Soixante ans après la vague des indépendances, l'Afrique, berceau de l'humanité, est présentée aujourd'hui comme celui de l'avenir, le continent du XXIème siècle. Pourquoi cet engouement soudain, souvent motivé par des motifs économiques ? Dans un contexte international en perpétuel mouvement, Yves Thréard s'intéresse à l'influence grandissante de l'Afrique sous tous ses aspects, en donnant à la parole à Calixthe Beyala, Oswalde Lewat, Alain Mabanckou, Boualem Sansal et Lionel Zinsou, pour des « Souvenirs et avenir d'Afrique ».
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NewsTranscription
00:00 "Uncatchable", Alexandr Zhelanov
00:02 ...
00:26 -Fabrice Almeida,
00:27 pourquoi ne peut-on jamais parler de l'Afrique sereinement ?
00:30 -Pour moi, c'est un gros problème, d'en parler sereinement,
00:34 car ça rejoint l'histoire intime, familiale.
00:37 Donc c'est à chaque fois une tension.
00:39 -Tranco-béguinoise, pour ce qui vous concerne.
00:41 -Exactement. Et c'est une tension,
00:43 parce que, comme j'ai eu un mouvement de vie,
00:46 on a vécu là-bas, toute mon enfance est là-bas,
00:49 ensuite, je reviens en France, mon père reste là-bas,
00:52 donc il y a un mélange de psychologie
00:55 et de... comment dirais-je ? De vie personnelle,
00:58 et par ailleurs, il y a ensuite
01:00 toutes les thématiques politiques des années 60-70,
01:03 qui ont été celles de mon enfance,
01:06 qui, en permanence, me hantent
01:08 dans cette question de "qu'est-ce que c'est qu'être indépendant ?"
01:12 -Vous êtes un enfant de l'indépendance ?
01:14 Sans en dévoiler de secret, vous êtes né en 1963,
01:17 et le Bénin venait d'arriver à l'indépendance.
01:20 -En 60, oui, comme toutes les colonies subsahariennes françaises.
01:25 Il gagne son indépendance, et je vis mes premières années là-bas.
01:28 Et ma mère, elle vit, et elle est prof.
01:31 -Hélène Dalméda. -Oui.
01:34 -Née Topor. -Exactement.
01:36 Ca va vous faire marrer. C'était une communiste, au départ.
01:40 -Elle est communiste. On les voit, votre père et votre mère.
01:43 -Exact. Et maman était membre du Parti communiste jusqu'en 56.
01:47 La même cellule qu'Anne Kriegel,
01:49 la même cellule que François Furet,
01:51 et tous d'ailleurs après,
01:53 mais tous après ces cartes du Parti,
01:55 après 1956, en se rendant compte des crimes de Staline.
01:59 -Et elle rencontre votre père, monsieur Dalméda.
02:02 -Exactement dans ces années-là.
02:04 Elle passe l'agrégation, elle rencontre mon père,
02:07 et on sent qu'il va y avoir les indépendances,
02:09 et il décide d'aller vivre au Bénin,
02:12 parce que mon père est originaire du Bénin.
02:14 Il a fait une partie de ses études au Sénégal,
02:17 puis ensuite, il a fait son lycée à Tours, en France,
02:20 avant de venir faire sa spécialisation en agronomie à Paris.
02:23 Donc, ils se rencontrent là, et à partir de là,
02:26 ma mère va se mettre à travailler sur l'Afrique
02:29 et va essayer de tester ses méthodes éducatives sur nous.
02:32 J'ai pas eu une éducation complètement africaine.
02:35 J'avais le droit au coup de ceinture de papa,
02:37 mais j'avais le droit à maman qui nous disait
02:40 "Jamais un coup ne viendra de moi."
02:42 -Il y en a un qui a parlé de l'histoire et de l'Afrique,
02:45 c'est Nicolas Sarkozy, quand il est allé à Dakar,
02:48 juste après son élection en 2007.
02:51 Il fait une conférence à l'université Charenta Diop,
02:54 et là, il dit que l'homme africain n'est pas entré dans l'histoire.
02:58 Vous, vous êtes historien, vous êtes agrégé d'histoire,
03:01 qu'est-ce que le regard d'un historien comme vous
03:04 peut avoir sur ce discours, qui est beaucoup plus argumenté
03:08 que ce que je viens de dire ? -C'est un discours
03:10 qui est à côté de la plaque. -On va l'écouter un peu.
03:13 -Allons-y. -On va l'écouter.
03:16 -Cette visite qui a tant marqué les esprits, la voici.
03:19 C'était le 26 juillet 2007, et ce jour-là,
03:21 Nicolas Sarkozy déclenchait la polémique avec cette phrase.
03:25 -Le drame de l'Afrique,
03:28 c'est que l'homme africain
03:30 n'est pas assez entré dans l'histoire.
03:33 -N'est pas assez entré dans l'histoire.
03:37 -Le problème, en fait, c'est comment on y rentre.
03:40 Toute la question qui est posée ici, c'est celle de la colonisation
03:44 et de l'entrée en contact avec le monde occidental.
03:47 Cette colonisation, c'est ce que nous avons beaucoup de mal,
03:50 nous, aujourd'hui, français, à comprendre,
03:53 à tenir, à admettre, c'est ce mélange
03:55 de brutalité, de violence,
03:58 et en même temps, d'une autre partie de la population,
04:02 ce désir de rencontre, d'échange et de partage.
04:07 -On peut parler des Occidentaux. -Oui, mais en même temps,
04:11 il y a la brutalité et la prise de ces territoires
04:14 par la guerre.
04:15 Dans le cas du Bénin, on l'a oublié,
04:18 il y a une campagne militaire
04:20 qui est menée par un corps expéditionnaire français
04:23 qui va arriver là-bas,
04:24 qui va être mené par un colonel au début de la mission
04:27 qui sera nommé général pour la guerre
04:30 et qui va détruire le royaume du Danromée,
04:32 qui était gouverné par Béanzin,
04:34 qui fait une guerre assez impitoyable.
04:37 Ils ont une supériorité en armement
04:40 et donc ils en profitent,
04:41 même si la première bataille, ils la perdent,
04:44 avec la charge phénoménale d'un groupe de femmes soldats,
04:48 les Amazones, qui étaient l'objet
04:50 d'admiration et de recherche de ma mère.
04:53 -Et qui, effectivement, votre mère a travaillé là-dessus,
04:57 on est à la fin du XIXe siècle. -Oui, exactement.
05:00 Et c'est une...
05:01 Ca montre cette inégalité dans la conquête,
05:04 cette inégalité dans la force,
05:06 et qui fait que l'échange, le commerce,
05:10 la prise des matières premières,
05:11 se fait sous la contrainte, sous la force.
05:14 -Quand vous étiez jeune élève
05:17 dans ce qui était le Daomé,
05:19 à l'époque, qui s'appelait le Daomé,
05:21 parce que le Bénin s'est arrivé plus tard,
05:23 avez-vous senti ce rapport de force ?
05:26 Dans les années 60, on est juste après l'indépendance.
05:29 -Je suis dans une école africaine,
05:31 l'école Féliciana Joe,
05:32 une école expérimentale, où on envoyait les jeunes en formation.
05:36 On faisait chaque semaine la levée des couleurs,
05:39 on inventait l'hymne national,
05:41 ce qui fait que je l'ai encore dans ma tête.
05:43 J'ai appris cet hymne-là, l'hymne du Dain-Romais,
05:46 avant d'apprendre l'hymne français, la marseillaise.
05:49 Et je l'avais dans la tête.
05:51 Il y avait le côté, comme...
05:53 Dès qu'il y avait un blanc, c'était le "yovo",
05:56 le blanc, c'était comme ça qu'on l'appelait.
05:58 Mais entre élèves, il n'y avait pas ça, en fait.
06:01 On jouait, en fait.
06:02 Ce qui est assez marrant, c'est que c'est l'époque,
06:05 les années 60, où il y a les westerns,
06:08 les gamins dans la cour, on est obsédé par les westerns,
06:11 par les cow-boys, les indiens, les shérifs.
06:13 On avait ça et la conquête de la Lune.
06:15 Il faut pas l'oublier. -Il faut pas l'oublier.
06:18 -1969. -C'est là où on l'oublie.
06:20 On est dans l'histoire. Les Africains sont dans l'histoire.
06:23 Ils sont passionnés par ça. -Oui.
06:25 Vous avez écrit un livre qui s'appelle "Et si on refaisait l'histoire ?"
06:29 Avec Anthony Rolet, qui est un fameux...
06:32 Malheureusement, il nous a quittés, mais un historien.
06:35 -Aujourd'hui, sur l'Afrique, on est en train de refaire l'histoire,
06:39 et certains veulent la réécrire.
06:41 -Il y a une nécessité de la réécrire.
06:43 -Pourquoi ? -Une bonne partie de l'histoire
06:45 a longtemps été écrite par les vainqueurs,
06:48 par les dominants.
06:49 Donc, il y avait la légitimation des systèmes de domination.
06:53 Au fond, en reprenant l'histoire, en la reprenant par le bas...
06:56 -Ils ont été écrits par les chasseurs,
06:59 comme dit un proverbe africain. -C'est un peu ça.
07:02 -Exactement. Et donc, heureusement, il y a maintenant,
07:05 notamment grâce à des femmes comme Catherine Cochrie-Vidrovitch,
07:08 comme Hélène D'Almeida Topor, ma mère,
07:11 une génération de chercheurs africains
07:13 qui ont pris en charge leur sujet.
07:15 Je pense à un béninois, vous allez m'excuser
07:17 d'être obsédé de ce territoire, mais il y a des personnages.
07:21 Il y en a un qui s'appelle Félix Sirocco,
07:23 qui est un très grand historien.
07:25 Il a commencé à faire des histoires des pratiques,
07:28 des histoires de l'environnement.
07:30 Il a fait une histoire des termitières en Afrique.
07:33 On pensait pas à ça, mais les termitières sont anciennes.
07:36 Il y a des strates d'histoires qu'on peut remarquer à l'intérieur
07:40 qui permettent de reconstituer le climat, les cultures.
07:43 Il y a un modèle intellectuel qui émerge,
07:45 et c'est un des historiens qui a repris cette histoire
07:48 de l'esclavage et de la traite en Afrique.
07:51 -Bénin était vraiment au coeur. -En la regardant, oui.
07:54 C'était l'ancienne Côte des Esclaves.
07:56 Il y avait la Côte d'Ivoire, et Côte des Esclaves,
07:59 le rivage du Bénin sur le golfe du Bénin.
08:01 Et donc, ce territoire-là a fait aussi
08:06 une partie de sa fortune et de sa puissance militaire
08:09 en vendant des esclaves.
08:10 C'est comme ça qu'on peut reconstituer l'histoire
08:13 de ces Etats côtiers qui étaient commerçants,
08:16 mais qui avaient une prospérité grâce à l'esclavage.
08:19 -Aujourd'hui, il y a aussi une tentation,
08:22 avec la culture, la "cancel culture",
08:25 de réécrire aussi cette histoire
08:27 de gommer, justement, avec une vision morale,
08:32 tout ce qui a pu se passer
08:33 par un passé qui ne passe pas.
08:35 -Je ne suis pas sûr que ce soit la "cancel culture".
08:38 En Afrique, c'est plutôt la "contest culture".
08:41 On conteste un certain état des choses,
08:44 une certaine vision du monde
08:46 qui suppose que l'ordre démocratique
08:49 soit le même partout,
08:51 que les modèles d'échange soient les mêmes partout.
08:54 -Le panafricanisme, qui a changé le visage.
08:57 -Notamment, mais qui essaie...
08:58 Au fond, c'est l'idée de réfléchir à la domination,
09:01 et à la domination et au rôle de dominant
09:04 que certaines élites africaines ont eus.
09:06 D'où tenait-elle leur légitimité ?
09:09 Il y a une génération qui est arrivée
09:11 parce qu'elle est arrivée dans la lutte.
09:13 On a oublié, mais les Fouette-Poigny, etc.,
09:16 ils deviennent ministres,
09:18 en partant d'une position, au départ, opposée,
09:21 adversaire, concurrente.
09:23 -Ils deviennent ministres
09:24 sous la 4e République, en France.
09:27 -Au début de la 5e, d'ailleurs.
09:28 -Alors qu'ils portaient un discours d'autonomie
09:31 et d'indépendance.
09:32 C'est des choses, c'est des mouvements
09:35 qui étaient très forts,
09:36 et eux, ils ont cette légitimité
09:38 d'avoir gagné l'indépendance,
09:40 mais les générations qui viennent après,
09:42 d'où est-elle leur légitimité ?
09:44 De la force, du vote, de l'affiliation.
09:47 Tout ça pose beaucoup de problèmes
09:50 et explique cette culture de la contestation
09:53 pour les gouvernants et pour ceux qui, éventuellement,
09:56 jouent les marionnettistes.
09:58 -Est-ce qu'il n'y a pas, justement,
10:00 une espèce de conflit générationnel
10:02 entre ceux qui, d'une certaine façon,
10:04 ont participé à ces indépendances,
10:06 ont lutté pour l'indépendance,
10:08 mais se sont accommodés, d'une certaine façon,
10:11 du passé colonial, et puis, aujourd'hui,
10:14 justement, cette jeunesse africaine,
10:16 qui est beaucoup plus virulente
10:18 et qui veut, justement, couper les pontes,
10:20 d'une certaine façon, avec la culture occidentale.
10:23 C'est ambivalent. -C'est hyper ambivalent.
10:26 Enfin, je veux dire, si on se promène
10:28 dans les rues de Lagos,
10:30 ou même si on se promène dans les rues
10:32 de villes d'États plus développés,
10:34 comme l'Afrique du Sud,
10:36 on a tous le rêve américain,
10:38 on a tous le rêve de la vie belle, facile, etc.
10:44 C'est un rêve que l'enfant occidental
10:47 partage avec l'enfant africain.
10:49 Donc, il y a ce mythe, cette idée aussi
10:51 qu'on va pouvoir aller dans ces pays-là
10:54 pour tenter sa chance et faire fortune.
10:56 Là-dessus, il y a toujours
10:58 une très grande attractivité.
11:00 En revanche, là où il y a une contestation,
11:03 c'est l'idée de dire qu'il n'y a qu'un modèle unique
11:06 qui leur serait imposé.
11:07 C'est le reproche qu'on fait souvent aux Français.
11:10 C'est le reproche qu'on fait souvent aux Français,
11:13 c'est de donner l'impression,
11:15 le discours de Nicolas Sarkozy en est un peu l'indice,
11:18 qu'il n'y a qu'une manière de se développer,
11:21 qu'il y a qu'une manière d'être positive au monde.
11:24 Il y a aussi des gens qui, souvent,
11:26 cherchent des alternatives, d'autres groupes pour les aider.
11:29 Jadis, c'était l'URSS,
11:31 aujourd'hui, c'est la Chine et la Russie,
11:33 parce qu'ils cherchent l'alternative
11:36 pour avoir leur propre logique de développement,
11:38 leur propre logique de définition de la légitimité
11:41 et de la culture.
11:43 -Il y a une volonté de réappropriation
11:45 justement de son identité.
11:47 On le voit d'ailleurs avec, aujourd'hui,
11:49 la restitution des oeuvres d'art, aussi,
11:52 de sa culture, et d'ailleurs, le Bénin
11:54 est au premier chef concerné,
11:56 puisque ça fait pas mal de bruit,
11:58 il y a eu la restitution des statues,
12:00 qui paraissent petites, mais sont plus grandes que ça,
12:03 des statues d'Abomé, qui était le royaume d'Abomé.
12:07 -Ce sont les statues des trois rois qui se sont succédées.
12:10 -Oui, c'est ça. -Desoglélé et Abomé,
12:12 qui ont construit un véritable royaume
12:14 de puissance militaire, et qui sont vaincus,
12:17 et ces statues sont prises dans le palais royal d'Abomé
12:20 par le général Dodds, qui les rapporte en France
12:23 comme trophées de la victoire militaire.
12:26 -Et c'est vrai qu'Emmanuel Macron a pris la décision
12:29 de les rendre, de les restituer,
12:31 après le rapport fait par deux personnalités éminentes,
12:34 Sartre et Savoie,
12:36 et au fond, ça pose une question,
12:39 parce que le Bénin actuel, il a été en partie construit
12:42 par ceux qui étaient pour la défaite du royaume d'Abomé,
12:45 parce qu'à l'époque, le royaume de Ouida et Porto-Novo
12:48 sont plutôt sous l'influence française,
12:51 et donc sont opposés au royaume d'Abomé,
12:53 qui essaye de leur imposer sa règle par la force.
12:57 Et en fait, aujourd'hui,
12:58 et notamment Porto-Novo,
13:01 était concurrent de ce royaume.
13:04 Donc c'est assez amusant de se dire qu'on restitue ça à un Etat
13:08 qui prend comme identité l'Etat qui s'est battu
13:11 et qui minorise, qui donne une position mineure,
13:15 à ceux qui étaient, j'allais dire, les collabos.
13:18 J'en parle comme ça, parce que c'est ma famille.
13:21 Au fond, j'appartiens à un groupe très connu des Africains,
13:24 les Afro-brésiliens,
13:26 des gens qui sont des descendants soit d'esclaves
13:29 soit de personnes qui sont parties en traite, comme on dit,
13:32 au Brésil, qui sont là-bas devenus libres
13:37 et qui sont revenus en portant les noms de leurs anciens maîtres.
13:40 Dalmeda, c'est mon nom, qui vient du Brésil,
13:43 c'est un nom portugais.
13:44 Ma nationalité, quand ma famille revient en Afrique,
13:48 elle est portugaise,
13:49 parce qu'on revient avant l'indépendance du Brésil,
13:52 on est portugais.
13:53 On s'inscrit à Porto-Novo, dans le fort portugais.
13:56 On est pour les Français, parce qu'on a une maison de commerce
14:00 et on veut que les Français viennent,
14:02 parce qu'avec eux, on pourra continuer le business.
14:05 Une partie de ma famille sera secrétaire générale du gouverneur
14:08 et mon oncle, Ignacio Pinto, sera dans le même parti
14:11 qu'Oufouette-Boany, sénateur de la République sous la 4e.
14:15 -Ce qui explique que la religion du vaudou
14:18 est partagée aussi bien en Amérique latine,
14:21 et notamment au Brésil, et au Bénin,
14:23 parce que c'est vraiment le pays d'Afrique
14:25 où on cultive ce culte du vaudou,
14:28 qui est aujourd'hui encore démultiplié
14:30 par rapport à ce qu'il était par le passé,
14:32 puisque c'est aussi une attraction touristique.
14:35 -Après, il y a ceux qui y croient.
14:37 C'est vrai que quand on a vécu quelques années là-bas,
14:40 on finit par avoir une trouille bleue de parler de ce genre de choses,
14:44 parce qu'il y a toujours la menace du sorcier,
14:47 il y a toujours la menace du sort
14:52 qui va être jetée à distance,
14:54 mais au fond, quand on était en vacances,
14:57 dans les années 60, on allait en Bourgogne,
15:00 dans le Morvan, et dans le Morvan,
15:02 il y avait encore un peu cet esprit superstitieux
15:04 que les campagnes françaises ont gardé,
15:07 et on faisait attention quand quelqu'un vous faisait les cornes.
15:10 -Fabrice Dalmeda, quand vous regardez le continent africain,
15:14 et quand on regarde un peu la politique
15:16 telle qu'elle se déroule aujourd'hui,
15:18 est-ce qu'il n'y a pas un recul d'une démocratie
15:21 qui commençait à s'installer dans les années 90,
15:25 les années 2000, et aujourd'hui,
15:27 on le voit à travers des coups d'Etat, au Sahel, notamment,
15:31 au Mali, au Burkina Faso, un recul de cette démocratie ?
15:34 -J'y vois la preuve que l'Afrique est dans l'histoire,
15:37 parce que ce qui se passe en Afrique, en réalité,
15:40 est tout à fait parallèle à ce qu'on voit
15:43 en Amérique latine avec la montée en puissance de Bolsonaro...
15:46 -Une espèce de populisme. -Avec ce qui a pu se passer
15:49 au Venezuela, avec Chavez et son successeur, Maduro.
15:52 On voit la même chose aux Etats-Unis, avec Trump,
15:55 où la question de la pratique démocratique
15:57 est remise en cause, et on le voit aussi en France,
16:00 où il y a le même débat sur... -Tentations populistes.
16:03 -Oui, et est-ce que nos institutions sont encore bonnes,
16:06 est-ce qu'il faut les changer ? Les Africains sont traversés
16:10 par les mêmes courants, les mêmes situations,
16:12 et d'autant plus, j'allais dire, qu'ils ont une vigueur économique
16:16 qu'ils n'ont pas eue pendant longtemps.
16:18 Les taux de croissance,
16:19 qui sont extrêmement importants, il y a de la richesse,
16:22 il y a des figures qui émergent.
16:24 Ce continent, dans les années 60, n'avait pas de vrais riches.
16:28 Les riches, pour l'essentiel, étaient des Occidentaux.
16:31 Depuis les années 2000, et ça commence dans les années 80,
16:34 on a des grandes fortunes africaines,
16:36 des gens qui sont des milliardaires.
16:38 À Alico Dangote, au Nigeria, c'est une figure
16:41 qui représente la même chose que ce que peut représenter
16:44 un Bernard Arnault en France.
16:46 C'est la capacité que s'est donnée ce continent
16:50 d'organiser lui-même son investissement,
16:52 et ça, c'est crucial.
16:54 On remarque au fond la même chose, la même évolution,
16:57 la même logique d'évolution qu'en Europe ou aux Etats-Unis.
17:00 -Il est l'objet de toutes les convoitises,
17:02 ce continent. Les Britanniques et les Français,
17:05 qui sont nostalgiques de la grandeur d'antan,
17:08 quand ils étaient très influents,
17:10 il y a les Chinois, les Russes, les Turcs,
17:12 les Israéliens, les Iraniens...
17:14 -Qui remplacent les Libanais.
17:16 -Qui remplacent les Libanais.
17:18 C'est le continent du XXIe siècle ?
17:21 -C'est le continent, en fait,
17:23 où il y a besoin le plus d'équipements.
17:25 Donc, à la fois, c'est un marché,
17:27 et par ailleurs, c'est le continent
17:29 qui a énormément de ressources naturelles,
17:32 qui semblent aux autres plus accessibles,
17:34 plus faciles et moins chères.
17:36 C'est pour ça qu'il se joue aujourd'hui,
17:38 et c'est pour ça qu'il y a des projets qui vont venir,
17:41 une lutte très, très virulente
17:43 pour à la fois tenir le marché
17:45 et tenir les matières premières.
17:47 C'est tout l'enjeu.
17:48 Mais c'est un peu le drame de l'Afrique.
17:51 Ce continent est toujours regardé comme une ressource.
17:54 Je pense que ce qui est en train de changer,
17:56 c'est que la montée en puissance économique,
17:59 en en faisant un marché, va obliger une partie
18:02 des acteurs économiques à modifier leur attitude.
18:05 -Il y a un grand intellectuel qui enseigne aux Etats-Unis,
18:08 Souleymane Bachir-Ndiaye, et qui dit qu'il est grand temps,
18:11 il est urgent que maintenant,
18:13 on regarde le monde depuis l'Afrique.
18:15 Ca veut dire quoi, ça ?
18:17 -Ca veut dire qu'il y a eu des polarités
18:19 dans l'histoire du monde et que le regard universel
18:22 a toujours été à partir d'un centre.
18:24 -C'est aussi un pape de l'universel,
18:26 Souleymane Bachir-Ndiaye.
18:27 -Voilà, mais c'est vrai que le regard posé à partir de là,
18:31 et c'est d'ailleurs très frappant,
18:33 quand on effectue des cartes,
18:35 on se rend compte qu'on peut modifier la centralité.
18:38 -Les cartes qu'on avait quand on était petits,
18:40 étaient centrées sur la France.
18:42 On avait l'impression que le monde entier était organisé
18:45 à partir de nous, les voies maritimes, ferrées, etc.
18:49 A partir de l'Afrique, on constate qu'il y a d'incroyables routes
18:52 et chemins de commerce et d'industrie
18:55 qui sont mis en place.
18:57 Je crois que décentrer ce regard-là
19:00 est absolument crucial,
19:02 et de ne pas seulement passer d'un regard
19:04 qui sera américain pour en faire un regard chinois.
19:07 -Sauf qu'aujourd'hui, les routes dont vous parlez,
19:10 elles ressemblent aussi à des routes de la tragédie, du tragique,
19:13 avec cet exil, avec ces routes de migration, finalement,
19:18 où on voit ceux qui partent d'Afrique,
19:20 qui fuient la misère, le réchauffement climatique...
19:23 -Et la dictature. -La dictature.
19:26 Eh bien, souvent, c'est ceux qui peuvent se le permettre,
19:29 c'est-à-dire ceux qui sont éduqués,
19:31 qui sont riches, enfin, qui sont riches,
19:33 qui ont les moyens de le faire.
19:35 -C'est le drame de l'Afrique, qu'elle se vide.
19:38 -Oui, et c'est un drame ancien,
19:40 parce qu'on a l'impression qu'on continue sous une autre forme
19:43 la ponction démographique qu'on a effectuée sur ce continent
19:47 depuis le Moyen Âge,
19:48 parce qu'il y a eu la traite musulmane,
19:51 ensuite la traite occidentale,
19:52 et à chaque fois, le dynamisme démographique a été pris.
19:56 Mais je crois que là, on est dans autre chose,
19:58 parce que ce que ça pose comme question,
20:01 c'est à la fois la question que ça pose chez nous,
20:04 en France et en Europe, plus largement,
20:06 qui est celle de l'homogénéité culturelle,
20:08 et tout le débat qu'on a et qui est lacérant
20:11 dans notre société depuis les années 80,
20:13 avec la montée du Front National et du RN,
20:16 mais ça pose la même question en Afrique,
20:18 c'est-à-dire l'intolérance qu'on a par rapport à certains groupes.
20:22 Ce qui me frappe, c'est que nous, on regarde souvent
20:25 les Etats africains comme des Etats qui sont donnés
20:28 avec la même logique d'homogénéité que la nôtre,
20:30 mais à l'intérieur, il y a une ethnicité
20:33 qui est très puissante, vigoureuse,
20:35 et qui explique parfois des tensions internes très violentes,
20:38 et donc des poursuites, des rejets, et des nécessités de fuite.
20:42 Et ce qui me frappe,
20:43 c'est pour ça que c'est important, cette culture universelle,
20:47 c'est d'essayer, justement,
20:49 d'avoir cet universalisme de l'humanité
20:52 pour pouvoir cohabiter,
20:54 et pas seulement, j'allais dire,
20:57 cette exigence obsessionnelle ou de la nationalité ou de l'ethnicité
21:02 qui construit du conflit, du massacre et de la liquidation.
21:05 -Vous, vous êtes particulièrement exposé à ça,
21:08 parce que vous êtes métis. -Oui.
21:10 -C'est dur de... En Afrique, on va vous dire
21:12 que vous n'êtes pas africain, et peut-être,
21:15 je me permets, en France, on vous dit que vous n'êtes pas français.
21:18 -Moi, j'ai une chance inouïe.
21:20 Je vis dans un pays qui m'a accepté,
21:22 mais qui m'a accepté et qui m'a donné des choses...
21:25 -Vous parlez de la France. -Oui, qui sont inimaginables.
21:29 Ce pays m'a éduqué.
21:31 -Oui. -Ce pays a, en partie,
21:35 protégé ma mère, qui était d'origine juive,
21:39 et qui aurait pu mourir pendant la Seconde Guerre mondiale,
21:43 et qui a été enfant caché.
21:44 Donc, ce pays a été, pour moi,
21:48 pour nous, une chance,
21:50 et il me permet, aujourd'hui même,
21:52 de devenir témoigné dans une émission de télévision
21:56 sur une chaîne parlementaire,
21:58 donc sur une chaîne qui appartient, j'allais dire,
22:01 à l'édition publique française.
22:03 Donc, c'est ça que je vois.
22:05 J'ai un rapport à la France qui est extrêmement...
22:08 Comment dirais-je ?
22:10 J'ai une dette envers la France, pour le dire autrement.
22:18 Je lui dois beaucoup.
22:20 -Et votre rapport à l'Afrique ?
22:22 -L'Afrique, c'est le continent qui est essuie de mon père.
22:26 C'est un continent où je vais de temps en temps,
22:29 et...
22:30 C'est...
22:31 Je vais le dire autrement.
22:35 En fait, l'Afrique,
22:36 ça a été le début de mon engagement militant.
22:38 Le premier engagement militant que j'ai fait,
22:41 c'était au lycée Turgot, et on a créé,
22:43 avec Léa Di-Soglo,
22:45 qui était le neveu de Nicephore Soglo...
22:47 -Qui a été président de l'UNEBN. -Exactement.
22:50 Le fils, pardon, de Nicephore,
22:51 mais le neveu du général Soglo,
22:53 qui avait été chef d'Etat dans les années 60.
22:56 Léa Di et un certain nombre, James K. Martin,
22:59 ont créé un comité afro-antillais.
23:00 Et précisément parce que,
23:02 dans ce pays, la France, qui nous donnait beaucoup,
23:05 on avait le sentiment
23:06 qu'il y avait une toute petite reconnaissance
23:09 qui serait nécessaire de ce que nous étions,
23:13 et on était très énervés du fait
23:15 que tout le monde pensait pouvoir parler d'Afrique
23:18 sans jamais demander à des gens d'organiser une africaine.
23:21 Ca a bien changé, n'est-ce pas ?
23:23 -Oui, oui, la preuve.
23:24 Rires
23:25 -Et donc, cet engagement militant, c'est ça.
23:28 Et au fond, l'Afrique, pour moi, c'est ça,
23:30 c'est le moteur d'une solidarité.
23:34 -Est-ce que, vous qui êtes historien,
23:37 qui enseignez encore à l'université,
23:39 est-ce que, puisque les rapports sont aussi étroits
23:42 entre l'Afrique francophone, l'Afrique de l'Ouest
23:45 et du Nord, et la France,
23:48 est-ce qu'on enseigne suffisamment, justement,
23:51 cette histoire-là à l'école, je dirais ?
23:54 -A l'école, je suis pas sûr.
23:56 En tout cas, ce qui me frappe, c'est que, nous, à l'université,
23:59 maintenir les liens est compliqué.
24:01 Plus on prend des mesures restrictives sur les visas,
24:04 sur l'immigration, plus ça rend compliqué
24:06 le parcours de nos étudiants.
24:08 Ca a été un moment, et je me souviens
24:10 d'une autre historienne, Claude-Hélène Perrault,
24:13 qui était intervenue auprès du président Chirac
24:15 pour qu'on puisse avoir des visas étudiants
24:18 beaucoup plus légers, beaucoup plus faciles,
24:20 alors que, même, montait déjà tout ce discours
24:23 sur les échanges académiques, comme procurant
24:25 une forme cachée d'immigration.
24:28 Donc, moi, je suis très attentif à ça.
24:30 A l'école, en fait, ce qu'on apprend, malgré tout,
24:33 c'est un peu la géographie. Il faudrait qu'on apprenne plus,
24:37 parce que, justement, le monde voit ces échanges, certes,
24:41 reculer un petit peu en volume.
24:44 Le commerce mondial est un peu plus faible
24:46 que dans les années 2000, mais la mondialisation reste
24:49 un processus très important.
24:51 Donc, connaître les autres continents,
24:54 mieux connaître les autres cultures,
24:56 je pense que c'est un bénéfice pour les élèves de France.
24:59 -La mondialisation a été une chance pour l'Afrique, non ?
25:02 -Il y a eu deux mondialisations. -Lesquelles ?
25:05 -La première mondialisation, qui va du XVIe siècle
25:08 jusqu'à la fin du XIXe siècle,
25:10 qui est la mondialisation coloniale.
25:12 Celle-là, elle a été...
25:13 Et la deuxième mondialisation, qui commence à partir des années 80.
25:17 -1980. -Et elle, effectivement,
25:19 elle a... -Celle-là dont je parlais.
25:21 -Voilà. Et celle-là, elle donne l'opportunité
25:24 aux Africains d'entreprendre leur propre développement
25:27 et d'essayer de créer une richesse.
25:29 C'est important, la richesse.
25:31 C'est pas la théorie du ruissellement.
25:33 Mais s'il n'y a pas de riches, il n'y a pas d'investissement.
25:36 Sinon, c'est l'Etat qui s'en occupe,
25:39 et l'Etat ne voit pas très bien où sont les besoins.
25:42 -Paprice Danbéda, s'il y avait une figure culturelle
25:45 ou politique ou économique qui, pour vous,
25:47 symbolise le continent africain, ça serait laquelle ?
25:50 -Moi, j'ai envie d'en prendre un qui...
25:53 Qui symbolise...
25:55 une certaine forme de fierté africaine.
25:58 On a vu la statue tout à l'heure. J'ai envie de prendre le roi Guézo.
26:02 C'est un fondateur,
26:03 c'est quelqu'un qui met en place des institutions,
26:06 qui modernise son pays, qui ouvre...
26:08 -On est en quelle période ? -Au début du 19e siècle.
26:11 Il ouvre son Etat, qu'il est en train de constituer,
26:14 au commerce avec le monde occidental,
26:17 et qui va avoir un Etat florissant,
26:19 ce qui lui permet de se développer,
26:21 ce qui va lui permettre, pendant un temps,
26:23 de faire vivre ce pays, jusqu'à son petit-fils, Bérenzin,
26:26 qui, lui, n'arrivera pas à résister à la conquête française,
26:30 malgré un baroud d'honneur,
26:33 et qui finira exilé, exilé Outre-mer.
26:35 J'aime bien cette dynastie.
26:37 Elle explique quelque chose de l'histoire de ce continent.
26:41 -Le Bénin dont on disait qu'il était le quartier latin de l'Afrique.
26:45 -Mes parents se sont connus au quartier latin.
26:47 J'aime à m'en souvenir. -Merci, Fabrice Dalbéda.
26:50 SOUS-TITRAGE : RED BEE MEDIA
26:52 Générique
26:54 ...