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"Est-ce que les médecins se rendent suffisamment compte de la vulnérabilité qu'il y a à se dénuder devant quelqu'un ?" Pour l'écrivain et médecin Baptiste Beaulieu, "un seul mot peut être dévastateur" et risque d'entraîner de "vraies pertes de chances sanitaires".

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Transcription
00:00 un privilège quand on est médecin de pouvoir accéder à ce métier-là, qui est aussi
00:06 de regarder des gens qui nous font suffisamment confiance pour se dénuder devant nous.
00:10 Et je pense qu'il faut avoir conscience aussi du pouvoir que ça occasionne, parce
00:14 qu'un mot, un seul mot d'un médecin peut parfois être dévastateur.
00:18 Un jour j'ai reçu un témoignage d'une femme qui disait « j'ai 24 ans, ça fait
00:21 des années que je ne vais plus voir le médecin », donc une vraie perte de chance sanitaire
00:24 pour elle, parce que quand j'avais 12 ans il m'a mis en culotte pour me peser, et
00:28 puis il m'a pincé la cône en disant « dis donc, il faut arrêter les twix ».
00:31 Et ça m'a tellement provoqué de problèmes avec l'image que j'avais de moi-même,
00:36 et j'ai dit « est-ce que les médecins se rendent suffisamment compte de la vulnérabilité
00:40 qu'il y a à se dénuder devant quelqu'un et à lui faire confiance en lui confiant
00:43 nos problèmes personnels ? »
00:44 Qui plus est, quand on sait, qu'on est conscient que les standards de beauté qu'on
00:47 essaie de nous vendre, ils sont irréalistes.
00:50 Oui.
00:51 J'ai écrit cet album parce que, pour tout vous dire, ma nièce avait 16 ans à l'époque,
00:55 et je la demandais à ma sœur si elle pouvait avoir un compte Instagram, et ça m'a inquiété
00:58 parce qu'on sait, ce que vous rappeliez en début d'émission, on sait à quel point
01:03 maintenant on est une société d'images, et à quel point les images sont truquées,
01:06 sont falsifiées quelque part.
01:09 On choisit la photo qu'on va mettre sur le réseau, en plus maintenant il y a les filtres,
01:12 et il y a des études très précises qui montrent que dans l'année qui suit leur inscription
01:15 sur les réseaux sociaux, les adolescents, et particulièrement les adolescentes, vont
01:19 éprouver des phénomènes de dysmorphophobie, c'est-à-dire une inadéquation totale entre
01:23 l'image qu'elles ont dans le miroir et leur image réelle, et avec des comportements parfois
01:28 compliqués sur le plan alimentaire, ou une vraie souffrance morale, et je me dis qu'est-ce
01:33 que je pourrais écrire, c'est-à-dire juste avant l'adolescence, parce qu'après c'est
01:38 peut-être un peu plus tard, un peu trop tard, mais juste avant l'adolescence, qu'est-ce
01:40 que je pourrais écrire pour les armer intellectuellement ces gamins ?
01:42 Vous, à 16 ans, à l'âge de votre nièce, à l'origine de ce livre, vous étiez comment ?
01:48 C'était terrible, et notamment, et je pense que les chiens ne font pas des chats, et peut-être
01:54 que j'ai écrit cet album parce que justement, moi je souffrais d'une rosacélupyque, c'est
01:58 une maladie de peau très affichante, c'est des rougeurs sur le visage, et on m'appelait
02:02 tout le temps le clou, on se moquait de moi, parce que j'avais le nez très rouge et les
02:04 joues très rouges, vous savez c'est une maladie qu'on appelle la malédiction des
02:08 celtes, c'est souvent dans les pays anglo-saxons, et c'était une vraie souffrance cette maladie
02:14 affichante, à tel point qu'on se retrouve à 16-17 ans à mettre un petit peu de poudre
02:18 sur le visage, mais pour un garçon à l'époque, on est stupide, et on se dit "oh mon dieu,
02:22 pourquoi je mets de la poudre ?" enfin un garçon ça ne devrait pas mettre de la poudre,
02:24 moi je me faisais ça pour cacher un peu ces rougeurs, et bien j'aurais préféré ne
02:28 pas mettre de poudre et dire aux gens "oui j'ai une rosacélupyque, c'est une petite
02:31 maladie de peau, c'est pas grave, ça explique ces rougeurs, et c'est mon histoire, et tout
02:35 le monde en a une".
02:36 Je me suis permise en tant que maman de dire tout à l'heure "où est-ce qu'on a merdé
02:40 pour en arriver là ?" mais effectivement, en tant que parent, on a un rôle à jouer.
02:44 Et je pense que le livre, je l'ai aussi écrit pour qu'il puisse servir d'outil pédagogique
02:49 à la fois aux parents mais aussi aux professeurs, je suis étonné du nombre de professeurs
02:52 qui m'écrivent en disant "j'ai lu un MSE 1, j'ai lu un MSE 2, ça a eu un énorme
02:55 succès dans la classe, ça nous a permis d'embrayer sur des discussions autour du
02:59 corps, du harcèlement à l'école", et je me dis "mais c'est le meilleur salaire
03:04 d'un écrivain, ce genre de retour".

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