FIERTÉ.E.S - SAMANTHA

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Transcription
00:00 Il avait cassé le nez et il m'avait mis un coup de cutter au visage.
00:02 Donc j'avais une balave de 6 cm de long.
00:04 La cicatrice que j'ai là, au cutter.
00:06 Fontain, pas de stick, en cage.
00:08 Et je retournais au tapin.
00:10 Puis le nez avait dégonflé un petit peu, donc ça va.
00:12 Je suis Samantha. Je suis fière d'être une femme transgenre.
00:14 J'ai découvert la prostitution
00:16 j'avais 14 ans et 9 mois.
00:18 A la Rochelle. Je promenais mon chien en pleine
00:20 après-midi de 17h, 16h30, 17h.
00:22 Je rencontre un mec, il me dit "Ah il est mignon ton chien".
00:24 Je discute avec lui. Il me parle,
00:26 gentil, éduqué, un mec bien.
00:28 Et il me dit "Ouais tu sais, je suis à l'hôtel,
00:30 pas loin, si tu veux on peut aller manger ensemble".
00:32 Bon il m'a pris dans ses bras après,
00:34 et tout comme ça, un petit bisou dans le cou.
00:36 Mais y'a rien de plus.
00:38 Pour moi c'était pas de la prostitution.
00:40 Je me suis dit "Bah c'est cool". Les mecs, tu les attires dans tes filles,
00:42 c'est con, mais c'est du michetonnage
00:44 sans t'en rendre compte. Tu dragoûtes, tu séduis,
00:46 mais pour moi c'était un jeu.
00:48 J'avais pas d'obligation de payer de loyer,
00:50 j'étais chez mes parents, je me faisais un client
00:52 dans la journée ou dans l'après-midi plutôt.
00:54 C'est pas grave, c'est toujours ça le prix.
00:56 Là je tapinais en garçon, en gigolo.
00:58 J'ai eu beaucoup de complexes en ma jeunesse,
01:00 où j'étais mince, j'étais maigre, j'étais plus petite que tout le monde.
01:02 Du fait de plaire
01:04 et d'être séduite,
01:06 enfin de séduire les mecs,
01:08 ça m'a un peu boosté,
01:10 je pense, boosté dans mon égo.
01:12 Et je me suis senti désirable.
01:14 Ma mère s'en est rendue compte, elle a passé l'aspirateur dans ma chambre,
01:16 et j'avais une boîte de galettes Saint-Michel
01:18 carrée en métal,
01:20 et qui était chargée en billets.
01:22 Et les billets de 500 francs, 200 francs, 100 francs.
01:24 J'avais 16 ans,
01:26 quand on est scolarisé, d'où tout peut venir cet argent-là.
01:28 Si c'est pas du trafic, si c'est pas de la drogue,
01:30 ou si c'est pas du tapin,
01:32 je pense qu'elle se doutait de beaucoup de choses.
01:34 Mais ça s'est tué, parce que dans les familles ouvrières,
01:36 on se taisait, on disait pas trop, au cas où ça s'ache.
01:38 Voilà.
01:40 J'ai pris ma boîte et j'ai fugué.
01:42 Et je suis parti vivre dans une caravane
01:44 de 4 mètres 30 de long,
01:46 avec un connard sur l'île de Ré, en plein hiver.
01:48 Et le mec me violait.
01:50 Je me suis barré après.
01:52 C'est sûr que la prostitution, c'était la seule alternative,
01:54 et puis la seule solution
01:56 pour être totalement indépendante,
01:58 autonome, et tout ça.
02:00 Pour éclore et pour s'épanouir,
02:02 il faut quitter le nid.
02:04 Je suis arrivé à Paris à 21 ans.
02:06 Je suis arrivé à Porte-aux-Dauphines,
02:08 et j'étais tellement efféminé.
02:10 Toutes les filles m'ont dit "mais putain,
02:12 t'es pas à ta place".
02:14 C'est ma place, je me la suis faite.
02:16 Elle m'a dit "de toute façon, finis comme t'es,
02:18 tu vas te faire un sentiment". Même pas un an après,
02:20 j'ai atterri dans le bois de Boulogne en 1996.
02:22 Je me suis pointé là-bas, j'ai pris mes repères,
02:24 j'ai un peu tâté le terrain,
02:26 j'ai discuté avec des anciennes trans
02:28 qui étaient là depuis plus de 20 ans,
02:30 et je me suis fait bien voir.
02:32 Et j'ai gagné ma place comme ça.
02:34 Tout le monde peut travailler au bois de Boulogne,
02:36 il suffit juste d'être respectueux.
02:38 J'ai commencé au bois de Boulogne en travesti.
02:40 Garçon la journée, perruque le soir,
02:42 jusqu'au jour où j'ai rencontré
02:44 des équatoriennes,
02:46 des latinas,
02:48 qui m'ont dit "t'as pensé à
02:50 prendre des hormones ?"
02:52 J'ai acheté des ampoules
02:54 à des équatoriennes,
02:56 et elles me faisaient des injections dans le bois.
02:58 Je ne me suis jamais posé la question de me dire si j'étais une femme ou un garçon.
03:00 J'ai toujours su que j'étais né dans le mauvais corps.
03:02 Mais le déclic qui a été déterminant pour moi,
03:04 c'est quand j'ai pris les premières hormones,
03:06 que j'ai vu le changement de mon corps
03:08 s'affiner,
03:10 la glande mammaire pousser,
03:12 la voix changer un petit peu.
03:14 Et là je me suis dit "mais en étant à Paris,
03:16 je peux m'exposer,
03:18 je peux sortir comme ça dans la rue,
03:20 sans craindre quoi que ce soit."
03:22 Et là je me suis dit "mais,
03:24 enfin !"
03:26 Moi la prostitution, je ne l'ai jamais prise comme
03:28 une obligation, comme une souffrance.
03:30 Je n'ai jamais souffert de la prostitution.
03:32 J'ai souffert du comportement de certaines personnes
03:34 envers moi.
03:36 Dans ma vie, j'ai subi
03:38 3-4 agressions. J'ai pris un coup de couteau
03:40 au visage, on m'a cassé le nez,
03:42 j'ai pris un coup de couteau dans le dos, on m'a tiré dessus.
03:44 Pour me protéger, j'ai adopté quelques réflexes.
03:46 C'est toujours d'avoir un point américain sur moi
03:48 quand je veux taper un. J'ai aussi
03:50 une lacrymogène. On met des pierres comme ça
03:52 au pied de l'arbre, on travaille. Ceci vient en voiture
03:54 qui nous insulte. On ne peut qu'aller balancer la pierre
03:56 dans la voiture. On essaie de se défendre comme on peut.
03:58 On n'a pas le choix d'ailleurs.
04:00 J'ai eu plusieurs fois
04:02 affaire à des clients
04:04 à qui je refusais la passe.
04:06 Alors, question
04:08 surtout d'hygiène. Là il n'a pas baissé le froc,
04:10 mais s'il baisse le froc, c'est foutu.
04:12 Je tombe à l'inverse, je tomberai, je ne me réveille pas.
04:14 "Kokoye Thaïlande".
04:16 J'ai eu des clients aussi qui viennent
04:20 un peu genre "ouais, ça va
04:22 salope". Il n'y a pas pire qui me dégoûte.
04:24 Le mec qui, pour prendre du pouvoir,
04:26 essaie de dominer. Alors qu'au final, c'est toi
04:28 qui es le seul qui se prend des doigts dans le cul
04:30 ou qui se met à quatre pattes.
04:32 Et ça, ça m'énerve. Ou le mec
04:34 ivre, bourré, qui a fumé,
04:36 qui est défoncé. Ça, non.
04:38 Parce que c'est le genre de mec qui va me mettre plus de temps à *****,
04:40 plus de temps à jouer, mais qui va te dire
04:42 "tu sais pas faire ton travail".
04:44 J'ai eu des clients qui ont eu des demandes très spécifiques,
04:46 un peu chelou, un peu crades aussi.
04:48 Dont un scato,
04:50 qui m'appelait toujours la veille. Et puis tu as 200 km de Paris
04:52 quand même. Donc ce qu'il fallait que je fasse,
04:54 c'est que je mange bien chargé la veille au soir.
04:56 Cassoulet, pain à la porte,
04:58 un couscous, un bon plat des familles.
05:00 Une fois que j'avais fini ma petite affaire, je m'écartais comme ça,
05:02 tu me touches pas, je lui balançais un paquet de Kleenex, des mères toi,
05:04 et un paquet de lingettes. Et il payait très très bien.
05:06 Ça me donnait envie de manger un cassoulet.
05:08 J'en ai eu un autre aussi une fois,
05:12 qui venait, un mec un peu costaud,
05:14 un peu nounours,
05:16 et qui venait avec une couche confiance,
05:18 et couche pour adulte. Qui arrivait comme ça,
05:20 et puis il disait "maman, j'ai pas été sage,
05:22 j'ai fait pipi dans ma culotte".
05:24 Il fallait que je lui mette des fessées. Il fallait que je retire sa couche,
05:26 et que j'écrase dans leur visage.
05:28 Bon appétit bien sûr !
05:30 C'était chaud quand même.
05:32 Alors moi, ce qu'il faut savoir, c'est que la relation avec mes clients,
05:34 elle peut être
05:36 tout et son inverse.
05:38 J'ai des clients qui en ont rien à foutre,
05:40 qui passent à là, qui payent.
05:42 Même pas ils décrochent une parole à part "bonjour",
05:44 "au revoir". Et t'as des clients en qui
05:46 tu crées un lien, je vais pas dire une amitié,
05:48 mais une relation
05:50 confiance. Et le mec te parle de ses vacances,
05:52 il te parle du travail, de ses galères au travail,
05:54 de ses problèmes familiaux. Même,
05:56 j'ai eu des clients qui me ramenaient un petit souvenir quand ils partaient
05:58 en vacances. Moi j'ai eu des clients, même ménants,
06:00 qui m'appellent. Des anciens clients.
06:02 Quand ils reviennent à Paris,
06:04 on se fait un resto, ils m'en ramènent un petit cadeau.
06:06 Mais sans relation sexuelle.
06:08 Moi j'ai rencontré beaucoup de belles personnes
06:10 dans mon travail et dans ma vie professionnelle.
06:12 Et pas forcément
06:14 que du cul. J'ai rencontré aussi des gens
06:16 charmants, adorables
06:18 et très courtois. Dans la prostitution,
06:20 il y a beaucoup de préjugés
06:22 ou de "qu'en dirait-on que j'aimerais bien
06:24 appeler" comme le fait que
06:26 les prostituées sont là parce qu'elles sont
06:28 pas capables de faire autre chose.
06:30 Ce ne sont pas des gens doués de
06:32 sentiments, doués de valeur.
06:34 Ça c'est les pires conneries. C'est un combat tous les jours
06:36 la prostitution. On combat
06:38 pour être reconnu et
06:40 respecté au regard des gens
06:42 qui nous côtoient. Alors la prostitution, c'est
06:44 un monde
06:46 que je ferai le plus tard possible.
06:48 Je compte pas m'arrêter de si tôt.
06:50 Jusqu'à ce que je n'ai plus de
06:52 succès.
06:54 Mon parcours, c'est une des plus grandes
06:56 fiertés qui soit. À l'époque, quand je commençais,
06:58 je m'imaginais pas arriver à plus de 30 ans,
07:00 plus de 35 ans. J'en ai 48 aujourd'hui.
07:02 Avec la vie que j'ai menée, les intempéries,
07:04 les périples que j'ai passés,
07:06 que j'ai franchis, que j'ai surmonté,
07:08 les moments de bonheur, de joie,
07:10 de tristesse aussi. C'est pas une vie facile
07:12 mais j'en suis content parce que je suis encore
07:14 là pour en témoigner.