LA VÉRIF' - Trafic de drogue: l'État a-t-il abandonné Marseille?

  • l’année dernière
Ce samedi dans "À l'épreuve des faits", notre journaliste Lisa Hadef tente de démêler le vrai du faux dans l'actualité de la semaine.
Transcript
00:00 Est-ce que Marseille a oublié des pouvoirs publics ?
00:01 Dans les années 70 déjà, Marseille et son port servent de laboratoire et de base logistique
00:06 à la French Connection, un trafic de drogue internationale.
00:09 Et 50 ans plus tard, la ville est toujours touchée par le trafic.
00:13 L'année 2023 compte déjà 14 personnes tuées à Marseille.
00:16 L'année dernière, en 2022, on en comptait 32 dans les bouches du Rhône,
00:20 dont 28 à Marseille selon le parquet.
00:23 Face aux chiffres, les habitants déplorent une inaction de l'État.
00:26 Écoutez-les.
00:28 Ça se répète inlassablement, mais là ce qui s'est passé hier soir,
00:32 trois fusillades dans trois coins différents, autant de blessés, des morts, des genoux.
00:37 Nous, derrière ça, tous les jours, on pleure.
00:39 Là, c'est plus la goutte qui fait déborder le vase,
00:41 c'est la goutte qui a fait déborder le vase il y a bien longtemps.
00:45 Et je m'étonne de façon abyssale du silence des autorités.
00:50 Alors est-ce qu'on attend un nouveau record en 2023 ?
00:54 C'est la question qu'on peut se poser.
00:56 Alors justement, ce monsieur parle de record, dans les faits on en est où ?
00:58 Est-ce que Marseille n'est plus touchée par la délinquance ?
01:00 Alors tous les ans, le ministère de l'Intérieur
01:02 communique ses données statistiques sur la délinquance.
01:04 Pour l'année 2022, Paris, Lyon et Marseille sont les trois villes
01:08 où les coups et blessures volontaires sont les plus fréquents.
01:11 À Marseille, les atteintes aux personnes ont augmenté de 7% en un an.
01:15 Et vous voyez les chiffres communiqués par la préfecture de police
01:18 sur les saisies et les interpellations, elles sont en hausse.
01:21 Écoutez ce qu'en dit Rudi Mana, il est secrétaire général
01:24 du syndicat Alliance Police des Bouches du Rhône.
01:27 Les chiffres, ils trompent rarement.
01:29 Effectivement, on se rend compte qu'il y a une délinquance
01:32 qui est devenue de plus en plus violente sur Marseille.
01:35 Il ne faut pas se leurrer.
01:36 Il faut y aller dans ces cités.
01:38 Il faut y aller faire des contrôles quand parfois vous êtes entouré
01:40 de 20, 25 mecs et il faut les faire ces interpellations.
01:44 Les saisies record que nous faisons laisse penser
01:46 qu'il y a sûrement des entrées record de stupéfiants en France.
01:51 Concrètement, qu'est-ce qui a été fait pour améliorer les choses alors ?
01:54 Pour Frédéric Camilleri, qui est la préfète des Bouches du Rhône,
01:56 les trois dernières fusillades ont bel et bien un lien direct
01:58 avec le trafic de drogue.
02:00 L'opposition se saisit du moment.
02:02 Lundi 15h, Sébastien Delogu, député de la France insoumise des Bouches du Rhône,
02:06 réclame des solutions.
02:08 J'ai pris la parole dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale
02:10 où j'ai interpellé Madame Borne et M. Darmanin
02:13 sur l'état de notre circonscription,
02:15 dans le 14, 15 et 16e arrondissement de Marseille,
02:17 où j'ai demandé ce qu'il se passait.
02:19 J'ai eu une réponse que du mépris.
02:21 J'ai demandé pourtant de l'investissement dans la police judiciaire
02:25 avec des embauches massives pour qu'on puisse en amont arrêter
02:28 ces gens qui tuent dans nos quartiers,
02:30 mais aucune réponse et que du mépris.
02:32 Il faudrait investir dans les services publics
02:34 et surtout dans une police judiciaire qui soit forte
02:37 et qu'on puisse juger ces gens rapidement
02:39 pour éviter qu'il y en ait d'autres.
02:41 Même jour 19h, le ministre de l'Intérieur annonce,
02:44 sur mon instruction, la CRS 8 sera déployée à Marseille
02:47 dans les prochaines heures afin de renforcer encore l'action résolue
02:50 de la préfecture de police des Bouches du Rhône.
02:52 On a d'ailleurs appris aujourd'hui que sa présence serait prolongée
02:55 pour plusieurs jours.
02:56 11 officiers de police judiciaire arriveront par ailleurs
02:59 d'ici septembre, mercredi, sur BFMTV.
03:02 Le ministre souhaite en plus redonner le contexte.
03:04 À Marseille, depuis que je suis mis à l'intérieur,
03:07 à la demande du président, il y a 300 policiers de plus.
03:09 Par ailleurs, il y a 200 CRS qui restent fidélisés.
03:12 Il y a trois unités de compagnie de CRS à Marseille.
03:14 Donc il y a 500 policiers de plus de ma zone permanente à Marseille.
03:17 Aucune ville de France ne connaît ça et ça n'a pas de récédent.
03:20 Chacun sait que Marseille, depuis très longtemps,
03:21 c'est une ville absolument magnifique.
03:23 Et en même temps, c'est une ville qui connaît des trafics très importants.
03:27 Sur le terrain, sous les ordres de Gérald Darmanin,
03:29 du ministère de l'Intérieur, il y a les policiers.
03:31 Rudy Mana dénonce un laxisme.
03:35 Les collègues sont vraiment débordés et on aurait besoin
03:38 d'encore plus d'effectifs.
03:39 Il va falloir aussi faire des condamnations extrêmement fermes
03:42 et extrêmement fortes contre ces trafiquants de stupes.
03:45 Quand je vois qu'il y a des trafiquants de stupes
03:48 qui font des clips pour expliquer qu'ils vendent du cannabis
03:52 dans leur cité avec des drones et que nous, policiers,
03:55 on n'a toujours pas la possibilité d'utiliser des drones
03:59 pour assurer la sécurité de nos concitoyens,
04:01 franchement, je me dis que parfois on marche sur la tête.
04:04 Et si on pouvait s'autoriser en France parfois à dire
04:09 que la sécurité c'est plus important que les droits à l'image
04:12 ou je ne sais quoi, vous savez quoi, je pense qu'on avancerait aussi
04:15 un petit peu plus vers plus de sécurité.
04:19 Sur BFMTV, on a pu entendre K. Outert, Ben Mohamed,
04:21 qui est présidente de l'association Marseille, en colère
04:24 et elle pointe du doigt l'insuffisance des moyens déployés.
04:28 Au-delà des narcotrafiquants qui gangrènent la ville,
04:30 moi j'avais écrit une tribune il y a un mois justement
04:32 quand M. Darmanin avait déployé cette CRS suite,
04:34 parce que je sais, parce que je suis issue de ces quartiers populaires,
04:38 j'ai été éducatrice pas mal d'années, que malheureusement 200 CRS,
04:41 même s'ils sont hyper formés, ça ne viendra pas à bout
04:44 d'un problème qui est limite systémique dans cette ville
04:47 et ailleurs dans le territoire, où ces territoires ont été
04:50 totalement abandonnés et où la seule mesure répressive
04:53 ne suffira jamais, tant qu'il n'y aura pas autour de la table
04:55 différents ministères, à savoir éducation, sport, culture,
05:00 bien sûr celui de l'intérieur, bien sûr celui des magistrats,
05:03 mais aussi celui du logement pour désenclaver tous ces trafics
05:06 qui sont complètement géographiquement enclavés,
05:08 on ne réglera pas ce souci.
05:09 Il y a des familles qui connaissent les meurtriers de leurs enfants.
05:11 On avait monté une cellule il y a quelques années
05:13 pour demander au préfet de sortir ces familles de ces cités.
05:16 À ce jour, cette cellule ne fonctionne toujours pas
05:17 et ces familles ne sont pas, elles côtoient encore
05:19 dans le palier, dans le quartier, les assassins de leurs fils
05:22 avec la menace que ces gens-là enrôlent d'autres enfants
05:25 dans ces trafics.
05:26 Vous avez entendu un caoutère, Ben Mohamed,
05:28 a proposé des solutions, a fait des suggestions.
05:30 Écoutez ce qu'en pense le ministère de l'Intérieur
05:32 par la voix de Camille Chez, la porte-parole.
05:35 Vraiment, deux leviers, il y a la répression,
05:38 et c'est notre travail au sein du ministère de l'Intérieur
05:39 et de l'Outre-mer, de tout faire pour supprimer
05:42 ces points de l'île par des petites victoires,
05:44 comme je le disais, démantelées avec des réseaux
05:46 des fois internationaux.
05:47 La police judiciaire est vraiment sur du démantèlement
05:49 avec des enquêtes lourdes et complexes.
05:52 Mais aussi ce deuxième pilier qui est très important,
05:54 qui est le pilier de la citoyenneté,
05:55 qui est important au ministère de l'Intérieur.
05:57 Comment faire pour que des jeunes de 12, 13, 14, 15 ans
06:01 n'entrent pas dans la chaîne de d'allincance
06:02 ou s'ils sont tentés de faire les chouffes,
06:04 c'est-à-dire de guetter à l'intérieur de ces points de l'île,
06:08 de rentrer dans ce business ?
06:09 Comment faire en sorte qu'ils s'en sortent
06:10 le plus vite possible ?
06:11 Et là, on est sur des actions de prévention de la délinquance
06:13 qui ne sont pas menées par les forces de l'ordre,
06:14 même si on peut faire des petites actions de prévention,
06:17 mais qui sont menées avec des partenaires
06:18 sur une politique publique qui est portée par les préfectures,
06:21 qui est très interministérielle.
06:22 L'éducation nationale, les collectivités,
06:24 les associations sportives, etc.
06:26 Et c'est plein d'actions.
06:27 Ça peut être du soutien à la parentalité, par exemple.
06:29 Comment faire en sorte que des parents arrivent à plus
06:31 s'impliquer sur l'éducation de leurs enfants
06:33 ou arriver à trouver les leviers éducatifs sur leurs enfants ?
06:35 Ça peut être des associations dans le domaine sportif,
06:37 des associations aussi sur l'identité.
06:40 Il y a plein de choses qui existent.
06:41 Si on remonte un peu dans le temps,
06:43 j'imagine qu'il y a eu d'autres choses de faites
06:44 depuis plusieurs dizaines d'années.
06:46 Oui, complètement.
06:46 Il y a 11 ans, en 2012, Samia Ghali,
06:48 maire adjointe de Marseille, ancienne sénatrice,
06:51 réclamait carrément l'aide de l'armée.
06:53 Entre 2011 et 2022, les gouvernements successifs
06:56 ont fait plusieurs annonces pour neutraliser la délinquance
06:59 à Marseille.
06:59 Vous les voyez.
07:00 D'ailleurs, depuis l'année dernière,
07:01 une nouvelle méthode y est expérimentée.
07:03 Sur deux ou trois jours, des centaines de CRS
07:05 et gendarmes mobiles sont envoyés sur place.
07:08 Ils étaient 550 lors de la dernière opération.
07:10 Ça s'appelle une opération pilonnage.
07:12 Et l'objectif, selon la préfète des Bouches-du-Rhône,
07:15 c'est, je cite, "taper de façon massive et répétée
07:18 pour effriter les réseaux de trafiquants".
07:20 Extrait.
07:22 Pour les 181 lieux répertoriés dans le département,
07:25 39 ont été démantelés, dont 29 à Marseille,
07:28 comme celui de la cité Bassins, dans le 14e arrondissement.
07:32 Des résultats inédits, essentiellement dus à cette stratégie
07:35 de pilonnage qui harcèle l'ensemble des maillons de la chaîne,
07:39 du simple guetteur aux têtes de réseau.
07:41 Au total, plus de 1 800 individus ont été mis en cause
07:44 dans des affaires de trafic.
07:46 On a également pu observer un effritement progressif
07:50 des points de deal, même les plus emblématiques.
07:52 Dans certaines cités de Marseille,
07:53 le chiffre d'affaires des trafiquants est en baisse de 80 %
07:57 parce que tous les jours, nous menons des opérations policières
07:59 et que ce travail de pilonnage aboutit à des résultats.
08:03 Est-ce qu'il y a des délinquants ? Oui.
08:04 Est-ce qu'il y a des zones de l'endroit ? Non.
08:07 La réponse est très claire.
08:09 On va partout où on veut, quand on veut,
08:11 pour faire nos opérations.
08:13 Sauf que manifestement, ça n'a pas suffi.
08:16 Non, parce que c'est encore à Marseille
08:17 que les règlements de comptes liés au trafic se cristallisent.
08:20 Écoutez Dominique Laurence,
08:21 c'est la procureure de la République de Marseille.
08:24 La part de l'activité du parquet de Marseille
08:27 sur les trafics de stupéfiants est une part d'activité
08:31 beaucoup plus importante que celle d'autres juridictions
08:35 qui sont à peu près comparables,
08:36 puisque environ sur le trafic de stupéfiants,
08:42 toute catégorie, c'est 18 % de notre activité.
08:46 Sur l'activité de la comparution immédiate,
08:48 c'est quasiment 50 % des dossiers que nous déférons
08:51 en comparution immédiate,
08:52 ce sont des dossiers de trafic de stupéfiants
08:55 qui viennent donc être jugés par la correctionnelle.
09:00 Au gouvernement, deux réactions.
09:01 D'abord celle d'Olivier Véran, le porte-parole s'en tient au constat.
09:05 Personne n'a dit jamais que du jour au lendemain,
09:08 on arriverait à vaincre le grand banditisme
09:11 et les morts qui vont avec et le trafic de drogue.
09:13 Mais ce que je peux vous dire,
09:15 c'est que jamais autant d'efforts n'ont été portés par un gouvernement
09:18 pour sécuriser, pour rapporter la sécurité républicaine partout
09:21 et lutter contre les trafics.
09:23 Et deuxième réaction, Éric Dupond-Moretti,
09:25 le ministre de la Justice,
09:27 qui estime lui que la solution est toute trouvée.
09:31 Évidemment, il n'y a pas de frontière entre ceux qui fument un pétard le samedi
09:35 pour leur confort festif et les trafiquants.
09:38 S'il n'y a pas de consommateurs, il n'y a pas de trafic.
09:40 Et s'il n'y a pas de trafic, il n'y a pas de règlement de compte.

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