L'interview d'actualité - Mathieu Zagrodzki

  • l’année dernière
Il y a quelques semaines, les manifestations contre la réforme des retraites se déroulaient dans le plus grand calme. Des mobilisations pacifiques sans même la présence des forces de l’ordre. Aujourd’hui, le ton de ces marches contestataires a radicalement changé. En effet, à cette mobilisation s’ajoutent des rassemblements spontanés émaillés de violence. Que s’est-il passé ? Pour Mathieu Zagrodzki, « le mouvement a évolué » qui se traduit par un débordement manifeste des défilés organisés par l’intersyndicale. Comment retrouver une discipline dans les rangs des manifestants ? Qu’attendre de ce mouvement contestataire qui prend de l’ampleur ? La réponse avec Mathieu Zagrodzki, chercheur au CESDIP et spécialiste des questions de sécurité.

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Transcript
00:00 Il est 8h13, c'est le moment de l'interview d'actualité.
00:02 Maïa, vous rejoignez Mathieu Zagrodski,
00:04 chercheur associé au CESSDIP,
00:07 le Centre de Recherche Sociologique sur le Droit
00:09 et les Institutions Pénales et spécialiste des questions de sécurité.
00:13 Bonjour Mathieu Zagrodski.
00:15 Bonjour.
00:15 Merci d'être avec nous ce matin.
00:17 Il y a quelques semaines, on ne voyait pas un policier dans les manifestations,
00:19 il y avait des enfants qui participaient au défilé contre la réforme des retraites.
00:24 Depuis quelques jours, à cette mobilisation
00:26 s'ajoutent des rassemblements spontanés émaillés de violence.
00:28 Que s'est-il passé ?
00:31 Il s'est passé que le mouvement a évolué, vous avez raison.
00:33 Au tout début, vous avez des cortèges qui sont pacifiques,
00:35 qui sont surtout encadrés par les organisations syndicales.
00:38 Et ce qui fait que, je crois que vous avez employé le terme de "invisibles",
00:41 les policiers étaient à l'écart.
00:43 C'est-à-dire que le cortège se déroule en bien,
00:45 étant encadré par les organisations syndicales,
00:47 la police peut rester à distance.
00:49 C'est vrai que ces derniers jours, ce qui se passe,
00:50 c'est qu'il y a un petit peu un débordement des manifestations du cadre syndical,
00:55 avec, comme vous l'avez dit, des rassemblements qui sont spontanés,
00:59 d'autres disent "sauvages", je n'aime pas trop ce terme.
01:01 Il y a deux mouvements ou c'est la suite du premier ?
01:03 C'est une bonne question.
01:04 C'est toujours difficile de déterminer si ce sont les mêmes personnes
01:07 qui se sont durcies ou s'il y a de nouvelles personnes plus violentes
01:10 qui sont venues se greffer au mouvement.
01:12 C'est probablement un petit peu des deux.
01:13 Il y a le contexte du 49-3, de la motion de censure,
01:18 qui a échoué de peu,
01:20 ce qui fait que forcément, ça excite les gens.
01:24 Il y a une colère qui est probablement plus forte.
01:26 Et puis là, viennent se greffer des groupuscules
01:29 qui ont pour objet et pour but de commettre des violences
01:32 et d'affronter les forces de l'ordre.
01:33 Le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin,
01:36 a présenté ces éléments radicaux comme des éléments d'extrême gauche.
01:39 Est-ce qu'on sait qui ils sont ?
01:40 Est-ce que ce sont les fameux, les "Black blocs" par exemple,
01:43 dont on parle beaucoup en ce moment ?
01:44 Globalement, on peut penser que oui.
01:46 Ce qu'on appelle les "Black blocs",
01:47 c'est un mode d'action et d'organisation,
01:49 notamment dans les manifestations.
01:51 Alors, qui sont-ils ?
01:53 On ne va pas remonter à la genèse de ces mouvements.
01:55 L'extrême gauche, ça a toujours plus ou moins existé.
01:57 C'est quelque chose qui s'est structuré
01:59 à partir des années 80 et notamment 90,
02:02 avec la réunion de l'OMC à Seattle en 99,
02:05 le sommet du G8 à Gênes en 2001.
02:08 On a commencé à voir ces groupuscules qui sont très organisées
02:10 dans le fait justement de se dissimuler,
02:13 d'avoir des stratégies de harcèlement des policiers,
02:15 de destruction de certains biens,
02:18 ensuite de dispersion pour justement échapper aux interpellations.
02:21 Ce sont des gens qui sont dans des mouvances
02:24 qu'on qualifiera d'anarchistes, libertaires,
02:25 en rupture contre le capitalisme,
02:27 en rupture aussi contre les symboles d'autorité de l'État,
02:30 parce que l'État protège la bourgeoisie, le système capitaliste,
02:33 et donc c'est en quelque sorte le même ennemi.
02:36 Sur ces manifestations spontanées, sauvages,
02:39 il n'y a pas la difficulté pour les forces de l'ordre.
02:41 On a parlé de 400 blessés parmi les policiers.
02:43 Il n'y a pas d'interlocuteur.
02:44 C'est exactement ça.
02:46 La difficulté, par contraste avec ce qu'on a évoqué
02:49 au début de cet échange…
02:51 Avec les organisations syndicales.
02:52 … les organisations syndicales,
02:53 on se met d'accord sur le parcours, l'encadrement,
02:56 un certain nombre de règles.
02:58 On se répartit aussi les tâches.
03:00 Le service d'ordre syndical gère vraiment le cortège.
03:02 La police reste un petit peu à l'écart,
03:04 intervient en cas d'incident.
03:05 Là, il n'y a pas d'interlocuteur,
03:06 puisque vous avez des groupes qui sont soit spontanés,
03:09 on a vu aussi des étudiants, des jeunes,
03:13 moins jeunes d'ailleurs, qui se sont regroupés pour manifester
03:16 sans forcément avoir d'intention violente.
03:18 Là, il n'y a pas d'interlocuteur identifié par définition.
03:20 Et encore moins quand il s'agit de ces fameux black blocs,
03:24 puisque ces gens-là sont, encore une fois,
03:26 dans une démarche d'affrontement avec l'État
03:28 et pas du tout de dialogue.
03:29 Alors, il y a des violences contre les policiers,
03:31 il y a aussi des violences de policiers.
03:34 L'IGPN, on en parlait dans le journal,
03:37 a été saisi hier par le préfet de police de Paris, Laurent Nunez,
03:41 après la diffusion d'un enregistrement
03:43 dans lequel des présumés membres de la Bravem,
03:46 cette unité de police controversée,
03:47 menacent un manifestant, menacent à caractère sexuel, insultent.
03:52 Est-ce que ces violences sont dues à la fatigue,
03:54 comme a pu le dire le ministre de l'Intérieur,
03:56 ou est-ce qu'il y a une dérive ?
03:58 Alors, bien sûr, le facteur fatigue, surmenage,
04:01 le fait d'avoir des interventions compliquées quotidiennement
04:04 peuvent aggraver un certain nombre de comportements
04:07 ou peuvent gêner un certain nombre de comportements.
04:09 Après, ça ne peut pas être la seule explication
04:11 et ça ne peut surtout pas être une excuse.
04:12 C'est-à-dire que quand vous faites partie des forces de l'ordre,
04:15 il y a une déontologie à respecter.
04:17 Quelles que soient les conditions.
04:18 Alors, la Bravem controversée,
04:20 elle a été créée dans le contexte du conflit des Gilets jaunes.
04:24 Pour expliquer peut-être en deux mots de quoi il s'agit,
04:26 parce que les téléspectateurs ne savent pas forcément,
04:28 ce sont des unités de la préfecture de police
04:31 qui sont transportées à moto,
04:32 c'est pour ça qu'il y a le M à la fin, pour motoriser,
04:34 donc Brigade de répression des actions violentes.
04:36 Et leur but est en réalité d'aller au contact
04:39 et de réaliser des interpellations.
04:41 Ils circulent à moto pour être très mobiles,
04:43 justement parce que parfois les groupes en face sont très mobiles.
04:46 Et leur but plutôt en rupture avec la doctrine
04:49 un peu historique du maintien de l'ordre,
04:50 où on maintient les gens à distance,
04:52 c'est d'aller faire des interpellations.
04:55 Et ce n'est pas la première fois qu'elles sont au cœur de polémiques.
05:00 Parce qu'encore une fois, le mandat est très offensif.
05:02 Et quand on donne un mandat offensif à des policiers
05:05 et qu'on leur fait comprendre qu'il faut quand même
05:07 mener des interpellations et mettre fin aux violences à tout prix,
05:11 ça peut aussi mener à des débordements.
05:13 Il y a plusieurs questions,
05:14 une d'autre question de manière plus générale
05:16 sur les techniques de maintien de l'ordre employé,
05:17 notamment sur les NAC,
05:19 c'est-à-dire l'encerclement momentané des manifestants.
05:21 Beaucoup d'observateurs disent que cette pratique est illégale.
05:23 Est-ce que c'est vrai ou pas ?
05:24 Alors oui et non.
05:26 Le NAC n'est pas illégal en soi.
05:28 Il fait partie de la doctrine nationale,
05:30 enfin du schéma national de maintien de l'ordre
05:32 qui a été publié en 2001.
05:33 Le Conseil d'État ne l'a jamais retoqué.
05:35 C'est-à-dire que le Conseil d'État…
05:36 L'avait retoqué une version précédente.
05:37 L'avait retoqué une version précédente.
05:38 Le ministère de l'Intérieur a travaillé sur une nouvelle version.
05:40 Et dans cette nouvelle version, il est dit qu'il y a plusieurs conditions.
05:44 La première, c'est qu'il y ait des violences
05:47 et un trouble à l'ordre public grave.
05:49 Deuxième, c'est qu'il y ait une sortie qui soit ménagée
05:51 pour les personnes qui sont à l'intérieur de la NAC.
05:54 Et troisièmement, il faut que cette NAC soit temporaire
05:57 et que ce soit proportionné.
05:59 Mais sur l'application, on est d'accord qu'il y a une interprétation,
06:02 il y a une forme de flou.
06:03 Il y a une forme de flou.
06:04 Et c'est d'ailleurs ce qui est reproché à ce nouveau schéma,
06:06 c'est que finalement, dire que ce soit proportionné,
06:09 que la durée soit raisonnable ou encore qu'il y ait des troubles,
06:12 finalement, c'est un peu à la libre interprétation des forces de l'ordre.
06:15 - J'invite Humbert à poser la question à son invité tout à l'heure dans les 4V.
06:18 Je vais vous la reposer aujourd'hui.
06:19 La violence, elle vient de qui ?
06:20 Des manifestants ou des policiers aujourd'hui ?
06:21 - Bon, c'est toujours une interaction.
06:26 C'est que vous avez de la violence qui commence d'un côté en un autre.
06:29 C'est impossible, vous voyez, c'est la poule ou l'œuf.
06:31 Puis ensuite, généralement, malheureusement, on tombe dans des spirales.
06:33 C'est-à-dire que c'est ce qui se passait lors des Gilets jaunes,
06:36 ce qui se passe lors de beaucoup de manifestations.
06:37 C'est que vous avez un premier incident qui va tendre la situation
06:41 avec des manifestants qui vont de plus en plus percevoir la police
06:45 comme un camp rival, ennemi, qui n'est pas à leur service,
06:48 qui n'est pas là pour les protéger, mais qui cause un danger.
06:51 Et de l'autre côté, il y a du côté des forces de l'ordre,
06:54 alors bien sûr, cette question du surmenage,
06:57 mais aussi un durcissement sans doute des consignes
07:01 et puis aussi un durcissement des comportements
07:03 parce qu'on a l'impression, parfois justifiée, pas toujours,
07:06 qu'on a face à soi un bloc qui est hostile.
07:10 Je ne veux pas entrer dans des grandes théories de psychologie sociale,
07:14 mais c'est ce qu'on appelle la théorie de l'identité sociale.
07:17 C'est-à-dire que chaque camp a tendance à se durcir,
07:21 à se solidariser face à l'adversité.
07:23 Dernière question d'actualité, l'actualité du week-end,
07:25 c'est ces manifestations contre des méga-bassines dans les Deux-Sèvres.
07:28 3 000 policiers et gendarmes mobilisés pour encadrer ces manifestations.
07:32 Les autorités craignent des violences.
07:34 Est-ce qu'on peut redouter aujourd'hui une accumulation,
07:36 une addition des colères ?
07:38 Alors oui, bien sûr, parce qu'on a déjà vu des protestations de ce type
07:43 autour de bassines, en gros, autour de projets dans la nature,
07:47 enfin de projets qui portent atteinte, en tout cas selon ces militants-là,
07:51 à l'environnement.
07:52 Un exemple, c'est Notre-Dame-des-Landes.
07:53 Notre-Dame-des-Landes, ça s'est mal passé, ça s'est mal fini.
07:56 L'évacuation a été très compliquée.
07:58 Et encore une fois, il y a eu une colère,
08:00 enfin une espèce de continuum, j'ai envie de dire,
08:01 de contestation et de colère par rapport au système économique,
08:05 le système économique étant aussi considéré comme productiviste,
08:10 portant atteinte à l'environnement.
08:12 Donc quelque part, il y a une cohérence et il peut y avoir une agrégation des colères.
08:14 Merci beaucoup Mathieu Zagrodzki d'avoir été avec nous ce matin.

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