Shakespeare et les femmes
Dans Historiquement Vôtre, Clémentine Portier-Kaltenbach vous raconte l'intimité de William Shakespeare. Le plus grand dramaturge anglais était-il un homme chaste ou lubrique ? Était-il doux et soumis ou misogyne ? La réponse se trouve peut-être dans les vers de ses nombreux poèmes...
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Transcript
00:00 - Dans l'intimité de l'histoire.
00:03 - Et aujourd'hui Clémentine on plonge dans l'intimité de William Shakespeare,
00:06 le dramaturge anglais qui est toujours resté très discret sur sa vie privée.
00:10 Même si vous, vous savez tout, à la lumière de son oeuvre évidemment.
00:14 - Ah bah moi j'en sais un petit peu parce que il suffit de le lire aussi, il nous dit des choses dans son oeuvre.
00:20 Par exemple à 29 ans, là il était à la fleur de l'âge, en juillet 1593,
00:25 Shakespeare publie un long poème intitulé "Vénus et Adonis"
00:30 où il décrit avec un luxe d'allusions croustillantes comment Vénus, brûlante déesse de l'amour,
00:37 tente de séduire le bel Adonis. Je cite Shakespeare "Mon amour, je serai le parc et tu seras mon dain.
00:45 Nourris-toi où tu voudras, sur les coteaux ou dans la vallée, rassasie-toi sur mes lèvres,
00:52 et si les montagnes sont desséchées, erres plus bas, tu y trouveras de douces fontaines."
00:59 Ah, oh caliente ! Bah oui c'est du Shakespeare !
01:02 Alors ce poème-là fait un tabac, il est réédité plusieurs fois,
01:06 car l'Angleterre de l'époque apprécie beaucoup ce mélange d'innocence et de dépravation.
01:12 Et ce poème d'ailleurs est si riche en allusions érotiques que l'on s'interroge sur la vie sexuelle de l'auteur.
01:18 D'autant plus que si ce poème-là décrit la passion vorace d'une femme pour un homme rivée à sa chasteté,
01:26 le poème suivant de Shakespeare, qui est intitulé, lui, "Le viol de Lucrèce",
01:31 est là pour le coup, il raconte au contraire l'histoire d'une femme innocente violée par un homme lubrique.
01:38 Alors Shakespeare, homme chaste ou homme lubrique ?
01:42 Une chose est sûre, si l'on en juge par les personnages féminins qu'il a imaginés,
01:45 il a dû avoir un sérieux problème avec les femmes Shakespeare.
01:49 Parce que certes, son œuvre compte bien quelques oies blanches, mais on y trouve surtout le pire.
01:55 Folles, hystériques, sorcières, prostituées, cannibales, mégères,
01:59 simplettes, délatrices, criminelles, incestueuses, vicieuses,
02:02 les femmes de Shakespeare sont, selon ses propres termes, piquées par les seins de tous les vices.
02:08 Alors, quelle est son histoire à lui ?
02:11 On sait qu'il a épousé à 18 ans, en novembre 1582, une certaine Anna Tawai,
02:15 qui avait 8 ans de plus que lui. Elle avait donc 26 ans et il en avait 18.
02:19 Il se trouve qu'elle était enceinte de 3 mois, ça a dû un peu accélérer le mariage.
02:22 Mais quelques temps plus tard, Shakespeare disparaît complètement,
02:25 et il ne réapparaît que 10 ans plus tard.
02:28 Et lorsqu'il prend sa retraite en 1613, alors là il retourne à Stratford, près d'Anna Tawai.
02:34 Est-ce qu'il serait revenu vers elle, auprès d'elle, si elle avait été une mégère ?
02:38 Et si elle n'était pas une mégère ?
02:40 D'où sortent alors toutes les viragos présentes dans les 37 drames et comédies de Shakespeare ?
02:45 A commencer, bien sûr, vous l'a cité tout à l'heure, Stéphane la mégère apprivoisée,
02:49 écrite en 1594. Pourquoi toutes ces femmes sont insupportables ?
02:53 Il y a pire que ça, c'est qu'en 1611, Shakespeare propose au public le personnage féminin,
02:58 sans doute le plus sordide de toute son œuvre, qui est Lady Macbeth.
03:02 Lady Macbeth, elle se livre à une véritable séance de magie noire,
03:06 pour inciter son mari à tuer le roi Duncan et à usurper sa couronne.
03:11 Dans Macbeth, comme dans Vénus et Adonis, la femme apparaît sinon comme prédatrice,
03:16 du moins comme dominatrice.
03:18 Plaisir ou meurtre, voilà à quoi se voue la femme.
03:21 D'où question, Shakespeare avait-il peur des femmes ?
03:24 Était-il un homme doué soumis ?
03:26 Parce qu'on aura remarqué que les quelques rares filles gentilles de son répertoire
03:30 ont toutes des destins épouvantables.
03:32 Ophélie, Juliette, Blanche de Castille, Crécyda, toutes les histoires se terminent mal.
03:37 L'amour vrai, l'amour pur, est impossible.
03:41 Chez Shakespeare, cette malédiction apparaît clairement comme la conséquence de la dépravation des femmes.
03:47 La pureté, si elle existe, est condamnée à mort par le sexe, voyez-vous.
03:51 L'acte sexuel pour Shakespeare, c'est le vestibule de l'enfer.
03:55 Alors évidemment, d'aucuns ont commencé à envisager que Shakespeare était simplement homosexuel
04:00 et vraiment les femmes le dégoûtaient.
04:01 Alors certaines de ses héroïnes cultivent l'ambiguïté d'une manière étonnante,
04:05 telle Viola dans La nuit des rois, qui formule ces vers particulièrement parlants.
04:10 « Comme homme, j'aime comme une femme, et comme femme, je suis aimée comme un homme. »
04:16 Hum, étrange, étrange.
04:18 Alors pour trancher une question devenue décidément trop ardue,
04:21 certains ont été convaincus que Shakespeare finalement était une femme.
04:24 Parce qu'après tout, il n'y a qu'une femme pour se montrer aussi féroce envers ses semblables.
04:28 Et puisqu'on a presque rien sur la vie du dramaturge, autant montrer de l'audace.
04:31 En avançant, les hypothèses les plus hardies.
04:33 En tout cas, avant sa mort, Shakespeare avait demandé à ce qu'on grave sur sa tombe
04:37 un quatrain demeuré célèbre qui ajoute au mystère dont s'entoure sa vie.
04:41 « Mon ami, pour l'amour de Jésus, abstiens-toi de creuser la poussière enfermée ici.
04:47 Béni soit celui qui épargne ses pierres, et maudit soit celui qui déplace mes eaux. »
04:52 Et alors les Anglais, avec un humour typiquement britannique, ont émis l'hypothèse
04:57 que si Shakespeare interdisait absolument qu'on ouvre son tombeau,
05:01 c'est parce qu'il voulait avant tout s'assurer qu'on n'y déposerait jamais, jamais, à côté de lui, la dépouille de sa femme.
05:08 - Oui, c'est une belle conclusion. Merci Clémentine.
05:12 Et maintenant, c'est le moment de l'émission.
05:14 Vous le savez, chers auditeurs, je ne contrôle plus rien
05:16 puisque c'est Jean-Luc qui prend la main pour le « Quiz Burn to be alive ».