• l’année dernière
Eva Sas, députée Écologiste de Paris.
Elle est devenue verte sans être écologiste à ses débuts. Eva Sas se décrit comme à la fois utopiste et réaliste, un cocktail étonnant dans le paysage politique.

Pourquoi s'engage-t-on en politique ? Comment tombe-t-on dans le grand chaudron de l'Assemblée ?
Chaque jour, Clément Méric, dans un entretien en tête à tête de 13 minutes, interroge un parlementaire sur les personnalités, les évènements - historiques ou personnels - qui l'ont conduit à choisir la vie publique.
Car on ne naît pas politique, on le devient !

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Transcription
00:00 -Mon invitée est devenue verte sans être écolo à ses débuts.
00:03 Elle se définit à la fois comme utopiste et réaliste,
00:07 ce qui est plutôt rare dans notre paysage politique.
00:10 Musique intrigante
00:12 ...
00:23 Bonjour, Eva Sass. -Bonjour.
00:25 -Après le bac, vous avez fait une licence de philo,
00:28 mais aussi l'ESSEC, une des grandes écoles de commerce française,
00:32 sauf que c'était pas du tout pour devenir une femme d'affaires.
00:36 Vous l'avez fait, je cite, "dans une perspective subversive,
00:39 "un peu par antrisme". Ca veut dire quoi ?
00:42 -C'est-à-dire que j'ai constaté...
00:44 Mon père est d'une famille ouvrière polonaise, des Ardennes,
00:48 et j'ai constaté que les ouvriers étaient quand même soumis
00:51 et qu'il fallait leur donner les clés
00:53 pour pouvoir gagner leur autonomie, se défendre,
00:56 et c'est dans ce sens-là aussi que j'ai voulu connaître
00:59 le monde de l'entreprise, connaître les clés,
01:02 les réflexions des actionnaires, de façon à pouvoir les donner
01:06 à ceux qui en ont le plus besoin, les salariés,
01:08 ceux qui, dans le rapport de force, sont la partie faible.
01:12 -Vous étiez dans une perspective politique,
01:14 sauf que vous vouliez changer le système,
01:16 sauf que ça passait pas par l'engagement politique.
01:19 -J'étais, comme beaucoup de gens de cette génération,
01:22 et peut-être encore les jeunes, très méfiante des partis politiques.
01:26 J'avais l'impression que c'était pas comme ça
01:29 qu'on pouvait changer le monde et qu'il fallait être dans l'action,
01:32 au plus près du monde du travail, des salariés,
01:35 pour rééquilibrer les rapports de force.
01:38 -Vous avez un côté très méthodique, assez rigoureux, même.
01:41 Vous êtes venue avec votre petit cahier, aujourd'hui.
01:44 Vous avez cette méthode, cette rigueur,
01:46 ça vous a valu d'être trésorière de votre propre parti
01:49 pendant longtemps, d'être vice-présidente
01:52 de la Commission des finances à l'Assemblée.
01:54 On a besoin de vous revendiquer de ce que vous appelez
01:57 l'utopie concrète ou encore la radicalité réaliste.
02:01 On peut faire cohabiter ces notions-là sans les dénaturer ?
02:05 -Oui, je pense que la radicalité et le réalisme,
02:08 pour être vraiment radical, il faut être réaliste,
02:11 savoir comment changer les choses.
02:13 Il ne s'agit pas de faire des grandes déclarations,
02:15 mais d'être dans le concret, de détailler les choses,
02:19 de maîtriser les outils, et c'est ce que j'essaie de faire.
02:22 Je ne suis pas de cerveau d'expert, en quelque sorte,
02:25 j'aime décortiquer les sujets au plus profond
02:28 pour maîtriser les outils et changer les choses.
02:30 Pas être dans la déclamation,
02:32 c'est pour ça que ça ne s'oppose pas du tout.
02:35 Pour être radical, il faut être réaliste.
02:37 -Ce côté utopique, on le retrouve dans votre premier engagement,
02:41 votre premier engagement politique,
02:43 parce que vous êtes présentée aux législatives en 1997,
02:46 pas sur l'écologie, c'était pour défendre la semaine de quatre jours
02:50 et le partage du temps de travail.
02:52 C'est le côté de Pierre Larouturu.
02:55 Votre rêve, c'était de travailler moins, en quelque sorte.
02:58 C'est un peu le chômage qui a déclenché votre engagement ?
03:01 -C'est exactement ça.
03:03 Je sors de mes études en 1993,
03:05 c'est un pic dans le chômage des jeunes.
03:07 Je me rends compte que toute une génération
03:10 est un peu laissée de côté,
03:12 je cherche vraiment des solutions au chômage.
03:14 Je tombe sur cette tribune, dans le monde, je crois,
03:17 entre la semaine de quatre jours et le partage du temps de travail.
03:21 C'est la solution, c'est pragmatique,
03:23 ça change les choses.
03:25 Je m'engage dans un mouvement associatif,
03:27 qui s'appelle "Nouvelle équilibre",
03:29 la semaine de quatre jours.
03:31 On se présente aux élections,
03:33 en l'occurrence aux législatives européennes,
03:36 mais c'est pour défendre nos idées,
03:38 c'est une candidature de témoignage.
03:40 -Vous avez fait 0,8 %. -Oui, c'est ça.
03:43 Je crois 0,86, c'était vraiment une candidature de témoignage.
03:47 On va se servir de cette tribune, que sont les législatives,
03:50 pour défendre le partage du temps de travail.
03:52 C'était dans l'ère du temps,
03:54 peu de temps après sont passées les 35 heures.
03:57 -De fil en aiguille, à travers ce premier engagement,
04:00 que vous avez fini par découvrir et rejoindre les Verts,
04:04 c'était en l'an 2000,
04:05 ce qui a déclenché votre engagement,
04:07 c'est pas forcément la dimension écologique de leur programme ?
04:11 -Vous dites écologique,
04:13 c'est pas forcément la dimension environnementale.
04:16 J'ai organisé les Etats généraux de l'écologie politique,
04:19 et je rejoins ces Etats généraux,
04:21 et je découvre le programme des Verts.
04:23 Je le dis souvent, j'étais écolo sans le savoir,
04:26 parce que je croyais naïvement,
04:28 et je pense qu'il y a encore beaucoup de gens qui le croient,
04:32 que les Verts, c'était uniquement l'environnement.
04:35 J'avais donné priorité, à l'époque, plutôt aux questions sociales.
04:39 Je découvre, dans ces Etats généraux,
04:41 que le programme des Verts, c'est bien autre chose que ça,
04:45 c'est le partage du temps de travail,
04:47 la société du temps libéré,
04:49 c'est autonomie, responsabilité, solidarité,
04:51 c'est un projet de société globale
04:53 qui donne d'ailleurs cette autonomie à l'individu,
04:56 qui fait en sorte que chacun soit maître de son destin.
05:00 Donc je me retrouve complètement dans ces valeurs,
05:03 et je découvre que le programme social
05:05 et le programme démocratique des Verts
05:07 est très étoffé, que c'est un projet de société globale,
05:11 et je m'engage pleinement jusqu'à aujourd'hui.
05:14 -Vous avez occupé des fonctions importantes chez les Verts,
05:17 vous avez été élue municipale, députée à deux reprises,
05:20 mais vous avez refusé de vous consacrer à la politique.
05:23 Pour vous, il était important de garder un métier,
05:26 un vrai métier. Pourquoi ?
05:28 -Oui, j'ai un métier, je suis fière de l'être, de l'avoir.
05:31 Je suis experte auprès des représentants du personnel,
05:34 expert auprès des CSE,
05:36 et pour moi, c'était d'abord et avant tout
05:39 le gage de l'indépendance en politique.
05:42 Ne pas dépendre de la politique pour gagner sa vie,
05:45 ça nous donne une liberté très importante.
05:48 J'avais constaté dans mes premiers engagements
05:51 que certains élus changeaient de parti pour garder leur mandat.
05:54 J'avais trouvé ça très triste,
05:56 et je voulais jamais me retrouver là.
05:58 -C'était une forme de compromission
06:00 pour garder son gain de pin. -Absolument.
06:03 Quand on s'engage chez les Verts,
06:05 c'est pas pour faire carrière en politique,
06:07 c'est très aléatoire chez les écologistes.
06:10 -Mieux vaut avoir un métier, un métier passion,
06:13 un métier que j'aime, auquel je reviendrai si c'est nécessaire.
06:16 -Vous l'avez dit, vous étiez dans un cabinet d'expertise
06:20 qui accompagne les syndicats, il s'appelle Secafi,
06:23 et c'est le slogan de ce cabinet qui a attiré un peu votre regard,
06:27 réconcilié l'économique et le social.
06:29 Quand j'ai vu ça, je me suis dit que c'était un programme politique.
06:33 Vous avez fait de la politique à travers votre métier.
06:36 -Oui, c'est un métier qui est, en tout cas, engagé,
06:39 qui vise à donner à la partie faible,
06:41 aux salariés, aux représentants du personnel,
06:44 les outils pour se défendre, non pas à les défendre,
06:47 et c'est ça que j'ai trouvé bien dans ce métier,
06:49 mais à leur donner toutes les clés pour qu'ils puissent se défendre
06:53 et être à armes égales avec le même niveau d'information
06:56 que les représentants, les patrons.
06:58 -Il y a un fil rouge dans votre engagement politique,
07:01 c'est votre combat pour les droits des femmes.
07:04 En 2013, durant votre premier mandat,
07:07 vous avez fait conscience que la situation des femmes députées
07:10 n'était pas tout à fait normale.
07:12 On va réécouter votre prise de parole.
07:14 -Il est temps que nos institutions évoluent
07:16 pour prendre en compte la féminisation de nos assemblées.
07:20 Actuellement, rien n'est prévu en cas de congé maternité d'une élue.
07:24 Je vous demande un peu plus soudainement,
07:26 ce soir, monsieur le rapporteur et chers collègues,
07:29 d'envoyer un message aux femmes pour leur dire
07:31 qu'elles ont leur place dans la vie politique.
07:34 -Pour bien comprendre votre prise de parole de l'époque,
07:37 il faut savoir qu'une femme députée qui est enceinte
07:40 peut partir en congé maternité, sauf qu'elle ne sera pas remplacée.
07:44 -Absolument. Ca veut dire laisser son siège vide.
07:47 C'est une responsabilité, une culpabilité,
07:49 j'ai envie de dire, pour la femme qui est en congé maternité,
07:53 parce qu'elle a l'impression de ne pas remplir son mandat.
07:56 Je proposais qu'elle puisse être remplacée
07:59 par son suppléant ou sa suppléante
08:01 afin de concilier, finalement,
08:04 ce qui est le quotidien, le normal d'une vie de femme,
08:08 et puis ce mandat qu'on veut remplir pleinement.
08:11 -Sauf que ça n'a pas été possible. -Ca n'a pas été possible.
08:15 La Constitution a été écrite par des hommes et pour des hommes.
08:18 Le cas n'est pas envisagé.
08:20 -Pour changer ça, il faudrait réviser la Constitution.
08:23 -Absolument, c'est un article de la Constitution
08:26 qui prévoit les cas où on peut être remplacé par son suppléant.
08:29 Ils sont rares et le congé maternité n'en fait pas partie.
08:32 C'est un combat qu'on doit encore mener.
08:35 Je pense que nous y arriverons,
08:36 parce qu'à l'époque, nous étions peu nombreuses
08:39 à être enceintes dans l'hémicycle.
08:41 Aujourd'hui, il y en a beaucoup plus,
08:43 grâce à la féminisation et le rajeunissement de l'hémicycle.
08:47 C'est devant nous, mais je pense qu'il faudrait accélérer,
08:50 parce que cette intervention, ma fille a 9 ans,
08:53 donc elle a dit "à 9 ans".
08:54 -On a vu récemment plusieurs cas de femmes députées enceintes,
08:58 certaines avec des hautes responsabilités,
09:01 comme Aurore Berger, présidente du groupe Renaissance,
09:04 donc de la majorité présidentielle,
09:06 et les choses n'ont toujours pas changé.
09:08 -C'est vrai que c'est un peu triste de voir le temps qu'on met
09:12 pour des choses aussi évidentes dans beaucoup d'autres parlements
09:16 et au Parlement européen.
09:17 C'est tout à fait possible et prévu.
09:19 Je trouve qu'on est en retard et qu'il faut avancer plus vite.
09:23 -Pour revenir sur le débat que vous avez déclenché,
09:26 ça a suscité pas mal de réactions,
09:28 peu de femmes politiques vous ont soutenu,
09:30 et il y en a même qui ont eu des réactions hostiles,
09:33 comme Michèle Aliaumari.
09:35 "Pendant qu'on y est,
09:36 "pourquoi pas remplacer un homme qui se casse la jambe ?"
09:39 -Il y a un vrai sujet, les longues maladies
09:42 ne sont pas prévues. -Elle met le doigt sur un autre problème.
09:45 -Ca vous a étonné, ce genre de réaction
09:47 de femmes politiques ? -Non, ça ne m'a pas étonnée,
09:50 parce que j'ai observé que le féminisme
09:53 n'est pas partagé par toutes les femmes,
09:55 il est moins présent chez les femmes de droite,
09:58 et qu'il y a une façon, parfois,
10:00 chez certaines femmes, de vouloir cacher l'aspect féminin,
10:03 en l'occurrence le fait d'être enceinte,
10:06 dans leurs actions politiques.
10:08 Des femmes qui veulent revenir tout de suite dans l'hémicycle,
10:12 qui ne veulent pas parler de leur maternité,
10:15 je trouve ça dommage, il faut assumer entièrement,
10:18 il n'y a pas à avoir honte,
10:20 il n'y a pas à se sentir coupable de vivre sa vie de femme
10:24 en même temps que nous exerçons notre mandat.
10:26 On me voit... -On vous voit en train de prendre
10:29 la parole enceinte dans l'hémicycle,
10:32 mais vous-même, vous êtes allée assez loin,
10:34 dans votre grossesse, en restant présente à l'Assemblée.
10:38 Vous étiez tiraillée dans ce conflit de loyauté
10:40 entre vos électeurs d'un côté et votre futur bébé, votre famille.
10:44 -C'est ça, on nous a confié un mandat,
10:47 donc s'absenter longuement, c'est une culpabilité
10:50 pour les élus que nous sommes, et je ne souhaite pas
10:53 que ça soit trop dur, car nous n'avons pas à subir cela.
10:56 -On va passer à notre quiz, à présent.
10:58 Je vous explique le principe, je vais commencer une phrase,
11:02 et ça va être à vous de la compléter.
11:04 On y va ? -Oui.
11:05 -Le plus dur, quand on est une femme députée,
11:08 c'est... -Le regard des hommes.
11:11 -Le regard des hommes. -Oui, parce qu'il y a encore...
11:14 -Vous parlez du regard sur votre façon de faire de la politique ?
11:18 -Il y a toujours une forme de mépris et de condescendance,
11:21 comme on le voit dans l'hémicycle,
11:23 peut-être encore plus quand on est une femme écologiste.
11:26 Il y a cet a priori qu'on va être moins compétente,
11:29 qu'on va être plus hystérique, comme disent les hommes,
11:34 et qu'il faut toujours démontrer,
11:37 alors que, chez les hommes, c'est finalement un acquis.
11:40 On ne demande pas les mêmes preuves de compétence aux hommes,
11:44 et c'est encore le cas aujourd'hui, malheureusement.
11:47 -Pour un député, la semaine de quatre jours, c'est...
11:51 -C'est inexistant.
11:52 -Totalement utopiste, pas du tout réaliste.
11:54 -Non, mais je pense qu'il y a une réflexion à avoir
11:57 sur la charge de travail qu'on a en tant que député.
12:00 C'est relativement inaudible comme débat aujourd'hui,
12:03 et nous remplissons notre tâche entièrement,
12:06 mais le partage du temps de travail,
12:09 il vaut pour tout le monde,
12:11 et que le temps libéré,
12:12 la société du temps libéré à laquelle nous aspirons tous,
12:16 doit valoir aussi pour les élus.
12:18 C'est une aspiration de tout un chacun,
12:20 et ça vaut aussi pour nous.
12:22 -Etre subversif à l'Assemblée, c'est ?
12:24 -Là aussi, peut-être être à la Commission des finances
12:27 et porter des sujets radicaux.
12:29 J'ai choisi la Commission des finances aussi pour ça,
12:32 parce que je ne pense que...
12:34 Ca ne doit pas être un débat entre experts.
12:37 Le changement de société que nous souhaitons voir advenir,
12:40 il passe aussi par les débats de finances publiques.
12:43 Une fois de plus, maîtriser les outils,
12:45 les maîtriser bien pour les renverser
12:48 et vraiment avoir une société plus juste, plus écologique,
12:51 plus environnementale et plus solidaire.
12:54 -Merci d'avoir accepté notre invitation.
12:56 SOUS-TITRAGE : RED BEE MEDIA
12:58 Générique
13:00 ...
13:12 Merci.

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