"Etre une femme dans la musique, c'est galérer beaucoup" : ce sont les chiffres qui le disent (seulement 17% de femmes programmés en concerts et festivals), mais c'est aussi l'avis de Flore Benguigui, femme-orchestre à la fois chanteuse, autrice et compositrice de L'Impératrice, mais aussi productrice du podcast Cherchez La femme.
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00:00 Je pense que toutes les femmes dans la musique sont des patronnes.
00:02 Parce que pour être arrivée là, il faut en avoir chié quand même.
00:05 Il faut être passée par des trucs hardcore.
00:07 Et une fois qu'on est là, on est des patronnes et on s'entraide entre nous, comme les patrons le font en fait.
00:12 Je m'appelle Flore Benguigui.
00:25 Je suis chanteuse, autrice, compositrice dans un groupe qui s'appelle L'Impératrice.
00:30 Je suis aussi pro-écritrice de podcast, j'ai mon propre podcast qui s'appelle "Cherchez la femme".
00:35 Et qui a ses propres soirées maintenant, depuis janvier 2023.
00:40 Le mot patronne pour moi c'est un mot très fort, parce que j'ai l'impression que les patronnes c'est un mot qui fait peur à la société patriarcale.
00:46 A ce qu'on nous a appris à être en tant que femme.
00:49 Et donc pas être un poste de pouvoir, pas prendre nos propres décisions.
00:53 C'est vrai que moi on me qualifie souvent en tant que chanteuse de L'Impératrice.
00:58 Et je me suis moi-même qualifiée comme ça pendant très longtemps.
01:01 C'est quand j'ai commencé à faire mon podcast en fait, que j'ai commencé à me qualifier comme chanteuse, autrice, compositrice.
01:08 Aussi parce que j'ai remarqué que quand on est en interview, souvent les gens pensent que c'est pas moi qui écris mes textes ou qui compose mes mélodies de voix.
01:15 Alors que c'est le cas.
01:17 Et je pense que tout ça est aussi lié à mon syndrome de l'imposteur, qui fait que j'ai toujours besoin de me justifier et d'ajouter tous mes qualificatifs pour me sentir légitime d'être à cette place.
01:29 Moi je ne suis pas leadeuse de L'Impératrice.
01:32 C'est vrai que ça porte à confusion, parce que c'est un nom féminin.
01:35 Je suis effectivement devant, sur scène, c'est moi qui m'adresse au public, etc.
01:39 Je ne suis pas du tout leadeuse, mais par contre je participe autant que les autres.
01:42 Au sens où j'écris mes parties de voix, comme les autres écrivent leurs parties d'instruments.
01:46 Moi je ne viens pas d'une famille de musiciens du tout, mais j'ai commencé la musique assez tôt, à 6 ans.
01:52 Mes parents, je pense, ne considéraient pas vraiment ça comme un métier, et du coup moi non plus.
01:57 Et donc je me suis orientée vers le jazz d'abord, mais assez tard finalement.
02:00 J'ai commencé à être chanteuse de jazz quand j'avais à peu près 15 ans, et après j'ai commencé à vraiment prendre des cours de chant, entrer en conservatoire de jazz quand j'avais 19 ans.
02:07 Être une femme dans le jazz, il y a quelque chose de... Effectivement on a une double peine, parce que quand tu arrives dans un club de jazz,
02:15 déjà en plus c'est la nuit, tu vas de nuit dans un endroit qui est peuplé d'hommes, les clubs de jazz, 81% c'est des mecs.
02:22 Et donc quand tu arrives sur scène, tu sens qu'il y a ce... Déjà on regarde ton physique, on juge ton physique, on juge ta voix,
02:29 et surtout on juge ta capacité de musicienne, parce que les chanteuses sont considérées comme des sous-musiciennes.
02:36 Moi ça je l'ai beaucoup senti, c'est-à-dire que même j'en ai parlé avec des ingénieurs du son, femmes,
02:42 les chanteuses qui sont en studio c'est vraiment la chanteuse de service.
02:45 C'est-à-dire que c'est terrible.
02:47 Tous les clichés les plus rabaissants qu'il peut y avoir sur les chanteuses, et sur le fait qu'on n'est pas musicienne, qu'on chante trop bas,
02:52 qu'on n'a pas assez confiance en nous, ou alors qu'on est complètement imbues de nous-mêmes, qu'on fait des caprices,
03:01 tous ces clichés là c'est terrible parce que dès que tu arrives sur une scène, tu as ce poids là, que tu dois porter,
03:08 et tu essayes de montrer que "non, je ne suis pas comme ça".
03:11 Moi je pensais que c'était typique du jazz, et je pensais que la musique pop était beaucoup plus tolérante aussi,
03:16 parce qu'on a l'impression qu'il y a beaucoup plus de femmes dans la musique pop.
03:21 Spontanément parce qu'on se dit "ah mais j'écoute quand même, il y a beaucoup de femmes chanteuses",
03:25 alors qu'en fait si on regarde les chiffres, les femmes chanteuses c'est moins de 20%.
03:30 Quand on est dans ce milieu on voit très bien que le sexisme dans la pop est tout aussi présent que dans le jazz.
03:36 Du jazz je suis passée dans un groupe de disco-jazz avec lequel ça s'est très mal passé,
03:42 et j'ai fini par arriver dans l'impératrice.
03:46 Et évidemment, pendant toutes ces années, c'était le début de ma vingtaine,
03:51 j'ai rencontré des hommes qui sont très installés dans ce milieu et qui étaient extrêmement toxiques,
03:59 j'ai réussi quand même à faire mon petit chemin, tant mieux que mal.
04:02 Et quand je suis arrivée dans l'impératrice, j'ai compris ce que c'était d'être dans un groupe avec des gens sains,
04:09 avec des gens qui ne sont pas là pour commenter mon physique, pour utiliser mon physique,
04:13 ou le fait que je sois une femme, qui sont là pour écouter aussi mes idées et ce que j'ai à proposer musicalement,
04:19 parce qu'avant ce n'était pas vraiment le cas.
04:21 Et c'est le fait d'arriver là et de me sentir beaucoup plus à ma place qui m'a permis de me dire
04:27 que tout ce que j'avais traversé avant ça n'allait pas et qu'il fallait faire quelque chose.
04:31 Je me suis fait virer après le premier concert par le leader du groupe qui m'a dit
04:35 "écoute Flore, moi ça ne m'intéresse pas du tout la manière dont tu chantes,
04:39 moi tout ce qui m'intéresse c'est que tout le monde a envie de te baiser".
04:41 Quand j'ai commencé à prendre la parole sur ce sujet, j'ai pas du tout réfléchi au fait d'être cataloguée.
04:46 C'est en fait les autres autour de moi qui m'ont dit "attention, tu vas devenir la féministe de service".
04:53 Et sur le coup ça m'a un peu énervé même qu'on me dise ça, parce que je n'aime pas trop qu'on me dise ce que je dois faire.
04:58 Mais je n'avais pas envie de trop réfléchir je pense aussi, parce que je pense qu'il y a beaucoup de femmes qui ont peur de parler,
05:03 qui ne sont pas dans des positions de force et qui ont beaucoup plus de risques en fait.
05:09 Moi je me suis dit "mon risque il est pas énorme, on a notre petite notoriété".
05:13 Mais je me suis dit "c'est suffisant pour essayer de débloquer cette parole".
05:19 Mais je ne me suis pas dit que ça allait m'entraîner dans un gouffre.
05:24 J'évite de taper mon nom sur Google, mais je sais très bien que quand on tape mon nom sur Google,
05:29 les premiers trucs qui sortent c'est ma taille.
05:31 Si je suis la fille de Jean-Benguigui, parce que les gens pensent que je ne serais pas arrivée là où je suis si je n'étais pas la fille d'un acteur.
05:37 C'est pas vrai.
05:39 Donc de toute façon, c'est terriblement réducteur en fait.
05:42 La vision qu'Internet, que Google a de moi, de toute manière je sais très bien que ça va être réduit à quelque chose d'un peu sensationnaliste.
05:49 Évidemment, je sais que ça me met dans une case.
05:54 Aujourd'hui j'ai un peu accepté ça au sens où je préfère être dans cette case là, au pire si je dois être dans une case,
05:59 et ouvrir ma gueule plutôt que d'être la petite chanteuse polie qui fait des photos de mode ou je sais pas quoi.
06:06 Mais qui n'a rien à dire.
06:08 Écrire "Pair des filles" pour moi c'était une façon de parler de ça de façon moins frontale que mes prises de parole.
06:22 Je pense que pour contrer toute cette violence, c'est important de se ménager des zones de douceur et d'entraide.
06:29 C'est important de parler des choses frontalement pour moi, mais aussi de prendre une direction parfois plus légère.
06:37 Et "Pair des filles" ça pouvait être un exemple.
06:40 Et mon podcast pour moi c'est une zone de liberté totale.
06:45 C'est à dire que je fais "Chercher la femme" sur Tzouky depuis 2021.
06:48 Il me laisse complètement carte blanche.
06:51 Donc je fais ce que je veux, je raconte mes blagues pourries dedans.
06:54 Je raconte les histoires des femmes que je veux.
06:56 Et les soirées "Chercher la femme" c'est pousser encore ce truc plus loin.
07:00 Parce que c'est des moments où il y a des tables rondes où on va parler des sujets importants.
07:05 On va parfois évoquer des choses graves.
07:07 Mais après il y a des showcases, il y a des DJ sets.
07:09 Donc on va boire des coups, on va danser, on va se rencontrer.
07:13 Donc c'est vraiment se ménager des espaces de fêtes et d'entraide et d'amitié.
07:20 Parce que être une femme dans la musique c'est galérer beaucoup.
07:25 Se prendre des sacrés murs.
07:27 Mais c'est aussi faire des rencontres incroyables.
07:30 Il y a plein de femmes dans ce milieu.
07:32 On ne les voit pas mais il y en a plein.
07:34 Et les liens qu'elles peuvent tisser entre elles.
07:36 Et l'entraide qu'elles peuvent s'apporter.
07:38 C'est énorme et surtout c'est un pouvoir de fou.
07:42 Je ne pense pas que tout ça aurait pu exister sans les réseaux sociaux.
07:45 Ou en tout cas sans internet en général.
07:48 Parce que pour moi ce qu'il y a de plus important c'est la mise en lien.
07:53 Et aussi c'est quelque chose que j'expérimente de façon très récente.
07:58 Je me suis surprise récemment à beaucoup plus partager des choses faites par des femmes sur mes réseaux qu'avant.
08:12 Quand je voyais d'autres chanteuses sortir des choses,
08:15 j'étais dans une position de peur.
08:18 Je me disais "ah mince, c'est trop bien, mais moi ce n'est pas assez bien ce que je fais".
08:24 Encore ce truc de comparaison qui nous bloque toutes.
08:28 Et qui pousse notre syndrome de l'imposteur au max.
08:32 Et je pense que vraiment maintenant j'ai changé de vision.
08:35 Grâce à toutes ces femmes que j'ai rencontrées.
08:38 Et au féminisme.
08:40 Et toutes les choses que j'ai pu lire sur le sujet.
08:44 Mais il y a un long chemin à faire.
08:46 [Musique]
08:56 Sous-titres réalisés para la communauté d'Amara.org