• l’année dernière
Paul Molac, député "Libertés, Indépendants, Outre-mer et Territoires" du Morbihan. Il est têtu comme un breton... Ça tombe bien. Paulo Molac a consacré l'essentiel de sa vie à défendre la langue et la culture bretonne. Y compris au Palais Bourbon.

Pourquoi s'engage-t-on en politique ? Comment tombe-t-on dans le grand chaudron de l'Assemblée ?
Chaque jour, Clément Méric, dans un entretien en tête à tête de 13 minutes, interroge un parlementaire sur les personnalités, les évènements - historiques ou personnels - qui l'ont conduit à choisir la vie publique.
Car on ne naît pas politique, on le devient !

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Transcription
00:00 Il est têtu comme un Breton, et ça tombe bien.
00:03 Mon invité a passé l'essentiel de sa vie
00:05 à défendre la langue et la culture bretonnes,
00:08 y compris au Palais Bourbon.
00:09 Bonjour, Paul Molac. -Bonjour.
00:27 -Alors, le 8 avril 2021,
00:29 avec quelques collègues députés,
00:31 vous vous êtes rendu sur les marches du Palais Bourbon
00:34 et vous avez entonné ces quelques notes.
00:36 (Il chante en breton)
00:38 (Il chante en breton)
00:42 (Il chante en breton)
00:46 (Il chante en breton)
00:50 -Bravo !
00:51 -Donc, ça, c'est l'hymne breton, "Brogoz Mazadou".
00:55 C'était pour célébrer l'adoption de votre loi
00:58 sur l'enseignement des langues régionales à l'école.
01:00 C'est une loi, pour faire simple, qui permet à un élève en Bretagne
01:04 d'apprendre les maths ou la géographie en breton.
01:07 Ca s'appelle l'enseignement immersif.
01:09 Moi, ce que je veux savoir, c'est ce que vous célébrez ce jour-là
01:13 sur les marches du Palais Bourbon, c'est quoi ?
01:15 C'est une victoire contre quoi ?
01:17 -Je pense que c'est une victoire de la démocratie,
01:19 c'est une victoire des territoires sur la technocratie.
01:22 -Sur la technocratie et sur une certaine conception
01:24 de la République, celle portée par Jean-Michel Blanquer ?
01:27 -Voilà, sur une norme qui serait définie par l'Etat
01:30 et qui devrait s'imposer à tout le monde,
01:32 y compris dans ce que vous devez parler
01:34 ou quasiment ce que vous devez être.
01:36 Donc, on sort de la politique, là, quelque part,
01:39 pour s'attacher à façonner le citoyen,
01:41 y compris sa culture, en fonction d'une norme
01:44 qui viendrait de Paris, ce qui a été fait bien souvent.
01:47 Et nous, on dit qu'on a aussi une langue.
01:49 -Oui, mais je parlais d'une certaine conception de la République,
01:52 celle de Jean-Michel Blanquer,
01:54 vous êtes opposé assez violemment à lui.
01:57 Il était ministre de l'Education nationale,
01:59 et il a appelé la majorité à rejeter votre loi.
02:02 Il n'a pas été entendu.
02:03 -Non, il n'a pas été entendu,
02:05 puisque les deux tiers du groupe LREM de l'époque
02:08 ont voté la loi.
02:09 Mais c'est une conception, en fait, de l'Etat,
02:11 et c'est l'Etat, comme il le dit lui-même, d'ailleurs,
02:14 en France, c'est l'Etat qui fait le citoyen.
02:17 Moi, je pense qu'en démocratie, c'est le citoyen qui fait l'Etat.
02:21 -On va en parler un peu plus tard,
02:23 mais pour en revenir à cet hymne breton
02:25 sur les marges du Palais-Bourbon,
02:27 on sent chez vous un côté un peu provocateur,
02:29 comme si vous aimez bien défier l'autorité, le pouvoir central.
02:33 -J'ai toujours été un peu comme ça,
02:35 d'ailleurs, mes enseignants s'en plaignaient.
02:37 C'est un pur hasard, les collègues m'ont dit
02:40 qu'il faudrait chanter quelque chose en breton.
02:42 J'ai dit, bon, il y a bien des chansons à boire,
02:45 mais c'était pas le lieu.
02:47 Je me suis dit, le seul air qu'ils doivent connaître
02:50 avec quelques paroles, ça doit être le brogos, donc j'y vais.
02:53 -Volfort, un hymne régional, national, pour vous.
02:57 -Alors, oui, mais si vous regardez les Galois, par exemple,
03:01 ça leur pose aucun problème, parce qu'on a le même air,
03:04 avec les mêmes paroles, eux en Galois, nous en breton,
03:07 et ça pose aucun problème quand ils le chantent là-bas.
03:11 Bon, c'est pas tourné contre quelqu'un.
03:13 C'est... On dit, bon, on dit ce qu'on est,
03:16 mais il faut pas le voir comme un nationalisme belliqueux,
03:20 revengeur ou quoi que ce soit.
03:22 Non, c'est pas ça.
03:23 -Vous êtes engagé à 17 ans dans la défense de la culture,
03:26 de l'identité bretonne.
03:28 Vous avez commencé à recueillir des traditions orales
03:31 du Pays-Galop, d'où vous êtes originaire,
03:34 et au même âge, à peu près, vous vous êtes inscrit
03:36 au cours du soir pour apprendre la langue bretonne.
03:39 Pourquoi, soudainement, ce besoin de vous tourner
03:42 vers cette identité bretonne ?
03:44 -J'avais, dans mon parcours scolaire,
03:46 je m'étais un peu interrogé sur le fait que nous étions en Bretagne
03:51 et qu'on ne m'en parlait jamais à l'école.
03:53 Ca me paraissait un peu bizarre,
03:55 et donc j'ai commencé par chercher moi-même.
03:57 J'ai demandé à Noël, quand j'étais en cinquième,
04:00 un bouquin d'histoire de Bretagne,
04:02 parce qu'il y en avait pas énormément,
04:04 y avait pas énormément de bibliothèques.
04:06 Donc mes parents ont pris, dans la librairie du coin,
04:10 et donc j'ai lu l'histoire de Bretagne,
04:12 et effectivement, que j'ignorais.
04:14 Je crois qu'une partie de mon combat est partie de là aussi.
04:18 -Sur la langue bretonne,
04:19 c'est une langue qu'on parle encore dans le Finistère,
04:22 mais vous, vous êtes du Morbihan,
04:24 et dans votre département, on parle plus le breton
04:27 depuis cinq siècles, je crois.
04:29 Pourquoi vouloir vous raccrocher à une langue
04:31 qui n'est plus ancrée dans votre territoire ?
04:34 -Sur Pleurnel, oui, mais dans le reste du Morbihan, non.
04:37 Je suis pas très loin de la zone historique,
04:39 qu'on appelle Basse-Bretagne.
04:41 Et puis, comme je le dis, je m'appelle Molac,
04:44 c'est un nom breton, je suis né à Pleurnel,
04:46 j'habite à Taupont, c'est un nom breton.
04:49 -Il y a un village qui s'appelle Molac.
04:51 -Pour ce qui est de ce gilet que vous portez
04:53 sous votre veste, c'est un gilet breton,
04:56 on appelle ça le "glasic", je crois.
04:58 Vous le portez dans l'hémicycle depuis votre réélection en 2022,
05:01 vous le portez même sur la photo officielle
05:04 qui a été prise de vous à l'Assemblée.
05:06 C'est un geste politique, mais ce gilet
05:08 ne fait pas partie de vos traditions locales,
05:11 c'est un gilet qui vient du Finistère, de Quimper.
05:14 -Oui, alors, quand j'ai vu...
05:16 -Ma question, c'est, est-ce que c'est pas un peu artificiel ?
05:19 Il y a pas un côté folklore derrière tout ça ?
05:21 -Le problème, les traditions, vous savez, ça se modifie.
05:25 On croit que c'est figé, mais en fait, non.
05:27 A l'Assemblée nationale, je voulais pas quelque chose
05:30 qui soit noir, parce que déjà que c'est gris
05:32 et que c'est un bleu souvent profond,
05:35 je me suis dit qu'il fallait trouver quelque chose
05:37 avec un peu de couleur, etc.
05:39 Chez nous, il y en avait pas vraiment,
05:41 ou alors en broderie, donc je suis allé puiser
05:44 dans la tradition cornoyaise, où c'est un bleu,
05:47 quelquefois, ça peut être rouge, d'ailleurs.
05:49 Quand j'ai vu mon collègue Motaï,
05:51 qui vient de Polynésie,
05:53 avec sa chemise à fleurs,
05:55 avec son espèce de kilt,
05:57 je me suis dit, bon, il faut qu'on change un peu,
06:00 parce que là, on est tous un peu... Ca fait un peu corbeau.
06:03 -Vous avez trouvé un débouché politique à ce combat en 2012.
06:07 Vous avez été investi aux législatives,
06:09 chez vous, dans le Morbihan, avec le soutien du PS,
06:12 d'Europe Ecologie et de l'UDB, l'Union démocratique bretonne.
06:15 On est un peu venu vous chercher, mais finalement,
06:18 la politique, c'est la suite logique du combat que vous menez ?
06:21 -Oui, mais jusque-là, j'avais pas cherché forcément à être élu.
06:25 C'est-à-dire que j'avais plutôt cherché
06:28 à travailler dans les associations,
06:31 et j'étais effectivement, comme ça, devenu président
06:34 de l'Association pour l'enseignement du Breton
06:37 à l'école publique, au niveau Bretagne,
06:39 et je travaillais comme ça, parce que je me voyais pas...
06:43 -Peut-être trop indépendant pour être dans un parti politique.
06:46 -On va en parler. Une fois élu à l'Assemblée,
06:48 vous avez poursuivi votre combat pour la défense des langues régionales.
06:52 On va regarder.
06:54 -Le fait que la République lit bien souvent la langue française
06:58 avec la citoyenneté m'a toujours paru curieux.
07:02 Il n'empêche que quand le français est bien sûr la langue commune,
07:06 et on le comprend bien,
07:07 mais je dirais que...
07:09 (Il parle en breton.)
07:13 Donc, la langue de mon coeur et de mon âme est bien le breton.
07:17 Ca ne fait pas de moi un français pire que les autres,
07:21 pas forcément meilleur non plus, d'ailleurs,
07:24 mais la langue ne fait pas le citoyen.
07:27 -Vous dites "la langue ne fait pas le citoyen",
07:29 et vous allez même un peu plus loin,
07:31 dans une interview à West France, en vous définissant
07:34 comme un citoyen français de nationalité bretonne.
07:38 Ca veut dire que vous ne vous reconnaissez pas
07:40 dans la nation française ?
07:41 -Je pense que la nation française est plurielle.
07:46 Ca veut dire que la nation française n'est pas le clone
07:50 ou la norme que l'Etat a voulu nous imposer.
07:53 -Vous vous identifiez à cette pluralité,
07:55 de la nation française en tant que telle ?
07:58 -Oui, bien sûr.
07:59 Il faut bien faire une différence entre ce qui est
08:02 nos droits politiques, que nous exerçons ensemble,
08:05 et, pour l'intérêt général, je l'espère,
08:08 ça, c'est le politique.
08:09 Je dis bien que je suis citoyen français,
08:12 parce que je m'inscris dans cette chose politique.
08:15 Après, la nation, c'est ce qui est...
08:19 Ce qui m'est propre.
08:20 Et donc, quand...
08:22 Et de dire qu'il n'y a qu'une seule nation en France,
08:26 moi, je prendrais les paroles de Pierre Jox
08:28 sur le statut de la Corse,
08:30 "peuple corse, partie intégrante du peuple français".
08:33 -Vous partagez un destin commun, un projet commun ?
08:36 Vous ressentez ça vis-à-vis de l'ensemble du territoire français ?
08:40 -Oui. Nous partageons des choses en tant que Français,
08:43 mais nous partageons aussi en tant que Breton.
08:46 -Moi, si j'ai envie de devenir Breton,
08:48 dans votre conception de la nationalité,
08:50 je peux ? Qu'est-ce qu'il faut faire ?
08:52 -Vous habitez en Bretagne ? -Si je veux, je peux.
08:55 -Vous êtes Breton, c'est tout. -Très bien.
08:58 -C'est très simple. On est sur un territoire.
09:01 Il suinte d'une histoire, d'une culture.
09:03 Vous venez là, vous faites avec les autres,
09:06 vous en faites le Breton. -Parti.
09:08 Vous avez été membre des groupes écologistes, socialistes,
09:11 La République en marche et enfin Liberté et Territoire,
09:14 qui est devenu l'IOT. Vous n'avez jamais édéré un parti.
09:17 Vous l'avez évoqué, mais pourquoi ?
09:19 -Je me sens pas à l'aise dans les partis.
09:22 J'aime pas les embrigadements
09:24 où on vous dit qu'il faut faire comme ça.
09:26 En général, on trouve des petits chefs
09:28 qui vous disent ce que vous devez faire.
09:31 Et ça, je suis un peu trop indépendant pour ça.
09:34 -C'est pour ça que vous avez quitté
09:37 le groupe écologiste, le groupe socialiste,
09:39 et en 2017, vous avez assez rapidement quitté
09:42 La République en marche. -Le groupe écologiste
09:44 ne l'est pas quitté, c'est lui qui a implosé.
09:47 Je me suis retrouvé sans groupe. Il a fallu que je trouve
09:50 quelque chose. -En 2017,
09:51 vous êtes dans La République en marche,
09:54 et très rapidement, vous vous sentez mal à l'aise.
09:57 -Oui. -Vous dites que vous avez découvert
09:59 des parlementaires dociles qui n'ont pas cherché
10:02 à assumer leur pouvoir. -Oui.
10:04 -Ca, ça vous a agacé ?
10:06 -Oui, parce qu'un député n'est pas là
10:08 pour soutenir le gouvernement.
10:10 Il est là parce qu'il y a une séparation des pouvoirs.
10:14 On revient au philosophe. -Mais s'il soutient pas
10:17 le gouvernement, y a plus de majorité.
10:19 -Vous pouvez soutenir le gouvernement
10:22 en lui expliquant que certaines choses ne sont pas possibles.
10:25 -C'est-à-dire que vous n'aviez pas votre mot à dire ?
10:28 -C'était le cas.
10:29 -Aujourd'hui, vous êtes dans le groupe Liott,
10:32 qui rassemble des élus corses, des ultramarins,
10:35 pas mal d'élus en rupture avec leur famille politique d'origine.
10:39 On a l'impression que votre point commun à tous
10:42 est d'être un peu incasable, au sens propre du terme.
10:45 Vous rentrez pas dans les cases, mais ça fait une ligne politique ?
10:49 -Si vous regardez nos votes, vous verrez que oui.
10:51 -Il y a une certaine liberté de vote au sein de ce groupe.
10:55 -Il y a une liberté de vote, mais quand on regarde bien,
10:58 on se retrouve à peu près sur ces questions dont on parle.
11:02 En fait, ce qui nous caractérise, je crois,
11:04 c'est un grand pragmatisme.
11:06 Donc, les grandes idées, c'est bien,
11:08 mais si elles s'incarnent pas avec des choses réelles,
11:11 c'est du blabla.
11:13 Donc, ça, on est là-dessus.
11:15 On a tous une sensibilité par rapport à nos territoires d'origine.
11:19 -C'est intrinsèque au groupe Liott.
11:22 -C'est intrinsèque au groupe Liott.
11:25 -On est à l'heure de notre quiz.
11:26 Je vous explique le principe.
11:28 Je vais commencer des phrases, ça va être à vous de les terminer.
11:32 On y va ? On commence.
11:33 Quand un député breton rencontre un député corse...
11:36 -Ils se parlent. -Ils se parlent en quelle langue ?
11:41 -Ils se parlent en français et ils se comprennent.
11:44 -D'accord. -Très souvent.
11:45 J'aurais gagné mon combat, le combat pour la culture bretonne,
11:49 le jour où... -Le jour où on proposera
11:51 l'enseignement du breton dans toutes les écoles en Bretagne.
11:55 Ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. -Non.
11:57 -Entre chanter sur scène ou prendre la parole dans l'hémicycle,
12:02 si vous deviez choisir.
12:05 -C'est plus plaisant de chanter sur scène.
12:08 Dans l'hémicycle, on défend des choses
12:10 qui sont de l'organisation globale.
12:13 -Qu'est-ce qui vous tient le plus à coeur ?
12:15 Vous êtes chanteur dans un groupe breton, Ferzaé.
12:18 -Oui, Ferzaé.
12:19 Oui, les deux me tiennent à coeur.
12:22 C'est complémentaire.
12:25 -On va écouter quelques notes, justement.
12:27 Vous allez sans doute les reconnaître.
12:30 "La Ridée de Josselin", de Ferzaé
12:32 ...
12:35 Vous retrouvez ?
12:36 ...
12:38 C'est vous qui chantez.
12:39 "La Ridé de Guybert". -De Josselin, en fait.
12:42 -Ah, de Josselin.
12:43 Ca fera partie de votre vie après l'Assemblée nationale.
12:46 -Ca fera partie de ma vie jusqu'au moment
12:49 où je ne pourrai plus monter sur scène.
12:51 -On va terminer en musique.
12:53 Merci, Paul Molac, d'être venu dans "La Politique et moi".
12:56 -Merci beaucoup de m'avoir invité.
12:58 ...
13:17 [SILENCE]

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