Conférence hommage à Roland Castro

  • l’année dernière
« Des années de Vive la Révolution à celles du Mouvement pour l’Utopie Concrète, Roland Castro a marqué son époque par sa pratique engagée de l’architecture, qu’il envisageait avant tout comme l’art de créer des lieux et des liens. Intellectuel fabricant, il a laissé son empreinte poétique dans les nombreux quartiers qu’il a contribué à bâtir, comme dans les esprits qui ont eu la chance de le croiser. À travers des témoignages et des anecdotes, nous reviendrons sur les moments clés de sa vie, que ce soit en Mai 68, dans le remodelage des banlieues durant les années 80, ou par son engagement sans faille pour une République véritablement laïque. Une soirée en hommage à l’architecte, l’homme, l’ami, et surtout à ce que nous lui devons, l’idée de l’urbanité. » - Yoann Sportouch

avec
Anne Hidalgo, Maire de Paris
Cyril Aouizerate, fondateur des MOB Hôtels
Michel Cantal-Dupart, architecte-urbaniste
Silvia Casi, architecte-urbaniste
Jean-Pierre Le Dantec, ingénieur, architecte, historien et écrivain
Sophie Denissof, architecte-urbaniste, co-fondatrice de l'Atelier Castro Denissof Associés
Jean Nouvel, architecte
Marc Vaye, architecte scénographe

Conférence hommage animée par
Yoann Sportouch, Directeur-Fondateur, LDV Studio Urbain
Transcript
00:00:00 (...)
00:00:15 Bienvenue au pavillon de l'Arsenal. Très heureuse de vous accueillir pour cet hommage à Roland Castro.
00:00:22 Avant de passer la parole au président du pavillon de l'Arsenal, Patrick Bloch, je souhaitais remercier
00:00:28 toutes les personnes qui ont rendu cet hommage possible. Donc nous avons préparé cette soirée avec Sophie Denissoff,
00:00:35 avec Johan Sportusch, qui va animer cette conférence. Puis je souhaite remercier toutes les personnes
00:00:41 qui ont accepté de participer ce soir à Nidalgo, la maire de Paris, Jean Nouvel à ses côtés,
00:00:48 tous les architectes, compagnons de route de Roland Castro qui sont présents ce soir. Merci beaucoup.
00:00:56 Et l'équipe du pavillon de l'Arsenal est très honorée d'accueillir cet hommage pour cette personnalité
00:01:03 qui a marqué l'histoire du Grand Paris. Merci.
00:01:08 Merci Marion, Marion Valère, directrice générale du pavillon de l'Arsenal. Donc bonsoir et bienvenue à toutes et tous
00:01:17 en ce lieu où nous nous retrouvons ce soir pour effectivement cette conférence hommage à Roland Castro.
00:01:27 Nous étions nombreux et nombreux à être présents le 18 mars au Père Lachaise pour un moment que j'ai vécu
00:01:38 personnellement, mais je pense comme vous, comme un moment de grande intensité humaine qui m'a en tout cas
00:01:45 beaucoup bouleversé et je pense que nous avons toutes et tous ressenti que nous avions besoin de nous revoir
00:01:53 pour dire tant de choses sur cette personnalité incroyable qu'était Roland Castro et nous sommes très honorés
00:02:04 que le pavillon de l'Arsenal ait été choisi et en l'occurrence dans ce lieu dédié aux enjeux de l'architecture,
00:02:14 de l'urbanisme et du paysage, nous nous disons quelque part que finalement il n'y avait peut-être pas d'autre lieu
00:02:22 dans ce lieu ressemble à Roland Castro. Très bonne soirée.
00:02:26 (Applaudissements)
00:02:32 Bonsoir à tous et à toutes. Je suis Johan Sportusch. Donc bienvenue à cette conférence hommage à Roland Castro.
00:02:41 Avant de débuter, j'aimerais vous proposer un petit retour en arrière qui vous permettra de comprendre
00:02:47 un petit peu plus quelle est la nature du lien que j'ai entretenu, que j'ai construit avec Roland.
00:02:54 Nous sommes en 2009. J'ai 23 ans. C'était un petit peu de temps maintenant. Je suis étudiant en philosophie
00:03:00 et voici que j'arrive au 32 de Boulevard Ménilmontant, l'agence qui s'appelait alors Atelier Castro de Niceuf
00:03:07 pour y démarrer un stage. Laetitia Vidal, qui était la responsable communication de l'agence de l'époque,
00:03:13 me demande de réécrire des bouts de texte. Alors non pas du dernier projet de l'architecte,
00:03:18 mais plutôt ceux du penseur, dont un, le premier d'une longue liste, qu'il a prononcé à Princeton,
00:03:25 à l'université de Princeton en 1993. Un titre qui, pour un étudiant de philosophie, forcément interpelle.
00:03:32 "Le corbusier n'a pas rencontré Freud". Et alors je vais vous lire un petit morceau de ce texte,
00:03:39 qui, je pense, est quelque chose d'assez important dans la pensée de Roland.
00:03:45 "La pensée freudienne qui enracine le sujet est une pensée évidemment urbaine. C'est une pensée du sujet déraciné.
00:03:54 J'ai fait une longue analyse avec Lacan. Je suis donc un des sujets par lequel passa la reconstruction
00:03:58 d'un discours sur la ville chez les architectes. Ça vous rend une méfiance profonde quand on
00:04:03 optimisme historique totalitaire, et nommément le fascisme et le stalinisme. Mais ça m'a permis
00:04:09 d'en découvrir un troisième moins connu, l'ultrarationalisme en urbanisme et en architecture.
00:04:15 Il a fait moins de morts massives. Il n'est responsable que des désespoirs et de suicides,
00:04:23 ce qui se sait moins. Mais si l'on regarde de près, on lui trouve des ressemblances avec les deux autres.
00:04:29 On y voit un individu bien peu identifiable, bien peu différencié, à travers une production de lieux
00:04:34 de stockage toujours les mêmes. Par ce texte, je découvrais là des explications à ce que l'on
00:04:44 considérait déjà comme un aparté d'urbain. Mais je découvrais surtout chez cet architecte la
00:04:50 volonté inexorable de trouver des solutions. Alors je me plongeais dans ses projets.
00:04:57 Le quai de Rouen à Lorient, la caravel à Villeneuve-la-Garenne, la duchère à Lyon, toujours conçu à partir de concepts.
00:05:04 Les lieux et le lien, le remodelage et surtout une vision. L'idée du droit à l'urbanité.
00:05:10 Celle de vouloir redonner de la dignité aux habitants des quartiers que l'on appelle les quartiers prioritaires.
00:05:18 Et puis un matin à l'agence, accolé au mur du père Lachaise, je rencontre véritablement Roland.
00:05:24 Au détour d'une conversation, voilà qu'il prend un feutre noir, un plan qui traînait par là, une feuille de papier
00:05:31 et qu'il commence à gribouiller un dessin. Et là il me dit "Johan Sportusch ? C'est pas commun ça."
00:05:37 Je le vois alors dessiner ce qui pourrait être un début de quartier. Et là il me dit "Seis Puertas"
00:05:44 Six portes. "T'as un nom urbain mon chou" il me dit. C'est peut-être à ce moment là que j'ai décidé ce que je voulais faire de ma vie.
00:05:53 Faire le lien entre la philosophie et l'urbanisme. Ensemble ensuite avec Roland, Arnaud Champremé-Trigano et Alban Fischer,
00:06:03 on a relancé en 2013 l'un des nombreux médias pour lesquels il souhaitait voir penser le temps long.
00:06:08 "Lumières de la ville", le média qui pense l'urbain et l'humain.
00:06:12 Inspiré par l'idée de toujours penser des lieux à travers des liens, j'ai créé en 2017 LDV Studios Urbains,
00:06:17 une agence de stratégie urbaine et d'activation locale.
00:06:20 Alors ce soir j'ai l'honneur d'être avec vous, car Sophie Denissoff, celle qu'il aura probablement le plus accompagnée dans son travail,
00:06:27 m'a demandé d'imaginer, d'organiser, d'animer ici, au pavillon de l'Arsenal, une conférence en hommage en l'honneur de Roland.
00:06:36 Roland Castro n'était pas seulement un architecte qui a prouvé que ses projets étaient des solutions,
00:06:40 il était un auteur, un professeur, un citoyen engagé, un penseur de la ville, un philosophe de l'urbain.
00:06:48 Un architecte qui a changé la vie d'innombrables habitants, un architecte dont j'aime à le croire, la pensée fait école.
00:06:56 La Martine écrivait "Un seul être vous manque et tout est dépeuplé".
00:07:01 Tout peut être pas, car il nous reste ce que Roland nous a enseigné, l'intime, l'urbanité et l'insurrection du sens.
00:07:11 Alors ce soir vous allez assister à une conférence en trois temps.
00:07:14 D'abord deux interventions, puis une table ronde et enfin un temps de conclusion.
00:07:19 Alors pour démarrer cette soirée, je vais arrêter de parler et j'appelle à venir me rejoindre Anne Hidalgo, maire de Paris et Jean Nouvel.
00:07:26 Merci beaucoup. J'avais prévu un papier, puis je ne vais pas lire ce papier.
00:07:31 D'abord, je suis très émue de vous retrouver ce soir, vous qui avez travaillé avec Roland, vous qui l'avez côtoyé, qui l'avez appris à ses côtés.
00:07:43 Et d'une certaine façon, c'est aussi bien sûr mon cas.
00:07:47 Roland était un ami, c'était un ami pour beaucoup d'entre vous qui l'ont connu bien avant que je ne le connaisse.
00:07:54 Mais je vais vous dire quelques mots. Avant d'être élue, avant de connaître véritablement Roland,
00:08:03 je le connaissais parce que c'était un révolutionnaire et que la révolution m'intéressait.
00:08:07 Et que sa pensée révolutionnaire était une pensée qui forcément arrivait jusque à celles et ceux qui, très, très loin de Paris,
00:08:16 très, très loin du monde politique, très, très loin des milieux qui avaient fait la révolution, très, très loin de tout ça.
00:08:23 Mais quand même si près, parce que sa vie, son histoire, son histoire dans cette gauche révolutionnaire qui a été la sienne.
00:08:35 Évidemment que c'était une histoire qui me touchait et qui me donnait envie de connaître cette personne et de connaître sa pensée
00:08:44 et de connaître aussi, bien sûr, tout son travail sur l'urbanité.
00:08:50 Et puis, quelques années plus tard, élue, pas encore maire de Paris, mais première adjointe, ma première élection,
00:08:59 je rencontre Roland, pas par l'architecture, je le rencontre un peu par cette histoire, cette utopie, ce rêve de révolution
00:09:08 que continuait à porter encore un certain nombre de personnes, même si ce n'était plus une révolution conduite en acte.
00:09:15 Et il faisait partie d'un groupe qui se retrouvait souvent à la Closerie des Lilas.
00:09:22 Et dans ce groupe, il y avait quelqu'un que j'aimais beaucoup, qui s'appelait Etienne Rodagil.
00:09:27 Etienne Rodagil, grand parolier, chansonnier, poète, qui était un enfant de la guerre d'Espagne, né dans un camp d'un père républicain.
00:09:41 Je ne connaissais pas Etienne Rodagil en dehors de ce qu'il avait pu écrire, des chansons extraordinaires, notamment de Julien Clerc,
00:09:49 des chansons avec une poésie incroyable. Mais Etienne Rodagil m'avait envoyé un petit mot en me disant
00:09:57 "On ne se connaît pas, mais tu es la preuve vivante que Franco a bien perdu la guerre d'Espagne".
00:10:02 Et donc, évidemment, ce message-là me touchait. Et il m'a invité à venir à la Closerie des Lilas.
00:10:09 Et là, j'ai rencontré ce groupe qui, de temps en temps, se retrouvait à la Closerie des Lilas.
00:10:15 Et c'est comme ça que j'ai rencontré Roland. Et puis, bien sûr, élu à la ville de Paris,
00:10:21 même si je n'avais pas la charge à l'époque de l'architecture ou de l'urbanisme, j'ai pu,
00:10:29 parce que c'était quelqu'un de généreux, d'extravagant. C'était un adolescent, mais un adolescent avec tellement,
00:10:37 tellement de force en lui, d'histoire en lui. Un lien s'est tissé. Quelques années plus tard,
00:10:45 et bien sûr, il avait été aussi, pardon, banlieue 89, cher Michel, j'aurais dû aussi commencer par ça,
00:10:52 parce que dans mes 20 ans, c'était aussi quelque chose qui nous a tellement, tellement porté, inspiré.
00:10:59 Il y avait cet espoir extraordinaire de pouvoir voir la banlieue autrement. Et j'avais grandi à la Duchère.
00:11:06 Donc ça me touchait d'autant plus qu'il y avait quand même une mise en cause de ce qui n'était pas l'urbanité,
00:11:12 ce qui était très fonctionnel, mais qui, effectivement, ne produisait pas que de la qualité de vie pour celles et ceux
00:11:18 qui grandissaient dans ces ensembles là. Et donc, quelques années plus tard, arrive une très, très belle aventure.
00:11:25 Là, j'étais première adjointe en charge de l'urbanisme et de l'architecture 2009. Et il y a ce concours
00:11:34 lancé par Nicolas Sarkozy sur le Grand Paris post-Kyoto. Voilà la métropole du Grand Paris post-Kyoto.
00:11:43 Et là, un concours international, un exercice international dans lequel, cher Jean et beaucoup d'autres ont été là
00:11:53 pour essayer d'apporter une vision de ce que pouvait être justement cette métropole du Grand Paris post-Kyoto.
00:12:02 Une réflexion très large, incroyable. J'ai vécu presque une université à ciel ouvert pendant 9 mois,
00:12:11 pendant 9 mois avec des équipes d'architectes aussi impressionnants que Jean Nouvel, que Roland, que bien sûr Michel,
00:12:20 mais aussi Christian de Porzempas et bien d'autres. Et autour d'eux aussi, des économistes, des sociologues,
00:12:27 des urbanistes, des paysagistes, énormément de personnalités qui venaient apporter aussi leur compréhension,
00:12:35 leur connaissance, leur vision. Et il y avait plein de visions qui étaient là, qui d'ailleurs, moi, continue à m'inspirer
00:12:42 parce qu'aucune d'entre elles, finalement, peut-être n'arrivait à résoudre l'ensemble. Mais dans chacune des approches,
00:12:50 il y avait des choses assez exceptionnelles, je pense au rhizome de Christian de Porzempas. Et il y avait Roland qui, lui,
00:13:01 avec son idée toujours d'urbanité, de l'art, du beau qui devait être partagé, qui devait faire partie du projet urbain.
00:13:11 Roland, qui d'ailleurs avait une explication de la région Île-de-France qui ne m'a jamais quittée depuis.
00:13:17 Alors ça fait un peu hurler ma collègue Valérie Pécresse quand je le dis. Mais il me disait "Tu comprends la région Île-de-France,
00:13:25 c'est comme un gros œuf au plat. Il y a le jaune au milieu, le blanc autour. Il y a un truc qui ne va pas. Donc il faut qu'on arrive
00:13:31 quand même à trouver les relations entre tout ça". Et c'est vrai que c'est quand même un œuf au plat. Un œuf au plat sur lequel
00:13:41 il fallait quand même se pencher, sur lequel on s'est penchés, sur lequel il y a beaucoup d'insatisfaction évidemment après ce travail
00:13:47 incroyable. Mais ce travail, je le dis aux architectes et aux urbanistes, à tous ceux qui ont participé à ce moment-là,
00:13:56 peut-être qu'il n'a pas eu de débouché complet. Enfin si, le débouché, ça a été un métro du Grand Paris. Bon voilà, ce n'était pas tout à fait
00:14:04 ce qu'on en attendait. Mais il n'y a pas que ça. Ça a laissé vraiment quelque chose, une empreinte quand même sur tous les acteurs de la ville,
00:14:10 cette pensée que vous avez posée, ce regard que vous avez posé sur cette métropole post-Kyoto. Et donc Roland était là aussi
00:14:20 avec ses éléments, un peu de provocation comme toujours, on le connaissait bien, un peu rentré dedans pour faire réagir, pour trouver la personne,
00:14:30 la vraie, et pour pouvoir faire avancer les sujets. Et il y a eu tout un travail qui s'est poursuivi, qui a permis, je crois, de jeter les bases
00:14:41 d'un Grand Paris. La Pure a été là. Dominique a joué un rôle essentiel dans cette mise en forme, dans cette création d'un langage commun
00:14:51 entre les élus, avec les architectes. Et on a participé à cette aventure dans laquelle Roland a joué un rôle extrêmement important.
00:15:02 Et puis il y avait ses réalisations. Et ses réalisations, elles étaient belles, ses rêves aussi. Je me souviens de cette visite que nous avions faite à Steyn
00:15:12 pour voir ce goût qu'il avait, cette passion pour parler de son travail. Et puis à Paris aussi, dans le XIVe ou encore dans le XXe,
00:15:24 avec des lieux très mixtes dans lesquels venait justement l'art, toujours, médiathèque, logement, logement social, la qualité, le beau,
00:15:34 et aussi la culture toujours. Et je pense aussi à ce premier Maman Shelter dans le XXe arrondissement qu'il a accompagné, qu'il a porté.
00:15:49 J'ai un regret, un immense regret parce qu'il y avait ce travail qu'il avait fait, Habiter le ciel, auquel il tenait beaucoup,
00:15:59 qui était vraiment magnifique. Moi, j'étais très séduite par cette idée-là. Et j'aurais tellement aimé qu'on puisse la réaliser à Paris.
00:16:07 On n'a pas pu. On n'a pas trouvé la possibilité de le faire. Il y avait des jurys. Voilà. Et puis les jurys, c'est bien.
00:16:16 Mais voilà, ce n'est pas toujours ce qu'on veut à la fin. Et on n'a jamais pu faire cet Habiter le ciel. Mais j'aurais tellement aimé
00:16:24 parce que je trouve que dans cette idée à la fois de hauteur, dans laquelle il y avait du logement de grande qualité, très beau, des espaces,
00:16:36 des espaces à partager aussi. Il y avait toute cette utopie que portait Roland et qui doit continuer à nous guider.
00:16:45 Alors, oui, c'est quelqu'un qui aura laissé son empreinte, son empreinte, évidemment, avec celles et ceux qui l'a rencontré.
00:16:54 Et il était tellement, tellement touchant, tellement quelqu'un de vivant, de passionné que la rencontre était forcément quelque chose
00:17:07 qu'il y avait derrière Roland. Ce n'était pas possible d'être indifférent à ce qu'était Roland. Mais il aura aussi laissé son empreinte
00:17:17 dans la pensée, dans la pensée urbaine, évidemment. Et ce mot d'urbanité que nous utilisons souvent, sans même faire référence à son auteur.
00:17:27 Et puis il aura laissé aussi son empreinte dans la ville, cette ville qu'il aimait, même s'il voulait quand même la vider tout le temps.
00:17:34 Il voulait faire sortir Roland Garros. Il voulait ce qui n'était pas évidemment une mauvaise idée en soi, faire sortir les ministères.
00:17:44 Moi, je lui disais mais quand même, ne soyons pas manichéens. On n'est pas obligés de considérer Paris comme un très, très beau gâteau
00:17:53 qu'il faudrait découper en petites tranches et qui ne laisserait pas de place au reste. Essayons de voir les choses d'une façon plus dynamique.
00:18:02 Mais il est un peu arc-bouté sur cette idée que Paris, qui était une ville magnifique, qu'il aimait, mais qu'elle attirait trop
00:18:11 et que du coup, elle ne laissait pas vraiment beaucoup d'espace aux initiatives et aux énergies autour.
00:18:19 En fait, il nous a vraiment fait découvrir aussi toutes ces énergies qu'il y avait dans ce gros œuf au plat.
00:18:26 Je ne sais pas ce qui est meilleur dans l'œuf au plat, si c'est le jaune ou le blanc. En tous les cas, ça se mange ensemble.
00:18:31 Et c'est peut-être aussi ça le message qu'il voulait nous livrer lorsqu'il parlait ainsi de la région Île-de-France.
00:18:37 Je vais conclure en vous disant que, évidemment, Roland, nous l'honorerons aussi en lui donnant un lieu.
00:18:47 Voilà, le nom de Roland Castro doit être inscrit dans la trame parisienne.
00:18:54 Ce n'est pas possible de ne pas l'inscrire parce que quelqu'un qui, avec cette générosité, avec cette force, avec vraiment cette ouverture,
00:19:04 ces incroyables talents, doit aussi être inscrit dans cette ville.
00:19:13 Parce que cette ville, elle se nourrit de la liberté, de la création, de la créativité de femmes et d'hommes libres.
00:19:23 Et il avait gagné cette liberté, il avait gagné sa vie d'abord, il avait pu vivre parce qu'il avait été un enfant caché.
00:19:33 Il avait pu ensuite vivre la révolution et survivre à la révolution en expliquant que la psychanalyse l'avait sauvée,
00:19:42 la psychanalyse avec Lacan parce que quand même, il disait, pour moi, il ne fallait pas, ça ne pouvait être que Lacan,
00:19:48 ce n'était pas possible que ce soit quelqu'un d'autre. Et donc, cette liberté qu'il a conquise, qu'il a portée toute sa vie,
00:19:57 elle a sa place à Paris parce qu'elle correspond complètement aux valeurs de Paris.
00:20:02 Donc, je veux vous le dire avec sa famille, avec ses amis, ensemble, nous déterminerons un lieu qui portera fièrement le nom de Roland Castro.
00:20:11 Merci à vous.
00:20:22 Bonjour tout le monde. Roland. J'ai connu Roland au Beaux-Arts.
00:20:36 Et j'ai connu Roland qui ne s'appelait pas Roland pour moi, il s'appelait Castro. Il s'appelait Castro et il parlait beaucoup.
00:20:48 Et toujours cette volonté de parler de ce qui était la question du moment.
00:21:03 C'est quelqu'un qui était toujours intéressé par les événements, toujours intéressé par la politique.
00:21:15 Et c'est quelqu'un qui m'a, je m'en suis rendu compte après, assez marqué parce que j'ai mis un certain temps à comprendre que selon moi,
00:21:25 je l'ai dit et écrit, un architecte c'est quelqu'un qui dit. Et si quelqu'un disait, c'est bien lui.
00:21:37 Je pense qu'un architecte c'est quelqu'un qui parle et qui ne parle pas que d'architecture.
00:21:44 C'est quelqu'un qui ouvre, effectivement. Vous parliez d'ouverture. C'est quelqu'un qui était ouvert, absolument ouvert.
00:21:54 Et c'est cette façon de parler et de lier les gens qui en faisait finalement un animateur.
00:22:08 Et il était là, et dans pratiquement tous les coups, je dirais, politiques de l'époque en tant que personnage de gauche qu'il revendiquait.
00:22:23 Et je trouvais ça très amusant. D'ailleurs, que tout le monde l'appelle Castro et qu'il se présente comme un homme politique, pratiquement.
00:22:30 Donc c'est pour ça peut-être qu'on l'appelait pas Roland. Castro, ça lui allait très bien.
00:22:35 Et petit à petit, je l'ai croisé dans beaucoup de réunions, puisque moi-même, j'étais militant d'une autre façon.
00:22:45 Mais enfin, on se croisait avec des gens de la DUA, ensuite avec des architectes socialistes, avec Claude Guillin, avec Claude Damry.
00:22:54 Donc on avait toujours quelque chose à se dire. Et puis finalement, c'était quelqu'un qui était quand même assez, je dirais,
00:23:06 quelqu'un qui essayait toujours de pousser les choses, qui faisait en sorte que les choses pouvaient se passer et qu'il animait.
00:23:17 Donc on l'a retrouvé dans le concours des Halles, évidemment. On s'est retrouvé dans le syndicat de l'architecture aussi, à sa façon.
00:23:25 Un peu marginal, mais il était quand même souvent là. Et donc c'est à travers toutes ces rencontres-là que j'ai découvert l'homme.
00:23:33 Et l'homme était un homme aussi de culture. Quand je dis qu'on ne reste pas sur quelque chose qui est l'architecture uniquement,
00:23:41 c'était bien quelqu'un qui parlait de poésie, de cinéma, de ce qu'il avait vu. C'est quelqu'un qui était toujours dans une sorte de réflexion
00:23:53 qui était beaucoup plus sur la vie que sur l'architecture elle-même.
00:23:58 Il était d'ailleurs plus connu à ce moment-là comme animateur intellectuel et comme enseignant aussi.
00:24:04 Parce que c'est quelqu'un qui, je pense, en tant qu'enseignant, je ne l'ai pas connu comme enseignant,
00:24:09 mais je pense qu'il devait dire et parler aussi dans ces conditions-là.
00:24:14 Donc c'est comme cela qu'on a participé à plusieurs aventures communes. Il y a effectivement l'histoire du Grand Paris.
00:24:25 Et puis aussi, je n'étais pas trop loin à ce moment-là aussi de Banlieue 89 et de Michel, et de Cantal, qu'il a aujourd'hui.
00:24:37 Donc à ce moment-là, il y a eu beaucoup de discussions et beaucoup d'ouvertures sur toutes ces questions-là.
00:24:44 Et comme on avait tous une certaine passion, une passion très dirigée quand même, il ne faut rien dire,
00:24:50 sur Paris, sur l'avenir de Paris, et l'avenir de Paris nous a toujours intéressés.
00:24:59 Et c'était vraiment souvent des questions politiques difficiles.
00:25:04 Et ce contre-concours des Halles, ça a été quand même une bataille politique aussi.
00:25:09 Contre-concours sur lequel il est venu aussi d'ailleurs, et sur lequel on a beaucoup parlé.
00:25:16 Et puis ensuite, il y a eu ce Grand Paris. Le Grand Paris que moi j'ai fait en compagnie de Cantal aussi.
00:25:27 Et on s'est retrouvés sur certaines idées. Parce que sur ce Grand Paris, on s'est retrouvés sur la façon de travailler sur des lieux.
00:25:35 De travailler sur des lieux qui avaient un avenir, selon nous.
00:25:40 Qu'ils n'ont peut-être pas trouvé encore entièrement. Comme le parc de la Courneuve, par exemple.
00:25:45 Tous les parcs sur lesquels on voulait travailler.
00:25:49 Et puis sur ce moment-là aussi, sur la façon dont tout ça a mal tourné, avec un certain monsieur Blanc,
00:25:58 qui a amené son propre projet, et qui n'a pas regardé le projet des autres.
00:26:02 Tout ça, ça faisait partie de nos discussions et de nos connivences de l'époque.
00:26:10 Et lui a fait sur le Grand Paris toute une série de propositions, effectivement très pragmatiques,
00:26:16 et qui rejoignaient souvent ce que nous avons fait ensemble aussi.
00:26:22 Donc voilà pour moi ce qu'est avant tout Roland. Mais Roland, c'est aussi un architecte.
00:26:31 Et c'est un architecte qui m'a surpris, à deux ou trois reprises, même plus que ça.
00:26:36 Mais j'ai découvert à un moment la maison de la bande dessinée à Angoulême,
00:26:44 qui pour moi est sûrement son meilleur bâtiment, je crois.
00:26:47 Et qui est un bâtiment qui est tout à fait en liaison avec la ville elle-même,
00:26:55 avec toutes les constructions qui sont là, avec le paysage, qui est un bâtiment de grande sensibilité,
00:27:02 et qui ne ressemble pas automatiquement à ce qu'il a fait à Paris à un certain moment, donc c'était assez surprenant.
00:27:09 Et c'est quelqu'un aussi qui a travaillé beaucoup sur le logement social,
00:27:13 mais qui aimait bien travailler aussi en relation, pour mettre en relation les choses de la ville,
00:27:19 qui n'étaient pas automatiquement sur des projets seuls.
00:27:23 Et ça je trouve que c'était un peu avant-gardiste, parce que c'était moins à la mode à ce moment-là,
00:27:28 à travailler plutôt en relation avec des bâtiments existants que sur des bâtiments tout seuls.
00:27:33 Et puis son travail à Lorient, sur le logement social aussi, où il y avait aussi une relation avec l'existant.
00:27:44 Donc ces projets-là sont des projets qu'ils ont remis dans le rang vraiment des créateurs d'architecture,
00:27:53 et des avant-gardistes aussi, des gens qui étaient dans le sens du mouvement et de l'ouverture.
00:28:01 Et c'est comme ça que je le vois, et c'est comme ça que je l'aime,
00:28:06 et c'est comme ça que je considère qu'il a rempli une place culturelle dans l'architecture,
00:28:15 qui va dans le sens de cet homme qui dit, et cet homme qui fait.
00:28:20 Alors l'urbanité, l'intime, les lieux et les liens, le remodelage urbain, autant de concepts
00:28:26 qui ont contribué à constituer l'engagement et la pratique architecturale de Roland.
00:28:31 Alors j'appelle donc pour en parler celles et ceux qui furent parmi les plus proches dans ces nombreux engagements.
00:28:36 Sylvia Cassis, architecte urbaniste, Michel Cantal-Dupar, architecte urbaniste,
00:28:42 Sophie Denissoff, architecte urbaniste et co-fondatrice de l'atelier Castro-Denissoff Associé,
00:28:46 Jean-Pierre Ledentec, ingénieur, architecte, historien, écrivain et Marc Vaille, architecte et scénographe.
00:28:54 Avant de vous laisser la parole, j'aimerais qu'on écoute ensemble la voix de Roland, si vous le permettez.
00:28:59 C'est un extrait sonore de l'émission Hors-champ de France Culture,
00:29:04 dans laquelle Roland Castro intervenait, c'était en 2016, il était interrogé par Laure Adler.
00:29:10 Et je crois que ce passage, pour le coup, illustre bien la philosophie de Roland,
00:29:16 son rapport à l'espace public, notamment, et ses engagements.
00:29:20 Alors moi, c'est assez précis. Je suis un amoureux fou de la ville,
00:29:26 parce que chez mes parents, c'était tout petit,
00:29:30 35 mètres carrés, pour quatre,
00:29:34 et que donc, le lieu de la liberté, pour moi, c'était dehors.
00:29:39 Dehors. La rue. L'espace public, le bistrot, depuis toujours.
00:29:46 L'endroit où je suis chez moi, c'est dehors.
00:29:50 - Et dehors, c'est quoi ? C'est la rue ? - Dehors, c'est la rue, c'est les trajets de mon enfance.
00:29:55 C'est la première revue porno que j'ai.
00:29:58 Pas porno, c'est pas du porno terrible, y'a même pas les poils.
00:30:02 Et, je sais plus comment ça s'appelle, Paris-Hollywood, ou un truc comme ça,
00:30:07 et je sais que je le cache dans un morceau d'une petite fente, entre deux mitoyens,
00:30:15 - Dans la rue ? - Je peux pas le cacher chez moi, y'a rien de cachable chez moi.
00:30:19 Je peux pas cacher quoi que ce soit chez moi.
00:30:22 Et... c'est comme ça, y'a vraiment pas de place, quoi.
00:30:29 J'ai de la place sur la table de la salle à manger pour faire mes devoirs,
00:30:34 j'ai pas d'endroit secret où cacher des choses.
00:30:38 Et donc, je suis un promeneur de la ville très, très tôt, quoi.
00:30:46 J'adore l'espace public, la promenade, la marche, voilà.
00:30:53 Et je suis très, très, très urbain comme architecte pour ça,
00:30:58 parce que je suis très en colère contre les grandes bêtises urbaines du mouvement moderne,
00:31:03 parce que justement, ça casse la promenade, ça casse le rapport au plaisir,
00:31:09 les surprises qu'apporte la dérive urbaine.
00:31:14 Merci. Ça fait du bien de l'entendre, je crois.
00:31:18 Alors Jean-Pierre Le Dantec, je me tourne vers vous.
00:31:22 Cette colère dont parle Roland, cette colère contre ces grandes bêtises urbaines du mouvement moderne,
00:31:27 c'est quelque chose que vous partagiez évidemment avec Roland.
00:31:31 Comment vous avez vu la pensée architecturale de Roland se construire ?
00:31:35 Je sais que vous l'avez connu au moment des jeunesses communistes et ensuite à l'UJCML,
00:31:44 l'Union des Jeunesses Communistes Marxistes, l'ENIS, que vous fondez ensemble.
00:31:48 Voilà, je voulais vous entendre pour commencer.
00:31:50 La première fois que je rencontre Roland, c'est un congrès de l'UEC en 1965, je crois.
00:31:58 Et il représente des beaux-arts à l'époque, et moi, je représente des secteurs grandes écoles.
00:32:05 Bon, là-dessus, on devient assez amis, et ma foi, dans mon existence, si j'ai à la résumer,
00:32:15 forcément, il y aurait Roland qui apparaît régulièrement.
00:32:20 Le deuxième moment où je voudrais en parler, ça a rapport avec la question que vous me posez,
00:32:28 c'est 68, ou plus exactement la fin de 68.
00:32:35 Une réunion dramatique qui avait, dans notre groupe en tout cas, dont Roland était à l'époque,
00:32:44 on avait bombardé le directeur du petit journal qu'on avait qui s'appelait déjà "La cause du peuple".
00:32:51 J'ai pris par la suite ma direction.
00:32:53 Bon, et cette nuit-là, il est question de savoir si peut-être les choses passaient à des choses beaucoup plus sérieuses,
00:33:09 du point de vue y compris des armes.
00:33:13 C'était à l'époque de Flin, et il y a eu une réunion dramatique, enfin dramatique,
00:33:20 où on s'est mis assez vite d'accord, mais où Roland a joué un rôle très important de calmer le jeu.
00:33:28 Et donc, je voulais rappeler ça, qui est quand même assez important, parce que finalement,
00:33:35 dans toute cette affaire qui nous a liés pendant plusieurs années, autour de l'idée de révolution,
00:33:43 l'idée que j'estime aujourd'hui, avec le recul, assez absurde, mais enfin, c'était comme ça,
00:33:51 eh bien il a joué ce rôle important à ce moment-là.
00:33:56 Ensuite, j'ai envie de parler d'un petit moment, autrement, assez comique,
00:34:02 où, peu après l'élection de François Mitterrand, j'avais pensé,
00:34:08 comme je dirigeais une petite maison d'édition qui dépendait du groupe Gallimard à ce moment-là,
00:34:14 j'avais eu l'idée de faire un livre avec lui, parce que ça commençait à émerger,
00:34:19 et l'idée d'ailleurs qu'une architecture nouvelle pouvait apparaître en France.
00:34:27 Il y avait eu quand même une période où ça n'avait pas été très glorieux,
00:34:31 il y avait certes quelques bâtiments, quelques affaires intéressantes
00:34:36 qui s'étaient faites pendant les années Pompidou, mais pas tellement, finalement, et plutôt...
00:34:43 C'était plutôt l'époque des grands ensembles, on peut comprendre pourquoi,
00:34:48 mais enfin, en tout cas, on n'aimait pas ça.
00:34:54 Cette nouvelle génération n'aimait pas ça.
00:34:57 Donc on allait faire un livre ensemble et on était partis...
00:35:01 C'est là que ça devient un peu amusant.
00:35:04 On était partis ensemble à Tibron, chez Louison-Bobet,
00:35:09 pour faire un stage ensemble.
00:35:14 On était dans la même chambre, deux petits lits, côte à côte,
00:35:19 et on est restés pendant 8 jours à bavarder.
00:35:23 On était déjà copains, mais là, ça remontait encore plus l'amitié.
00:35:29 Le livre ne s'est pas fait pour N raisons sur lesquelles je n'insisterais pas.
00:35:33 Mais en tout cas, à ce moment-là, ça montre bien qu'il était question,
00:35:39 dans son point de vue,
00:35:43 qu'il y avait quelque chose qu'on pouvait faire, quand même,
00:35:47 et ça a été le moment où il a eu l'idée de lancer "Mon lieu 89",
00:35:53 c'est-à-dire cette initiative tout à fait intéressante
00:35:57 qui était de penser un maire,
00:36:01 un bâtiment possible à faire, une commande,
00:36:04 et qui se faisait de façon un peu différente
00:36:08 des manières qu'il y avait eu
00:36:14 de faire les bâtiments d'habitation
00:36:19 pendant les années 60,
00:36:22 les années dites Pompidou ou dites de...
00:36:27 Comment dirais-je ? De l'époque heureuse, soi-disant, de ces années-là.
00:36:33 Moi, je n'ai pas trouvé ces années-là tellement heureuses,
00:36:35 ni pour l'architecture, ni pour l'art,
00:36:38 mais non plus pour...
00:36:41 C'est quand même la guerre d'Algérie, par exemple,
00:36:44 c'était pas très gai non plus.
00:36:46 Enfin.
00:36:48 Un point après ça,
00:36:52 donc, Roland invente cette chose très nouvelle pour l'époque
00:36:58 qui avait beaucoup remué le milieu.
00:37:01 Puis moi, j'avais été nommé entre-temps
00:37:04 en saignant à UP6 avec lui et avec d'autres copains.
00:37:09 Et donc, on a la 3e période, disons,
00:37:13 c'était la période principalement où Roland émerge
00:37:19 progressivement et rassemble autour de lui
00:37:22 cette affaire formidable qui a été,
00:37:26 bon, le 1989, qui a quand même laissé un certain nombre
00:37:29 de bâtiments de qualité
00:37:32 en ayant des financements,
00:37:35 des types de financements originaux
00:37:38 et qui ont marqué à la fois sa carrière à lui,
00:37:42 mais aussi plus généralement celle de sa génération d'architecte.
00:37:48 Peut-être, Jean-Pierre, si vous me permettez,
00:37:50 on voit ici, derrière vous,
00:37:54 un projet qui, je crois, a été travaillé dans les années 70
00:37:58 qui symbolise quelque part le retour à la ville,
00:38:01 qui est le projet de la Roquette.
00:38:03 C'est le projet de la Roquette, effectivement.
00:38:05 Bon, pour pas mal de jeunes gens de cette époque-là...
00:38:10 Jean, t'as pas fait ce concours-là, le concours de la Roquette ?
00:38:15 Non. Tu l'as fait ? C'est possible.
00:38:18 Mais en tout cas, il y a eu, pour pas mal de jeunes gens,
00:38:22 de jeunes architectes qui émergeaient, qui commençaient à...
00:38:27 Bon, le concours de la Roquette a été intéressant
00:38:30 parce qu'on a vu apparaître des propositions nouvelles
00:38:34 par rapport à l'idée de la ville, dans cette fois-là.
00:38:37 C'est-à-dire que la ville, c'était pas nécessairement
00:38:42 faire des bâtiments séparés les uns des autres
00:38:45 dans des espaces dits libres entre eux,
00:38:49 mais ça pouvait être aussi, tout en étant moderne,
00:38:53 ça pouvait être des rues, des places,
00:38:57 des choses qui sont essentielles dans la formation d'une ville.
00:39:03 Alors, c'est le concours de la Roquette
00:39:07 que l'équipe avec Roland n'a pas gagné,
00:39:12 mais qui a eu une certaine importance dans sa façon de faire
00:39:15 et dans la manière dont le débat en architecture
00:39:18 a été relancé à ce moment-là.
00:39:21 Michel, peut-être que vous souhaitiez rajouter quelque chose
00:39:23 sur ce concours, pardon, sur ce projet ?
00:39:28 - Là, quand je vois le livre...
00:39:31 Mais avant, je voudrais dire un truc, quand même.
00:39:33 - Allez-y.
00:39:34 - Je vois tout le monde, là, je connais pratiquement tout le monde.
00:39:39 Je pense qu'il aurait été très heureux,
00:39:41 parce qu'il me disait tout le temps,
00:39:43 "Ne te casse pas la tête, nous, on sera célébrés quand on sera morts."
00:39:47 (Rires)
00:39:51 Je vais perdre patience, soyez tranquilles.
00:39:54 Bref, je trouve très sympathique ce qui est fait ce soir,
00:39:59 mais j'invite le président et la directrice
00:40:02 à imaginer une exposition sur l'urbanité, justement.
00:40:06 Et vous voyez, il y a plein de panneaux blancs,
00:40:08 là, il remplira facilement tout ça.
00:40:11 Donc, je pense que ça vaut le coup,
00:40:13 parce que si on veut transmettre son message,
00:40:16 il faut que des tas de gens viennent voir
00:40:18 et comprennent un certain nombre de choses.
00:40:21 Ce livre, c'est une idée formidable.
00:40:25 Vous savez, c'est... Comment je peux vous dire ça ?
00:40:32 Moi, avec Roland, j'ai été un peu lobotomisé,
00:40:37 un petit peu, parce que c'était une histoire affective.
00:40:41 Tout le monde peut en témoigner, une histoire très affective.
00:40:45 Quelquefois, il me disait, "T'es mon beau-frère." Bon, d'accord.
00:40:47 Et une histoire professionnelle.
00:40:51 Et dans notre... Il avait fait la requête,
00:40:55 j'avais vu ce projet, et j'ai eu l'idée...
00:40:58 Moi, j'étais urbaniste de Villeneuve-sur-Lotte,
00:41:01 il avait gagné un pan, et je lui ai dit,
00:41:03 "Moi, j'ai un endroit pour construire ton pan,
00:41:04 c'est Villeneuve-sur-Lotte."
00:41:06 Et je l'amène à Villeneuve-sur-Lotte,
00:41:07 je fais découvrir la ville, on en parle,
00:41:11 et on va faire un plan de référence,
00:41:13 donc j'ai toujours un truc sur des photocopies qui jolissent,
00:41:17 c'est quand je vois les progrès... Enfin, bref.
00:41:21 Et c'est de là que tout s'est noué.
00:41:25 Et il avait une vision de la chance publique,
00:41:29 des fonctionnaires très... Bon, ça ne l'intéressait pas.
00:41:33 Et par un vrai coup de pot, un jour, parce qu'on était charrette,
00:41:36 qu'on était à Nice, que le congrès des HLM était à Nice,
00:41:41 qu'ils nous avaient réservé un stand,
00:41:43 et puis que le soir, le stand était toujours libre,
00:41:48 parce qu'on était charrette, qu'on est parti en bagnole,
00:41:51 je le vois encore, le soir,
00:41:53 et que la bagnole est arrivée à 4 heures du matin,
00:41:55 notre stand avait été distribué à un marchand de billets.
00:41:59 Alors...
00:42:01 C'est lui qui était la gueule, tout.
00:42:06 Et on propose de faire une expo dans l'allée.
00:42:09 Il y avait donc les...
00:42:11 Dans l'allée principale qui menait au congrès,
00:42:15 sur les pignons, on avait une exposition
00:42:18 qui parlait de tous les grands ensembles et qui posait la problème.
00:42:22 Il disait qu'il faudrait un moratoire.
00:42:25 Et là-dessus, Jean-Michel Bloch-Lenay,
00:42:28 qui était directeur de la construction, passe,
00:42:31 voit ça, s'arrête, tout le monde du bout, bon, d'accord,
00:42:34 on explique un peu,
00:42:36 et il dit "mais tout ça est très intéressant,
00:42:38 prenez rendez-vous avec Mme Bégon", c'était sa secrétaire,
00:42:42 "prenez rendez-vous avec Mme Bégon, on n'y croit pas,
00:42:46 on prendra rendez-vous en septembre",
00:42:49 il dit "oui, oui, non, ça ne m'intéresse pas".
00:42:52 Alors Roland lui dit "moratoire".
00:42:55 Et il dit, il nous a dit,
00:42:58 après, c'est la première fois que les architectes n'arrivaient pas avec leur projet
00:43:02 en disant "regardez ce que je sais faire".
00:43:04 Tous ceux qui l'avaient dit "j'en ai vu 50 avant",
00:43:06 c'était à chaque fois "regardez, je suis vachement fort",
00:43:10 et il a dit "moi je veux vous voir dans vos agences",
00:43:12 il était venu visiter nos agences,
00:43:16 et il nous a confié, on a dit "on va sortir 50,
00:43:20 7 050 exemples",
00:43:22 et c'est ce bouquin qui est toujours,
00:43:25 parce que l'éditeur est la Documentation Française,
00:43:28 donc c'est un bouquin éternel,
00:43:30 je vous invite, l'autre jour il y a un combat qui se fait pour sauver la bute rouge,
00:43:34 j'aurais dit "il y a 10 pages sur la bute rouge qui veulent tout vous dire là-dedans",
00:43:39 donc ils ont redistribué, voilà, bref.
00:43:42 Ok. Sophie, peut-être, je sais que vous l'avez connue,
00:43:46 vous avez connu Roland, vous le disiez tout à l'heure,
00:43:48 enfin on l'avait dit tout à l'heure,
00:43:51 quand il était enseignant,
00:43:54 vous m'avez parlé de ce projet de la roquette qui symbolisait aussi quelque chose.
00:43:59 Oui, moi j'ai connu plutôt à la fin des années 70,
00:44:03 c'était à l'école des Lozards,
00:44:06 l'UPC c'était encore aux Lozards,
00:44:09 et c'était un des professeurs,
00:44:11 il y avait Antoine Grimbach, Michel Verne, Jean-Paul Deleuze...
00:44:14 Pour information d'ailleurs, la photo qui est présente ici,
00:44:17 en l'occurrence, c'est devant les Lozards,
00:44:20 le procès d'un camarade architecte, c'était Roland Castro qui était en prison à ce moment-là.
00:44:26 Mais là c'était à l'école des Lozards,
00:44:29 et en fait c'était, juste pour prendre le contexte,
00:44:34 vous la connaissez ?
00:44:36 C'était une école qui brûlonnait de débats, d'agés,
00:44:40 d'ailleurs c'est dans une agée que je l'ai vue pour la première fois,
00:44:43 et c'est vrai qu'il parlait fort, il parlait bien,
00:44:47 et il avait un fond aussi, un fond de culture historique politique,
00:44:51 et puis une énorme sensibilité,
00:44:55 quand on parlait de la ville on sentait qu'il avait une approche mythique de la ville.
00:45:01 Et donc finalement, je pense que le contexte,
00:45:04 ce qui est très intéressant, c'est que le contexte c'est plein d'architectes,
00:45:08 d'historiens, de philosophes qui débattent dans une école,
00:45:12 et des architectes qui sont, on ne parle pas de sans-commande,
00:45:15 qui sont extrêmement libres finalement,
00:45:17 vous avez l'architecture de papier,
00:45:20 et finalement ils sont libres de penser.
00:45:24 Et c'est à ce moment-là finalement qu'ont émergé des concepts comme
00:45:30 le retour à la ville, ou ce que disait Grimbach,
00:45:33 que la archéologie inverse, on doit faire la ville sur la ville,
00:45:36 ce rapport à la vie de la reconstruction, à la vie du mouvement moderne,
00:45:41 cette bataille contre une pensée considérée comme
00:45:47 désespérée, spectraliste,
00:45:49 pensée de la table rase,
00:45:51 et d'un abandon de toute une figure urbaine classique,
00:45:54 tout ce qui avait fait un peu exploser une partie entière de nos vies.
00:46:00 Et finalement c'est ce retour à la ville,
00:46:04 c'est à la fois le retour à la ville,
00:46:06 et je pense que la Requête c'est un projet manifeste,
00:46:08 il n'a pas gagné la Requête, mais c'est resté un projet manifeste,
00:46:12 y compris dans son esprit qu'en revenant de son travail,
00:46:15 il parle toujours de la Requête, ça démarre par la Requête,
00:46:18 parce que c'est une démonstration,
00:46:20 c'est le contre-pied de la vie du mouvement moderne,
00:46:24 c'est la vie de décollage, c'est la vie bricolée,
00:46:27 c'est la vie des chemins diagonaux, des chemins traverses,
00:46:30 enfin, voilà, c'est un projet manifeste,
00:46:33 c'est un peu bavard,
00:46:36 comme il était.
00:46:38 Et puis, tous ces gens-là qui parlent entre eux,
00:46:42 parlent du retour à la ville, parlent aussi du retour du sens,
00:46:45 et mettent en avant le fait qu'il y a un rapport entre
00:46:48 la fracture sociale et ces lieux de la vie qu'on a fabriqués après nous.
00:46:55 Et puis ensuite, arrive Banlieue 89,
00:46:59 alors Michel, on vous voit ici avec Roland et François Mitterrand,
00:47:04 est-ce que vous pouvez nous raconter comment on est passé
00:47:08 de la construction de la pensée à une volonté d'action ?
00:47:12 Non, avant.
00:47:14 Je vois rentrer Antoine Graba, et je le salue,
00:47:18 parce qu'on a fait parfois des trios.
00:47:22 Oui, alors avec François Mitterrand, c'est un rôle d'histoire,
00:47:26 Roland, François Mitterrand reçoit le président de la République
00:47:33 de, comment on dit, d'Algérie,
00:47:38 et va aller à la soirée des Algériens
00:47:43 pour honorer et essayer de réconcilier notre pays
00:47:48 avec ses anciens départements français.
00:47:53 Et il est touché par ça, alors qu'il déteste Mitterrand,
00:47:58 et il lui fait une lettre en lui disant
00:48:03 « voilà, il faut qu'on se voie, il faut parler ».
00:48:07 Et là-dessus, Mitterrand lui écrit en disant
00:48:15 « on vous invite à passer à l'Élysée en juillet, j'ai du temps ».
00:48:24 Et la demande est très précise, il veut voir de l'architecture.
00:48:31 Il est très précis, il veut voir le grand ensemble de Bofil à Neuilly-sur-Marne.
00:48:38 Bon, alors Roland me dit « qu'est-ce que je fais de ça ? ».
00:48:42 Je lui dis « écoute, on va lui faire faire le tout, il veut voir les trucs,
00:48:46 il va les voir, mais dans sa circuit, et on va s'occuper,
00:48:50 il va le faire en voiture et en hélicoptère,
00:48:53 tous les trucs, toutes les grandes opérations en hélicoptère rapidement,
00:48:56 mais tout ce qui nous touche, c'est à pied,
00:49:03 dont la bûte rouge.
00:49:07 Et là-dessus, il dit « oui, mais bon, on va lui faire faire la route des forts ».
00:49:14 Je reprends cette idée, et là-dessus, c'est ça qui a été formidable,
00:49:19 parce qu'on prépare, vous allez le voir,
00:49:23 j'ai témoigné avec Jean Clavani, on prépare ce voyage,
00:49:27 et je lui dis « il faut trouver des dézennes,
00:49:30 alors si vous ne savez pas ce que c'est, c'est les « dropping zones »,
00:49:33 c'est-à-dire qu'il faut trouver les stades où arrivent les flics dix minutes avant,
00:49:37 virent tous les joueurs, l'hélicoptère présidentiel peut s'atterrir,
00:49:41 et aller visiter la bûte rouge, la Côte d'Oeuvre, Montreux.
00:49:46 Et il a été forcément très impressionné,
00:49:50 Roland était avec lui dans l'hélicoptère,
00:49:53 moi j'étais à les attendre tous les deux à la danse du travail de samedi,
00:49:58 bon, le mois de combat, le maire a été prévenu un quart d'heure avant,
00:50:01 il vient me voir, il me dit « qu'est-ce que c'est que ce bordel ? »
00:50:04 Je lui dis « ça me dépasse complètement ».
00:50:08 Et là, on lui présente un coquille du Grand Paris,
00:50:15 avec une aquarelle, une énorme aquarelle,
00:50:18 que vous aurez vu tout à l'heure,
00:50:20 qui est d'ailleurs signée d'Antoine, de moi-même et de Roland, de Castro.
00:50:25 Et donc voilà, on lui présente ça,
00:50:30 et c'est dans la voiture du retour qu'il dit « qu'est-ce que je fais de vous ? »
00:50:35 Et c'est drôle parce que Roland lui dit « nous, corsaire, une lettre de course,
00:50:40 puis on se débrouille de tout. »
00:50:42 Et il lui dit « non, je ne suis pas Louis XIV. »
00:50:46 C'était le premier septénard, tout au début.
00:50:49 Bon bref, et donc on a une lettre de course parce qu'on est installé à Madignon,
00:50:59 avec les téléphones qu'il faut, les moyens,
00:51:02 mais on n'a pas de salaire, on n'est pas assimilé à la fonction publique,
00:51:07 on a des contrats de l'AFTRP, ça s'appelait à l'époque,
00:51:12 et qui nous permettait de réfléchir sur des tas de quartiers.
00:51:16 Et ça, ça a été quelque chose, je veux dire, c'est le hasard,
00:51:21 ce n'était pas gagné, ce n'était pas « oh tiens, il y a un président de la République »
00:51:26 Ça a été une discussion intéressante.
00:51:32 Je me rappelle très bien, Mitterrand a dit « vous m'avez convaincu,
00:51:36 mais il faut que je convainc mon parti et mes élus, ça, ce n'est pas gagné. »
00:51:40 Alors la force, votre force commune, finalement, c'était à la fois d'avoir su convaincre,
00:51:46 mais aussi quelque part d'avoir fait appel à plus de 200 et quelques architectes
00:51:51 pour faire des projets dans toute la France.
00:51:53 Comment on l'a enseigné ? On aurait pu, là c'est lui,
00:51:59 moi je ne voyais pas comment on pouvait s'en sortir, comment faire ?
00:52:04 On aurait pu se créer une mission, ce serait appelé « mission banlieue »
00:52:09 et puis on aurait été directeur, on aurait été vivé un jour,
00:52:14 mais on aurait eu un rôle de directeur, on aurait pu juste retenir l'histoire.
00:52:20 Et ce n'est pas du tout son idée, là-dessus il était génial,
00:52:26 il a dit « on fait un meeting à la mutualité,
00:52:32 on invite tous les architectes et les maires. »
00:52:35 Et on a fait ça, et je me souviendrai toujours,
00:52:39 il lit le Roscom du Parisien, qui lui était très favorable ce jour-là.
00:52:45 Jean-Pierre, est-ce que vous souhaitiez, vous parliez de Banlieue 89,
00:52:51 tout à l'heure je vous ai coupé, mais j'aurais bien aimé aussi vous entendre.
00:52:54 Oui, il y a eu toutes ces aventures, Michel a été associé de façon extrêmement,
00:53:01 plus que moi par exemple, même si j'ai participé aussi aux discussions.
00:53:08 D'autre part, c'est aussi, c'est une période dans laquelle on se pose,
00:53:15 et Roland en particulier, se pose la question de l'enseignement.
00:53:19 D'une part on va faire de l'enseignement avec, on a un petit groupe,
00:53:25 qui est lui, moi, Roland et la Bertonnière, plus Sophie par la suite,
00:53:34 qui va remplacer la Berthaud quand elle va être en retraite.
00:53:38 Mais surtout, la nouvelle idée qui est propre à Roland,
00:53:43 qui est encore une idée, parce que c'est un homme qui avait,
00:53:46 à idée, et ayant la capacité en même temps de tenter de les rendre concrètes,
00:53:55 de les rendre existantes, c'est le système dont on veut fabriquer
00:54:00 une école des hautes études urbaines.
00:54:03 Un moment très important, on a beaucoup travaillé sur cette question-là,
00:54:07 il a beaucoup travaillé sur cette question-là,
00:54:09 et c'est très important dans notre idée,
00:54:12 on a monté des réunions avec, y compris, de grands historiens,
00:54:18 y compris, je vous rappelle, des conversations avec Fernand Braudel,
00:54:23 puisque l'école, on avait décidé de l'appeler
00:54:26 l'école Fernand Braudel des hautes études urbaines.
00:54:29 Il nous avait aidé, d'ailleurs, il avait donné,
00:54:33 donné si on peut dire, il avait confié à un ancien secrétaire
00:54:37 qui avait réussi à faire monter l'école des hautes études,
00:54:41 pour y arriver, parce que nous, on était quand même assez...
00:54:47 on ne connaissait pas très bien ce milieu-là.
00:54:51 Et donc, ça a été une réflexion, une longue réflexion,
00:54:56 il y avait aussi Paul Viridio dans l'équipe,
00:54:59 qui a cherché à obtenir ça.
00:55:03 Et on a monté un projet qui était fini, terminé,
00:55:09 on avait même les locaux à Lyon, c'était le maire de l'époque,
00:55:13 c'était Michel Noir, qui était mal vu pour des raisons complexes
00:55:18 dans le parti de droite de l'époque.
00:55:27 - L'RPR. - Oui, c'était l'RPR,
00:55:30 je pense que c'était comme ça à ce moment-là.
00:55:32 Et donc, tout était prêt, tout était prêt,
00:55:36 quand Cohabitation, nouvelle direction,
00:55:40 Cohabitation et Fillon suppriment le projet,
00:55:45 Illico et Presto, évidemment,
00:55:48 il avait à la fois des problèmes vis-à-vis de nous, évidemment,
00:55:52 mais aussi vis-à-vis de Michel Noir,
00:55:55 qui ne pouvait pas accepter de donner un tel cadeau
00:55:59 au maire de Lyon à l'époque.
00:56:02 Et donc, ça a été quand même une réflexion très importante,
00:56:07 je pense, qui s'est développée,
00:56:10 et c'est vraiment triste que ce projet n'ait pas abouti,
00:56:14 parce qu'il voulait non seulement s'intéresser aux gens
00:56:18 qui, théoriquement, et pratiquement comme des architectes,
00:56:24 comme des urbanistes, etc., travaillent sur la ville,
00:56:27 mais aussi, il voulait intéresser les hauts fonctionnaires.
00:56:32 Il y avait des cours qui étaient prévus pour l'ENA,
00:56:38 pour les énarques et pour les préfets, les sous-préfets,
00:56:44 leur faire comprendre que l'idée, c'était de leur apprendre à voir,
00:56:50 à voir ce qui a l'air d'être une chose très simple,
00:56:55 qui n'est pas du tout simple en réalité.
00:56:58 Donc, c'était ça, et je pense que Roland et moi,
00:57:02 on a été vraiment tristes, et Paul, on a été vraiment tristes
00:57:06 que le projet ne, finalement, soit saboté
00:57:10 pour des raisons assez triviales et assez idiotes.
00:57:15 Mais l'enseignement, ça a été là une période aussi importante
00:57:20 de l'époque de Roland, parce que se confronter
00:57:24 à des étudiants et confronter surtout la pensée,
00:57:30 ses hypothèses, c'est extrêmement formateur,
00:57:35 et même si Roland était assez timide avec des étudiants,
00:57:39 souvent plus que moi, par exemple, largement,
00:57:43 alors qu'il avait derrière lui une œuvre déjà bien plus conséquente,
00:57:50 il était toujours...
00:57:54 il essayait toujours de trouver quelque chose de bien et de positif
00:57:59 dans des projets qui n'étaient pas toujours, c'est vrai,
00:58:04 pas toujours excellents, mais il trouvait toujours quelque chose
00:58:08 de positif à en dire, et c'est ce qui caractérise, je crois,
00:58:14 le bon enseignement, c'est-à-dire de tirer,
00:58:17 de savoir tirer de quelque chose ce qu'il a de positif et de meilleur.
00:58:22 Alors, à côté de l'enseignement, parallèlement à l'enseignement
00:58:26 et par rapport à l'enseignement à banlieue 89,
00:58:29 au sein de l'agence, donc Sophie, vous arrivez au début des années 80,
00:58:35 vous devenez associée de Roland en 88,
00:58:39 à cette époque, ce que vous me disiez, c'est que vous commencez à construire,
00:58:44 et s'en suit 30 ans de travail autour d'un concept architectural
00:58:49 qui se crée à l'agence, et ce concept, c'est le remodelage,
00:58:54 une pratique qui d'ailleurs vous a permis de co-écrire un ouvrage,
00:58:58 "Remodeler et Métamorphoser", comment, au fil des projets,
00:59:03 cette méthode, si on peut dire ça, s'est-elle construite ?
00:59:08 Ce travail sur les grands ensembles est dans la suite de ce qu'on a vu d'abord,
00:59:16 c'est-à-dire la construction d'une pensée, comment agir dès le banlieue 89,
00:59:21 c'est-à-dire comment amener les politiques qui se suffisent de la question d'avis
00:59:26 comme une question politique, et finalement, c'était quand même à l'époque
00:59:30 les ministères, l'administration et l'anata qui se trouvaient
00:59:33 derrière les grands territoires, ce n'était pas les mères, pas eux,
00:59:37 et évidemment, la logique c'était que l'on fasse, qu'on se mette à faire des choses,
00:59:45 qu'on donne des preuves, qu'on voulait créer des solutions,
00:59:48 même quitte à tâtonner, quitte à se croquer, mais on voulait faire.
00:59:52 Et évidemment on voulait s'attaquer à ces grands vaisseaux,
00:59:57 ces grands systèmes urbains qui sont les grands ensembles,
01:00:01 qu'on a appelé remollage parce qu'à l'époque il y avait des simples réhabilitations thermiques,
01:00:06 donc c'était plus différencié de ces actions qui étaient simplement des réhabilitations thermiques,
01:00:11 et la remollage ça supposait d'aller bien au-delà de la commande qui nous était faite la plupart du temps,
01:00:16 c'est-à-dire c'était de profiter pour travailler sur plein de parties du projet,
01:00:24 c'est-à-dire une réarchitecturation, au sens du remollage,
01:00:28 c'est-à-dire réarchitecturer, que ce soit les bâtiments, que ce soit l'estat qui peinte,
01:00:32 que ce soit même les logements, c'était une alternative à la démolition,
01:00:36 c'était une manière de récréer une histoire sur une base qui préexistait,
01:00:41 et c'était une alternative à la table rase.
01:00:44 Et puis c'était aussi une façon d'en conserver la mémoire, d'en conserver l'armature,
01:00:49 et de reprendre pied dans la géographie, de créer des liens qui n'existaient pas avec la ville environnante,
01:00:56 et même de repenser le logement, non pas comme un modèle répétitif,
01:01:00 mais comme une multitude de possibilités d'habiter.
01:01:03 Enfin c'était aussi pour nous l'occasion, et c'est là-dedans, c'est ce que contient le terme de remodelage,
01:01:11 de redessiner l'espace en substituant la vue du ciel, la vue du plan masse,
01:01:18 celle qui était présentée habituellement, la manière de représenter les projets,
01:01:22 par une vue au sol, celle qui propose des séquences, une épaisseur,
01:01:28 et de proposer même une grammaire qui conjugue à la fois la grande dimension de ces systèmes urbains,
01:01:35 avec tout un vocabulaire historique, urbain, classique, qui reprend la rue,
01:01:42 qui reprend les cours et les jardins, qui reprend les places, etc.
01:01:45 Et enfin c'était une façon un peu de refaire la ville sur la ville, comme disait Grimbach,
01:01:52 c'est-à-dire de réinscrire ce qui semblait une figure immuable, le grand ensemble,
01:01:57 dans le temps de la ville, et de le permettre d'évoluer.
01:02:04 Donc finalement, ce travail de remodelage, on l'a fait dans plein d'endroits,
01:02:09 on l'a fait pendant 30 ans, on a constaté que ça emportait les habitants dans une aventure
01:02:16 qui durait parfois 10 ans, mais c'était une aventure heureuse,
01:02:21 parce qu'ils gardaient leur histoire, et que leur histoire continuait.
01:02:25 Parmi la quinzaine de quartiers qu'on a transformés pendant toutes ces années,
01:02:30 - C'est l'Orient qu'on voit ici. - Là on voit l'Orient,
01:02:33 c'est vrai qu'on a travaillé dans plein d'endroits, à Dunkerque, à la Duchère, à Boulogne-sur-Mer,
01:02:40 à Villeneuve-la-Garenne, mais le Quai de Rouen, à l'Orient, et la Barre-République,
01:02:46 puisque ça fait partie d'un même quartier, ça reste emblématique pour plein de raisons.
01:02:54 D'abord parce qu'à l'Orient, bien plus qu'ailleurs sans doute,
01:02:58 parce que c'est une ville qui a été rasée par la guerre,
01:03:01 et dans la mémoire collective c'était impensable de démolir.
01:03:04 Les gens se rappelaient quand même de l'Orient dévasté.
01:03:08 Parce que c'est aussi un peu exemplaire dans l'attelage qu'il a suffi d'avoir,
01:03:14 c'est-à-dire 4 personnes pour mener un projet, et non pas des grosses machines de maîtrise d'ouvrage,
01:03:20 c'était un maire, un architecte, un sociologue, et un bailleur.
01:03:24 C'est aussi parce qu'à l'Orient, la transformation de ce quartier, sa métamorphose,
01:03:30 elle a eu des retombées qui ont dépassé ses propres limites.
01:03:34 Elles ont conduit la ville à se réinterroger, à se réapproprier son site,
01:03:40 et son rapport à la mer, qu'elle voyait plus, ou je ne sais pas,
01:03:45 et puis même à se réapproprier tout son patrimoine de la reconstruction
01:03:48 avec une campagne d'embellissement de la ville.
01:03:50 Donc ça a eu beaucoup d'effets, finalement, d'effets retards.
01:03:55 Et puis pour finir, je pense que c'est un projet qu'on a fait de manière assez intuitive,
01:04:02 mais qui pose pour nous les bases d'une manière de faire qu'on va utiliser,
01:04:08 pas seulement dans les quartiers qu'on va transformer,
01:04:11 c'est-à-dire à toutes les échelles, à l'échelle de l'habitat.
01:04:16 Peut-être avant de passer à cette phase-là, il y avait le rapport à la complexité,
01:04:23 ce que vous disiez, qui existe dans le remodelage.
01:04:28 Je crois que c'est intéressant d'en parler, ce rapport à la complexité,
01:04:32 comment on réintègre de la complexité face à quelque chose qui était très massifiant,
01:04:37 qui finalement venait complètement faire disparaître les habitants.
01:04:47 Comment vous avez réussi à redonner de la complexité
01:04:52 qui permettait aux habitants de retrouver une certaine forme d'individualité,
01:04:58 de singularité, de dignité, je dirais ?
01:05:01 À l'échelle de l'espace urbain, c'est presque du tissage, c'est du ravaudage, c'est de la couture.
01:05:07 On a coupé par endroits, rajouté d'autres morceaux.
01:05:10 Donc on a refermé des grands espaces ou au contraire ouvert une rue sur la mer.
01:05:15 Il y a tout un retissage, y compris de la construction de nouveaux bâtiments
01:05:20 qui permettent de créer des rapports d'échelle qui ne sont pas ceux qu'on a à l'origine,
01:05:24 qui sont juste des grandes barques qui se font face, etc.
01:05:28 Ça reconstitue un peu des grandes cours, pas forcément des îlots fermés,
01:05:33 mais des intériorités, des franchissements, des séquences, des passages.
01:05:38 Et puis il y a aussi une façon, et ça c'est...
01:05:45 C'est vrai qu'on y allait et encore on a réduit beaucoup le projet
01:05:50 pour des raisons de pragmatisme et d'économie.
01:05:54 Mais à l'Orient, il y avait trois types de logements à l'origine.
01:06:00 Un deux-pièces, un trois-pièces, un quatre-pièces, tous identiques.
01:06:03 À la fin, il y a 58 types de logements.
01:06:05 Ça, ça a été presque une intuition.
01:06:07 C'est-à-dire qu'on a...
01:06:09 Il y a je ne sais pas combien de types de trois-pièces, de deux-pièces, de quatre-pièces, de cinq-pièces,
01:06:12 des complexes, des choses à plat, des bâtiments qui sortent de la façade,
01:06:17 qui cassent les murs, etc.
01:06:19 Et ça, ça a été une manière d'offrir un choix,
01:06:25 d'offrir une possibilité de choisir où on va habiter
01:06:28 et même de rêver où on pourrait habiter.
01:06:31 Donc ça, ça a été quelque chose qu'on a fait à l'Orient,
01:06:35 qu'on a fait aussi à la Duchère, en faisant des très grands logements,
01:06:39 parce que le bailleur voulait faire venir des gens à cause de la qualité des logements.
01:06:44 Et c'est quelque chose, ensuite, qu'on a reproduit dans des projets,
01:06:48 toutes sortes de projets, c'est-à-dire la complexité ou la variété
01:06:52 ou la multiplicité des possibilités d'habiter,
01:06:56 comme un levier de désir, presque.
01:06:59 Michel, vous s'étiez réagi, hein ?
01:07:01 Oui, je voudrais faire un petit témoignage.
01:07:05 Roland était quelqu'un d'une très grande fidélité.
01:07:09 Et Anne Hidalgo, qui vient de nous quitter, en sait quelque chose.
01:07:14 Mais Roland avait une capacité à l'oubli absolument fantastique.
01:07:20 C'est l'oubli.
01:07:22 Alors, voyez, vous avez cette opération, qui est citée,
01:07:25 qui est sa première restructuration.
01:07:28 Alors, c'était celui qui gagne une bouffade,
01:07:32 ce qui n'avait pas de concours, mais c'est celui qui est retenu.
01:07:35 C'est Jean-Luc Pelland.
01:07:38 Jean-Luc Pelland avait travaillé avec Roland à Rosé,
01:07:42 où on avait fait une succession d'opérations.
01:07:45 Et je dis à Jean-Luc, ce serait bien que tu t'associes pour un truc comme ça,
01:07:49 que tu t'associes à Roland, parce que...
01:07:52 Et il s'associe.
01:07:54 Donc, le quai de Roland devrait s'appeler Roland Castro.
01:07:59 Je ne sais pas, tu n'es pas encore tété de l'État de l'Agence ?
01:08:03 - Oui, bien sûr. - Oui, bien sûr.
01:08:05 - Je suis plus quatre-vingt-neuf ans. - Il faut quoi ?
01:08:07 Et Jean-Luc Pelland était là.
01:08:09 Alors, quand je vous préviens de ça, je ne sais pas très bien ce que tu fais à Roland.
01:08:13 L'oubli. L'oubli.
01:08:15 Et il me dit, oui, mais...
01:08:18 Pelland était associé à un autre architecte qui s'appelait Tabard.
01:08:21 Et il me dit, si je mettais le nom de Pelland,
01:08:24 je serais obligé de mettre le nom de Tabard, et je déteste Tabard.
01:08:27 Voilà.
01:08:29 Si vous voulez dire ça, parce que c'était tout Roland, ça.
01:08:32 J'aimerais bien entendre Marc, aussi, qui a peu parlé encore.
01:08:36 Vous avez suivi le travail de Roland et de Sophie à cette époque.
01:08:39 Vous avez écrit un ouvrage, "Impressionnisme urbain".
01:08:42 Qu'est-ce qui, dans ce travail, finalement, relevait quelque part du visionnaire, selon vous ?
01:08:51 À la fin des années 90, Sophie et Roland me sollicitent pour rassembler leurs travaux dans des ouvrages
01:08:58 qui sont appelés "Impressionnisme urbain", qui sont ici, comme témoignage.
01:09:04 Et ça a été pour moi l'occasion d'explorer les archives, les écrits,
01:09:11 et tout l'ensemble de la production de l'agence et leurs pensées.
01:09:17 Pour pouvoir parler de ça, je vais faire référence à un article que j'ai retrouvé dans mes archives.
01:09:27 Il date de juillet 1983.
01:09:30 Il est publié dans Libération en juillet 1983 et il est écrit par Annette Lévy-Villard.
01:09:37 Le thème, c'est "Banlieue 89".
01:09:40 Et "Banlieue 89" se projette dans "1989, banlieue 89".
01:09:52 Et en réalité, quand on analyse le texte, il apparaît qu'il s'inscrit aussi dans le projet du Grand Paris.
01:10:01 Autrement dit, ce que je veux souligner à travers cette référence journalistique,
01:10:07 c'est le fil rouge, la continuité de cette pensée qui se construit peu à peu,
01:10:15 qui mature, et qui s'enchaîne, se relaie et prend différentes formes tout au long de l'avancement du travail.
01:10:25 Donc ce qui me paraît important, c'est de souligner que Roland est un homme de conviction.
01:10:33 C'est un homme qui développe une vision dont on peut dire que la question d'identifier la ville comme le défi du 21ème siècle
01:10:43 était non seulement tout à fait pertinente, mais reste complètement d'actualité.
01:10:50 On le voit de plus en plus.
01:10:52 De l'intuition, le faire avec, le faire avec le déjà là.
01:10:56 Ce n'est pas un thème à la mode, on n'en parle pas beaucoup à l'époque.
01:11:00 Bien sûr, de la pertinence aussi, puisqu'il est question de réemploi, de recyclage.
01:11:05 Aujourd'hui, ça semble banal, mais ça ne l'était pas au moment où c'est dit.
01:11:09 De la générosité, parce que c'est faire avec les habitants, ça reste une question tout à fait d'actualité.
01:11:16 Et puis bien sûr, un esprit libre et ouvert, inventé, y compris savoir convaincre, y compris les maîtres d'ouvrage, public et privé.
01:11:27 Je voudrais terminer cette courte intervention en évoquant, en proposant, pour compléter cette conférence hommage,
01:11:40 je trouve qu'il serait tout à fait pertinent aujourd'hui de relancer ce projet d'école des hautes études urbaines.
01:11:49 Parce que c'est un grand dommage, comme l'a souligné Jean-Pierre Le Dantec tout à l'heure, que ce projet n'ait pas pu aboutir.
01:11:56 Et bien aujourd'hui, celui-ci aurait tout à fait sa place dans le paysage des écoles françaises sur la question d'urbanité et de l'architecture.
01:12:07 Je crois qu'il y a eu un "swing" qui est lancé là.
01:12:11 Moi, je voulais entendre Sylvia, parce que Sylvia, vous êtes arrivée à l'agence de Roland quelque part, je crois, dix ans avant la consultation internationale du Grand Paris.
01:12:22 Et vous avez beaucoup travaillé sur cette question avec lui, avec Sophie.
01:12:27 Comment finalement toutes ces expériences, tous ces concepts ont fait sens à un niveau métropolitain ?
01:12:35 On a beaucoup parlé du Grand Paris. J'aimerais vraiment...
01:12:37 Oui, en effet, si je prends l'exemple de la question du remodelage, l'embellissement, la dignité des grands quartiers d'habitats populaires étaient très présentes dans le Grand Paris de 2008.
01:12:55 Et c'était l'occasion pour Roland de changer l'image de la banlieue, en fait.
01:13:00 C'est aussi pour moi l'exemple de comment la pensée de Roland a toujours été caractérisée par des allers-retours entre intuition et preuve.
01:13:11 Et en 2008, je dirais que le remodelage avait donné ses preuves.
01:13:17 Parce qu'avec Sophie, vous aviez commencé ce travail dix ans auparavant, des réalisations.
01:13:24 Donc il y avait déjà dix ans de recul sur un certain nombre de projets qui étaient là.
01:13:31 Lorient, on a vu tout à l'heure, et Dunkerque et bien d'autres.
01:13:36 Et il y avait aussi une énorme émotion de Roland quand il parlait du fait que pendant les émeutes de 2005, par exemple, aucun des quartiers dans lesquels l'agence était intervenue n'avait bougé.
01:13:49 Et pour lui, c'était la démonstration qu'il y avait bien un lien, qu'il y avait bien un rapport très étroit entre le lieu où on habite et le lien, donc le vivre ensemble.
01:14:05 Et pour lui, pour moi aussi, c'était quelque chose que je découvre parce que j'arrive d'Italie en 98.
01:14:13 Je ne connais pas l'agence, je ne connais pas Banlieue 89.
01:14:16 Je la connais petit à petit parce qu'en lisant les livres "Civilisation urbaine et barbarie", le titre déjà me fascine énormément.
01:14:25 Et donc cette question-là du remodelage, par exemple, c'est comme un fil conducteur qui donnait la possibilité de montrer qu'une intuition avait effectivement un retour de preuve.
01:14:41 Et donc le Grand Paris était l'occasion pour transposer à l'échelle métropolitaine cette intuition et pour renverser véritablement le rapport d'Ofopla dont parlait Anne tout à l'heure, par exemple.
01:14:56 Bon, certainement, cette vision ne s'arrêtait pas à la question de l'embellissement de la dignité des grands ensembles.
01:15:07 C'était certes quelque chose d'extrêmement important, redonner de l'urbanité, un mot d'ailleurs qu'aujourd'hui on a évoqué assez rapidement,
01:15:18 mais qui est un autre des fils conducteurs pour moi et des constantes dans la pensée de Roland,
01:15:25 au point que quand il a commencé à réfléchir et à imaginer la transmission de son agence,
01:15:31 il a souhaité que aujourd'hui, tenu et porté par Gérald Deluy et Suzanne Allagy et beaucoup d'autres qui sont présents dans la salle,
01:15:41 et qui continuent à porter ces principes, ces concepts et ces convictions, il a souhaité que ça s'appelle Atelier d'urbanité Roland Castro.
01:15:50 Donc c'est vraiment la démonstration de comment l'urbanité pour Roland avait un vrai sens dans la ville.
01:15:59 Et donc l'idée c'est que cette urbanité puisse se retrouver sur le blanc de la flotte à travers des lieux poétiques.
01:16:09 C'est exactement ça. C'est vraiment l'idée que c'était un grand pari, et Roland l'appelait le grand pari du devoir d'urbanité,
01:16:17 parce que ce n'était plus la question de donner le droit à l'urbanité, mais que du côté des architectes il y avait un devoir d'urbanité.
01:16:25 Donc on était obligé de construire des lieux porteurs d'urbanité.
01:16:30 Et en effet, ce grand pari du devoir d'urbanité, c'était un grand pari qui allait chercher la poétique des lieux,
01:16:37 qui était ponctué par des lieux magiques, qui fallait révéler pour que les habitants s'en approprient et se sentent véritablement fiers d'habiter quelque part,
01:16:50 mais qui devait être aussi sublimé par des projets qui étaient des manières de donner à des lieux un rayonnement métropolitain.
01:17:01 Donc il y a eu, je ne sais pas, dans un des exemples de lieux magiques, Roland avait l'habitude de parler du lac d'Inguin,
01:17:10 parce que pour Roland la métropole c'était un immense territoire de voyage.
01:17:14 C'était là la différence entre, il lui disait toujours, la différence entre une ville et une métropole, c'est que dans une métropole je peux voyager.
01:17:22 Et il racontait par exemple comment quand on se rend au lac d'Inguin, on a l'impression d'avoir,
01:17:28 c'était comme si on avait pris un avion, comme si on avait fait un véritable voyage,
01:17:32 et pourtant c'est à côté d'Épinay-sur-Seine, un quartier où on n'aurait jamais envie d'aller.
01:17:38 Et donc c'était un peu tout ça, c'était la valorisation de ces lieux extraordinaires,
01:17:45 et que ce territoire venait ponctué de ces lieux magiques,
01:17:49 et qu'il pouvait à travers toute une série de lieux magiques raconter un récit métropolitain.
01:17:55 Aujourd'hui on n'arrive pas à raconter ce que ce sera le Grand Paris, à part une succession de quartiers-gares.
01:18:02 Dans la pensée de Roland, et dans ce qu'il portait énormément, c'était cette idée qu'on puisse raconter avec fierté où on habite,
01:18:10 mais qu'on puisse aussi pouvoir raconter comme Paris peut se résumer par la Seine et certains lieux incroyables,
01:18:17 qu'on puisse le faire à l'échelle métropolitaine.
01:18:20 Et dernier dernier sujet qu'on voit là, habiter au ciel, parce que c'est...
01:18:26 C'est vrai qu'on pourrait porter beaucoup d'exemples de lieux magiques qui ont été repérés d'ailleurs à l'époque de Balieu 89 avec Cantal,
01:18:34 mais pour moi il y en a un qui est éclatant et que Jean a évoqué,
01:18:40 c'est la transformation du parc Jean Valbon en central-parc du Grand Paris.
01:18:47 Alors ça aussi pour moi c'est un exemple que ça me tient vraiment à cœur de raconter comment il y a une cohérence dans la pensée de Roland
01:18:59 entre le remodelage et l'idée d'intervenir sur le parc Georges Valbon,
01:19:05 parce que ça reste dans une mouvance critique vis-à-vis de certains aspects du mouvement moderne.
01:19:13 Et le parc Georges Valbon était une zone-parc entourée d'autoroutes,
01:19:17 une autoroute des voies rapides, complètement isolée par rapport au quartier qui l'entoure.
01:19:26 Et donc c'était ça l'idée, c'était de dire comment on arrive à dézoner une zone-parc,
01:19:31 comment on arrive à le rendre un lieu majeur de la métropole dont les habitants seront fiers,
01:19:36 comment en construisant juste les bords, en tissant des liens avec tous les quartiers qui sont autour,
01:19:44 et même en augmentant sa surface vers le nord jusqu'à Villiers-le-Bel,
01:19:50 comment on peut arriver à le rendre un lieu majeur de la métropole, un lieu extraordinaire,
01:19:56 et comment on peut arriver aussi à rééquilibrer presque la banlieue nord par rapport à d'autres lieux de la métropole
01:20:04 qui avaient déjà des lieux...
01:20:06 On va devoir terminer, merci.
01:20:08 Je peux rajouter quelque chose ?
01:20:11 Il y avait vous, et Michel, et puis après il faut vraiment qu'on termine.
01:20:15 Il y a eu une réunion ici, je me souviens, à propos de l'idée de Central Park,
01:20:24 où finalement on a vu que les opposants à ce projet ont finalement réussi à le liquider.
01:20:37 Mais en réalité, une des dimensions du projet, c'était aussi celle-ci,
01:20:43 c'est que tout parc urbain participe aussi à la question du type de population.
01:20:55 Autour du parc dit Georges Valbon maintenant,
01:21:00 amené par des bâtiments de construction et d'habitation,
01:21:08 on pouvait amener une nouvelle population qui n'avait pas l'idée d'aller dans ce coin-là de la banlieue,
01:21:21 qui a pour certains une mauvaise réputation.
01:21:25 Donc, la fameuse question, l'impossible question de la mixité sociale, c'était ça aussi le fond du projet.
01:21:36 Il suffit de voir comment, dans mon quartier, les Butchomont ont réussi à transformer un quartier
01:21:45 qui était à l'époque l'un des plus défavorisés de la capitale.
01:21:50 Finalement, grâce à ce qui s'est passé autour,
01:21:56 la mixité sociale a été amenée dans un quartier qui n'en avait pas.
01:22:02 C'est des questions essentielles, malheureusement, grâce à ce que Roland a réussi à faire poser.
01:22:11 Tout ça n'a pas été simple. Je reconnais d'ailleurs des visages qui étaient très opposés tout au départ de notre...
01:22:20 On nous traitait de social-traitre. Et je me souviens d'une réunion que je vais vous raconter...
01:22:26 On me fait signe depuis tout à l'heure quand même.
01:22:30 On a contribué, on a participé à la marche des beurres.
01:22:34 Et on a suscité le mouvement des maires, puis les banlieues.
01:22:39 Dans la banlieue de Nantes, Jacques Flock fait une réunion pour expliquer sa démarche avec nous.
01:22:45 On est sur une table devant.
01:22:50 Il y a comme ça une assemblée de gens très intéressés.
01:22:55 Et arrive un groupe très contre nous, de 4-5 personnes,
01:23:00 qui arrive avec des poches de merde.
01:23:05 Et ils nous créent, ils commencent à nous insulter, et ils lancent des poches.
01:23:10 Alors ils sont au fond.
01:23:13 Je n'ai pas une connaissance parfaite du lanceur de poids,
01:23:17 mais je sais que pour lancer un poids de 500 grammes,
01:23:21 ou même de 800 grammes, ou presque du kilo,
01:23:24 pour que ça traverse les 20 mètres, il faut être un bel athlète.
01:23:28 Alors bien évidemment, la merde s'est répandue sur tous les auditeurs.
01:23:32 Nous, on a été indemnes.
01:23:35 Et alors vous aurez vu la révolution.
01:23:38 Les gens se sont... Les pauvres types ont été obligés de dire "non, ne le faites pas".
01:23:43 Voilà, on a échappé.
01:23:46 Mais c'était des choses... On en rigole aujourd'hui.
01:23:50 Je sais... Ce n'a pas été simple.
01:23:53 Je le sais. Merci beaucoup. Merci à vous cinq.
01:23:57 [Applaudissements]
01:24:05 Alors Sophie, je te propose de rester avec nous pour conclure.
01:24:10 Merci Michel, merci Jean-Pierre, merci Sylvia, merci Marc.
01:24:14 Je suis vraiment désolé, on pourrait continuer à en parler longtemps, et je le sais.
01:24:19 Pour terminer cette soirée,
01:24:22 on a beaucoup travaillé ensemble, évidemment avec Sophie,
01:24:27 sur l'organisation, sur le déroulé de cette conférence.
01:24:31 Et on a décidé ensemble de s'arrêter sur cette phrase de Roland,
01:24:35 qui est une phrase qui finalement représente bien l'homme,
01:24:43 et surtout qui est quelque part une phrase assez énigmatique, je dois le dire,
01:24:49 parce que finalement j'ai beaucoup lu du Roland, du Castro,
01:24:54 et c'est vrai que cette phrase m'a beaucoup interpellé.
01:24:57 Et on a décidé ensemble, avec Sophie, de s'arrêter sur cette phrase,
01:25:02 et peut-être aussi de l'interpréter à notre façon.
01:25:06 Et avant de te laisser la parole, Sophie,
01:25:09 j'aimerais en dire aussi la manière dont moi je l'interprète cette phrase.
01:25:15 Évidemment, comme vous avez pu l'imaginer, pour préparer cette conférence,
01:25:19 j'ai beaucoup lu du Roland, non seulement,
01:25:23 et aussi des personnes qui ont écrit sur lui,
01:25:27 juste après son départ.
01:25:31 Alors évidemment, parmi les concerts de l'Ourange, il y a aussi des détracteurs.
01:25:35 Certains diront qu'il a travaillé avec Sarko, avec Pascua,
01:25:41 avec Mitterrand, avec des gens très différents,
01:25:44 des personnalités politiques de tous bords,
01:25:46 qu'il ne savait pas vraiment peut-être où il allait.
01:25:49 Et je crois que, oui, en effet, il a travaillé avec des personnalités politiques de tous bords.
01:25:55 Mais c'est surtout, finalement, quelque part,
01:25:57 et c'est ce que m'inspire cette phrase,
01:26:00 à l'image d'un écrivain, je crois qu'il n'a jamais su dévier de sa ligne.
01:26:05 Il souhaitait nous montrer quelque chose.
01:26:07 Et nous montrer, qu'est-ce qu'il souhaitait nous montrer ?
01:26:10 C'était que finalement, là où ça va mal, là où c'est le pire,
01:26:14 eh bien, il s'agit de trouver des solutions.
01:26:15 Ça, c'est la première chose.
01:26:17 Et puis, par ailleurs, il a été dit que Roland a beaucoup théorisé,
01:26:23 mais peut-être peu produit.
01:26:26 Je crois encore, à l'image d'un écrivain,
01:26:29 il a su, à un moment donné, théoriser, conceptualiser, penser,
01:26:34 à un moment donné où il était vraiment nécessaire de le faire,
01:26:37 c'est-à-dire à l'issue du mouvement moderne.
01:26:40 Et je crois que les concepts qui l'ont pu créer,
01:26:45 les mouvements qu'il a initiés, Banlieue 89, Le Grand Paris, on l'a vu,
01:26:51 eh bien, sont plus jamais que d'actualité.
01:26:55 On a beaucoup parlé du remodelage,
01:26:58 à une époque où la question de construire, dans le neuf notamment,
01:27:02 se pose de plus en plus, eh bien, la réhabilitation,
01:27:05 à l'image du remodelage, c'est quelque chose de, finalement, de très actuel.
01:27:10 Et au-delà de sa profession d'architecte, et je terminerai peut-être là-dessus,
01:27:12 il a été un homme de son temps,
01:27:16 très fermement engagé sur des sujets qui dépassent, évidemment,
01:27:19 sa profession d'architecte, le mouvement de libération des femmes,
01:27:22 le droit des homosexuels, et j'en passe encore.
01:27:25 Alors, tout ça pour dire que, s'agissant de cette phrase,
01:27:28 je ne sais pas si l'architecture est ou sera littéraire,
01:27:32 je suis urbaniste, moi, en l'occurrence, personne n'est parfait,
01:27:37 et je crois que, finalement, ce que je sais,
01:27:42 c'est que Roland Castro était une histoire à lui seul.
01:27:47 L'architecture est tombée sur lui,
01:27:50 comme, finalement, ça pouvait être une autre voie,
01:27:53 et ce que je pense, c'est que, en fait, pour se hisser au niveau de la ville,
01:27:57 et notamment au niveau de Paris, considéré que c'était une poésie,
01:28:01 eh bien, il a fallu, pour lui, quelque part,
01:28:05 développer et hisser son architecture au rang de littérature.
01:28:10 Sophie, c'est à toi.
01:28:13 Oui, alors, je pense que Roland nous laisse quelques petites énigmes,
01:28:16 ça fait partie de ses cadeaux.
01:28:20 Oui, Roland, il voulait tout, en fait, il s'autorisait tout.
01:28:24 Il avait le droit de faire de la politique,
01:28:26 il avait le droit de faire des journaux, d'écrire,
01:28:29 même de peindre, de jouer sa pièce de théâtre,
01:28:33 et, évidemment, d'être architecte.
01:28:35 En fait, il voulait être tout le temps en relation avec le monde
01:28:40 et avec l'histoire, avec la grande histoire.
01:28:43 Il ne voulait pas être cantonné dans sa discipline, en fait.
01:28:47 Il avait aussi ce pouvoir d'entraînement et de conviction qui étaient énormes,
01:28:53 et un grand talent pour des slogans, pour des phrases comme ça,
01:28:57 qui vous laissent un peu rêveur ou rêveuse.
01:29:01 Alors, je pense que, quand même, cette phrase, pour moi,
01:29:04 elle renvoie aux origines, à ce qu'on a entendu au tout début de Roland,
01:29:08 son amour pour Paris et pour la littérature, pour la poésie.
01:29:14 Et je pense, d'ailleurs, que c'est ce qui nous a reliés,
01:29:20 enfin, je dirais ça, c'est ce rapport à Paris, à la poésie,
01:29:25 et c'est peut-être ce qui nous a fait tenir contre vents et marées.
01:29:31 C'est peut-être une capacité d'émerveillement qu'il avait,
01:29:35 et je pense que j'ai aussi.
01:29:37 Alors, je pense aussi que cette phrase, elle renvoie à son goût du romanesque,
01:29:43 évidemment, à l'importance de la beauté, des lieux, du récit, des caractères, en fait.
01:29:50 Et, au fond, peut-être qu'on le disait autrement quand on avait des conversations,
01:29:57 quand on travaillait, mais il y avait toujours ce thème-là de "qu'est-ce qu'on raconte ?".
01:30:04 "Qu'est-ce qu'on raconte ?" oui.
01:30:06 Comment est-ce qu'on va transcender la commande,
01:30:08 comment est-ce qu'on va transcender un programme qui est raisonné, qui est raisonnable,
01:30:13 en un univers qui va le dépasser ?
01:30:15 Comment est-ce qu'on va susciter l'imaginaire et procurer une émotion ?
01:30:19 Comment est-ce qu'on va sublimer la réalité ?
01:30:22 Il y avait aussi cette question du discours,
01:30:25 il disait "le discours muet des bâtiments".
01:30:28 En fait, c'est vrai, Roland, il fallait que ça parle,
01:30:32 un bâtiment, il considérait que ça parle,
01:30:34 il considérait que l'architecture était un art public,
01:30:37 qu'elle s'adressait à tous et qu'elle se partageait.
01:30:41 Voilà.
01:30:42 Et puis je crois aussi que Roland,
01:30:46 même s'il n'était pas toujours facile à gérer,
01:30:54 il aimait bien les architectes.
01:30:56 Il pensait que c'était un peu des donquichottes qui se battent contre des moulins à vent
01:31:00 et peut-être qu'il parlait d'eux aussi,
01:31:03 qu'il leur fallait du courage, de l'héroïsme
01:31:07 pour surmonter ce métier qui est tellement difficile.
01:31:10 Voilà tout ça.
01:31:12 Enfin, je pense aussi que...
01:31:15 Enfin...
01:31:17 Oui, c'était un grand lecteur, en fait, Roland.
01:31:21 Il citait Apollinaire, il citait Rimbaud, il citait René Char.
01:31:27 Et en fait, j'ai écrit les vers qu'il citait souvent,
01:31:33 qui sont ceux des Illuminations d'Arthur Rimbaud.
01:31:37 "J'ai tendu des cordes de clocher en clocher,
01:31:41 des guirlandes de fenêtre à fenêtre,
01:31:43 des chaînes d'or d'étoile à étoile,
01:31:46 et je danse."
01:31:47 Je trouve que c'est une belle sortie.
01:31:49 Merci, merci beaucoup.
01:31:56 Merci Sophie, merci à tous et à toutes.
01:31:59 Merci au Pavillon de l'Arsenal de nous avoir accueillis.
01:32:02 Et bonne soirée à tous.
01:32:05 (Applaudissements)
01:32:08 ...

Recommandée