Retrouvez William Leymergie entouré d’experts, du lundi au vendredi en direct dès 12h45, pour une émission dédiée aux problématiques de notre quotidien.
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00:06 -Bonjour, Martin Aurel. -Bonjour, William.
00:08 -Vous êtes professeur d'histoire médiévale
00:11 à l'université de Poitiers, directeur du Centre d'études supérieures
00:15 de civilisation médiévale. Votre dernier ouvrage s'intitule
00:18 "10 idées reçues sur le Moyen Âge".
00:20 Vous avez voulu rendre ces lettres de noblesse
00:23 à cette période qu'on ne connaît pas si bien.
00:26 Je dirais même que l'image qu'on en a, en tout cas,
00:29 c'est fausse, non ? -Très négative,
00:31 dès qu'on emploie l'adjectif "Moyen Âgeux",
00:34 qui n'est pas tout à fait exact. Il faudrait dire médiéval.
00:37 On commence à penser à la saleté, à la sauvagerie,
00:41 la violence, le fanatisme, l'oppression.
00:44 Donc c'est contre tous ces poncifs
00:46 que j'essaie de me battre dans ce livre.
00:49 -Ce qui est étonnant, c'est que vous dites
00:51 que le nom même de Moyen Âge, depuis le début,
00:55 a plutôt mauvaise réputation. Comment ça ?
00:57 -Oui, c'est les hommes du Moyen Âge eux-mêmes,
01:00 qui, parfois, étaient un peu pessimistes,
01:03 qui se remettaient en cause et qui disaient
01:05 "Nous sommes dans une époque qui ne va pas,
01:08 "une époque moyenne, médiocre, sans envergure."
01:11 Pas tous, mais deux intellectuels, au moins,
01:13 Petrarca, un poète italien, et San Bonaventure,
01:16 un franciscain qui trouvait que la pauvreté
01:19 des temps primitifs n'existait plus
01:21 et qu'il fallait revenir à une sorte d'église des premiers temps.
01:25 C'est des exceptions. Après, c'est la Renaissance...
01:28 -Ah oui, mais là, ça va mieux.
01:30 -C'est l'idée reçue, là, encore. -Oui, encore.
01:33 -La Renaissance... -Le mot lui-même.
01:36 -Le mot lui-même, voilà. -Renaissance.
01:38 -Oui, parce qu'on pense que l'Empire romain était très bien
01:41 et le Moyen Âge était très mal, mais c'est une absurdité.
01:45 -On a pris quelques exemples dans votre livre.
01:47 On commence avec la place des femmes.
01:50 Vous allez être surpris. Elles ont plus de liberté
01:52 qu'on ne l'imaginait. -Oui, c'est vrai.
01:55 -Vous avez des princesses comme Aliénor d'Aquitaine,
01:58 comme Hermand Garde de Narbonne,
02:00 même avant d'être veuve, parce que quand elles sont veuves,
02:03 elles ont un pouvoir extraordinaire.
02:06 -Ah bon ? -Regardez Aliénor d'Aquitaine.
02:08 Son fils, Richard, coeur de Lion,
02:10 est reine d'Angleterre à la fin du XIIe siècle,
02:13 part pour la croisade. -Oui.
02:15 -Et quand il n'est pas là, comme son petit-fils,
02:18 le cadet Jean Santerre, il n'est pas très contrôlable,
02:23 mais celle qui met de l'ordre...
02:25 -On la laisse gouverner, sinon, on aurait dit
02:27 que c'est une femme, on la met de côté.
02:30 Non, elle est très puissante, très forte.
02:32 -Exactement. C'est une forte personnalité,
02:35 c'est une culture, mais c'est aussi le respect
02:38 pour la femme, tout simplement.
02:39 -Il y en a d'autres. On retrouve dans votre livre
02:42 d'autres femmes au pouvoir. Vous parliez tout à l'heure...
02:46 Le Moyen Âge est souvent associé à la violence,
02:48 la barbarie. C'est vrai ou c'est à moitié vrai
02:51 ou c'est totalement faux ? -C'est assez faux, je pense.
02:54 Vous regardez, parce que nous, on regarde les séries télé
02:58 avec vraiment les maux globines qui saturent l'écran.
03:01 C'est du gore. Et quand on veut représenter
03:03 le Moyen Âge, on a une bataille, par exemple,
03:06 où il y avait 900 chevaliers du côté du roi d'Angleterre
03:09 et du côté du roi de France, à Normandie, en 1119.
03:12 900 chevaliers, il n'y a que 3 morts.
03:14 -Comment ça, il n'y a que 3 morts ?
03:17 -3 morts sur 900. -Sur 900 contre 900,
03:19 et encore, on parle que des chevaliers,
03:21 mais il y a toutes les autres. -Oui, alors après,
03:24 il n'y a pas qu'un seul Moyen Âge. C'est vrai qu'à la fin
03:27 du Moyen Âge, à partir des années 1350,
03:30 la guerre de Cent Ans, c'est différent.
03:32 -Je reviens aux chevaliers. Expliquez-nous,
03:35 parce que ça, on ne le sait pas. Ce sont des chevaliers,
03:38 mais il y a des choses que l'on n'imagine pas.
03:41 Ils se respectent, finalement. -Absolument.
03:43 -Il n'y a pas beaucoup de meurtres, de combats.
03:46 Mais pourquoi ? -D'abord, ils sont très bien protégés
03:49 par des armures très solides.
03:51 Ensuite, ils appartiennent aux mêmes familles.
03:54 Ce sont des cousins.
03:56 Souvent, les ennemis, pour faire la paix,
04:00 qu'est-ce qu'ils font ? Un mariage entre les deux ennemis.
04:03 Et donc, des familles, des lignages,
04:06 depuis toujours rivaux, ils finissent par devenir cousins.
04:10 Et puis après, c'est beaucoup plus intéressant
04:12 d'exiger une rançon. Si vous faites quelqu'un
04:15 de prisonnier, un prisonnier, vous allez se demander...
04:18 -C'est plus intéressant que de le tuer.
04:20 Il y a aussi des questions religieuses.
04:22 Vous dites que quand on les tue, ça les gêne
04:25 vis-à-vis du pouvoir suprême, c'est-à-dire Dieu.
04:28 Donc, ils se tuent pas, ils préfèrent capturer.
04:30 -Oui, c'est vrai que le christianisme est intervenu
04:33 et ça a donc mesuré, maîtrisé la violence,
04:38 l'idée de charité chrétienne,
04:40 le 5e commandement, tu ne tueras point.
04:43 Tout cela, bien sûr, a profondément marqué...
04:46 -Il y avait moins de cadavres sur le champ de bataille.
04:49 -Beaucoup moins de morts. -Beaucoup moins.
04:51 -En tout cas, beaucoup moins de morts
04:53 que ce que vous nous montrez dans le journal télévisé.
04:57 -C'est sûr. Est-ce qu'il y a des choses
04:59 qu'on n'imaginerait pas qui ont été inventées au Moyen Âge ?
05:02 -La maîtrise de la force hydraulique,
05:04 des moulins partout, ça libère la main-d'oeuvre.
05:08 C'est la disparition de l'esclavage rural,
05:10 au Moyen Âge.
05:12 Ou bien les lunettes, voilà. -Les lunettes ?
05:15 -A partir d'un certain âge, les intellectuels...
05:18 On a besoin de lunettes pour continuer de travailler,
05:21 de lire, d'écrire. -Ca, alors ?
05:23 -Oui. -Il y avait quoi,
05:25 le marquis d'Afflelou qui a inventé ça, à l'époque ?
05:28 -Ah, c'était... -Deux peines, il y en a eu.
05:30 -Alors, c'est, d'une part, en Italie,
05:34 en Toscane, et aussi dans le monde arabe
05:36 de la péninsule ibérique, en Andalousie, Algafie.
05:40 -Dernière question. Contrairement à ce qu'on croit,
05:43 les gens, à cette période, n'étaient pas un culte.
05:46 C'est vrai, ça ?
05:47 -Évidemment.
05:49 Regardez le terme "roman".
05:51 Ca vient de la langue romane, issue du latin,
05:54 la langue des Romains.
05:55 La poésie avec des rimes,
05:58 c'est aussi le Moyen Âge qui l'a inventée.
06:01 Puis tous ces puissants fonds de thèmes,
06:04 le "Comte du Graal", les "Épées merveilleuses".
06:06 Je vois mes étudiants, ils ont cet engouement
06:09 pour la fantaisie.
06:11 Et tous ces thèmes, les dragons, les fées, les sorcières,
06:15 tout cela vient de cette richesse
06:19 de thématiques.
06:20 -On fait tout pour le réhabiliter.
06:22 Mais pourquoi, à une époque, on l'avait comme ça,
06:26 méprisée, cette époque-là ?
06:28 Elle ne méritait pas.
06:29 -Pas du tout. Les gens de la Renaissance
06:32 étaient très imbues d'eux-mêmes.
06:34 -Ils se la pétaient un peu.
06:35 C'est peut-être pour ça, si vous me permettez
06:38 cette expression.
06:39 -C'est la rédaction d'époque.
06:41 Merci beaucoup, Martin Aurel.
06:43 Si vous voulez en savoir plus, vous lisez
06:46 "10 idées reçues sur le Moyen Âge".
06:48 C'est aux éditions Jean-Claude Lattès.
06:50 Merci de votre visite. -Merci.
06:52 [Musique]