Dans Historiquement Vôtre, Clémentine Portier-Kaltenbach vous raconte comment les Parisiens ont allumé la lumière. Au Moyen-Age, à Paris, seules trois lanternes éclairent les nuits. Les ruelles obscures sont de véritables coupe-gorges. Mais en 1667, la ville s’illumine grâce au développement d’un réseau de lanternes suspendues orchestré par La Reynie, le premier lieutenant général de Paris.
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00:00 Dans l'intimité de l'histoire
00:02 Alors aujourd'hui Clémentine, on éteint donc la lumière pour vous faire plaisir.
00:08 Vous racontez comment dans l'histoire on a constamment tenté de venir à bout de l'obscurité totale
00:13 qui posait bien des problèmes, même des problèmes de sécurité. - Bien sûr.
00:17 Pourquoi les gens se couchent-ils tôt au Moyen-Âge à votre avis ? - Parce qu'il n'y avait rien d'autre à faire, il n'y avait pas de télévision,
00:24 vous ne pouvez pas regarder Jean-Luc Lemoyne.
00:26 - Ou ceux qui ont l'histoire.
00:28 - C'est à peu près ça, en fait c'est parce que comme les chandelles coûtent très cher,
00:31 bien évidemment plus vous couchez tôt, plus vous économisez les chandelles, c'est ce qu'on appelle faire des économies de bout de chandelles
00:39 et c'est rigolo que l'expression soit parvenue jusqu'à nous, elle est fort ancienne.
00:43 Et le dernier membre de votre famille qui va se coucher, il mouche, soit avec un...
00:48 on en a parlé l'autre jour, c'est un petit instrument qui permet d'écraser la mèche,
00:54 il mouche la dernière chandelle ou il la couvre cette dernière chandelle, il couvre le feu,
00:58 ce qui évidemment a donné le mot couvre-feu.
01:00 Et la nuit venue dans les villes, encore plus dans les villages, l'obscurité est complète.
01:06 Les rues deviennent le royaume des malandrins et autres coupes jarrées.
01:10 Et l'insécurité est telle dans les rues qu'à la demande des parisiens,
01:13 on va créer en 1254 le premier guet des métiers.
01:17 Alors ça me fait rire cette histoire parce que c'était des équipes de 60 volontaires
01:22 qui étaient chargées d'assurer la sécurité de la ville,
01:25 et ça fonctionnait sur la base du bénévole, enfin pas vraiment du bénévolat,
01:29 vous étiez obligés d'y aller, mais tout le monde si vous voulez.
01:31 Donc toutes les trois semaines, et là on pourrait en prendre de la graine par les temps qui courent,
01:36 toutes les trois semaines, chaque parisien doit assurer une nuit,
01:39 une nuit de présence avec les membres de sa corporation.
01:42 Alors à la tombée du jour, vous alliez au Grand Châtelet,
01:45 le Grand Châtelet c'est là où il y a aujourd'hui le théâtre du Châtelet,
01:48 près de la cité de Notre-Dame, c'est dans ce coin-là.
01:50 - À l'époque c'était là où il y avait la police.
01:52 - Oui, tout à fait, il y avait une forteresse et une prison, et la police.
01:57 Donc vous allez là, une fois toutes les trois semaines,
02:00 et puis vous assurez, alors il y a différents services,
02:03 soit vous gardez les prisonniers, soit vous luttez contre les incendies,
02:06 ou justement vous participez aux patrouilles dans les rues malfamées de la capitale.
02:11 Normal, ça c'est une forme de bénévolat citoyen si vous voulez.
02:15 Bon, alors les citadins, évidemment vont vite se lasser de cette charge,
02:19 il y a les corporations qui ont de l'argent,
02:21 évidemment c'est comme pour le service militaire, donc là vous payez,
02:24 exactement, vous vous dispensez de la corvée,
02:27 et mais ceux qui ne viennent pas, ce qui a été un gros problème,
02:31 parce qu'évidemment très vite l'absentéisme est devenu d'autant plus chronique,
02:34 qu'on demandait aux Parisiens d'effectuer cette corvée jusqu'à 60 ans,
02:38 donc évidemment ils n'étaient pas contents,
02:41 et alors du coup on a essayé d'assouplir le système en disant écoutez,
02:44 si vous ne pouvez pas venir, faites-vous remplacer par une femme de votre famille,
02:48 payez une amende, et mais ceux qui étaient trop récalcitrants étaient dépossédés de leurs biens,
02:54 ou alors faisiez un petit séjour en prison, histoire d'affûter leur sens civique.
02:58 On ferait un truc comme ça maintenant pour les poubelles,
03:01 vous voulez pas aller aider là pour les poubelles, allez hop, en prison.
03:04 Bon, écoutez, normal, c'était normal en même temps, Paris était un coupe-gorge,
03:08 il fallait bien trouver des solutions,
03:10 songez qu'au Moyen-Âge, à Paris il y avait trois lanternes,
03:14 une près de la tour de Nel pour que les bateaux repèrent qu'ils étaient en train de rentrer dans Paris,
03:18 une justement à cette forteresse du Châtelet,
03:21 et puis une au cimetière des Saints Innocents,
03:24 c'était quand même très très sombre.
03:27 Alors dans les grandes villes, les échevins, les maires,
03:30 et les petites villes, on demande aux citadins de mettre des chandelles à la fenêtre de leur maison,
03:34 mais c'est beaucoup trop cher, enfin comment voulez-vous qu'on fasse ça ?
03:38 On peut pas, on n'a pas d'argent, alors la ville retombe dans le noir,
03:41 et les brigances multiplient, et dans la crainte d'être assassinée, les gens restent chez eux.
03:47 Alors la véritable révolution, la chose est connue, viendra de Louis XIV avec son fameux
03:52 Conseil chargé des améliorations, et le choix surtout d'un certain Larény comme lieutenant de police,
03:57 alors là, ça devient extraordinaire, parce que au signal donné par une cloche,
04:02 2730 lanternes s'allument dans les 912 rues de Paris,
04:07 et Larény a quand même pensé fort intelligemment qu'il faudrait supprimer l'éclairage pendant la durée du clair de lune,
04:14 on songe quand même aux deniers publics, c'est bien.
04:16 Enfin évidemment les gens se plaignent, mais qu'est-ce que c'est que ça, il y a trop de clarté,
04:20 cette lumière est éblouissante, les gens en plus ne travaillent plus,
04:23 parce qu'autrefois ils restaient chez eux, ils travaillaient, mais enfin maintenant ils sortent jusqu'à pas d'heure,
04:28 et puis il y a toutes les petites magouilles autour de l'éclairage,
04:32 par exemple il y avait des allumeurs de lanterne qui perçaient un petit trou dans la lanterne à mi-hauteur,
04:38 on y introduisait quelques gouttes d'eau, et puis on recouvrait le tout avec un peu de suif,
04:43 le suif ça coûte pas cher parce que c'est de la graisse animale alors que la cire d'abeille c'est cher,
04:48 donc on cachait le trou avec du suif, et donc quand la chandelle brûlait et qu'on arrivait à l'eau, elle s'éteignait.
04:53 Donc là vous récupériez la chandelle, et puis comme ça aussi on faisait des petites économies de bouts de chandelles,
04:59 on récupérait des chandelles trafiquées si vous voulez.
05:02 Alors heureusement, heureusement, il y a quand même en ville quelques porteurs de phallos,
05:06 qu'est-ce que c'est qu'un phallos ? C'est une grosse lanterne.
05:09 Alors ce sont des gens qui portent une grosse lanterne au bout d'un bâton,
05:13 et puis quand vous voulez aller d'un point à un autre la nuit, ils vous accompagnent,
05:17 vous lui donnez une petite pièce et puis tous les noctambules font affaire aux porteurs de phallos.
05:22 On voyait donc il y a des tas. Après évidemment l'éclairage public s'est considérablement amélioré,
05:28 bien sûr les chandelles, les lanternes à huile, à laquelle on a ajouté un réflecteur de métal,
05:33 et puis pour empêcher l'huile de geler en hiver, on mettait une tige de fer qui lui communiquait la chaleur,
05:39 qu'elle prenait à la flamme comme ça, l'huile ne se figeait pas, tout ça c'est vraiment d'une ingéniosité extraordinaire.
05:44 Mais là aussi les critiques fusent, la lumière c'est trop vif, ça fatigue les yeux des passants,
05:49 puis ça éblouit les cochers, les chevaux.
05:52 À ce stade on se dit il n'y aura pas mieux, de toute façon.
05:55 Et puis si, il y a quand même l'éclairage au gaz, dont le Bon prend le brevet en 1799,
06:00 mais enfin le gaz, mais ça va exploser tout ça !
06:03 Et puis l'électricité, qu'est-ce que c'est que cette lumière ? C'est livide, c'est blafard, c'est moche !
06:08 Alors en fait ce qui est drôle, si vous avez remarqué, c'est que quelle que soit l'époque,
06:11 les Français râlent contre l'absence de lumière, contre la cherté des chandelles,
06:16 la brillance des réflecteurs, le danger du gaz et la tristesse de la lumière électrique.
06:21 Alors aujourd'hui, on trouve ça trop cher et on se replonge dans le noir,
06:25 et bien oui on se croirait au Moyen-Âge.
06:26 Vous voyez que l'histoire n'est qu'un éternel recommencement.
06:30 - Merci beaucoup Clémentine, passionnant.
06:33 Alors tout à l'heure j'ai donné une citation à l'envers,
06:37 donc je vais vous la donner à l'endroit.
06:39 Clémenceau disait "La France est un pays extrêmement fertile,
06:43 on y plante des fonctionnaires et il y pousse des impôts."
06:47 Voilà.
06:48 Et maintenant chers auditeurs, c'est le moment de l'émission le plus lumineux.
06:53 - Oh écoutez, merci !
06:56 - C'est vrai que je vais laisser la parole à la lumière,
06:58 on passe de l'ombre à la lumière avec Jean...
07:01 - Oh je n'ai pas besoin de parler tout le temps non plus !
07:03 Jean-Luc Lemoyne, et oui c'est vous qui prenez la main pour le quiz "Burn to be Alive".
07:08 - Mais Luc ça veut dire lumière vous savez.
07:09 - Oui.
07:10 - C'est tout terrain noir.