Les grands entretiens de Daphné Roulier "La défense dans la peau" - Les grands entretiens de Daphné Roulier "La défense dans la peau"

  • l’année dernière
« L'indéfendable, ça n'existe pas » estime Liliane Glock, qui accepte volontiers d'endosser l'étiquette « d'avocate de l'impossible ». Chargée de la défense de personnalités très médiatisées comme les criminels Francis Heaulme, Simone Weber et Jacques Maire, ou du Hamas, organisation palestinien classée comme terroriste, elle conçoit sa profession comme un devoir civique. L'avocate raconte au cours de cet entretien les premières rencontres avec ces célèbres accusés, le « grand saut entre le mythe et la personne humaine », mais également le lien de confiance très particulier qu'elle entretient toujours avec eux.
Très critique à l'égard d'un système judiciaire français qui tient, selon elle, grâce à la qualité de ses juges, Liliane Glock dénonce ici l'omniprésence du Président de la juridiction lors du procès pénal, les conséquences néfastes de la fin des jurys populaires ou encore l'impossibilité du « plaider coupable » pour les infractions les plus graves.

La justice, son sens, son essence et sa pratique sont sans cesse discutés et débattus. Loin de l'image figée d'une statue, notre époque montre que l'interprétation de la justice est mouvante et qu'elle doit parfois être elle-même protégée.
Daphné Roulier reçoit des ténors et des « ténoras » : des avocats de grands faits divers ou de grandes causes qui ont consacré leur carrière et leur vie à défendre, qui ont « La défense dans la peau » : Marie Dosé, Serge Klarsfeld, Henri Leclerc, Julia Minkowski, Thierry Moser, Hervé Temime..
Quelle conception ont-ils de leur rôle ? Quel rapport ont-ils avec leurs clients et leur conscience ? Quelles affaires ont marqué leur vie ?
Quelle est la place des femmes pénalistes aujourd'hui ? Que pensent-ils des polémiques autour de la prescription et de la présomption d'innocence ?
Dans « Les Grands Entretiens » ces champions de l'art oratoire nous livrent leur idée du droit et de la justice et de la société qu'ils impliquent.

Abonnez-vous à la chaîne YouTube LCP : https://bit.ly/2XGSAH5

Suivez-nous sur les réseaux !
Twitter : https://twitter.com/lcp
Facebook : https://fr-fr.facebook.com/LCP
Instagram : https://www.instagram.com/lcp_an/

Retrouvez nous sur notre site : https://www.lcp.fr/

#LCP #LesGrandsEntretiens

Category

🗞
News
Transcription
00:00 "Musique"
00:18 Liliane Glock, vous avez été l'avocate, entre autres,
00:21 de Simone Weber, la diabolique de Nancy,
00:23 du non moins célèbre routard du crime Francis Holm
00:26 ou encore de celui que fait entrer l'accusé
00:28 qui a finement baptisé le coupable innocent, Jacques Maire.
00:31 Autant de clients qui ont défrayé la chronique judiciaire.
00:34 Comment vous êtes-vous retrouvée dans ces dossiers ?
00:36 Déjà, vous remarquerez une chose,
00:39 c'est que ce sont des dossiers locaux, quand même.
00:41 Je suis un peu spécialisée dans le criminel lorrain.
00:44 Bon. C'est gênant de faire son auto aux promotions.
00:49 Si vous voulez, j'étais parmi les quelques pénalistes
00:53 de l'endroit.
00:54 La première rencontre avec l'accusé est souvent déterminante, dit-on.
00:58 C'est celle qui guide la relation qu'entretient l'avocat
01:01 à son client.
01:02 Est-ce qu'il y a quelque chose qui se joue,
01:04 qui se dit ou qui se noue ?
01:05 Lors des premiers contacts, on n'évoque pas les faits reprochés.
01:09 Est-ce vrai ?
01:10 -Déjà, il y a un grand saut que personne d'autre
01:13 que l'avocat ne peut faire, finalement.
01:15 C'est qu'on passe, quelque part, d'une image à une personne,
01:20 pour ne pas dire d'un mythe à une personne.
01:22 Simone Weber, c'était déjà un mythe
01:24 quand elle était en détention.
01:26 Et vous vous trouvez face à une personne humaine.
01:29 Voilà.
01:30 Et ça, c'est déjà un grand saut.
01:32 -Êtes-vous du côté des avocats,
01:34 tel un Thierry Mauser, le conseil de la famille Villemin,
01:37 qui ont besoin d'être convaincus de la sincérité de leurs clients
01:41 pour bien les défendre, ou êtes-vous du côté de ceux
01:44 comme André Buffard, qui disent que le job de l'avocat,
01:47 c'est de défendre en aucune façon.
01:49 Où vous situez-vous ?
01:50 -Moi, je suis là pour défendre mon client.
01:53 C'est peut-être un peu simpliste,
01:55 ça manque peut-être de subtilité,
01:57 mais je suis là pour ça et pas pour autre chose.
02:00 -Vous n'êtes en aucune façon de celle qui se désiste
02:03 si vous avez la certitude que votre client ne dit pas la vérité.
02:06 Vous êtes prête à le défendre à n'importe quel prix ?
02:09 -Déjà, première chose, et ça me paraît être un préalable,
02:12 c'est pas à n'importe quel prix.
02:14 Je ne lui demande pas la vérité.
02:16 Chaque fois que je le peux, je regarde le dossier d'abord.
02:20 Et le client me dit des choses qui sont soutenables ou non.
02:23 Et si ça n'est pas soutenable,
02:25 j'aurais même pas à dire à la personne que je la défends pas.
02:29 -Lillian Glock, vous avez la défense dans la peau.
02:31 Juste que, parfois, pousser les choses très loin,
02:34 je pense notamment au rapport de force
02:37 avec les magistrats que vous pouvez mettre en place
02:40 et qui virent parfois au grand guignol.
02:42 Faire comparaître l'un de vos clients historiques,
02:45 Francis Holm, pour ne pas le nommer dans le procès
02:48 d'un autre de vos clients, Jacques Merre,
02:50 c'était pour le moins inhabituel.
02:53 Francis Holm, on le met en cause
02:54 dans tout un tas d'affaires qui ne l'ont pas concerné.
02:57 Vous ne le voyez pas, car ce sont des pistes qui n'aboutissent pas.
03:01 Mais quand même, on le met en cause,
03:03 et finalement, on lui fait des excuses, je suis optimiste,
03:07 on lui dit que c'est fini, il n'a rien à voir là-dedans.
03:10 Ce qu'on a fait pour Francis Holm, on peut le faire aussi
03:13 pour Jacques Merre.
03:15 C'est intéressant de voir qu'on peut inquiéter des gens
03:18 qui, de toute évidence, n'ont rien à voir là-dedans.
03:21 Vous avez cité un homme qui n'avait fondamentalement rien à dire
03:24 dans ce procès.
03:26 C'est pas n'importe quel détenu, Francis Holm.
03:28 Il est très célèbre et très honni.
03:30 Est-ce que son témoignage était indispensable ?
03:33 Ou est-ce qu'il y a, admettez-le, quelque chose de surjoué ?
03:36 Votre confrère, Hervé Témime,
03:38 pense qu'en tout avocat, sommeille un acteur.
03:41 Vous êtes d'accord ? -Pas du tout.
03:43 En tout cas, pas pour moi.
03:45 Si vous voulez, on dit "les avocats".
03:47 Les avocats, c'est plusieurs métiers.
03:49 Chacun a son tempérament, chacun a sa façon de voir.
03:52 Au fond, on n'est pas d'accord entre nous,
03:54 et c'est bien ainsi, si vous voulez.
03:57 Moi, je ne suis pas du tout sur cette ligne de défense
04:00 qui consiste à dire "si je le dis bien, ça marchera".
04:03 C'est un peu ça, finalement.
04:05 -Vous ne croyez pas à la brillance du discours, n'est-ce pas ?
04:09 Qu'est-ce qui le joue ?
04:11 -C'est pas la question d'y croire ou de ne pas y croire.
04:14 Je trouve que, quelque part, quand même,
04:17 on est dans une société démocratique au XXIe siècle,
04:20 c'est dramatique qu'on ait que ça pour défendre quelqu'un
04:23 qui est aux prises avec la justice.
04:25 Parce qu'en fait, on a pratiquement que ça.
04:27 On est dans un système judiciaire où l'avocat est mal vu,
04:30 où il n'a pas beaucoup de pouvoir, pas beaucoup de possibilités,
04:34 et il n'a que des mots pour défendre son client.
04:37 On nous racontera que dans le temps de la procédure,
04:40 on peut demander au juge d'instruction,
04:42 de désigner un expert qu'on n'aura pas choisi,
04:44 sur une liste établie par l'accusation,
04:47 et expertise à laquelle on n'assistera pas.
04:49 Donc, c'est vrai que la défense en droit français,
04:53 ce sont les mots, d'accord ?
04:55 Et si les mots ne sont pas lourds de conviction et de sincérité,
04:59 à mon avis, ça ne marche pas.
05:01 Et j'ai entendu Henri Leclerc dire...
05:04 Je crois qu'il fait une excellente synthèse.
05:07 Il dit pas "il peut m'arriver d'être cabotin".
05:10 Il dit "quand je le dis, je le crois".
05:13 A telle enseigne qu'il faut même quelques fois
05:15 que mes confrères me disent "attends, tu l'as vraiment cru ?"
05:19 Et Leclerc doit répondre "au moment où je l'ai dit, oui, je l'ai cru".
05:22 -La justice est assez biaisée, la défense a peu de place.
05:26 Défendre l'indéfendable, c'est l'essence même de votre métier,
05:29 c'est donner corps à votre serment,
05:31 c'est à la fois un devoir et un honneur.
05:34 -Ah bah oui, complètement.
05:36 C'est en effet un devoir et un honneur,
05:39 mais on ne défend pas que l'indéfendable, entre guillemets,
05:42 parce que déjà, c'est une expression
05:44 qui est quand même plus journalistique que juridique
05:47 et qui n'est pas forcément exacte.
05:49 -L'indéfendable, dans l'esprit de l'opinion publique ?
05:52 -Vous savez, dans l'esprit de l'opinion publique,
05:55 si on compare des sociétés différentes, des époques différentes,
05:59 le curseur n'est pas au même endroit.
06:01 Il y a eu des époques où, quasiment pour tout le monde,
06:04 le blasphème était ce qu'il y avait de plus grave.
06:07 On a quand même bien évolué depuis.
06:09 Donc, l'indéfendable, déjà, l'indéfendable,
06:12 il n'existe pas.
06:13 Et en plus, notre profession défend celui qui est seul aux prises.
06:18 En fait, pour les affaires graves,
06:20 c'est même pas avec la justice seulement,
06:23 c'est avec la société.
06:24 Et je crois que c'est une question qui ne se pose pas, en fait.
06:27 La vraie vérité, c'est que c'est une question qui ne se pose pas.
06:31 Un avocat doit défendre celui qui a commis même le pire
06:36 avec une limite, sauf si vous ne vous sentez pas capable de le faire,
06:40 parce que ça serait au détriment du client.
06:42 C'est une clause de conscience.
06:44 Vous avez vous-même perdu un enfant,
06:46 on vous demande de défendre un meurtrier d'enfants,
06:49 on ne peut pas exiger ça.
06:51 Mais autrement, c'est sûr que si personnellement,
06:54 on n'est pas spécialement impacté, eh bien oui, il faut y aller.
06:57 C'est presque un devoir civique.
06:59 -Il faut y aller.
07:00 Personne, le saviez-vous,
07:02 ne voulait plaider pour le tueur en série Michel Fournière.
07:05 Il a fallu des avocats commis d'office,
07:07 au contraire de Francis Saulme,
07:09 et le nombre d'avocats louchait.
07:11 Comment expliquez-vous ça ?
07:13 -C'est deux affaires qu'on ne peut pas comparer.
07:16 Je le répète depuis des années.
07:17 J'ai pas plaidé toutes ces affaires,
07:19 mais il y en a un certain nombre, en ce qui concerne Francis Saulme.
07:23 J'espère, si c'est pas à moi qu'on le doit, tant pis,
07:26 que depuis le temps que j'en parle,
07:28 ça a quand même quelque part modifié son image.
07:32 Francis Saulme est majoritairement passé
07:35 pour un prédateur cynique,
07:38 un pervers qui jouit du malheur et de la mort d'autrui,
07:42 mais c'est pas du tout ça.
07:44 Francis Saulme,
07:45 c'est, en tant que personne,
07:48 une production de notre société.
07:50 C'est pas sa faute, s'il est comme ça.
07:52 On va me dire que c'est facile,
07:54 mais c'est aussi un bon bouc émissaire.
07:57 Francis Saulme, c'est un personnage
07:59 qui n'a pas la capacité de se conduire normalement,
08:03 qui a été produit par une société qui ne veut pas l'assumer.
08:06 C'est quand même ça.
08:08 Condamner Francis Saulme,
08:09 ça dédouane le reste de la société,
08:12 il faut pas s'y tromper.
08:13 Et Francis Saulme, c'est mon client,
08:16 j'aime pas employer des mots péjoratifs,
08:18 mais à une époque où on y allait quelques fois
08:21 dans les expressions, on aurait dit "c'est un idiot de village".
08:25 C'est pas du tout la même chose.
08:26 Je dois dire que, pour ma part,
08:28 je suis contente de défendre Francis Saulme.
08:31 -Qu'est-ce que vous pensez de la fin programmée
08:34 des jurés populaires ? -Ah, quelle catastrophe.
08:36 Quelle catastrophe.
08:38 -Le droit de juger appartient au peuple
08:40 et pas à l'école de la magistrature ?
08:42 -Exactement. Exactement.
08:44 Quand vous vous dites que, pour les cas les plus graves,
08:47 qui vont impacter toute la vie de celui qui est accusé,
08:51 c'est quelqu'un qui a été reçu
08:53 à un concours de grande école.
08:56 Et bien, même si ces gens-là sont éminents,
08:58 et il y a de très bons juges,
09:00 parce que si on en a l'occasion,
09:02 moi, je pense qu'on a un mauvais système judiciaire au pénal,
09:06 avec, de temps en temps, souvent,
09:09 la proportion reste à déterminer,
09:11 un résultat qui est correct, parce qu'on a des bons juges.
09:14 On fait fonctionner la justice sur la qualité des juges
09:17 et non pas sur la qualité du système.
09:20 Donc, je ne mets pas en cause la qualité des juges,
09:23 mais je dis qu'au fond, en plus,
09:24 c'est une charge morale qu'on n'a pas à leur imposer.
09:27 -Vous êtes viscéralement attachée à l'oralité des débats.
09:31 Or, les cours criminels départementaux
09:33 avec des magistrats professionnels sont en train de les remplacer.
09:37 -On en a déjà une expérience.
09:38 Et on reste dans l'oralité des débats.
09:41 Il faut voir une chose.
09:42 Pourquoi est-ce qu'on a fait ces cours criminels ?
09:45 Parce qu'on n'arrive plus...
09:47 La justice est engorgée jusqu'au niveau criminel,
09:50 c'est pas autre chose.
09:51 On n'arrive plus à purger les affaires.
09:53 On s'est dit qu'on allait faire des cours criminels,
09:56 parce que ça ira plus vite. -C'est dans une logique d'abattage.
10:00 -En tout cas, de purger...
10:03 les dossiers qu'on n'arrive pas à juger.
10:06 C'est ça, la réalité.
10:07 On va faire plus simple.
10:08 On met là-dessus de grandes raisons,
10:11 des juges professionnels, c'est mieux...
10:13 -Au départ, ces cours criminels départementaux
10:16 étaient provisoires.
10:17 On devait faire un odisse. -C'était un essai.
10:19 -Aujourd'hui, le provisoire dure. -Il y en a une près de chez moi.
10:23 L'expérience démontre, par exemple,
10:25 que les audiences durent le même temps.
10:29 Une affaire qui se jugeait en trois jours
10:31 se jugeait en trois jours.
10:33 Il fallait entendre deux experts, on fait venir les deux experts.
10:37 -Il n'y a pas un gain de temps. -Non, on ne gagne pas de temps.
10:41 Je ne pense pas qu'il y ait un bénéfice sérieux
10:43 à procéder de cette façon-là.
10:45 Vous savez, qu'est-ce qu'on économise ?
10:48 On économise l'espèce d'intendance
10:52 qui consiste à établir les listes de jurés,
10:54 à les vérifier, à voir ce qu'il faut enlever, etc.
10:57 C'est vrai que c'est une espèce d'ingénierie qu'il faut...
11:01 Mais ça ne change rien, c'est pas ça, le vrai problème.
11:04 Les audiences durent le même temps et ça ne va pas mieux.
11:07 -Quel est l'écueil de cette réforme ?
11:09 -Je pense que le public va se désintéresser
11:12 de plus en plus de la justice.
11:13 Et ça, c'est pas une bonne chose.
11:16 Le public s'est déjà désintéressé de la politique.
11:19 Comme le fonctionnement de la vie politique
11:22 est difficile à apercevoir, les gens disent
11:24 "je retourne à mes oignons", c'est-à-dire à ma vie.
11:27 Je pense que la justice, ça va être la même chose.
11:30 -Et c'est quand même grave.
11:32 -C'est grave parce que...
11:34 L'acte de jugé, c'est pas anodin.
11:36 Et que pour qu'il y ait une vraie légitimité,
11:40 déjà, il faut pas une seule personne qui juge,
11:43 et il faut une espèce d'échevinage
11:47 entre le public et les juges.
11:49 Autrement, la légitimité,
11:51 et pour les choses graves,
11:52 certes, on a plus la peine de mort,
11:54 mais une perpétuité incompréhensible,
11:57 comme on dit, c'est quand même quelque chose.
12:00 Et pour que ça reste quelque chose vraiment de légitime, d'honnête,
12:05 il faut que...
12:06 le peuple participe, que tout le monde participe.
12:11 En plus, notre cour d'assises,
12:13 qui a déjuré ?
12:15 Elle a quand même un autre défaut.
12:17 C'est que, à l'instar de la vie politique,
12:20 d'ailleurs, j'ai l'impression qu'en France,
12:22 on aime bien les régimes présidentiels.
12:25 La cour d'assises est un régime présidentiel.
12:29 Le président fait tout.
12:31 Il accuse, il défend, etc.
12:33 L'avocat général y pose une ou deux questions résiduelles.
12:36 L'avocat de la défense, pareil, avant de parler à la fin.
12:40 Mais on a déjà un président qui est omniprésent.
12:43 On le sait à travers les témoignages
12:45 plus ou moins officiels de jurés
12:48 concernant le délibéré,
12:49 ce qui se passe un peu dans la salle
12:51 où on se réunit avec les jurés.
12:53 -C'est ce qui s'est passé dans le procès de Simone Weber.
12:57 -Pour une fois, parce que vous savez
12:59 que le secret du délibéré, à la différence d'autres secrets,
13:02 est quand même très sévèrement gardé.
13:04 C'est un an de prison, 15 000 euros d'amende,
13:07 et puis des poursuites qui existent.
13:09 C'est vrai que dans l'affaire Simone Weber,
13:12 c'est étonnant, parce que l'affaire est vieille,
13:15 mais tout le monde s'en souvient.
13:16 Simone Weber est encore vivante.
13:18 Il y a un ou une jurée...
13:20 -Qui avait témoigné dans l'Est républicain en 2015.
13:23 -2015, c'est une de vos consœurs qui a fait...
13:27 C'est donc sur la voie publique
13:29 qui, particulièrement choquée, quand même,
13:31 dit que, se retirant dans la salle
13:35 à l'arrière de l'audience,
13:37 le président a mis la main sur le dossier,
13:40 a dit "ça, ça vaut perpète".
13:41 -Donc il a orienté.
13:43 -Le président manifeste son opinion
13:46 et en même temps, il témoigne
13:49 de son impérialisme, quelque part,
13:51 dans la Cour d'assises françaises.
13:53 Il est le seul qu'on ne puisse pas enlever.
13:56 Il peut faire l'audience à lui tout seul.
13:58 Six semaines d'audience, c'est rare, quand même,
14:01 pour une affaire criminelle de droit commun,
14:03 qui n'est pas du terrorisme.
14:05 Et plus l'audience est longue,
14:07 plus les jurés prennent du pouvoir,
14:10 parce que la justice est un lieu de pouvoir, on le sait bien.
14:14 Et là, il y a eu six semaines,
14:15 et ils ont pu contrebalancer le pouvoir du président,
14:19 parce que cette jurée, ou ce juré,
14:21 dit des choses positives.
14:23 Il dit "j'ai l'impression d'avoir pu peser
14:27 pour qu'on soit juste".
14:29 Bah écoutez, si ça, ça ne démontre pas...
14:33 -Les nécessités. -Le fait de garder
14:35 les jurés d'assises, c'est quand même
14:37 une belle démonstration.
14:38 -Vous parliez d'impérialisme, d'autoritarisme.
14:41 Simone Weber s'est révélée à son procès
14:44 en diva du fait dive, en reine de la réplique.
14:47 Elle a transformé le tribunal en salle de spectacle.
14:50 Elle connaissait sur le bout des doigts
14:52 les 18 000 pages de son dossier d'instruction.
14:55 Comment défend-on, Iliane Glock,
14:57 quand on a affaire à une cliente qui mène elle-même les débats
15:01 et joue à guichet fermé ?
15:02 Comment on existe auprès d'elle ?
15:04 -Simone Weber, si vous voulez,
15:06 c'est quelqu'un qui tenait ses avocats en respect.
15:09 -Oui. -Et je crois
15:10 qu'il fallait faire la même chose,
15:13 et c'est ce que j'ai fait.
15:14 C'est-à-dire...
15:16 -Lui tenir la dragée haute ?
15:18 -Quelque part, mais en acceptant...
15:20 -Et la laisse courte ? -En acceptant le retour.
15:23 Notamment, par exemple, elle avait pris l'habitude
15:26 de critiquer ses avocats auprès du juge d'instruction,
15:29 éventuellement par écrit.
15:30 "Mon avocat untel a fait ça, j'ai nul, je suis pas d'accord."
15:34 J'ai mis des bornes immédiatement.
15:36 Je lui ai dit "Madame Weber, si vous voulez me critiquer,
15:39 "vous me le dites, ou vous me dites qu'on s'est vus
15:42 "suffisamment longtemps, mais je n'accepte pas de voir
15:45 "au dossier, quand je vais le consulter,
15:47 "une lettre où vous vous plaignez de moi."
15:50 Mais d'un autre côté aussi, pareil,
15:52 moi, je respectais son caractère.
15:54 Et elle a récusé les jurés elle-même.
15:56 On n'avait jamais vu ça.
15:58 -Il y avait quelque chose de très théâtral.
16:00 Elle a été victime plusieurs fois de malaise.
16:03 On se souvient notamment d'elle sortant sur une civière
16:06 de la cour d'appel de Nancy.
16:07 Est-ce qu'il y a aussi une part de théâtralité aux assises
16:11 et dans ce procès en particulier ?
16:13 Sincèrement.
16:14 Qu'est-ce que vous en dites ?
16:16 -S'il y a une part de théâtralité,
16:18 c'est rarement l'accusé.
16:21 Dans ce procès, on y vient.
16:23 Autrement, je dirais plutôt non
16:27 de la part de l'ensemble des accusés.
16:29 Maintenant, on a des procès matinés de politique,
16:32 des procès de terrorisme, c'est une autre histoire.
16:35 Mais le pénal traditionnel, vous savez,
16:37 l'accusé, il est quand même dans la cage en verre.
16:40 En ce qui concerne Simone Weber, c'est un cas un peu particulier.
16:44 -Elle est théâtrale.
16:46 -Mais oui, voilà.
16:47 Je veux dire, quand on allait la voir
16:49 au parloir de la prison,
16:51 il y a pas de public, là, mais elle était la même.
16:54 J'avais pas le sentiment de quelqu'un
16:56 qui jouait la comédie à l'audience.
16:58 Elle était elle-même.
17:00 C'était peut-être pas d'ailleurs une bonne idée d'être elle-même.
17:03 Après...
17:04 Moi, je sais que cette histoire de récuser les jurés,
17:07 j'étais à fond contre.
17:09 Je lui ai dit, "Si vous voulez le faire, vous le faites,
17:12 "mais il faut pas, c'est antipathique de récuser."
17:15 Et puisqu'on a parlé de cette jurée qui s'est exprimée,
17:20 elle a dit une chose très intéressante
17:22 et qui me renvoie dans les cordes, je crains pas de le dire.
17:25 Elle dit, à travers la récusation,
17:27 "Celui qui n'est pas récusé a l'impression d'être choisi."
17:31 -Ce qui est très juste.
17:32 -Et ce juré dit,
17:34 ou laisse entendre, mais en tout cas, c'est ça, le message,
17:37 "J'ai senti que c'était elle qui m'avait choisie,
17:41 "et non pas l'avocat."
17:44 J'avais peut-être tort, c'est peut-être elle qui avait raison.
17:48 -Linienne Glock, vous êtes aussi l'avocate du Hamas.
17:51 Comment devient-on l'avocate d'une organisation terroriste,
17:56 en tout cas, telle que l'Union européenne la définit ?
17:59 -Et en plus, j'ai été leur avocat sur ce sujet.
18:03 Il s'agit pas de conseils sulfureux ou je ne sais quelle histoire.
18:07 Ils sont inscrits sur la liste terroriste européenne
18:10 et ils ont souhaité, à un moment donné,
18:13 en sortir, demandé à en sortir.
18:15 -Ils en sont sortis au Luxembourg, je crois.
18:17 -Très momentanément. -Très momentanément.
18:20 -Mais pour un avocat, c'est quand même un plaisir,
18:23 parce que c'est un tout petit séisme
18:26 dans les conséquences,
18:27 mais c'est un tout petit séisme momentané, mais planétaire.
18:31 C'est quand même la réalité, en toute modestie.
18:34 -Comment devenez-vous l'avocate des Palestiniens ?
18:37 D'ailleurs, vous portiez à un certain moment le keffier.
18:40 -J'ai eu pour client un Palestinien de Nancy
18:43 pour une question de titre de séjour.
18:46 Ce Palestinien avait créé une association
18:48 pour collecter quelques sous.
18:50 De fil en aiguille, je suis allée en Palestine.
18:53 Comment je suis devenue l'avocat du Hamas ?
18:55 J'étais sur place pour des raisons humanitaires
18:58 et on m'a demandé de me voir.
19:00 En ce qui concerne cette procédure à Luxembourg,
19:02 devant une juridiction européenne,
19:04 ces gens m'ont reçu, c'était des chefs,
19:07 et ils m'ont donné une demi-heure pour m'expliquer.
19:10 J'étais avec un traducteur.
19:12 En une demi-heure, ils ont décidé que oui, on faisait la procédure.
19:15 J'étais un peu à la fois surprise et émerveillée.
19:18 Il s'agissait de quelque chose, je vous dis, de très correct.
19:22 C'était... Enfin, c'est une démarche positive de leur part.
19:25 On peut le dire sans faire l'éloge de cette entité,
19:29 comme dit l'Europe,
19:30 mais ils demandent à sortir de la liste.
19:32 Ca veut dire qu'ils s'en fichent pas.
19:34 C'est quand même quelque chose de tout à fait positif.
19:38 -La juridiction européenne ne s'inscrit pas
19:40 dans une démarche politique matitée d'internationalisme,
19:43 comme c'est le cas pour Jacques Vergès ?
19:46 -Non, pas du tout. C'est rien de politique.
19:48 C'est vraiment juridique. Et je trouve, justement,
19:51 aussi, parce que quand vous faites partie
19:53 des entités terroristes,
19:56 c'est comme ça que ça figure,
19:58 la démarche qui consiste à dire "oui, on le fait",
20:02 moi, j'étais épatée qu'ils décident en une demi-heure
20:05 de confier leurs intérêts à une blonde.
20:08 Ah ouais, quand même !
20:09 Et après, d'ailleurs, j'ai pu entretenir avec eux
20:13 de bons rapports.
20:14 C'est des clients qui me font confiance,
20:17 qui me demandent sur les questions juridiques, etc.
20:20 C'est quand même assez surprenant.
20:22 -J'aimerais revenir sur Jacques Maire.
20:24 Il a été condamné en première instance,
20:26 plus lourdement condamné en appel,
20:29 avant d'être finalement acquitté par la Cour de cassation
20:32 pour un vice de procédure.
20:34 C'est cela, la justice ?
20:36 Je le dis sans ironie.
20:37 Est-ce que c'est cela, la justice ?
20:39 -En fait, la Cour de cassation ne l'a pas acquittée.
20:44 Elle l'a renvoyée devant une troisième cour d'assises.
20:47 Il y a eu trois audiences d'assises,
20:49 c'est pas toujours...
20:50 On a l'exemple de l'affaire des enfants de Montigny,
20:53 où il y a eu aussi une cascade de cour d'assises,
20:56 et il a été acquitté par la cour d'assises de Metz.
20:58 Actuellement, ces deux affaires-là,
21:01 on sent quand même que ça soit Jacques Maire
21:03 ou l'affaire des enfants de Montigny,
21:05 c'est des dossiers sur lesquels on revient très tardivement.
21:09 Et la justice fait ce qu'elle peut avec ce qu'elle a,
21:12 avec des dossiers où les scellés ont disparu,
21:15 enfin, voilà, des choses comme ça.
21:17 Et...
21:18 Oui, c'est rendre la justice.
21:20 Je vais pas vous dire que ça me satisfait.
21:22 Et... -Pourquoi ?
21:24 -Parce que, si vous voulez, ma consoeur...
21:28 Ma consoeur d'ossais parlait beaucoup mieux que moi,
21:32 parce qu'elle s'est spécialisée sur cette question.
21:34 Je suis pour le droit à l'oubli.
21:36 Il faut savoir rechercher la vérité,
21:38 il faut savoir faire un procès,
21:40 mais il faut aussi savoir fermer la porte.
21:43 On ne peut pas éternellement vivre dans la procédure.
21:46 C'est mauvais pour tout le monde,
21:48 c'est mauvais pour les accusés qui ont plus de mal à se défendre,
21:51 mais c'est mauvais pour les victimes.
21:54 Quel calvaire d'être victime pendant des décennies !
21:57 C'est affreux, quand on y pense.
21:59 -Les descendants des victimes de Jacques Maire
22:01 ont besoin de réparation.
22:03 Qu'est-ce qu'on dit à ces plaignantes ?
22:05 Elles ont le sentiment que la justice ne les écoute pas,
22:08 qu'elles ont le sentiment qu'il y a un déni de justice,
22:11 parce qu'il y a prescription.
22:13 -Avec ou sans prescription,
22:15 parce que, qu'on refasse un procès bancal
22:17 ou qu'on ne fasse pas de procès du tout,
22:20 ce n'est pas la justice qui les aidera à vivre.
22:23 -Et à faire le deuil. -Voilà.
22:25 Faire le deuil.
22:26 La justice, ça doit, justement,
22:31 permettre de mettre un terme à un drame.
22:34 Quand la décision est rendue, c'est fini.
22:37 C'est pas là-dessus que les victimes,
22:39 contrairement à ce que certains pensent,
22:42 chacun a le droit d'avoir son opinion,
22:44 je ne pense pas qu'on se reconstruit
22:46 à partir d'une décision de justice.
22:48 Ca vous permet, justement, au contraire, d'avancer,
22:51 de dire "Ca, c'est fini, c'est plus ma vie."
22:54 Et regarder toujours en arrière
22:56 vers une justice qui n'a pas été parfaite,
22:58 qui a été peut-être insatisfaisante,
23:00 c'est se boucher l'avenir,
23:02 mais pratiquement jusqu'à votre mort, quoi.
23:05 Je crois qu'à partir d'un certain moment,
23:07 il faut dire "C'est fini, je n'aurai pas de réponse."
23:10 Il y a plein de domaines dans lesquels on n'aura pas de réponse,
23:13 et il faut l'accepter, parce qu'autrement,
23:16 on en sortira jamais.
23:18 -Vous avez longtemps formé, avec Francis Aulm,
23:21 un vieux couple judiciaire.
23:23 C'est le client de votre vie,
23:24 c'est le Joseph Vaché des temps modernes.
23:27 -Oui, mais...
23:30 Si vous voulez, Francis Aulm,
23:31 j'arrive à m'interpeller moi-même.
23:34 Le fait qu'il continue à me téléphoner...
23:36 Simone Weber me téléphone régulièrement,
23:38 mais Francis Aulm me téléphone toutes les semaines.
23:41 -Qu'est-ce que vous incarnez pour lui ?
23:44 -On m'a déjà posé la question, mais à quoi ça tient ?
23:47 Pourquoi... Bon.
23:49 Je crois qu'en fait, c'est le moment du procès où...
23:53 C'est court, hein,
23:55 mais vous êtes tout pour votre client.
23:58 Si vous voulez, ce qui crée ce lien
24:00 que je n'arrive pas à définir,
24:02 parce que ça ne devient pas votre ami,
24:04 ça ne devient pas votre pote,
24:06 vous ne devenez pas un membre de sa famille,
24:09 que ce soit pour Francis Aulm ou Simone Weber,
24:11 c'est pas ça.
24:12 Et en cherchant, en réfléchissant,
24:15 moi, j'ai l'impression que c'est...
24:17 d'avoir vécu ensemble un moment périlleux.
24:21 C'est ça.
24:22 Si vous voulez, le procès criminel,
24:25 entre l'accusé et son avocat,
24:28 on est sur un radeau.
24:29 Et...
24:31 Celui qui est en meilleur état, c'est l'avocat
24:34 et qui peut peut-être tirer l'eau de là.
24:36 Je crois que c'est ça qui fait que Simone Weber continue
24:40 à me téléphoner, que Francis Aulm me considère comme proche,
24:44 sans savoir pourquoi, finalement.
24:46 Ce qu'il est...
24:48 C'est pas mon talent,
24:49 que je n'ai ou que je n'ai pas, mon talent relatif,
24:53 c'est qu'ils ont confiance en moi.
24:55 Ces gens-là ont vraiment confiance en moi pour n'importe quoi.
24:59 -Vous récusiez au début de notre entretien
25:02 le mot d'indéfendable.
25:03 Est-ce que vous diriez néanmoins
25:05 que vous êtes l'avocate de l'impossible ?
25:08 -Oui.
25:09 L'avocate de l'impossible, dans certains cas, certainement.
25:13 Parce qu'il y a des buts dont on sait qu'on ne les atteindra pas.
25:17 Même si on a la conviction que le client peut être innocent,
25:20 on sait que l'acquittement, on ne l'aura pas.
25:23 Je savais que Francis Sowell ne serait pas acquitté.
25:26 C'est quoi, défendre les gens ?
25:29 Il est l'accusé indéfendable à quel niveau ?
25:33 Qu'est-ce que vous espérez ?
25:35 Je vais vous dire, en ce qui concerne les personnes
25:38 qui ont reconnu les faits,
25:39 on a une justice criminelle mauvaise.
25:42 -Pourquoi ?
25:43 -Parce que celui qui reconnaît les faits...
25:46 Je vais certainement choquer des gens parmi le public.
25:51 Je considère que celui qui reconnaît les faits,
25:54 on pourrait lui éviter la cage en verre.
25:57 L'aveu n'est pas valorisé comme il devrait l'être.
26:01 Celui qui avoue, au fond, n'y gagne rien.
26:04 Il va quand même subir un procès d'assises
26:07 où on va lui dire "vous reconnaissez les faits".
26:10 Heureusement, c'est la moindre des choses.
26:12 C'est pas parce qu'il reconnaît que l'ardoise est effacée.
26:16 C'est ça, les réflexions.
26:17 L'accusé, qu'il avoue ou non, a toujours tort.
26:20 Je trouve qu'on pourrait rémunérer de manière plus significative
26:24 celui qui reconnaît les faits.
26:26 Ca s'appelle le plaidé coupable.
26:28 Si on avait cette possibilité, mes clients avoueraient 8 fois sur 10
26:32 parce qu'ils l'ont fait et parce qu'ils seraient d'accord.
26:35 -Merci, Guylaine Glogue.
26:37 -Merci à vous également.
26:38 SOUS-TITRAGE : RED BEE MEDIA
26:41 Générique
26:44 ...

Recommandations