Me Jean-Baptiste Soufron, avocat au barreau de Paris et membre de l’Association de Défense des Libertés Constitutionnelles, le 16 mai 2023.
Category
🗞
NewsTranscription
00:00 Bonjour Maître Jean-Baptiste Souffron, vous êtes avocat au barreau de Paris, membre de l'association de défense des libertés constitutionnelles qui a déposé ce recours,
00:08 examiné aujourd'hui par le Conseil d'État concernant l'usage des drones par la police.
00:14 Aujourd'hui les forces de l'ordre peuvent utiliser ces drones pour tout un tas de raisons qui ont été détaillées.
00:19 Pourquoi vous demandez la suspension de ce décret ?
00:22 Parce qu'en fait la condition qui a été mise à l'usage des drones c'est de respecter un certain nombre de critères quand on veut s'en servir,
00:30 notamment par exemple le fait que l'usage des drones doit être subsidiaire à l'usage de la police.
00:34 Si la police suffit à remplir les missions des forces de l'ordre, en réalité dans ces conditions-là on ne peut pas sortir un drone
00:41 parce que les risques pour la vie privée et pour la protection générale des différentes libertés politiques des citoyens ne seraient pas respectés.
00:49 Or ce qui se passe depuis quelques semaines, c'est qu'en pratique, depuis justement que le décret est passé,
00:55 après quand même un long débat, un long débat juridique, politique, une nouvelle loi, une décision du Conseil constitutionnel, des avis de la CNIL,
01:03 et à chaque fois le ministère de la Justice qui essaye un petit peu, le ministère de l'Intérieur qui essaye un petit peu de passer en force
01:08 et qui se fait retoquer par les différentes instances françaises qui peuvent le faire,
01:13 eh bien on avait des critères qui semblaient clairs, sauf que les forces de l'ordre ont décidé de s'en exonérer
01:19 et d'essayer d'envoyer des drones un peu partout pour n'importe quoi, par exemple sur des rassemblements familiaux, dans une forêt, sur ce genre de choses.
01:26 Vous avez des exemples particuliers de "dérapage" ?
01:29 Oui bien sûr, déjà on a un peu l'impression aujourd'hui, et encore une fois l'usage des drones doit être exceptionnel.
01:36 Ce qui est indiqué par les textes européens, c'est que l'usage des drones doit être autorisé quand il s'agit d'une absolue nécessité.
01:45 Là vraiment on a l'impression que des drones il y en a pour toutes les manifestations, pour tous les problèmes de force publique qu'il peut y avoir en France,
01:53 et par exemple à Rouen a pu être interdit le déploiement de drones dans un rassemblement qui était organisé à côté d'une forêt,
02:01 certes pour contester la décision d'installer une autoroute, mais il y avait quoi ?
02:05 Il y avait des conférences et des colloques qui étaient organisées, un pique-nique, des ateliers pour les enfants.
02:11 Enfin, est-ce que c'est normal d'aller filmer ce genre de choses ?
02:15 On ne peut pas le penser, ce n'est pas ça qui a été prévu, ce n'est pas ça qui est autorisé par les textes européens,
02:21 et ça n'est pas le consensus qui a été établi après le débat public qui a eu lieu en France.
02:26 Donc tout ce qui est demandé, ce n'est pas tellement l'interdiction ou pas des drones, ce n'est pas ça.
02:31 On est en 2023, je pense que les forces de police souhaitent pouvoir utiliser des moyens modernes pour remplir leurs missions.
02:35 Simplement, il est normal, comme avec les grenades lacrymogènes, comme avec tous les outils qui sont dangereux si vous voulez,
02:42 il est normal qu'il y ait des conditions et des critères à respecter pour le faire.
02:46 On ne peut pas débarquer en disant "ah oui mais en fait les drones on va les envoyer et puis on verra après comment ça se passe".
02:50 C'est un outil qui existe, vous le signalez, en 2023, qui est utile pour la police, qui permet parfois une surveillance
02:57 qui peut être plus précise que les caméras habituelles de vidéosurveillance parce que c'est en hauteur.
03:02 Ça peut permettre, dit la police, d'éviter les violences, de la casse plus vite, d'intervenir plus vite.
03:08 Cet outil est quand même utile, non ?
03:11 Bien sûr qu'il est utile, c'est pour ça qu'il a été autorisé.
03:14 La question n'est vraiment pas est-ce qu'il faut ou pas utiliser des drones.
03:17 Je veux dire, il y a un texte de loi qui dit que c'est possible. Voilà, c'est tout.
03:20 Maintenant, il ne s'agit pas d'utiliser des drones n'importe comment.
03:23 Or c'est ce qui est en train de se passer et c'est pour ça qu'on a une espèce de jurisprudence
03:28 complètement incohérente qui est en train de se mettre en place en France,
03:31 avec parfois des tribunaux administratifs qui disent "ah bah mais il n'y a pas d'urgence, de toute façon c'est terminé,
03:36 puis la manifestation elle se finit dans une heure, donc de toute façon il n'y a plus besoin de rien faire".
03:40 D'autres qui sont ultra tranchés et qui interviennent en disant "oui enfin là aucun critère n'est respecté,
03:45 donc en réalité on interdit", parfois certains qui restreignent les périmètres.
03:49 Je vais vous donner un exemple. Lors de la dernière manifestation à Paris,
03:53 le périmètre dans lequel les drones pouvaient filmer était de quasiment un peu plus de 10% de la surface de la capitale.
04:00 Et dans ce périmètre vous aviez de nombreuses zones privées, non seulement des fenêtres, des portes d'entrée,
04:06 mais tout simplement des cours, des zones, des balcons, mais des cours intérieurs, des choses comme ça.
04:11 Et donc la possibilité de voir des gens qui se retrouvent filmés dans leur intimité et dans leur vie privée.
04:16 Il faut bien avoir conscience de ça, c'est-à-dire qu'un drone, une fois qu'il est placé en hauteur,
04:20 il filme sur un rayon de 600 mètres. Et à 600 mètres il enregistre tout ce qu'il veut.
04:24 Et ça signifie que, bien évidemment, on voit à travers les fenêtres, on voit ce qui se passe dans la cour,
04:29 on voit plein de choses. Est-ce que les Français aujourd'hui sont prêts à accepter que par exemple
04:34 un enquêteur de police ou un officier puisse débarquer comme ça n'importe comment chez eux,
04:38 ou commence à regarder à la fenêtre si vous voulez, en écartant vos rideaux, pour voir ce qui se passe dans votre domicile ?
04:43 Je ne pense pas. C'est exactement ce qui se fait, et c'est ça que tout simplement on demande à voir réglementé.
04:49 Ce qui a été fait également une fois par exemple, ça a été du coup de restreindre le périmètre,
04:54 en disant "écoutez, enregistrez de 9h à 22h, franchement vous exagérez, vous allez enregistrer de 11h à 13h
05:02 pendant la durée finalement de l'événement que vous voulez surveiller, et puis pas sur la moitié de la ville,
05:07 mais sur telle rue, telle rue, telle rue et tel point chaud."
05:10 C'est ce que vous attendez du conseil d'Etat finalement, qu'il siffle en quelque sorte la fin de la récré ?
05:14 C'est exactement ça. Et un autre point qui a été mis en avant et qui est difficile à accepter,
05:19 c'est le fait que normalement on demande une certaine prévisibilité.
05:23 Quand des drones sont déployés, d'abord vous devez en être informé.
05:26 Ce que la CNIL demandait, c'était qu'il y ait un avertissement sonore et un avertissement visuel qui préviennent les gens,
05:32 on filme avec des drones, donc si vous voyez des casseurs, éloignez-vous, n'allez pas les soutenir.
05:37 Or aujourd'hui ça n'est pas du tout fait, on voit des préfectures qui informent sur Twitter,
05:42 ou qui publient des arrêtés de façon un petit peu subreptice.
05:45 Non, il faudrait qu'il y ait, quand on installe un drone, la police doit prévenir les gens,
05:50 en disant "voilà, là il va y avoir un drone, elle doit le faire en temps réel".
05:53 Et même chose peut-être avec des panneaux d'affichage, tout simplement.