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Acteur, réalisateur et humoriste, Michel Boujenah a plusieurs casquettes. Franco-tunisien et juif, il place la question de l'identité au cœur de sa vie, marquée par un départ précipité de sa Tunisie natale, et par l'antisémitisme. Actuellement au théâtre de la Madeleine pour “Adieu les Magnifiques” (jusqu'au 16 avril), l’humoriste se livre dans "La Face Katché". Face à Manu Katché, il revient sur son enfance et son questionnement autour du judaïsme, qui a jalonné sa vie.Légende de la batterie et juré emblématique de "Nouvelle Star", Manu Katché joue avec les plus grands (Sting, Peter Gabriel, Jonasz, Cabrel, Youssou N'dour, Souchon, etc.). Pour Yahoo, et en exclusivité dans la "Face Katché", il a voulu partir à la rencontre de personnalités issues de la diversité, célèbres ou anonymes. Leurs histoires, bouleversantes, inspirantes, leurs parcours de vie : ils se livrent au plus célèbre batteur de France.Retrouvez tous les épisodes de La Face Katché sur Yahoo

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Transcription
00:00 Les juifs sont toujours dans le monde dit judéo-chrétien, on est toujours au nœud d'un conflit.
00:07 Putain de merde !
00:11 Toujours, mais depuis la nuit des temps, j'ai l'impression que chaque fois qu'il y a un problème, on est dans le coup.
00:17 Ou alors on nous a mis dans le coup.
00:19 Michel, tu es né à Tunis.
00:27 Oui.
00:28 Après tu vas développer, je voudrais bien connaître un petit peu l'environnement familial avec les frères, papa, maman, etc.
00:33 On est quatre, quatre garçons.
00:35 Les grands souvenirs que j'ai, c'est tomber malade pour que mon père s'occupe de moi puisqu'il était médecin.
00:42 Et les moments magnifiques, évidemment, c'était une fois tous les quinze jours, j'allais au cinéma avec ma mère.
00:49 Ou au théâtre.
00:51 Et j'avais ma mère que pour moi.
00:53 Ça, dans une famille nombreuse, ça n'a pas de prix.
00:58 Et puis j'ai aussi des souvenirs avec mon frère aîné direct, notamment la première projection de Spartacus et Hannibal.
01:08 Ah oui ?
01:09 Oui, parce que moi à l'école, j'ai appris Nos ancêtres les Gaulois.
01:12 D'accord ? J'avais du mal à le croire, mais enfin bon, va que je te pousse.
01:16 Ils m'ont dit que c'était Mes ancêtres les Gaulois, c'était Mes ancêtres les Gaulois.
01:19 Et un jour, il y a un film qui s'appelle Hannibal avec Victor Mathur.
01:23 Et donc je suis retourné à l'école le lendemain en disant, c'est des conneries vos histoires de Gaulois.
01:28 Moi, mon ancêtre, c'est Hannibal. J'étais super fier.
01:31 Carthaginois.
01:32 Et on m'a renvoyé de l'école pendant une semaine.
01:34 J'en ai beaucoup souffert parce que je le vivais comme une injustice.
01:37 C'était avant l'indépendance.
01:38 Et à quel moment on t'a expliqué où la religion est entrée dans la maison, de quelle manière, comment toi tu l'as...
01:44 Il y avait très peu de religion chez moi. Parce que mon père, dans sa jeunesse, il a été communiste.
01:49 Il a déchiré sa carte quand les chars sont rentrés à Budapest.
01:52 La religion, c'était mon grand-père.
01:54 C'était le vendredi soir, le shabbat. On allait manger chez mon grand-père.
01:58 Et c'est des souvenirs très, pour moi, c'est contradictoire.
02:02 A la fois, putain, fallait sortir, fallait machin, fallait truc, on était fatigué.
02:07 Et en même temps, il y a l'autre versant de ce souvenir qui est ce moment de partage.
02:14 La religion, chez nous, c'est plus un mode de vie qu'une pratique religieuse.
02:19 C'est les fêtes, c'est un kiff.
02:21 Ce qui est votre cas.
02:22 Il y a aussi dans le judaïsme une chose très importante, c'est qu'il n'y a pas que la religion.
02:26 Il y a la philosophie.
02:29 Le Talmud, c'est un livre qui interprète la Bible.
02:34 Donc c'est des mecs, depuis toujours, ils ont des discussions sur, d'après toi, est-ce que Dieu existe ou pas ?
02:40 À mon avis, il n'existe pas.
02:42 À la fin, ils disent, bon, peut-être qu'on a tort.
02:44 Mais pendant le temps qu'ils veulent, ils discutent de tout.
02:48 Et c'est une réflexion formidable sur les hommes, sur la vie, sur la mort, sur les croyants, sur tout.
02:57 Et il y a une phrase dans le Talmud qui dit "Jette ton bâton en l'air, il retombe toujours à la même place."
03:01 Tu ne peux pas éviter qui tu es.
03:03 Et si tu évites qui tu es, si tu oublies ce que tu es, d'où tu viens,
03:07 quel que soit ta destinée et quel que soit l'enrichissement que ta destinée t'a apporté,
03:13 toi, tu es allé dans le monde entier, tu fais de la musique avec des gens très éloignés de ta culture de départ,
03:21 mais tu restes qui tu es.
03:23 Ça m'obsède, cette histoire d'identitaire.
03:26 Mais je n'essaye pas de l'écrire par rapport à la religion.
03:29 J'essaye de l'écrire en ce moment par rapport à la condition sociale.
03:34 Tu sors d'un mec qui vient d'un milieu très pauvre, son père est mort, enterré au quartier des indigents,
03:41 adolescent, il a fait de la taule, et puis il est parti dans le nord, il venait du sud de la France, dans le nord.
03:51 Et là, il ne dit à personne d'où il vient, qui il est, et il devient riche.
03:55 En étant un salaud, mais il devient riche.
03:58 Et il ne veut plus entendre parler de la pauvreté.
04:01 Des gens comme ça, j'en connais.
04:03 C'est la même chose avec la paysannerie.
04:05 Des gens qui ont de la terre sur les mains, même dans les yeux, ils ont de la terre, ces gens-là.
04:11 Ils ne veulent pas la montrer.
04:14 Parce qu'ils ont vécu beaucoup de souffrances liées à la paysannerie.
04:20 C'est compliqué dans une vie d'assumer qui on est.
04:24 Et de comprendre que c'est ça la liberté.
04:27 Il y a plein de gens qui pensent qu'il faut s'en séparer pour être libre.
04:33 C'est une erreur extraordinaire.
04:35 Au contraire, la liberté c'est d'assumer qui on est.
04:38 Mais dans ce que tu dis, ce que tu inclues aussi effectivement,
04:41 même si tu n'es pas pratiquant à 1000% de ta religion, est-ce que tu y inclues la religion ?
04:45 Ce que je sais, c'est que dans les moments importants,
04:50 je me surprends à regarder le ciel en disant "Bon d'accord, ok, je ne suis pas sûr que tu existes,
04:55 je n'ai pas la preuve, parce que je suis très cartésien moi.
04:58 Mais bon, si jamais je me trompe, s'il y a une chance sur un milliard pour que je me trompe,
05:03 j'ai un oeil sur mon fils, sur ma fille, sur les gens que j'aime.
05:08 J'ai beaucoup de relations avec des rabbins.
05:11 Il y en avait un, il était rabbin, mais surtout professeur de pensée juive.
05:15 Il me dit "Tu te rends compte ? Tu sais ce que c'est croire en Dieu ?"
05:19 Il me dit "C'est croire, on n'est pas sûr.
05:23 Si tu es sûr que Dieu existe, tu dis "Je crois en Dieu".
05:27 Ça reste une croyance.
05:29 Il me dit "C'est comme si tu grimpes une dune, et on te dit que derrière la dune, il y a la mer.
05:34 Mais on grimpe cette dune depuis la nuit des temps,
05:37 et personne, personne n'a été en haut pour voir s'il y avait la mer de l'autre côté.
05:43 Or, on grimpe cette dune en étant sûr qu'il y a la mer de l'autre côté,
05:46 en croyant qu'il y a la mer de l'autre côté de la dune."
05:49 Il me dit "On n'est pas cons nous ?"
05:51 C'est une belle image en même temps.
05:52 Oui, c'est magnifique.
05:53 Il dit "Bon, mais si le fait de grimper cette dune, ça nous rend meilleurs,
05:58 est-ce qu'on a tort de la grimper ?
06:00 Après tu dis "Oui, mais quand même, dans l'histoire des hommes,
06:04 la religion a été un outil d'oppression et de meurtre incroyable."
06:09 Il me dit "D'accord."
06:11 Je dis "Dans ces conditions, on peut considérer que les marxistes avaient pas tort
06:15 de dire que c'était la nature qu'il fallait amadouer,
06:18 et que la religion c'était l'être humain, les hommes.
06:21 Il me dit "D'accord."
06:24 Il me dit "Parce que tu crois qu'ils ont pas tué, eux ?"
06:27 Je dis "Oui, bien sûr."
06:29 Il me dit "Alors, peut-être finalement que c'est pas l'œuvre de Dieu tout ça,
06:33 c'est l'œuvre des hommes, le meurtre."
06:37 Il dit "Si on n'avait pas cette dune, ou si on n'avait pas cette croyance,
06:41 est-ce que tu penses que les hommes n'inventeraient pas quelque chose
06:43 quand même pour s'entretuer ?"
06:45 Donc, les hommes peuvent se servir de tout pour massacrer.
06:49 Maintenant, s'il y a des pensées qui peuvent éviter par moment l'idée du massacre,
06:58 alors cette pensée, elle vaut le coup.
07:01 Le drame, c'est pas la religion. Le drame, c'est les hommes.
07:04 Pour moi, le rapport à la religion, il est plus philosophique que religieux.
07:09 Mais j'adore ce que peut générer la croyance dans la fraternité, dans l'amour des autres.
07:22 Oui, dans le côté positif.
07:23 Michel, juste un tout petit retour en arrière-côté à Tunis.
07:26 À quel moment tu quittes Tunis ? À quel moment tes parents quittent ?
07:29 11 ans.
07:30 Et là, t'arrives en France.
07:31 Oui, à la Croix d'Arcueil.
07:33 T'étais quand même dans une enfance qui était plutôt très agréable,
07:35 entre le tennis avec ton grand frère, la natation, la plage, la pêche.
07:40 Comment tu le vis, toi ?
07:41 Très mal. J'arrête de manger, je tombe malade.
07:45 Je me suis bousillé physiquement à ce moment-là. C'était très grave.
07:49 Les séquelles de cette période-là, je les ai payées pendant des années et des années.
07:54 Je pouvais plus jouer au tennis.
07:55 Immédiatement, tu vas à l'école.
07:57 Je vais à l'école Sudnorreur, parce que la première école où j'ai été,
08:00 tu ne peux pas imaginer. C'était des bagarres.
08:03 Je me faisais de salle juive, de salle arabe, de salle musulman.
08:07 Il y avait un amalgame. Oui, parce que moi, je suis arabe.
08:11 Je veux dire, arabe, ce n'est pas une religion.
08:14 Il y a des Arabes, regarde, il y a 12 millions d'Arabes chrétiens en Égypte.
08:19 C'est des Arabes chrétiens.
08:21 Moi, je suis un Arabe juif.
08:23 Est-ce que tu en référais à ta maman ?
08:25 Non, mais attends, quand je me bagarrais, j'étais un monstre.
08:28 Tu rigoles ? Je ne savais pas me battre.
08:31 Quand on me traitait de salle juive ou de salle arabe,
08:34 j'en ai envoyé à l'hôpital.
08:37 Tu étais plus grand que moi.
08:39 Ça y allait vraiment. Je devenais fou.
08:41 Mais c'est la seule fois de ma vie où je me suis battu.
08:43 Est-ce que tu en as conservé des moments forts
08:46 pour ensuite t'en servir dans ta vie d'adulte ?
08:48 Je ne parle pas forcément de tes spectacles.
08:50 Je n'ai jamais oublié. J'en veux encore au monde entier.
08:53 J'en veux à tout le monde de m'avoir enlevé ça.
08:57 Il y a des choses qui ne partent pas.
09:01 Il n'y a rien de pire que l'oubli.
09:03 Il y a pire que l'oubli. Il y a la volonté d'oublier.
09:08 Ça, ce n'est pas possible.
09:10 On ne peut pas se construire.
09:12 Donc, je me suis construit avec ça.
09:15 À chaque fois que je passe sur l'instantané à la Croix d'Arceuil,
09:18 j'ai un frisson.
09:21 Je me revois découvrir, par exemple, la neige.
09:25 La première fois que je vois de la neige, je me dis que c'est rigolo.
09:28 Je mets la main dedans et je ne peux plus la bouger.
09:31 Je me dis que c'est quoi cette merde ?
09:33 Et pour quelles raisons d'être parti de Tunisie ?
09:35 Parce que mon père est devenu médecin
09:37 parce qu'il a eu un petit frère qui est mort de la tuberculose.
09:41 Et quand il a perdu son petit frère, il a dit à son père
09:45 « Je serai médecin et j'arrêterai la tuberculose en Tunisie ».
09:49 Il est devenu médecin.
09:51 Il était spécialiste des poumons.
09:53 Et il a travaillé avec d'autres médecins sur l'éradication de la tuberculose
09:56 qui faisait des massacres.
09:58 Tout ça se passait très bien.
10:00 Et puis un jour, il y avait une réunion avec le ministère de la Santé
10:03 et un des copains de mon père a dit
10:06 « Tu sais, demain, Joseph, c'est mieux que tu ne parles pas au début. »
10:09 Il dit « Pourquoi ? »
10:10 Il dit « Non, parce que tu sais, pour certains, tu es juif avant d'être Tunisien. »
10:14 Il est rentré le soir et il a dit à ma mère « On quitte la Tunisie. »
10:18 Pour mon père, ça a été un drame terrible.
10:22 Parce que c'était tout ce qui pouvait pas arriver pour lui.
10:32 Lui, il avait rien contre Israël, mais il avait rien pour Israël.
10:37 Son pays, c'était la Tunisie.
10:39 Son peuple, c'était le peuple juif, mais son pays, c'était la Tunisie.
10:42 Il pouvait pas dissocier sa vie de la Tunisie.
10:46 C'est pour ça que c'est une injustice.
10:49 C'est pour ça que je l'ai vécue toute ma vie comme une injustice.
10:53 C'est pour ça aussi, je pense que dans mon écriture et dans mon travail,
10:57 j'ai voulu réinventer une Tunisie qu'on m'avait enlevée.
11:00 Et celle-là, on peut pas me l'enlever.
11:02 Mais en même temps, je leur en ai voulu beaucoup et pendant longtemps,
11:06 par rapport à mon père.
11:09 Moi, j'ai pu me réparer.
11:11 Mon père, non.
11:13 - Tu voulais faire quoi quand t'étais petit ?
11:15 - Un médecin.
11:16 - Ah !
11:17 - Ah oui, comme mon père.
11:18 Si j'avais pas été malade,
11:22 malade au sens où le théâtre m'a pris comme un virus.
11:26 - OK.
11:27 - Si je faisais pas de théâtre, je serais mort.
11:30 - D'accord.
11:31 - Donc le seul vaccin pour ne pas mourir, c'était d'en faire.
11:34 J'aurais adoré ne pas être malade.
11:37 J'aurais adoré ne pas aimer le théâtre.
11:39 J'aurais adoré être médecin.
11:41 J'aurais l'impression d'agir sur la vie des gens et sauver des vies.
11:46 - Là, t'as pas l'impression d'agir sur la vie des gens et de sauver des vies.
11:49 - Bah, c'est pas pareil.
11:50 - C'est pas de la même manière.
11:51 - Ouais, je sais bien.
11:52 Oui, je sais bien ce qu'on dit.
11:54 - T'as jamais reçu des lettres de gens qui sont souffrants,
11:56 physiquement, terriblement souffrants,
11:58 et qui vont t'écouter en boucle et ça leur donne la balade
12:00 et tout à coup, ils s'en sortent.
12:01 T'as jamais reçu ce genre de courrier ?
12:03 - J'ai eu plus que ça, même.
12:04 J'ai eu ça et j'ai eu une fois une lettre d'une femme
12:09 qui me dit merci parce que sa meilleure amie voulait se suicider.
12:15 Et elle me dit je savais pas quoi faire,
12:17 je lui ai offert une cassette vidéo d'un de vos spectacles, L'Ange gardien.
12:21 Et quand elle a vu ce spectacle-là,
12:24 elle a décidé d'essayer de continuer à vivre alors merci.
12:28 Oui, bien sûr.
12:31 - Donc on rejoint tes problématiques de doute.
12:34 - Oui, oui.
12:35 Et puis j'ai travaillé avec des enfants handicapés pendant 8 ans.
12:38 Oui, il y avait de l'héritage de mon père.
12:40 - Mais justement, on parle d'héritage, de transmission.
12:42 T'as des enfants.
12:43 - Oui.
12:44 - Tu parles de quelle manière ?
12:46 C'est totalement ouvert comme ça a été dans ta famille apparemment.
12:50 - Oui, c'est très ouvert.
12:53 J'essaye d'être derrière, pas devant.
12:57 C'est-à-dire que si y en a un qui tombe, je le ramasse.
13:00 Mais il se démerde pour monter sa montagne.
13:02 Quand mon fils avait peut-être 6 ans, Joseph,
13:05 je l'ai inscrit au judo.
13:06 Et je l'emmène pour sa première leçon de judo.
13:09 Et je le vois assis et je tombe en larmes.
13:12 La mère de mes enfants me dit "Qu'est-ce que t'y as ?"
13:14 Je dis "Je ne peux pas t'expliquer, je ne sais pas."
13:16 Je suis bouleversé de le voir faire du judo.
13:19 En fait, qu'est-ce qui s'est passé ?
13:20 Mais ça, j'ai compris après.
13:22 Ce que j'ai vu, j'ai pleuré.
13:24 Pourquoi ? Parce que c'est pas mon fils que j'ai vu.
13:26 J'ai pleuré de voir quelque chose que moi je n'avais pas vécu
13:31 avec mon père, qui n'était jamais là.
13:34 C'est un des problèmes d'ailleurs que nous avons,
13:36 que les parents ont avec les enfants.
13:38 C'est-à-dire qu'on leur fait porter nos névroses.
13:41 Et cette injustice qui t'habite depuis longtemps,
13:43 avec laquelle tu évolues, est-ce que c'est quelque chose
13:45 dont tes enfants sont au courant ?
13:47 Ils sont conscients que c'est mon problème.
13:49 Mais ils comprennent ma douleur.
13:52 Il y a de plus en plus d'injustices dans ce monde.
13:54 Je ne parle pas qu'ici qu'en France, ou en Tunisie ou ailleurs.
13:56 Comment toi tu le vis, ayant ça vraiment au fond de ton cœur ?
13:59 Je suis beaucoup plus sensible à l'injustice
14:02 partout où elle se trouve, parce que je fais partie
14:06 de cette histoire avec un grand H qui a marché
14:10 sur la petite histoire.
14:11 Quand tu es marqué par quelque chose comme ça,
14:13 qui t'a construit et déconstruit selon les périodes,
14:16 tu ne peux pas ne pas être sensible à tout ça,
14:20 même si tu n'en parles pas.
14:22 Et on vit une période très particulière,
14:27 y compris vis-à-vis de la religion,
14:30 puisque c'est un des outils, à la fois peut-être de paix,
14:35 et en même temps de guerre.
14:37 Et ça fait mal.
14:40 Moi je pense aux chrétiens d'Orient,
14:43 comme je pense aux musulmans en Chine
14:47 qui se font massacrer.
14:49 Est-ce que tu as ressenti une espèce d'antisémitisme ?
14:51 J'ai vécu l'antisémitisme à des niveaux différents.
14:54 Au début, beaucoup dans la violence, en arrivant.
14:57 Ensuite, j'ai vécu cet antisémitisme,
15:01 tu sais, genre gentil.
15:05 Genre, tu sais, moi je n'ai rien contre les juifs d'ailleurs,
15:09 regarde, je suis copain avec toi.
15:11 Tu reconnais la phrase.
15:12 Ou alors, tu ne veux pas m'aider parce que l'autre,
15:15 il ne veut pas me faire un prix sur le truc,
15:18 parce que toi tu es juif, tu vas savoir marchander.
15:20 Et après, il y a eu l'antisémitisme lié au conflit en Orient,
15:25 qui est l'antisémitisme contemporain, on va dire,
15:29 qui peut être extrêmement violent.
15:31 Je ne peux pas l'accepter.
15:33 Je ne peux pas, c'est un cancer.
15:37 Les juifs, ils sont toujours dans le monde dit judéo-chrétien, entre guillemets,
15:41 on est toujours au nœud d'un conflit.
15:46 Putain de merde.
15:49 Tu vois ?
15:50 Toujours, mais depuis la nuit des temps,
15:52 j'ai l'impression que chaque fois qu'il y a un problème, on est dans le coup.
15:55 Ou alors on nous amène dans le coup.
15:57 Moi, j'ai écrit un petit conte pour enfants,
16:00 pour expliquer à mes enfants l'antisémitisme.
16:02 C'est un roi, dans son royaume, il n'y a pas de pluie,
16:08 donc il n'y a pas de blé.
16:11 Il n'y a pas de récolte.
16:12 Voilà, il n'y a pas de récolte.
16:13 Les gens meurent de faim.
16:14 Et ils commencent à se révolter contre le roi,
16:16 d'autant plus que le roi, il a une réserve de blé pour le palais.
16:20 Il dit, s'il ne pleut pas, c'est à cause des juifs.
16:23 Alors, le peuple s'est mis à tuer tous les juifs.
16:25 Et l'enfant demande au roi, est-ce que,
16:28 après qu'ils aient tué tous les juifs, est-ce qu'il a plu ?
16:31 Le roi dit, non, il n'a pas plu.
16:34 Mais pendant qu'ils tuaient les juifs, ils ont oublié qu'il ne pleuvait pas.
16:37 Donc, cet antisémitisme qui, selon les époques,
16:41 se transforme, mute, comme un virus, comme un cancer,
16:45 dont on a l'impression que la société en a besoin pour se sentir exister
16:50 ou pour justifier son incapacité à résoudre les problèmes.
16:54 Oui, ou justifier certains actes aussi.
16:56 Oui, exactement.
16:57 Donc, on est défini par les autres comme juifs.
17:00 Tu comprends ? C'est ça, l'antisémitisme.
17:02 Moi, dans mon spectacle, je fais une fois référence au juif tunisien.
17:07 Une fois, mais c'est tout.
17:08 Mais le reste du spectacle, tu le prends,
17:10 tu le fais jouer par un auvergnat qui parle de ses racines,
17:13 c'est le même résultat.
17:14 Et c'est terrible que les autres te renvoient seulement la superficie de ta personne
17:20 et non pas ce que tu essayes de dire.
17:23 Bien sûr, est-ce que Pagnol est d'abord un provençal ?
17:27 Oui.
17:28 Est-ce qu'il est seulement un provençal ? Eh bien, non.
17:31 Est-ce que Rémy est d'abord un acteur du sud de la France
17:36 ou c'est d'abord un grand acteur ?
17:38 Est-ce qu'il suffirait d'être provençal pour être un grand acteur ?
17:41 Non, moi, je connais provençaux qui sont très mauvais.
17:43 Oui, bien sûr.
17:44 Une toute dernière question, c'est est-ce que tu as envie de quitter ce pays, par exemple ?
17:49 Non, parce que d'abord, je pense que tes problèmes, tu les emmènes avec toi.
17:52 Ensuite, parce que j'adore la France, avec ses contradictions.
17:57 Avec ses manques, mais aussi avec ses plus.
18:00 J'adore ce pays, j'aime me sentir français aussi.
18:04 Même si j'ai mis du temps à dire "nous" en parlant de la France.
18:10 Mais maintenant, non, j'aime ce pays.
18:12 Je préférais le défendre que de le quitter.
18:15 Merci Michel.
18:16 Je t'en prie.
18:17 Merci.
18:18 Merci.
18:19 Merci.
18:20 Merci.
18:21 [SILENCE]

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