.
38:24 Nous en sommes conscients.
38:26 Moi, je suis une enfant d'après les indépendances.
38:28 Ce n'est pas pareil que nos parents,
38:30 qui sont nés avant les indépendances.
38:32 On a une autre façon de regarder le monde.
38:34 Nous faisons partie du monde,
38:36 et ce monde, nous allons le conquérir.
38:38 Je suis très confiante sur le fait que, dans 30 ans,
38:41 comme disait Sylvie, notre pays, notre continent,
38:45 sera la terre d'accueil de tous les autres peuples du monde.
38:48 -Antoine Glaser,
38:49 votre point de vue sur cette question des institutions,
38:55 c'est vrai qu'on a beaucoup critiqué
38:58 le FMI, la Banque mondiale,
39:01 quand des pays sont en difficulté.
39:03 Ils exigent des ajustements qui ont des conséquences.
39:06 Mais vous avez le sentiment
39:09 que tout ce qui a été distribué
39:12 comme aide au développement,
39:14 à travers ces institutions,
39:16 n'a eu que des effets négatifs ?
39:19 -Je suis incapable de me prononcer sur le fond.
39:21 Je ne suis pas économiste.
39:23 Simplement, ce que je peux dire,
39:25 c'est que, de la même façon que la France a exporté
39:28 dans ces pays, ces institutions, etc.,
39:30 ce qui permet que les chefs d'Etat,
39:32 d'ailleurs, ils sont devenus des vrais constitutionnalistes,
39:35 leur permettent de faire des 2e, 3e, 4e mandats,
39:38 mais surtout, ce que je crois, par contre,
39:41 c'est que ces grandes institutions,
39:43 les Bretton Woods, FMI, Banque mondiale,
39:45 ça leur a permis de faire vivre des dizaines de milliers d'experts.
39:49 Pourquoi ? Parce qu'ils les envoyaient
39:51 avec les prêts d'ajustement structurel
39:53 autour de ce qui était imposé d'une façon ou d'une autre.
39:57 Il y a bien évidemment des...
39:59 Mais vraiment, j'ai connu les hôtels...
40:01 Il y a des hôtels en Afrique qui étaient bourrés d'experts.
40:04 Pourquoi ? C'était comme si c'était une autre langue,
40:07 le FMI, la Banque mondiale.
40:09 C'était vraiment la langue des économistes
40:11 que les Africains...
40:13 Il fallait surtout pas leur apprendre cette langue,
40:16 et ça faisait que c'était des experts
40:18 qui étaient autour des conseillers,
40:20 des experts de l'Etat, etc.
40:21 C'est ça, la domination.
40:23 Je me prononce pas, je sais pas si c'est près,
40:26 ce qu'ils ont apporté, ce qu'ils ont retiré,
40:28 mais je peux vous dire qu'il y a des...
40:30 Vraiment, ça fait vivre l'extérieur.
40:33 On parlait sans doute avec Sylvie sur les ONG.
40:35 Pourquoi est-ce que, par exemple,
40:37 de l'extérieur, on donne jamais à des ONG locales,
40:40 on donne toujours à des ONG de l'extérieur ?
40:42 Souvent, je vais pas citer l'agence,
40:45 d'autres disent toujours qu'on peut pas,
40:47 parce qu'on est banquier,
40:49 on peut pas donner à une ONG locale.
40:50 Et tout ça, c'est ça qui crée aussi
40:53 ce sentiment de dépossession de l'Afrique
40:56 par rapport à ces grandes institutions.
40:58 Ca veut pas dire qu'à l'intérieur de la Banque mondiale du FMI,
41:01 ils ont intégré énormément de jeunes Africains.
41:04 -On parle de ces grandes institutions,
41:06 Sylvie Brunel,
41:08 mais certaines ONG sont en elles-mêmes
41:11 de grandes institutions.
41:13 Pour ne pas les citer, par exemple, Oxfam
41:15 a des moyens considérables.
41:18 Quel bilan vous faites de cette action
41:21 des ONG,
41:22 disons des principales ONG,
41:25 en Afrique ?
41:27 Le bilan, il est contrasté,
41:29 il est positif...
41:31 -Vous savez, Yann, il y a un proverbe en Afrique
41:34 qui dit "la main qui donne
41:36 "est toujours au-dessus de la main qui reçoit".
41:38 Vous avez donc une prolifération d'institutions
41:41 qui prétendent tous sauver l'Afrique malgré elles.
41:44 Vous savez que le développement,
41:46 c'est avoir la capacité de choix,
41:48 être souverain quand on est face à son destin.
41:51 Or, qu'est-ce qu'on constate ?
41:53 On constate que dans le domaine de l'humanitaire,
41:56 tout un ensemble d'acteurs prétendent,
41:58 à leur niveau, savoir mieux que le paysan africain
42:01 ce qui est bon pour son avenir.
42:03 On constate que dans l'environnement,
42:05 et qu'Alix t'y a fait allusion,
42:07 on crée aujourd'hui des zones protégées,
42:09 mais protégées contre l'éleveur africain,
42:12 contre le paysan africain,
42:14 avec la complicité des autorités locales.
42:17 On constate aussi que chaque fois que l'on reçoit un prêt...
42:21 Vous savez que l'Europe a largement, aujourd'hui,
42:24 annulé sa dette et délié son aide,
42:26 c'est-à-dire qu'elle ne conditionne plus son aide
42:29 à l'achat de biens et de services en provenance de l'Europe.
42:32 Mais ce n'est pas du tout le cas de la Chine,
42:35 qui est d'une façon beaucoup plus cynique
42:37 et qui exige, pour pouvoir construire des infrastructures,
42:40 avoir accès aux ports, mettre en place des mécanismes
42:44 de coopération, d'avoir la mainmise
42:46 sur les matières premières africaines,
42:49 qui créent aussi des systèmes fermés
42:51 où elles n'emploient pas les Africains.
42:53 Il y a très peu, par exemple, de mariages
42:55 qu'on pourrait appeler interratiaux,
42:57 même si cette formule ne veut rien dire.
43:00 On se rend compte que l'Afrique est envahie d'acteurs
43:03 aux motivations plus ou moins troubles,
43:05 qu'elle a beaucoup de mal à coordonner,
43:08 qu'elle a beaucoup de mal, surtout, à dominer,
43:10 dont elle a beaucoup de mal.
43:12 Je pense qu'il faut qu'elle reprenne
43:14 dans ce domaine sa souveraineté.
43:16 Pour ça, il ne faut plus qu'elle demande d'aide de l'extérieur
43:20 parce qu'elle a, elle-même, les moyens, sur place,
43:23 avec toutes ses matières premières,
43:25 avec tous ses atouts, de transformer sur place,
43:28 en créant un marché intérieur, un processus de développement
43:31 qui la rendrait, comme les pays d'Asie,
43:34 comme la Chine, comme les émergents d'Asie de l'Est,
43:37 totalement souveraine quant à son avenir.
43:39 C'est en cela, je pense, pour revenir
43:42 à ce qu'on appelle le développement,
43:44 qu'on peut très bien avoir dans 30 ans
43:46 un renversement total de l'histoire de l'humanité,
43:49 avec une Afrique où un humain sur quatre
43:51 sera effectivement africain
43:53 et qui donnera le la au reste du monde
43:55 sur la gestion des personnes âgées,
43:58 sur la gestion de la nature, de l'énergie,
44:00 sur la gestion aussi de ce qu'est un développement
44:03 qui sait saisir le meilleur des technologies.
44:06 -Je vous ai entendu.
44:07 Puisqu'on est bientôt à la fin de cette émission
44:10 et qu'on parle de grandes transformations,
44:13 madame Traoré, vous êtes avec nous, là, depuis Bamako.
44:17 Je voudrais vous poser une question
44:20 qui fait partie de vos préoccupations politiques
44:25 au niveau de l'écologie.
44:27 La prise de conscience du réchauffement climatique,
44:31 elle est acquise partout,
44:33 en Afrique comme ailleurs.
44:36 Les politiques économiques ne suivent pas toujours
44:40 notamment en matière de coopération,
44:43 de commerce extérieur, de transition énergétique.
44:47 Qu'est-ce qui empêche, à votre avis, l'Afrique,
44:50 d'avoir aujourd'hui une politique écologique
44:55 qui tienne contre à la fois des traditions
44:59 et de la modernité ?
45:00 -C'est pour ça que je m'interroge encore une fois.
45:06 Si je...
45:08 J'ai l'impression que notre débat va dans le sens de...
45:14 Même si on n'idéalise pas le développement,
45:17 c'est comme s'il y a un modèle performant et vertueux,
45:20 quelque part.
45:21 L'Afrique n'y est pas.
45:23 Elle va certainement y arriver, comme les autres.
45:26 Mais moi, je n'en vis pas, les autres.
45:28 Quand je regarde l'état du monde aujourd'hui,
45:30 je n'en vis pas, les autres.
45:32 C'est à nous, à la lumière de l'état catastrophique
45:37 de la planète, c'est à nous de nous dire...
45:40 Ils prétendent avoir décollé, ils sont partis.
45:44 Mais nous voici au même endroit.
45:46 Quand je regarde la bagarre pour les retraites
45:50 et les tremblements de terre, les migrants,
45:53 on a tellement de problèmes.
45:55 Calix a raison de dire que tout ça, c'est humain.
45:58 On a devant nous une somme considérable
46:02 de situations qui ne permet pas d'être optimiste
46:08 en disant qu'on va y arriver comme les autres.
46:12 Mais je n'ai pas envie d'y arriver comme les autres
46:15 parce que les autres n'y sont pas.
46:17 Ils n'y sont pas précisément parce que le modèle dont on parle,
46:20 c'est le même modèle.
46:22 Nous, on n'a pas eu le temps d'avoir une pensée économique
46:25 et politique qui devait nous mettre à l'abri de cette situation.
46:28 C'est parce que les autres savent, ceux qui sont partis,
46:32 les sociétés, les nations esclavagistes et colonialistes
46:35 qui sont sortis par la fenêtre, qui reviennent par la porte,
46:39 qui disent... Et les autres,
46:41 quand ils parlent de la Russie, de la Chine et de la Turquie,
46:44 ils disent "les compétiteurs, les concurrents".
46:49 Ce qui veut dire quoi ? Ca veut dire que l'Afrique est une proie.
46:53 Donc les gagnants de ce système, ceux qui ont cru qu'ils gagnaient,
46:57 se bousculent, veulent occuper le terrain
46:59 pour que les autres ne viennent pas.
47:01 Qu'est-ce qu'on fait ? On va être là en train de dire
47:04 "Venez, il y a les terres, il y a les ressources, allons-y.
47:08 "Nous voulons nous développer comme vous."
47:11 Mais moi, j'ai pas envie de me développer comme eux,
47:13 d'autant plus que notre continent, on est un dépotoir.
47:16 Les déchets, moi, je ne vois que des déchets.
47:19 Je me suis battue toute ma vie pour les textiles africains.
47:22 Mais je ne vois que la friperie partout.
47:25 De Nairobi à Dakar, la plupart des boutiques,
47:29 nos jeunes ne vendent que des restes.
47:31 -Vous êtes en train de dire que l'écologie
47:35 est une chance pour l'Afrique. -Bien sûr.
47:38 -Elle pourrait être une chance pour l'Afrique
47:41 pourvu que ce soit pas le modèle capitaliste
47:43 congénitalement destructeur des humains,
47:47 de la cohésion sociale et du vivant.
47:49 -Ce qui n'empêche pas qu'il y ait du capitalisme
47:52 dans les pays africains comme ailleurs.
47:55 Un mot là-dessus, et on a terminé,
47:57 qu'Alex Beyala... -Oui, non, mais c'est vrai...
48:00 -Vous pensez que l'écologie est une chance ?
48:02 -L'Afrique n'a pas eu besoin du mot "écologie"
48:06 pour être écologiste.
48:07 Le peuple africain, autrefois,
48:09 naturellement, ne prenait de la nature
48:12 que ce dont il avait besoin. On ne prenait jamais plus.
48:15 Quand j'étais enfant de mes oncles,
48:17 quand ils allaient à la chasse, ils allaient ramener un gibier.
48:20 Pas parce qu'ils n'en avaient pas trouvé 10 ou 20, mais un.
48:24 Ils me demandaient le matin,
48:25 "Beyalba Sarduli", il m'appelait par mon tour,
48:28 "Qu'est-ce que tu veux manger aujourd'hui ?"
48:30 Je disais, "Je veux une biche."
48:32 Ils amenaient une biche pour tout le village, mais pas 10 biches.
48:36 Donc, on n'a pas eu besoin de l'Occident
48:38 pour pouvoir savoir ce qu'il faut faire
48:42 pour vivre en cohésion avec la nature.
48:45 Ça, c'est le premier point. Le deuxième point,
48:48 c'est qu'effectivement, comme le disait Amnata,
48:51 nous sommes devenus un depotoir
48:53 avec les vieilles voitures, la fiprierie,
48:58 les vieux frigos, les vieilles télévisions,
49:02 tout ce dont l'Occident n'a pas besoin.
49:04 Ils mettent ça dans les bateaux, ils viennent jeter ça chez nous,
49:07 mais on n'est pas encore autant pollués.
49:09 Nous allons faire un travail, et je suis confiante là-dessus,
49:12 pour balayer tout cela, réapprendre aux gens,
49:15 comme nos parents le faisaient autrefois, à marcher à pied.
49:18 On oublie que nous, on faisait 20 km pour aller à l'école.
49:21 Les jeunes Africains ont oublié ça.
49:23 On va repartir vers un autre type de développement.
49:26 Ça ne veut pas dire qu'on va réjeter ce qu'il y a de bon en Occident.
49:29 On va prendre tout ce que vous avez de bon,
49:31 et on va faire à notre façon
49:33 pour ne pas avoir ce que vous avez produit de mal.
49:37 C'est la chance que nous avons.
49:38 C'est pour ça que je suis contre ceux qui disent
49:41 qu'il faut réjeter totalement l'Occident.
49:43 Non, il y a de très belles choses, et nous allons les prendre.
49:45 Par exemple, le système de retraite, moi, je trouve ça très bien.
49:49 Et on va les appliquer.
49:50 Ou les lois sur le travail.
49:53 Il faudrait peut-être qu'on s'inspire de ça,
49:56 et que les travailleurs soient plus protégés.
49:58 La sécurité sociale, moi, j'aimerais bien qu'on ait ça chez nous.
50:02 Je veux dire que...
50:03 Mais il y a des choses que je n'aimerais pas,
50:05 le développement à tout prix, les immeubles partout,
50:08 parce que l'humain n'a pas besoin de tant de richesses,
50:13 de tant d'argent pour survivre.
50:15 Nous allons refuser cet aspect-là.
50:18 – Merci, écoutez, l'émission se termine là-dessus,
50:21 donc sur une Afrique qui serait, et qui est,
50:25 comme vous l'avez dit, en phase avec ce développement durable
50:30 et contre tous les gaspillages.
50:32 Alors, il me reste à vous présenter une bibliographie.
50:36 Aminata Traoré, vous avez publié, il y a quelques années,
50:40 "L'Eto'o ou l'Afrique dans un monde sans frontières".
50:43 Vous n'avez pas changé d'avis aujourd'hui ?
50:46 – Non.
50:47 – Non.
50:48 [Rires]
50:50 Vous pensez que l'Eto'o est toujours là ?
50:53 – Qu'il se resserre, mais on va se battre.
50:55 – Ah bon, bien, écoutez, alors je voudrais signaler
51:00 le livre d'Éric Toussaint, "Banque mondiale, une histoire critique".
51:06 Écoutez, c'est un livre qui est plein d'informations
51:10 sur les relations dont on a parlé entre l'Afrique
51:13 et les grandes institutions, et tous ces ajustements structurels
51:18 qui ont provoqué, comme ça a été dit au cours de cette émission,
51:22 de nombreux dégâts.
51:24 Alors, Antoine Glazer, vous avez publié, il y a quelques années,
51:28 avec Stephen Smith, "L'Afrique sans Africains".
51:32 – "Le rêve blanc du continent noir".
51:34 – "Le rêve blanc du continent noir",
51:36 et votre livre, "Le piège africain de Macron",
51:40 vient d'être publié chez Pluriel.
51:44 Quelle continuité il y a entre tous ces livres sur l'Afrique ?
51:49 Est-ce que c'est une mission, chez vous ?
51:53 – Non, c'est pas une mission, mais c'est vrai que quand j'entends
51:56 Aminata qui parle d'Afrique des potoirs,
51:59 c'est vrai que moi, ça me fait bondir.
52:01 Avant de s'occuper, je vais pas être critique
52:03 sur le voyage du président Macron en Gabon,
52:06 mais avant de dire que les grandes forêts du Gabon,
52:08 c'est vraiment les forêts, c'est les biens communs de l'humanité,
52:12 comme si ça appartenait pas aux Africains,
52:15 c'est les biens communs de tout le monde,
52:17 faut pas toucher à ces forêts, qu'on s'occupe déjà
52:19 de l'Afrique des potoirs.
52:21 – Antoine Glaser, un mot quand même,
52:23 quand on dit que les forêts sont des biens,
52:25 c'est dans la mesure où ils capturent le gaz carbonique.
52:29 – Oui, mais on dit que c'est les biens communs de l'humanité,
52:32 et à part ça, l'Afrique, finalement, a été très vertueuse
52:37 par rapport à l'ensemble du monde sur la pollution du monde,
52:40 et on va dire "ah bah faut toucher surtout pas à vos forêts,
52:43 parce que ça peut servir à tout le monde", ok ?
52:45 – Oui, mais là, on a…
52:46 – Non mais c'est là où il y a un vrai problème.
52:49 – Bien, Calix Béiala, vous avez publié il y a quelques années
52:53 "Les honneurs perdus"…
52:55 – Ou "Le crise dans l'Afrique" le plus récent.
52:58 – Ou "Le crise dans l'Afrique", tout ça,
53:02 vous restez finalement dans ce lignage africain,
53:06 quand vous écrivez, c'est l'Afrique qui écrit en vous,
53:10 où finalement, maintenant, comme vous vivez également en France,
53:15 est-ce que c'est le monde qui vous motive ?
53:18 – Il y a l'Afrique qui me motive, certes,
53:20 mais en même temps, j'appartiens au monde,
53:21 je veux dire que moi je crois plus en l'identité géographique des peuples
53:25 qu'à l'identité raciale, c'est-à-dire,
53:28 vous prenez un petit Européen, vous le mettez en Afrique,
53:30 pour moi c'est un Africain, parce que l'environnement dans lequel il vit
53:34 va faire de lui ce qu'il est, donc ce que je suis,
53:37 c'est un mélange de l'Afrique et de l'Europe,
53:40 et personne ne peut me le dénier, et mes enfants sont pareils,
53:44 et chaque être humain aujourd'hui dépend de son environnement,
53:47 et c'est pour ça que ceux qui parlent du grand remplacement
53:51 et de toutes ces conneries, j'appelle ça vraiment…
53:54 – Ce n'est pas au cœur de notre émission,
53:57 donc ignorons cet extrémisme-là.
54:01 – Ça fait partie, donc c'est pour dire tout simplement
54:04 que nous sommes tous ceux-là à la fois.
54:06 – Bien entendu. Sylvie Brunel, vous venez de publier
54:10 "Nourrir, cessons de maltraiter ceux qui nous font vivre",
54:14 nous aurons l'occasion de parler des paysans de l'agriculture,
54:19 mais pourquoi vous avez publié ce cri aujourd'hui ?
54:23 – Parce que dans le monde entier, on n'a jamais autant parlé
54:26 de l'arme alimentaire, de l'insécurité alimentaire,
54:29 qu'il y a dans le monde entier plus de 1,3 milliard de paysans
54:33 qui travaillent dur, qui nous nourrissent,
54:35 et que dans tous les pays, ils sont méprisés, ils sont critiqués,
54:40 alors que tous les enjeux aujourd'hui écologiques, énergétiques,
54:45 paysagers, patrimoniaux, et bien sûr nourriciers,
54:49 passent par eux, parce qu'ils travaillent avec le vivant,
54:51 et c'est particulièrement vrai sur le continent africain,
54:54 où les mégalopoles sont extrêmement importatrices de nourriture,
54:58 alors qu'on a encore plus de la moitié de la population
55:00 qui travaille dans les campagnes.
55:02 – Donc vous considérez aujourd'hui que l'alimentation est sacrifiée
55:08 au profit de la grosse industrialisation
55:11 et du capitalisme international ?
55:14 – Non, c'est pas ça.
55:15 – C'est pas ça ?
55:15 – Non, je considère que la souveraineté alimentaire,
55:17 c'est une question essentielle qui est revenue au premier plan
55:20 avec la pandémie, la guerre en Ukraine, l'inflation,
55:24 le fait que les exportations de la Russie et de l'Ukraine
55:27 ont été bloquées pendant très longtemps,
55:29 alors que vous le savez, la Russie est aujourd'hui
55:31 le premier producteur de blé au monde,
55:33 et que nous avons besoin aujourd'hui,
55:36 dans ce monde de plus en plus urbain,
55:39 de reconsidérer ces gens dans les campagnes qui trimbent dur,
55:42 comme l'a dit Calixte, qui élèvent des bêtes
55:45 et qui sont souvent considérés comme la dernière roue du carrosse.
55:48 – Merci donc pour cet éloge mérité de la paysannerie
55:52 et du monde agricole.
55:54 Il me reste à vous remercier, mesdames,
55:58 chère Antoine Glazer,
56:01 je voudrais remercier l'équipe de LCP
56:04 qui a permis la réalisation de cette émission,
56:08 et avant de nous quitter, je vous laisse
56:10 avec cette citation de Nicolas Baverez,
56:14 "L'Afrique a considérablement changé depuis la fin du XXe siècle,
56:19 elle participe à la naissance d'un Sud global."
56:23 [Générique]

Recommandations