L'échange sur la réforme des retraites entre un éboueur et un chef d'entreprise

  • l’année dernière
À la veille de la 11e journée de mobilisation et après la réunion entre l'intersyndicale et la Première ministre, Élisabeth Borne, BFMTV propose une émission spéciale "Retraites: à quitte ou double". Ibrahim Sidibe, chauffeur éboueur et Rafik Smati, chef d'entreprise échangent autour de la réforme des retraites.
Transcript
00:00 - Moi je voulais quand même rebondir ce que vous disiez à l'instant,
00:03 c'est-à-dire passer à autre chose.
00:04 Mais je ne sais pas si vous mesurez la gravité de vos propos.
00:08 Donc c'est-à-dire nous, vous croyez que ça nous fait plaisir
00:11 demain d'aller encore manifester pour la onzième fois que moi je vais dans la RIE.
00:17 Donc ça ne nous fait pas plaisir pendant trois mois,
00:20 on est quasiment à la RIE à crier contre cette réforme de retraite brutale.
00:27 Ce n'est pas ce qu'on veut passer, que nous n'y arriverons pas.
00:30 C'est ça en fait que vous n'arrivez pas à comprendre.
00:32 - Mais je le comprends très bien.
00:33 - Moi le métier que j'exerce, c'est un métier qui est pénible.
00:36 D'accord ? Donc on a des horaires décalés.
00:39 Vous avez une équipe qui commence très tôt le matin,
00:41 ça veut dire à 4h30 prise de service, donc qui va se réveiller à 3h du matin.
00:45 Vous avez d'autres, comme moi par exemple, qui est affecté à l'équipe du soir.
00:49 - Je rappelle que vous êtes éboueur, éboueur chauffeur.
00:51 - Voilà, je suis éboueur chauffeur.
00:52 Donc du coup j'étais à l'arrière de la bienne pendant huit ans,
00:55 là j'ai volé, actuellement je suis conducteur.
00:57 Mais c'est-à-dire, il pleut, on est dehors, il fait chaud, on est dehors,
01:00 les intempéries, les odeurs, on respire tout ça,
01:04 et nous risquons de développer trois fois plus de cancers parmi toute la population.
01:10 Donc vous nous demandez à nous de bosser jusqu'à 64 ans.
01:13 - Alors vous savez monsieur, moi j'ai énormément...
01:15 - Vous passez de 57 à 59 ans ?
01:16 - Non, non, non.
01:17 - Non, non, non, dans le privé, dans le domicile.
01:19 - Donc du coup déjà, l'ancienne réforme des retraites,
01:22 nous partons déjà à 62 ans, alors avec cette réforme-là,
01:25 ça veut dire qu'on aura juste encore deux ans de plus.
01:27 Deux ans de plus.
01:28 - Vous savez monsieur, j'ai énormément de respect pour ce que vous faites, vraiment.
01:32 - Mais si vous avez des respect par rapport à ce qu'on fait,
01:35 normalement vous n'aurez quand même pas de propos pour ça.
01:37 - Vous êtes plutôt jeune.
01:40 Et je peux vous dire que notre modèle de retraite aujourd'hui par répartition,
01:44 que moi je suis partisan d'ailleurs de faire évoluer,
01:46 notamment vers plus de capitalisation,
01:47 mais si on veut défendre le modèle de retraite par répartition,
01:50 ce qui est manifestement votre cas ici,
01:53 un modèle qui est aujourd'hui en déficit chronique de plus de 30 milliards d'euros.
01:57 Qu'est-ce qui va se passer monsieur ?
01:58 Ça veut dire que le système actuel risque de sacrifier votre retraite.
02:02 Voilà ce qui va se passer.
02:03 Le modèle actuel tel qu'il est fait, et si on ne fait rien, va sacrifier votre retraite.
02:06 Moi je ne veux pas sacrifier votre retraite.
02:08 - Non mais en fait, c'est que vous êtes en train de le faire.
02:10 Pourquoi ? Parce que cette sacrifice-là,
02:12 vous nous demandez de travailler jusqu'à 64 ans,
02:14 ça veut dire que nous on va mourir avant d'y arriver.
02:16 Je vous le dis, en toute honnêteté, je vous le dis.
02:18 Donc ça veut dire que cette sacrifice-là, vous nous demandez à nous,
02:20 à nous les travailleurs pauvres, de nous sacrifier.
02:22 Madame, à l'instant, qui est là, qui est boulangère,
02:24 vous êtes bien content le matin quand vous vous réveillez à 8h du matin,
02:27 trouver un bon croissant chaud ou un pain au chocolat,
02:29 et prendre un petit déjeuner avec la famille.
02:31 Pendant ce temps-là, madame, elle a dû se réveiller à 2h du matin,
02:34 2h30 ou 3h pour aller bosser dans les fours,
02:37 qui fait 40-50 degrés, mais il faut tenir compte de cette pénibilité.
02:39 - Mais monsieur, alors dans ce cas-là, militez pour un autre système de retraite
02:43 basé sur de la capitalisation, qui vous permettra d'avoir une pension de retraite
02:47 qui sera supérieure à celle que vous aurez,
02:49 et vous pourrez partir à 55 ans, comme c'est le cas dans d'autres pays.
02:51 - Mais c'est pas... - On ne peut pas tout avoir.
02:53 - Mais ce n'est pas à nous de payer. - Ce n'est pas à nous de payer.
02:55 - Voilà. - Regardez les bénéfices de Total.
02:57 Regardez les bénéfices des entreprises françaises du CAC 40, 140 milliards d'euros,
03:03 et vous dites à des gens qui ont 12 à 17 ans d'espérance de vie en moins
03:07 d'aller travailler deux ans de plus, mais ils n'arrivent même pas à cet âge-là.
03:10 Ils n'arrivent même pas à cet âge-là. Vous vous rendez compte ?
03:13 - Vous semblez bien connaître Total.
03:14 Vous pouvez nous dire combien Total paye d'impôts en France ?
03:16 - Non mais monsieur, en fait, la réalité, c'est que vous êtes en train de défendre
03:19 une réforme criminelle qui fait que des gens comme monsieur Sidi Bé
03:24 sont en train... ne peuvent pas aller jusqu'à 65 ans.
03:26 - On n'y arrivera pas, en fait.
03:27 - Ils sont en train de mourir au travail. - J'ai des exemples à vous donner.
03:30 J'ai des collègues... Non mais je suis désolé.
03:31 J'ai des exemples à vous donner.
03:33 J'ai des collègues de travail qui nous regardent à travers BFM TV ce soir,
03:36 et je les remercie, qui ont mon âge, 35 ans, 33 ans.
03:39 Ils portent des ceintures au dos.
03:41 Tramadol décomprimé par jour.
03:42 Ça, c'est une vie, ça ? À 35 ans ?
03:44 - Non mais c'est évident. - Non mais franchement...
03:46 - Non mais c'est évident. - Non mais franchement, à un moment donné...
03:48 - Mais c'est ce que vous défendez. C'est ce que vous défendez.
03:50 - Vous ne pouvez pas... Vous ne pouvez pas défendre une réforme comme ça.
03:52 - Moi, je défends, et je ne suis pas seul, je défends l'idée que nous avons...
03:54 - Et les uns qui sont dans la rue. Les uns qui sont dans la rue.
03:56 - Attendez, attendez, Ibrahim.
03:56 - Nous avons un modèle qui est en train de s'effondrer,
03:58 et si ce modèle s'effondre, vous en serez la première victime, monsieur.
04:01 C'est la seule chose que je dis.
04:03 Et on peut le défendre de manière extrêmement simple et extrêmement lucide.

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