Comment on faisait avant les serviettes jetables ?

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00:00 les produits menstruels ne sont pas censés être blancs comme ils le sont.
00:03 On les rend très dangereux en les blanchissant au chlore
00:06 ou avec d'autres intrants chimiques.
00:07 Auparavant, les personnes menstruées utilisaient des linges,
00:18 c'est-à-dire des pièces de tissu en coton, en gaz,
00:21 qui étaient soit confectionnées à la main,
00:22 soit entretenues, stockées, lavées, réutilisées sans cesse.
00:26 Ces serviettes faites maison étaient accrochées aux vêtements,
00:30 plus rarement aux sous-vêtements, qui n'existaient pas forcément à l'époque.
00:32 On utilisait aussi du papier en Chine par exemple.
00:34 Des papyrus et des végétaux ont été utilisés sous forme de tampons,
00:38 donc d'absorbants internes.
00:39 Dès les années 1880, on a des serviettes jetables
00:45 qui sont vendues sur les marchés anglais, puis allemands, puis états-uniens.
00:49 C'est vraiment avec l'apparition de la marque Cotex
00:51 dans les années 1920 aux Etats-Unis
00:53 qu'on a un marché de masse qui va se développer.
00:55 Pourquoi ? Parce qu'à l'époque, Kimberly-Clack se retrouve avec un stock d'un vendu de cellule coton.
00:59 C'est un matériau qui avait été développé pour fabriquer des bandages
01:02 et des filtres de masque à gaz, très vendus pendant la Première Guerre mondiale.
01:05 Et quand la Première Guerre mondiale s'est achevée en 1918,
01:08 ils se sont retrouvés avec un stock d'un vendu sur les bras.
01:10 Et c'est dans ce contexte qu'ils ont cherché à développer des produits pour le marché civil.
01:14 Ça donnera deux marques, Kleenex et Cotex.
01:16 Sur les boîtes de Cotex, elles sont bleues, il y a écrit le nom de marque.
01:22 Il y a une petite croix qui ressemble à celle de la Croix Rouge,
01:24 qui donne l'idée que c'est un produit médical.
01:25 Mais il n'y a aucune indication, ni du fait qu'il s'agit d'une serviette,
01:29 ni du fait que ce soit pour les règles.
01:31 Il n'y a pas d'information, le paquet se veut totalement neutre.
01:34 Et les détaillants sont invités à suremballer les boîtes de Cotex,
01:37 c'est-à-dire à les mettre dans des emballages de papier craft pour les vendre,
01:40 dans l'idée que c'est une honte de partir avec une boîte de Cotex du magasin.
01:45 On a même une marque qui s'appelle Modest, qui apparaît à la fin des années 1920,
01:48 qui, dans ses publicités, produit un petit coupon avec écrit "Une boîte de Modest, s'il vous plaît".
01:53 Elle appelle ça le coupon d'achat silencieux,
01:55 qui permet de l'échanger contre de l'argent sans dire
01:57 "Je voudrais une boîte de serviettes aux commerçants".
02:01 Donc on a tout un ensemble de stratégies commerciales,
02:03 de la vente, du packaging, du merchandising, de la publicité, du design,
02:07 qui sont mis à contribution pour qu'un produit intime
02:12 lié à un phénomène tabou puisse devenir un produit de masse.
02:16 Pour vendre des serviettes qu'il faut sans cesse racheter, puisqu'elles sont jetables,
02:22 on a cette promesse qui est de faire disparaître la corvée de la lessive.
02:27 On fait beaucoup appel aux jeunes, on leur dit que c'est elles la nouvelle génération,
02:29 qu'elles sont modernes et qu'elles doivent utiliser des serviettes,
02:32 sans quoi elles vont se retrouver prises dans les mêmes servitudes, je cite,
02:36 que leur mère et leur grand-mère.
02:38 Et c'est là qu'on voit l'ambiguïté aussi qu'il y a dans ces publicités,
02:40 qui récupère la rhétorique féministe de l'époque.
02:44 La publicité pour les produits mensuels a beaucoup joué sur la culpabilisation des femmes.
02:51 Si vous n'utilisez pas ces produits, vous êtes sales, vous risquez de se sentir mauvaise,
02:55 tout le monde va s'en rendre compte, vous offensez gravement les gens qui vous entourent,
02:59 et c'est sans doute pour ça que vous êtes seule, vous n'êtes pas mariée,
03:02 vous ne rencontrerez jamais l'amour, vous n'avez pas d'amis, etc.
03:05 Donc c'est des publicités qui jouent à fond sur l'insécurité féminine.
03:09 Au début des années 40, Kotex autorise à viser les femmes au travail.
03:14 Et qu'est-ce qu'elle leur dit ?
03:15 Elle les culpabilise en disant qu'une femme qui n'utilise pas des protections menstruelles jetables
03:21 est une femme qui va avoir moins de mobilité, moins d'aisance au travail,
03:24 et donc ne va pas participer à l'effort de guerre.
03:26 Donc il y a cette idée, on accuse les femmes d'être des "déserteuses",
03:29 de ne pas soutenir leur homme au front, de ne pas participer à l'effort de guerre patriotique.
03:33 À mesure que les décennies avancent et que les marques surenchérissent les unes sur les autres
03:41 en termes d'innovation, on a de plus en plus d'incrans chimiques,
03:44 c'est-à-dire des matières synthétiques pour produire la matière de la cerville,
03:47 l'utilisation des gels super absorbants dans les tampons,
03:49 qui a créé une épidémie de choc toxique menstruel,
03:52 et puis aussi l'ajout d'incrans chimiques pour blanchir les produits.
03:56 Les produits menstruels ne sont pas censés être blancs comme ils le sont,
03:59 ils sont censés être beiges, marrons, clairs,
04:01 mais par une volonté hygiéniste d'apparaître comme propres et sans danger,
04:06 on les rend très dangereux en les blanchissant au chlore ou avec d'autres incrans chimiques.
04:13 Dès les années 1930, on a déjà des études, des controverses scientifiques,
04:16 les industriels savent très bien la dangerosité de leurs produits
04:20 et ne sont pas en train de la découvrir en ce moment.
04:22 Et ils ont même d'ailleurs lutté pour que certaines vérités n'apparaissent pas au grand jour.
04:27 Procter & Gamble, qui est le groupe qui vendait la marque Relie,
04:31 une marque qui a dû être retirée du marché parce qu'elle créait des chocs toxiques menstruels,
04:34 a discrédité publiquement des chercheurs, a payé des chercheurs pour dire le contraire
04:40 de ce qui apparaissait à l'époque, à savoir que les Relie étaient très dangereux.
04:43 Et c'est important de le rappeler, surtout quand on sait qu'aujourd'hui,
04:45 que Procter & Gamble détient les deux marques les plus importantes
04:48 sur le marché des tampons et des serviettes, à savoir Tampax et Always.
04:51 Tous ces nouveaux produits menstruels, en quelque sorte,
04:57 font à peu près la même promesse qui est d'émanciper les femmes
05:01 vis-à-vis des pratiques menstruelles qui seraient une souffrance pour elles,
05:06 sauf que cette fois-ci, les pratiques menstruelles qui seraient une souffrance,
05:08 ce sont les pratiques issues de l'industrie classique du jetable.
05:14 Ce qu'il faut comprendre, c'est qu'on est dans le même mouvement
05:16 que je qualifie de consumérisme, qu'on peut qualifier de marchandisation,
05:19 c'est-à-dire qu'il s'agit sans cesse de proposer de nouveaux produits.
05:23 Ces produits vont être présentés comme plus ceci, plus pratiques, plus modernes,
05:28 ou pourquoi pas plus écologiques, plus féminins, plus féministes, ce que vous voulez.
05:32 La grande question qui peut se poser si on est critique du capitalisme menstruel,
05:37 c'est non pas quels nouveaux produits je vais pouvoir acheter,
05:40 mais comment me passer du recours au marché,
05:42 comment me passer de l'achat de produits sur un marché
05:44 pour vivre mes menstruations, définir ma propre culture menstruelle.
05:48 [SILENCE]

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