• il y a 2 ans
"J'avais codé un message pour un nommé Rex… Maintenant, je sais que c'était Jean Moulin."

À 12 ans, elle est entrée dans la Résistance pour aider son père. Ce qu'ils ont vécu, elle l'a gardé secret presque toute sa vie. À 93 ans, elle raconte leur histoire.

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Transcription
00:00 Je n'ai jamais eu peur.
00:01 La France pour moi à 9 ans, c'était pratiquement une personne.
00:05 Il fallait sauver France et puis voilà, c'était très important.
00:08 Je m'appelle Josette Thorens, je suis née le 15 avril 1930 à Perpignan.
00:14 J'ai 93 ans.
00:15 En 1942, un jour, j'arrive à la maison, sortant de l'école,
00:20 et je trouve mon père par terre.
00:21 Quand il est revenu à lui, il m'a dit,
00:24 "J'ai besoin de toi."
00:25 Il m'a expliqué qu'il était dans la résistance.
00:29 Je n'avais jamais entendu ce nom, bien entendu.
00:32 Je ne savais même pas ce que c'était.
00:33 Il m'a expliqué ce que c'était la résistance,
00:36 surtout qu'il fallait faire très attention,
00:39 qu'il ne fallait rien dire, que c'est tout gardé secret.
00:44 Il m'a dit qu'il avait un document important à porter
00:48 et qu'étant donné l'état dans lequel il était,
00:51 ce n'était pas possible pour lui de sortir.
00:54 Donc, si je pouvais y aller à sa place,
00:56 j'avais eu une rage contre les Allemands,
00:58 je ne pouvais pas les sentir.
01:00 Alors, faire quelque chose contre les Boches,
01:02 bravo, bravo, j'étais contente,
01:04 j'ai fait la première mission pour mon père ce jour-là.
01:07 - Et là, vous aviez quel âge, du coup ?
01:08 - 12 ans.
01:09 C'était toujours la même chose de mission,
01:11 c'était des messages à porter et des messages à recueillir.
01:15 C'était avec un atlas, un atlas qu'il avait trafiqué,
01:20 il avait fait des caches que l'on ne voyait pas,
01:23 je ne les ai jamais vues.
01:23 C'était dans la couverture, dans ce...
01:26 je ne sais pas, moi j'ai arraché tout ce qu'il y avait en pro.
01:28 Donc, vous voyez, c'était...
01:32 Je savais que je trimballais des documents dans cet atlas,
01:35 j'allais à l'école et je surveillais cet atlas
01:39 comme le lait sur le feu.
01:40 Il m'avait dit "tu ne poses pas de questions".
01:42 Une seule fois, je posais une question,
01:45 c'était, j'avais codé un message,
01:47 parce que là, j'avais appris à coder,
01:49 et j'avais codé quelque chose pour un nommé Rex.
01:53 Je dis à mon père "qui c'est ce Rex ?"
01:55 Alors il m'a regardé et m'a dit
01:57 "c'est le patron et tu m'oublies".
01:59 Mon Rex maintenant, je sais que c'était Jean Moulin.
02:01 Je n'ai jamais eu peur.
02:03 La seule chose qui m'est arrivée quand j'allais faire une mission,
02:06 c'est de la crainte de ne pas pouvoir faire ce que je devais faire.
02:10 Jamais pleuré, jamais eu peur, rien d'impossible,
02:13 c'était les mots de mon père.
02:15 Le 2 mars 44, la directrice de l'école m'appelle,
02:18 elle me dit "ma petite fille, vous devez rentrer à la maison tout de suite,
02:21 on a arrêté votre père".
02:23 Mon père m'avait dit "si il m'arrive quelque chose,
02:27 tu prends ta bicyclette dégonflée,
02:30 tu sors de cette maison et tu dis "est-ce que vous avez une pompe ?
02:34 Papa n'est pas là pour me réparer la bicyclette".
02:37 Ce qu'il voulait dire quand mon père avait été arrêté.
02:39 Mon père m'avait dit de faire ça, d'aller là,
02:41 et ensuite d'aller à la maison à toute vitesse,
02:44 pour brûler tout ce qu'il y avait,
02:46 tous les codes, tout ce qu'il y avait,
02:48 et que j'avais caché dans les roseaux
02:51 qui tenaient les tomates dans le jardin.
02:53 C'est creux un roseau,
02:54 donc je roulais en mode comme ça et je cachais tout là-dedans.
02:57 J'ai mis le feu à tout ça.
02:59 Il n'y a qu'une chose que je n'ai pas brûlée
03:02 et que j'ai désobéie à mon père, c'est l'atlas.
03:06 Je n'ai pas pu le brûler.
03:07 Parce qu'il y avait ce dessin que mon père avait fait,
03:10 et c'était un souvenir de mon père, et ça je n'ai pas pu.
03:13 Nous sommes restés plus d'un an sans savoir ce qu'il était devenu.
03:17 Les premiers que j'ai vus, les premiers déportés,
03:20 avec ces costumes rayés, moi je n'avais pas 15 ans,
03:23 je ne me souviens que des yeux.
03:26 Je ne voyais que des yeux, ils étaient tellement méga.
03:29 Et je paniquais, je disais je ne vais pas reconnaître mon père,
03:32 moi ce n'est pas possible.
03:33 Bon, fin mai 45,
03:37 il y en a un qui nous dit, oui je l'ai connu,
03:40 j'étais avec lui au camp de Flossenburg,
03:43 et il est mort le 17 novembre.
03:45 Bon, ma mère s'est trouvée mal,
03:47 et moi j'ai été pétrifiée.
03:49 Pour moi ce n'était pas envisageable que mon père soit mort.
03:53 J'ai été comme ça jusqu'en 93, à nier la mort de mon père.
03:58 Un jour, c'était en 93,
04:02 j'ouvre le journal chez moi,
04:04 et je vois le nom de rue Michel Thorand,
04:07 martyr de la résistance,
04:08 et qui avait été changé par une plaque neuve,
04:11 Michel Thorand.
04:11 Moi quand j'ai vu ça, j'ai compris que c'était vrai,
04:15 que tout ce qu'on me disait qu'il était mort, c'était vrai,
04:17 qu'il ne reviendrait plus.
04:18 Et c'est à partir de ce moment-là que j'ai commencé à aller dans les lycées-collèges.
04:22 Je crois que j'ai vécu toute ma vie comme si j'étais toujours dans la résistance.
04:26 - Je crois que même votre mari ne savait pas que vous étiez...
04:28 - Personne, personne.
04:31 Ni mon mari, ni mes enfants.
04:32 Je témoigne, c'est pour lui,
04:34 c'est pour le devoir de mémoire que j'ai envers mon père.
04:37 J'ai cette impression tout le temps,
04:39 qu'il est près de moi,
04:44 et des fois c'est...
04:47 - Je vous en prie.
04:48 [Générique de fin]
04:50 Merci à tous !

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