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Dans son édito du 09/05/2023, Mathieu Bock-Côté revient sur [thématique de l'édito]

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Transcription
00:00 Oui, parce qu'il faut se faire un peu historien.
00:02 L'Europe, il y a plusieurs significations.
00:04 Il y a une Europe qui est une civilisation plurimillénaire.
00:06 Il y a l'Europe, dans le cas présent, qui est un projet politique d'après-guerre.
00:10 Je vais me faire historien juste pour quelques instants avant d'entrer dans le cœur du sujet.
00:15 Alors, le rêve de l'Union européenne, de l'unité européenne,
00:18 traverse l'histoire de l'Europe depuis la chute de Rome.
00:21 Convenons-en, depuis la chute de Rome jusqu'au temps présent,
00:25 en passant par Charlemagne, en passant par Napoléon,
00:28 en passant par Vénérigis Cardestin et quelques individus moins recommandables,
00:31 l'idée d'une unification de l'Europe autour d'un pôle central
00:35 qui permettra à l'Europe de reconstituer son unité au-delà de ses fractures nationales ou féodales,
00:40 c'est un vieux rêve qui traverse l'Europe.
00:42 Convenons-en d'abord et avant tout.
00:44 Mais de quelle unification européenne parlons-nous aujourd'hui, la fameuse Journée de l'Europe?
00:49 L'Europe dont on parle, elle est née dans un tout autre contexte,
00:52 et c'est le contexte de l'après-guerre.
00:55 C'est une Europe née dans des circonstances qui relèvent presque de l'avortement.
00:59 C'est une Europe qui est née dans une amputation, d'abord et avant tout.
01:01 D'une amputation, ne l'oublions pas, l'Europe se constitue
01:05 alors que la moitié de l'Europe est occupée par les soviétiques, par les communistes.
01:09 La moitié de l'Europe est sous occupation.
01:11 Donc l'Europe est amputée d'une partie essentielle d'elle-même,
01:15 qu'on pourrait appeler l'Europe centrale ou qu'on appelait pendant la guerre froide l'Europe de l'Est.
01:18 Premier élément.
01:20 Deuxième élément, l'Europe est née dans la dépendance.
01:22 C'est une Europe qui a traversé deux guerres mondiales, qui est épuisée spirituellement,
01:26 qui est épuisée politiquement, qui perd ses empires à travers le monde ou qui s'apprête à les perdre,
01:30 et qui, devant la menace soviétique, ne peut se défendre qu'en se plaçant sous le parapluie américain.
01:36 L'Europe née dans la dépendance, l'Europe politique née dans l'assujettissement
01:40 à une capitale nouvelle qui s'appelle Washington.
01:43 Elle est peut-être à la recherche d'une autre capitale ensuite,
01:45 mais pour les 50 ans qui suivent la guerre,
01:47 c'est une Europe qui née donc dans l'ablation, dans l'amputation et l'assujettissement.
01:51 C'est une Europe qui se définit aussi, c'était le projet de Jean Monnet, de Robert Schuman,
01:56 qui se définit d'abord sur le mode de la coopération technique,
01:58 parce que l'on sait que rassembler des peuples en disant « Sacrifiez votre souveraineté,
02:03 unissez-vous sous un seul drapeau », les peuples ne le voudront pas.
02:06 Donc c'est une Europe qui se rassemble sur le mode de la coopération technique.
02:09 Robert Schuman, la déclaration qu'on a célébrée aujourd'hui,
02:12 « L'Europe ne se fera pas d'un coup, ni dans une construction d'ensemble.
02:15 Elle se fera par des réalisations concrètes créant d'abord une solidarité de fait. »
02:20 C'est une déclaration de 1950, qui débouchera sur la communauté européenne du charbon et de l'acier,
02:27 juste après qu'il y a le point de naissance en fait.
02:30 Mais c'est une Europe qui, comme je le dis, ne se construit ni spirituellement,
02:33 ni politiquement, ni culturellement, qui se construit comme un aménagement technique.
02:37 À l'origine d'une civilisation nouvelle, le charbon et l'acier.
02:41 Il y a quand même une bonne forme de poésie industrielle un peu ratée.
02:44 Je souligne, soit dit en passant, que la journée de l'Europe telle qu'on la célèbre aujourd'hui, 9 mai 1985.
02:50 Ensuite, elle se construit aussi dans la défense contre le communisme,
02:54 mais autour d'un référentiel de valeurs assez limitée.
02:57 De 45 à 89, qu'est-ce que c'est l'Europe globalement?
02:59 C'est-à-dire que la démocratie, le libéralisme, l'état de droit, et ainsi de suite.
03:03 Est-ce qu'on peut épuiser l'Europe dans cette définition? Je ne crois pas.
03:07 Donc ça, c'est le contexte d'apparition de l'Europe.
03:09 Le rêve européen trouve à renaître, se réincarner, à la fin de la guerre froide,
03:14 au moment de l'apparition de la mondialisation.
03:17 Et là, on voit tout le monde se compréhendre comme tel.
03:19 Et qu'est-ce qu'on voit à ce moment-là? Un nouveau discours sur l'Europe apparaît.
03:22 Il nous dit que les nations sont trop petites.
03:24 Les nations sont des structures désuètes, impuissantes, incapables de participer au monde de demain.
03:29 Dès lors, il faut embrasser l'Europe pour gagner en puissance.
03:32 Très bien, les nations sont désuètes.
03:36 Mais c'est l'Europe qui est en manque de consistance.
03:38 C'est une Europe procédurale. C'est une Europe technique.
03:41 C'est une Europe qui, encore une fois, ne parvient pas à trouver un acte fondateur,
03:45 un acte politique, un acte identitaire fort.
03:48 C'est tellement une Europe qui n'a pas d'identité, l'Europe, pour dire, post-guerre froide,
03:53 que rappelez-vous le débat autour de la Turquie dans les années fin 90 et surtout les années 2000.
03:58 On dit, est-ce que la Turquie peut être dans l'Europe?
04:00 Là, la réponse généralement demie, c'est l'Empire ottoman à l'échelle de l'histoire,
04:03 c'est davantage l'ennemi ou à tout le moins l'adversaire ou le rival qu'une partie de l'Europe.
04:07 Et l'argument des européistes à l'époque, notamment de Michel Rocard, mais pas seulement,
04:12 de Jacques Chirac, c'est qu'il faut faire entrer la Turquie dans l'Europe
04:16 justement parce qu'elle n'est pas culturellement européenne.
04:19 Parce que si on refusait la Turquie parce qu'elle est musulmane,
04:23 parce qu'elle n'est pas européenne de civilisation,
04:25 ça voudrait dire que l'Europe est un club chrétien.
04:28 Or, Jacques Chirac dit en 2005, l'Europe n'est pas un club chrétien.
04:32 Et l'Europe, qu'est-ce que c'est dans ce cas-là?
04:34 Ce qu'on comprend dans l'après-guerre froide, c'est le laboratoire de la mondialisation.
04:37 C'est le laboratoire du monde sans frontières.
04:40 C'est le laboratoire d'un monde où les frontières sont appelées à tomber,
04:43 où la société doit se définir seulement par le droit, la technique, le marché, l'économie.
04:48 L'âme des peuples, on s'en fout. L'autorité de l'État, on s'en fout.
04:51 L'Europe est le laboratoire de la mondialisation.
04:54 Soit de sa façon qu'il vient aussi avec son ouverture à l'immigration massive.
04:57 Et Francis Fukuyama, vous connaissez le grand penseur de la fin de l'histoire,
05:01 disait pourquoi l'Europe doit se faire? Pourquoi l'Europe doit se faire?
05:04 Parce que c'est le laboratoire de la fin de l'histoire.
05:07 C'est ici que commence la mondialisation.
05:09 Donc l'européisme n'est que l'autre nom d'un mondialisme en train de se construire.
05:14 Alors quand vous êtes dans cette logique, on pourrait dire que l'aspiration à la protection,
05:17 l'Europe qui nous protège, l'Europe qui nous défend, ça ne va pas nécessairement de soi.
05:21 [Musique]
05:25 [SILENCE]

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