• l’année dernière
En 100 ans, sous les effets de l’industrialisation de l’agriculture, les trois-quarts de la biodiversité cultivée ont disparu.
Alors que se renforce la main-mise sur les semences par une poignée de multinationales, un vaste arsenal réglementaire limite le droit des paysans à échanger et reproduire les semences. Ce documentaire décrypte les batailles autour de la privatisation du vivant, avec l’appui de témoignages de paysans, d’élus, de militants, d’experts et d’industriels.
Un film percutant et engagé.
Titre : La guerre des graines
Un film de Stenka Quillet et Clément Montfort
Produit par John Paul Lepers

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Transcription
00:00 ...
00:12 -Les graines, c'est quoi pour vous ?
00:14 Des pépins qu'on recrache ?
00:16 Moi aussi, c'est ce que je croyais avant de commencer ce film.
00:19 En fait, les graines sont la base de notre alimentation
00:22 et un maillon capital dans le développement de l'humanité.
00:26 Depuis 12 000 ans, les paysans s'aiment,
00:28 sélectionnent et échangent librement leurs graines.
00:31 C'est toute l'histoire de l'agriculture.
00:34 Cette pratique ancestrale est en péril.
00:40 Sur la planète, 5 multinationales,
00:42 des géants de la chimie devenus producteurs de semences,
00:45 contrôlent la moitié du marché.
00:47 Et elles ont un projet, devenir propriétaires des graines.
00:51 Musique douce
00:53 Parmi eux, Monsanto a accepté de nous ouvrir ses portes.
00:57 -On a notre rôle pour résoudre un peu le problème
01:01 de la nourriture dans le monde.
01:05 -C'est un système de cow-boy.
01:06 Je vois quelque chose qui bouge, je dégaine.
01:09 -Depuis peu, partout dans le monde,
01:11 des citoyens s'élèvent contre cette privatisation.
01:14 -Nous, citoyens,
01:17 et anciens législateurs,
01:19 exigeons la cessation immédiate des promesses sur les graines,
01:23 car il est inacceptable que des entreprises privées
01:26 aient la main mise sur le garde-manger du monde.
01:29 Cris de joie
01:31 ...
01:35 -A New York, Tokyo, Paris,
01:38 dans près de 400 grandes villes du monde,
01:40 il y a des centaines de milliers à manifester.
01:43 ...
01:46 Une résistance s'organise.
01:48 Des agriculteurs, des scientifiques, des élus se battent.
01:52 A leur tête, une activiste indienne
01:55 reconnue dans le monde entier, Vandana Shiva.
01:58 Comme Gandhi, elle prône la désobéissance.
02:00 S'ils pensent qu'ils peuvent preuver la vie,
02:03 nous leur avons déjà dit que nous n'obéirions pas.
02:06 Nous avons suivi son combat en Inde, en France et à Bruxelles.
02:09 -Hi.
02:11 -C'est un choix entre l'abondance et la rareté.
02:16 Un choix entre la guerre et la paix.
02:20 L'enjeu, notre indépendance alimentaire,
02:25 face au système industriel de la malbouffe.
02:27 L'histoire que nous allons vous raconter,
02:31 c'est celle d'une guerre inconnue, mais qui nous menace tous.
02:35 La guerre des graines.
02:36 ...
02:55 ...
02:57 -A Bruxelles, la guerre des graines a commencé.
03:00 Une loi pourrait généraliser la privatisation des semences.
03:04 Au Parlement européen, un député belge s'insurge.
03:08 -Connaissez-vous un secteur économique
03:12 dominé aujourd'hui au niveau mondial par une vingtaine d'acteurs ?
03:16 Vous allez dire "la banque".
03:18 Des banques qui dictent leur conduite aux Etats,
03:21 qui fixent l'agenda mondial.
03:23 Mais figurez-vous que le secteur agroalimentaire,
03:26 c'est la même chose.
03:27 Connaissez-vous un secteur qui s'est complètement standardisé,
03:32 dont tous les acteurs offrent les mêmes produits ?
03:35 Vous allez dire "la banque", évidemment.
03:37 Mais est-ce vraiment différent dans l'agroalimentaire ?
03:41 C'est la même recette qu'on vous sert.
03:43 On veut que d'ici à Jakarta, de Tokyo à Brasilia,
03:47 on mange la même chose.
03:49 Et on peut dire en français que c'est du "junk food".
03:52 On veut faire de ce que la nature a créé pour nous
03:54 une marchandise.
03:56 -En Belgique, Philippe Lambert, c'est une star
03:58 de la lutte contre les abus des banques.
04:01 Et les méthodes de communication des multinationales,
04:04 il les connaît par coeur.
04:05 -Ils vont vous dire que c'est pour protéger les petits fermiers,
04:09 les PME.
04:10 Ils ont ce langage à la bouche tous les jours.
04:13 Eh bien, il est temps que les masques tombent,
04:15 car ce qu'ils font, c'est défendre les intérêts de quelques-uns.
04:19 Musique sombre
04:22 ...
04:26 -Alors, à qui appartiennent les graines ?
04:28 Sont-elles un bien commun de l'humanité
04:30 ou une marchandise comme les autres ?
04:33 En France, derrière l'image d'épinal
04:35 de nos champs de blé doré, tout est catalogué.
04:37 Pour être mis en vente,
04:40 la moindre variété de blé, de maïs,
04:43 doit être inscrite dans un registre,
04:45 le catalogue officiel des variétés.
04:48 On y inscrit leur nom,
04:50 leur propriété et surtout leur propriétaire.
04:53 Il y en a aujourd'hui plus de 6 000,
04:56 qui appartiennent majoritairement à cinq grandes entreprises.
04:59 Mais les graines doivent d'abord passer des tests.
05:02 Pour cela, il y a des spécialistes
05:04 qui passent leur journée à les scruter.
05:07 Nous avons trouvé l'homme qui surveille les choux et les salades
05:10 pour tous les Français. Un vrai casse-tête.
05:13 -Ca, c'est une vieille variété
05:15 qui nous pose problème, justement,
05:17 parce qu'on n'arrive pas à la caractériser,
05:20 parce que toutes les plantes qui la composent sont différentes.
05:23 Il y a des plantes précoces, des plantes tardives,
05:26 des plantes nettement plus claires, des plantes plus bleues.
05:30 Toutes les plantes sont différentes.
05:32 Ca veut dire qu'en termes de distinction,
05:34 je ne peux pas la distinguer, je ne peux pas garantir à quelqu'un
05:38 que c'est bien la bonne variété.
05:39 -Cet ingénieur est responsable au GVES,
05:42 le groupe d'études et de contrôle des variétés de semences,
05:45 qui donne le feu vert pour l'entrée des graines au catalogue.
05:49 Les graines vendues sur le marché doivent être distinctes
05:52 les unes des autres, mais à l'intérieur d'une même variété,
05:55 elles doivent être identiques.
05:57 -On fait beaucoup de mesures, de notations,
05:59 pour caractériser les variétés et assurer à l'utilisateur
06:03 de variétés que la variété qu'il va acheter
06:05 a été typée, caractérisée et correspond
06:08 à un certain type de produit qui l'attend.
06:10 -Pour être homologués, les choux et les salades
06:13 doivent être comme les soldats d'un régiment.
06:16 Pas une tête ne doit dépasser.
06:18 Pourquoi cette organisation ?
06:19 Pourquoi faut-il contraindre la nature dans un catalogue ?
06:23 -Après la Seconde Guerre mondiale,
06:26 la priorité du gouvernement français,
06:29 c'est de récupérer son indépendance alimentaire
06:31 pour plus dépendre de l'aide américaine.
06:34 Il se tourne vers la recherche publique, vers l'INRA,
06:37 en disant "donnez-moi les solutions permettant d'accroître
06:41 d'une manière importante ma production alimentaire".
06:45 La réponse de l'INRA est de dire qu'il faut
06:47 des variétés végétales différentes de celles
06:51 qu'on connaissait jusque-là,
06:53 qui permettent d'avoir de meilleurs rendements.
06:56 Et pour avoir de meilleurs rendements,
06:59 une des solutions, c'est d'avoir des plantes
07:03 qui soient plus homogènes.
07:04 -La semence a cessé d'être quelque chose
07:07 qui a été gérée par le paysan,
07:10 qui était gérée au niveau des communautés villageoises.
07:13 Les gens faisaient leur semence.
07:15 Et petit à petit sont arrivés des sélectionneurs,
07:19 des producteurs de semences, des commerçants de semences,
07:22 qui se sont spécialisés là-dedans.
07:24 C'est une partie du métier des paysans
07:26 qui, petit à petit, a été supprimée, a été écartée.
07:29 -Le sélectionneur, l'obtenteur, qui crée une nouvelle variété
07:36 ou qui fabrique une nouvelle variété,
07:38 est quand même empoisonné par le fait
07:40 qu'il suffit de semer le grain récolté pour la reproduire.
07:43 Donc, il n'a pas de marché, véritablement.
07:46 Son travail n'a pas de valeur.
07:48 C'est une vieille revendication des sélectionneurs
07:50 de créer une forme de droit de propriété sur le vivant.
07:53 -En plus d'acheter leurs graines,
07:55 les agriculteurs doivent payer des royalties
07:58 sur les graines qu'ils ressement, un système qui apportait ses fruits.
08:02 En 50 ans, la production agricole française a doublé.
08:05 Il y a de moins en moins d'agriculteurs,
08:07 mais à six fois plus productifs. Une fierté nationale.
08:10 Musique douce
08:12 ...
08:16 En France, cette course au profit,
08:18 certains paysans la remettent en cause.
08:20 Ils ne sont pas nombreux,
08:22 mais nous en avons rencontré un, enfin, une.
08:26 Marie Durand a repris la pierre folle,
08:29 la ferme de son père et de son grand-père.
08:31 -C'est vrai, en plus.
08:32 -L'agricultrice est une atypique.
08:35 Elle est à la tête d'un troupeau de 70 vaches laitières
08:38 et possède 93 hectares de terre.
08:40 Elle y cultive la nourriture pour ses bêtes.
08:44 ...
08:50 Aujourd'hui, elle fait les semis.
08:53 ...
08:58 -Allô ? Oui.
08:59 -C'est vous, madame ? C'est quoi, ce muscadet ?
09:02 -J'ai pris le parti de 150 kg de févral au dernier moment, quoi.
09:06 Mais...
09:07 Mais là, j'ai pris le parti de semé
09:09 puisque j'arrivais pas à vous joindre
09:12 et donc, c'est trop tard. Tant pis.
09:14 Une autre fois, j'essaierai de m'y prendre plus tôt.
09:18 En tout cas, merci d'avoir appelé, monsieur Renaud. Merci.
09:21 Un semencier. Tiens. Non, un fournisseur.
09:27 ...
09:30 -Pendant 15 ans, elle a fait comme son père.
09:32 Elle a racheté ses semences d'une année sur l'autre.
09:35 Maintenant, elle a décidé de faire autrement.
09:38 -Quand il était jeune, il faisait ses semences de maïs.
09:41 Et il a complètement laissé tomber pour des raisons...
09:44 Je juge pas du tout, mais ils ont laissé tomber ça, cette génération-là.
09:48 Et la génération d'après aussi. Et nous, on arrive,
09:51 et on remet ça un peu en cause, et là, je pouvais lui montrer
09:54 que ce qu'il faisait quand il était jeune,
09:57 on arrive à le refaire aussi aujourd'hui.
09:59 Et si le monde a changé et que la modernité est arrivée,
10:02 on refait nos semences de maïs.
10:04 Ils ont lâché cette partie-là, nos pères.
10:08 Et moi, dans mon travail d'agricultrice,
10:11 semer, c'est une chose, récolter, c'est une chose,
10:14 mais essayer d'être autonome sur pas mal de choses,
10:19 dont les semences, ça fait vraiment partie de mon métier.
10:22 ...
10:26 ...
10:30 -Le maïs qu'elle cultivait jusque-là pour nourrir ses vaches
10:34 est ce qu'on appelle du maïs hybride.
10:37 Une sorte de super maïs inventé dans les années 50
10:40 pour augmenter les rendements.
10:43 -Ils sont tous de la même hauteur, ou pratiquement.
10:46 Quand on le voit de la route, on voit bien que c'est vraiment au carré.
10:50 Ce pied-là est identique à ce pied-là,
10:52 à ce pied-là, ce sont des clônes.
10:54 Et ils sont hyper productifs.
10:56 Quand on voit des belles bosses comme ça,
10:59 bien remplies du début jusqu'à la fin,
11:01 c'est sûr que là, ça va donner de très bons rendements.
11:04 C'est un maïs superbe, je peux pas dire autrement.
11:07 Mais moi, il me fait pas...
11:09 Il me fait pas, comme on dit, rigoler,
11:13 parce qu'ils sont tous pareils, il y a pas de biodiversité du tout.
11:17 C'est de la productivité pour de la productivité.
11:21 Je suis pas sûre qu'il y ait des lapins là-dedans.
11:24 Pas sûr.
11:26 Ce maïs-là, je prends un bout de la parcelle qui m'intéresse,
11:36 parce que c'est la meilleure parcelle,
11:38 et je veux la ressemer l'année prochaine,
11:41 c'est pas possible.
11:42 Avec celui-là, c'est du maïs hybride
11:44 qui ne se resseme pas d'une année sur l'autre.
11:47 Les semenciers ont fait en sorte que...
11:49 Le but de l'hybridation, c'est qu'on ne peut pas le ressemer.
11:53 Je suis pas d'accord avec cette idée-là.
11:55 On doit pouvoir ressemer nos propres semences l'année d'après.
11:59 -Pour pouvoir nourrir ses vaches en restant autonome,
12:08 Marie a décidé de cultiver des graines de maïs qui se reproduisent.
12:12 On l'appelle le maïs population.
12:14 Il est de toutes les couleurs.
12:16 Une semence libre de droits, elle n'est pas inscrite au catalogue.
12:20 Elle vient de récolter les meilleurs épis, les poupées,
12:24 dont les graines toutes différentes seront ressemées au printemps.
12:27 Un beau résultat qu'elle partage avec son père.
12:30 -Moi, je dirais qu'il y a une certaine satisfaction
12:33 de pouvoir...
12:35 De pouvoir travailler sa matière.
12:38 -Vous, vous avez pu faire ça, vous avez la liberté de faire ça,
12:43 du temps que c'était vous qui dirigez l'exploitation.
12:46 Vous pouvez replanter vos graines ? -On savait pas du tout...
12:50 -Il y avait pas le choix. -On savait pas ce qu'on faisait.
12:53 Quand on achetait de la semence de maïs, point.
12:56 -Vous n'aviez que ça, il y avait pas de semences population
12:59 à traîner dans les greniers. -Non, non.
13:02 La prise de conscience s'est faite plus tard.
13:05 Enfin, à mon avis. -Oui.
13:07 -La prise de conscience s'est faite plus tard.
13:09 C'était comme ça, on suivait son cours.
13:12 -Je crois que l'avènement des OGM nous a fait
13:14 un certain nombre d'entre nous réfléchir avant.
13:17 On se posait pas non plus la question.
13:19 -Oui, c'est vrai. -On se posait pas non plus la question.
13:22 Mais il y a quelque chose de fort quand même là-dedans.
13:26 On fait la nique un peu au semencier, quand même.
13:29 Rires
13:30 Hein ?
13:31 Là, Monsanto, il doit pas rire.
13:33 Quand il va voir ça, il va pas rigoler, quoi.
13:35 Il va se dire "Tiens, encore un qui a trouvé la faille."
13:39 ...
13:40 -La faille, c'est d'avoir trouvé ses graines gratuites.
13:43 Cela représente une économie de 2 000 euros chaque année.
13:47 Mais il reste un obstacle.
13:48 En France, la loi n'autorise que l'échange
13:51 ou la vente de semences inscrites au catalogue.
13:53 L'agricultrice a trouvé une astuce pour contourner la loi.
13:57 -Personne n'avait le droit de nous donner 5 kg de maïs pour commencer,
14:01 sauf à être expérimentation.
14:03 C'était la manière de passer la 1re année.
14:06 Et à partir de la 1re année, le maïs, il est à nous, après.
14:09 Il est à nous, celui-là.
14:10 Par contre, j'ai pas le droit de le donner ou d'en prêter
14:14 ou d'en vendre à qui que ce soit.
14:16 Alors...
14:17 Là, je respecte la loi, j'en ai pas donné,
14:19 mais je dis pas qu'un jour, je n'en donnerai pas à mon voisin.
14:23 Faut pas exagérer.
14:24 Et puis, qu'on vienne le contrôler, qu'on vienne le contrôler.
14:28 -Il peut tomber 2 ou 3 poupées en route.
14:30 -Oui !
14:31 -Le voisin, il les ramasse et puis voilà.
14:33 -Et voilà !
14:34 Ouais.
14:36 Musique douce
14:38 ...
14:46 -Aujourd'hui, 95 % des semences de maïs inscrites au catalogue
14:50 sont hybrides, donc stériles.
14:52 Un verrouillage qui rapporte gros à l'industrie.
14:55 769 millions d'euros, un tiers du chiffre d'affaires
14:58 de toutes les semences en France.
15:00 Des agriculteurs dénoncent cette mainmise.
15:03 A leur tête, Guy Casselère.
15:05 -Moi, ça me dérange pas.
15:07 Je voudrais qu'on passe au moins 2 heures à parler de vaccins.
15:10 -Il a fondé le réseau Semences Paysannes
15:12 pour défendre les agriculteurs qui, comme Marie,
15:15 veulent retrouver leur autonomie.
15:17 Pour lui, les hybrides, tout comme les OGM,
15:20 ont été mis au point pour contrôler le marché.
15:22 -L'industrie semencière peut faire monter le prix autant qu'elle veut
15:26 et les prix des semences sont multipliés par 2, par 3.
15:29 On a vu la même chose aux Etats-Unis
15:31 dans les 15 dernières années avec les OGM,
15:34 où le prix de la semence, de la même manière,
15:36 à partir du moment où il y a un brevet
15:38 qui interdit l'agriculteur de recevoir sa récolte,
15:41 le prix des semences a été multiplié en moyenne par 3
15:44 aux Etats-Unis en moins de 15 ans.
15:46 Musique rythmée
15:48 ...
15:52 -Alors, qui sont les industriels qui contrôlent le marché des graines ?
15:56 Nous avons contacté les cinq géants de la semence.
16:00 Monsanto et Dupont Pioneer, aux Etats-Unis.
16:03 En France, Limagrin,
16:05 Saint-Jean-Tat, en Suisse,
16:07 et Bayer, en Allemagne.
16:09 La plupart d'entre elles viennent de l'industrie chimique.
16:12 Certaines se sont distinguées pendant la guerre.
16:15 Bayer est issu d'IG Farben,
16:18 l'entreprise qui fabriquait le Ziklon B pour les nazis,
16:21 utilisé dans les chambres à gaz.
16:23 Monsanto, c'était l'agent orange,
16:25 répandu dans la jungle pendant la guerre du Vietnam
16:28 pour anéantir l'ennemi.
16:30 Des produits qui seront recyclés en pesticides
16:33 pour l'agriculture industrielle.
16:35 ...
16:37 Jean-Pierre Berland est un amoureux de la nature.
16:40 C'est un ancien ingénieur agronome
16:42 qui a quitté les laboratoires officiels pour prendre le maquis.
16:45 Il est en colère.
16:46 Il dénonce ce mariage contre nature, de la chimie et des graines.
16:50 -C'est quand même une situation extraordinairement inquiétante.
16:54 Puisque l'industrie des semences, l'activité semencière,
16:57 maintenant, est entre les mains, c'est-à-dire,
17:00 les semences et la vie,
17:01 l'activité semencière, à l'heure actuelle,
17:04 est entre les mains des fabricants de produits en side,
17:06 c'est-à-dire des fabricants de morts.
17:09 Je sais très bien qu'on va voir sur le dos
17:11 les fabricants d'agrotoxiques qui, eux, ont la main sur le coeur
17:14 et disent que leur but est de nourrir la planète.
17:17 Mais le but du système, c'est de faire des profits,
17:20 quel que soit le coût pour l'humanité.
17:22 -Les accusations sont graves.
17:24 Nous avons cherché une réponse auprès des multinationales.
17:27 Seul Monsanto, le leader de l'agriculture industrielle,
17:31 et le leader mondial des semences, notamment les OGM,
17:34 nous a ouvert ces portes.
17:35 Pas question de rencontrer un responsable
17:38 de la stratégie du groupe,
17:39 mais seulement le gestionnaire de cette usine Monsanto en France.
17:43 Un bon soldat, parachuté depuis le Portugal,
17:47 où il était commercial pour la marque.
17:50 -Bonjour. -Ça va ?
17:51 -Nous sommes dans la plus importante usine Monsanto en Europe.
17:55 Le patron est fier de nous présenter son trieur optique,
17:58 une machine qui reconnaît et rejette les mauvaises graines
18:01 à toute vitesse.
18:02 Il apprécie moins quand nous filmons les grains de maïs
18:08 qui sortent tout rouge de la machine, enduits de fongicides.
18:11 -On a rencontré des agriculteurs en France qui se plaignent
18:15 du fait que les graines hybrides, les semences hybrides,
18:18 ne repoussent pas l'année d'après.
18:20 -Les agriculteurs ont le choix
18:21 s'ils veulent faire les semences fermières
18:24 ou faire des semences hybrides.
18:26 -En France, il n'existe presque plus de maïs
18:28 qui ne soit pas hybride.
18:30 C'est très difficile de faire des semences de ferme.
18:33 -C'est les agriculteurs qui ont pris le choix.
18:35 C'est la personne qui les avait imposées
18:38 de faire des semences hybrides.
18:40 C'est parce que c'est une différence de rendement
18:43 tellement importante.
18:44 Il y a une pression énorme sur le prix du maïs.
18:48 Donc, les agriculteurs doivent produire du maïs
18:52 avec le prix le plus faible possible.
18:56 -Thiago Costa nous sert le discours officiel.
18:58 Avec lui, nous n'en saurons pas plus.
19:00 Si la multinationale américaine nous a ouvert ses portes,
19:04 c'est pour faire passer un message surprenant.
19:06 -Aujourd'hui, le grand changement du groupe Monsanto,
19:11 c'est qu'on a complètement changé notre stratégie
19:15 parce qu'on a pris la décision que la priorité,
19:18 ce n'est pas les OGM en Europe,
19:20 parce que l'Europe ne veut pas les OGM.
19:22 Et on est devenu une société professionnelle semencière.
19:26 -Le directeur de l'usine vient carrément de nous annoncer
19:30 que Monsanto abandonne les OGM, en tout cas pour l'Europe.
19:34 C'est le message que l'entreprise veut faire passer.
19:37 Le monde, selon Monsanto, ne serait pas si effrayant qu'on le croit.
19:41 Mais que signifie vraiment ce revirement ?
19:43 Rien qu'avec cette usine, Monsanto fournit
19:46 un tiers des semences de maïs de tout le marché français.
19:49 Une position dominante qui peut avoir des conséquences insoupçonnées.
19:54 Décryptage.
19:56 -Si toutes les semences, les brevets,
20:01 appartiennent à 5 usines multinationales,
20:03 ça a un impact pour l'autonomie des paysans,
20:06 qui sont dépendants de ce modèle industriel.
20:08 Mais aujourd'hui, ça a un impact, tout simplement,
20:11 pour la sécurité alimentaire, la souveraineté alimentaire.
20:15 C'est un pouvoir qui est totalement déconnecté
20:19 des pouvoirs politiques et qui peut imposer.
20:22 Monsanto, c'est pas difficile.
20:24 Il peut priver la France de semences
20:27 le jour où il se soit approprié de tout.
20:29 Peut-être que le gouvernement sera obligé de plier,
20:32 d'accepter les OGM, car Monsanto lui dira
20:34 "Attention, je déclenche une révolution chez toi
20:36 "si tu veux pas accepter mes semences OGM."
20:39 ...
20:56 -Dans cette guerre pour le contrôle des graines,
20:58 un pays a été le laboratoire de l'industrie.
21:01 C'est l'Inde.
21:02 Un test à l'échelle d'un continent et une tragédie.
21:06 200 000 paysans ruinés se sont suicidés en 10 ans.
21:09 ...
21:11 Il faut remonter aux années 90 pour comprendre.
21:14 L'Inde signe un plan d'ajustement structurel avec le FMI.
21:17 En contrepartie, le pays ouvre ses frontières
21:20 au commerce international.
21:22 Monsanto s'y engouffre et expérimente sa dernière trouvaille,
21:26 le coton OGM, appelé coton bété.
21:29 Aux paysans indiens, elle promet des rendements records.
21:32 Les fermiers s'endettent pour acheter ces graines miraculeuses.
21:36 Mais le coton transgénique ne tient pas ses promesses
21:39 et les suicides se multiplient.
21:41 ...
21:45 -Sari gama...
21:48 ...
21:51 ...
21:54 ...
21:58 ...
22:01 Gama...
22:03 ...
22:06 ...
22:09 ...
22:12 -Alka est la veuve de l'un de ces paysans
22:14 qui s'est donné la mort.
22:16 Dans ce champ, son mari avait tout misé sur le coton
22:21 vendu par Monsanto.
22:22 ...
22:27 -Il a semé le coton OGM et les plantes n'ont pas bien poussé.
22:31 Il n'y avait que une ou deux capsules par plante.
22:34 Et lorsqu'elles se sont ouvertes, je n'ai pas pu extraire beaucoup de coton.
22:38 On aurait dû récolter entre 400 et 500 kg de coton.
22:41 C'est ce que j'espérais, mais ça ne s'est pas passé comme prévu.
22:45 ...
22:47 -Elle vit à Bili, un village de la ceinture de coton,
22:50 une région au centre de l'Inde où le coton transgénique
22:54 a occupé jusqu'à 90 % des cultures.
22:56 ...
23:01 ...
23:04 Pour acheter les graines, son mari avait fait un emprunt,
23:07 l'équivalent de 350 euros, une fortune en Inde.
23:10 ...
23:13 -Comme le coton bêté nous a donné une mauvaise récolte,
23:16 il n'a pas pu rembourser la dette contractée auprès de la banque.
23:20 Du coup, les intérêts se sont accumulés.
23:22 Quand il rentrait à la maison, les enfants pleuraient de faim,
23:26 mais il n'avait pas assez d'argent pour les nourrir.
23:29 Il dépensait ce qui lui restait dans l'alcool.
23:31 ...
23:34 -Dans l'unique pièce où vit Alka, un objet nous glace le sang,
23:38 le pulvérisateur à pesticides qui appartenait à son mari.
23:42 ...
23:45 -Ce que j'ignorais, c'est qu'il gardait
23:47 de petites quantités de pesticides à chaque fois qu'il en utilisait.
23:51 C'est avec ce mélange qu'il s'est empoisonné,
23:54 car il n'avait pas l'argent pour en acheter.
23:57 Ce matin-là, il est parti travailler au champ, comme d'habitude,
24:00 et vers 10h, on est venus me dire qu'il s'était écroulé
24:03 et qu'il vomissait.
24:05 Son frère est allé le chercher, on l'a ramené à la maison,
24:08 il continue à vomir, le centre médical le plus proche
24:11 a refusé de l'hospitaliser, alors on a dû l'emmener
24:14 dans un autre hôpital, et il est mort en chemin.
24:18 ...
24:24 -Il s'appelait Suresh.
24:26 Au mois de mai, ça aurait été le 12e anniversaire de notre mariage.
24:30 ...
24:36 -Suresh, comme des centaines de milliers de paysans en Inde,
24:40 a mis fin à ses jours pour le prix de deux sacs de maïs en France.
24:44 Ici, le suicide est une honte,
24:49 un déshonneur que Alka porte tous les jours.
24:52 ...
24:55 Pour élever seule ses deux petites filles,
24:58 elle a parfois dû mendier.
25:00 ...
25:05 Une femme a changé le cours de son existence,
25:07 elle s'appelle Vandana Shiva.
25:10 Elle est docteure en physique quantique
25:12 et elle est devenue le symbole de la lutte
25:14 contre les ravages de l'industrie semencière.
25:17 ...
25:19 -Avant de rencontrer Vandana,
25:21 j'allais voir les voisins pour leur demander de l'aide.
25:24 Je devais les supplier de me donner quelques graines.
25:27 Elle m'a redonné la confiance en moi.
25:30 Grâce à elle, je me suis dit que je pouvais changer ma vie.
25:34 ...
25:38 ...
25:54 -Nous rencontrons Vandana Shiva à Navdanya, au nord de l'Inde,
25:59 au pied de l'Himalaya, dans la ferme qu'elle a créée
26:02 il y a 25 ans pour défendre les graines et les paysans.
26:05 ...
26:09 -C'est du riz basmati ?
26:11 -Oui, c'est du basmati sharbati.
26:13 ...
26:17 C'est la fin de la mousson et le début des semis.
26:20 Vandana reçoit des paysannes venus des villages alentours.
26:23 -Je pense arrêter la production de sucre de canne
26:26 et planter du basmati à la place.
26:28 -Oui, prenez-en autant que vous voulez.
26:30 Les paysannes veulent cette variété de riz basmati.
26:33 Elles disent qu'elles le cultivaient encore il y a 15 ans
26:36 et puis elles ont arrêté. Elles en ont à nouveau besoin.
26:39 Elles vont prendre des graines pour la prochaine saison
26:42 et elles ne sont pas dépendantes des semences qu'elles achètent.
26:45 Elles ont leurs propres graines.
26:47 -C'est l'essence même du combat de Vandana,
26:50 distribuer les graines gratuitement.
26:53 Pour le faire à grande échelle,
26:55 elle a créé ce qu'on appelle une banque de graines.
26:58 -Maintenant, on va préparer les semis
27:02 pour la prochaine saison.
27:04 Donc, on a sorti les semences qui correspondent à cette saison.
27:09 Il y a aussi des légumes.
27:11 Et quand vous sortirez d'ici avec mes collaborateurs,
27:14 vous pourrez leur indiquer quelles sortent
27:17 et combien de chaque sorte vous en voulez.
27:19 ...
27:28 Elles veulent revenir aux variétés anciennes
27:31 parce que les seules graines que distribue le gouvernement
27:34 sont celles de l'industrie, des graines qui ne se ressèment pas.
27:37 ...
27:44 Quand j'ai démarré la ferme Navdanya,
27:46 le but, c'était clairement de faire reconnaître la liberté des graines
27:50 afin d'éviter qu'elles ne disparaissent
27:53 et qu'il n'y ait plus que des graines vendues par Monsanto, des OGM.
27:56 Musique sombre
27:58 -Dans sa banque de graines, 630 variétés de riz,
28:02 190 de blé.
28:03 -C'est un blé très ancien, qu'on appelle le mundi.
28:13 Aussi vieux que l'agriculture.
28:17 C'est le genre de variétés que Monsanto a essayé de breveter.
28:22 -Ils ont réussi ?
28:23 -Nous les avons combattus et nous avons gagné.
28:27 -Ils ont retiré leur brevet.
28:28 Qui est Vandana pour avoir osé affronter le géant mondial ?
28:37 D'où lui vient cet engagement ?
28:39 -J'ai grandi dans une forêt de l'Himalaya,
28:42 dans une ferme.
28:43 L'héritage que j'ai reçu de mes parents,
28:48 et je les en remercie tous les jours,
28:50 c'est d'abord la simplicité.
28:55 Mais ils nous ont aussi encouragé à créer la liberté pour les autres.
28:59 J'avais 6 ans quand cet horrible nylon
29:01 fait à base de pétrole a déferlé sur le pays.
29:04 Ma mère m'a demandé ce que je voulais pour mon anniversaire.
29:07 J'ai répondu un vêtement en nylon, parce que tout le monde en portait.
29:11 Elle m'a dit "Si c'est vraiment ce que tu veux, je te l'achète,
29:15 "mais n'oublie pas que ce vêtement de nylon
29:17 "va aider un riche industriel à acheter sa prochaine Mercedes."
29:21 Alors que le gilet en laine,
29:23 qui a été tissé à la main par une femme dans un village,
29:26 l'aidera à allumer le feu et à cuisiner un repas pour ses enfants.
29:29 C'est toi qui choisis.
29:31 C'est pourquoi, à partir de ce jour,
29:33 je n'ai plus porté que des vêtements tissés à la main.
29:36 ...
29:41 -Dans les années 70, Vandana rejoint le mouvement Chipko,
29:45 des paysans qui se dressent contre la déforestation
29:48 en enlaçant les arbres.
29:51 -Chipko a été mon premier acte d'activisme environnemental.
29:55 -Oh oui.
29:56 -Et les femmes du mouvement ont beaucoup appris sur la biodiversité.
30:00 Car les études que j'ai faites ne parlaient que de théorie quantique.
30:04 Je n'ai pas eu une seule leçon de biologie.
30:06 La biodiversité, je l'ai apprise de femmes
30:08 qui ne sont jamais allées à l'école.
30:11 Elles ont été mes professeurs.
30:12 Mais j'ai aussi appris avec Chipko
30:15 à quel point la solidarité, le pouvoir de la base
30:18 et l'autogestion sont plus puissantes que tout.
30:22 ...
30:27 Nous nous battons contre un esclavage fondamental,
30:30 l'esclavage des graines, des fermiers, de la société
30:34 et des gouvernements qui sont déjà les esclaves de ces corporations.
30:38 ...
30:42 ...
30:50 ...
31:00 -Ah ben là, moi, je suis trop contente, là.
31:02 Je suis trop contente.
31:04 Il n'y a rien de pire que de faire des essais et se planter.
31:08 Parce que le regard au-dessus de la haie des voisins, là,
31:11 c'est...
31:12 C'est parfois un peu difficile à porter.
31:15 Mais là, faire un essai qui marche, en plus,
31:18 qui est vraiment honorable, ben ouais, c'est tout bénef, quoi.
31:21 C'est vraiment sympa, quoi.
31:23 -Première récolte du maïs libre de Marie.
31:27 Les voisins agriculteurs sont venus donner un coup de main,
31:30 mais ils sont aussi curieux de savoir ce que va donner l'expérience.
31:34 ...
31:38 Les têtes de maïs ont été broyées avec la tige et les feuilles.
31:42 Ce mélange servira à nourrir les vaches l'hiver prochain.
31:45 -Ah, c'est fini ? C'est fini, c'est fini.
31:47 D'accord, très bien. OK.
31:49 -Marie peut enfin faire une estimation.
31:52 La récolte est-elle à la hauteur de ses espoirs ?
31:55 -Très bonne matière sèche.
31:58 -Il faut toujours se contenter de ce que la nature nous donne.
32:01 -C'est honorable, très bonne.
32:03 On va en avoir assez pour donner à manger à nos bêtes,
32:06 si ça vient reprendre.
32:08 ...
32:13 -Pour l'instant, le maïs libre est moins performant
32:16 que le maïs des semenciers.
32:18 La liberté a un prix que tout le monde n'est pas prêt à payer.
32:21 -Bon !
32:23 Un rosé maria, noix et cuir, finalement.
32:26 -Rajouter une difficulté.
32:29 -Si je fais de la semence certifiée,
32:31 je pense que, quand je calculerais, j'aurais gagné plus d'argent.
32:35 -Tu sais pas. -Je sais pas.
32:36 -C'est son hypothèse. -C'est mon hypothèse de départ.
32:39 -Moi non plus, je ne sais pas. -Il attend.
32:42 -Il attend que vous essayiez les plâtres.
32:44 -Après, si on me dit qu'on peut faire sa semence fermière,
32:49 que si on compte tout le temps passé,
32:51 le rendement, la qualité du fourrage récolté,
32:54 et que ça revient moins cher, je veux bien étudier la chose.
32:57 -Il n'y a pas que le coût.
32:59 Leur semer sa semence, c'est un paysan qui a toujours fait ça.
33:03 -Un jour, on te dit que t'as plus le droit de semer sa semence.
33:06 -Je suis pas paysan, alors que ça fait 40 ans.
33:08 -Je sais pas.
33:10 Rires
33:11 -Marie en est à son premier coup d'essai,
33:15 mais d'autres ont déjà ouvert la voie.
33:17 Christian Dalmasso a fait ce pari il y a 10 ans,
33:28 vivre de ses récoltes sans dépendre des graines de l'industrie.
33:31 Son secret ? Mélanger les variétés de blé,
33:34 des graines toutes libres de droits.
33:36 Dans son champ, il y a près de 100 variétés différentes.
33:40 Chacune a ses qualités et ses défauts.
33:43 -Alors là, on a, par exemple, ce petit blé blanc barbu,
33:47 qui est ce qu'on appelle le barbeau du forêt.
33:50 C'est un blé de pays, donc voilà, qui se plaît bien dans mon mélange.
33:54 On a ce blé rouge, qui est le motin rouge,
33:58 qui était le blé qui était autrefois cultivé dans la région.
34:02 Pour moi, leur principal intérêt,
34:08 ce ne sont pas des clones, des individus tous identiques.
34:11 Et le fait d'avoir cette diversité, ça crée une population
34:15 avec une grande diversité de sensibilité à des maladies
34:18 et donc à une résistance.
34:20 Prenons un exemple, j'ai cet épi qui est dans le champ,
34:23 qui va être sensible à une maladie,
34:25 mettons, la rouille du blé.
34:27 Seulement, à côté, il y a cet épi, qui, lui, est résistant.
34:31 Il a un gène de résistante à ce type de rouille.
34:35 Donc la rouille, avant de trouver un autre épi comme lui,
34:38 qui est sensible, mettons celui-là, il est à 1 m plus loin.
34:42 Donc on comprend bien que quand il y a une attaque de maladie,
34:45 elle se propage très lentement.
34:47 Le résultat de ça, c'est qu'on a des champs
34:49 qui sont jamais très malades.
34:51 -Christian produit ses propres graines
34:54 et se passe de pesticides.
34:56 Il baisse ainsi ses coûts de production
34:59 et, en plus, il peut travailler en bio.
35:01 Avec son blé, il fait lui-même son pain,
35:05 qu'il vend directement aux consommateurs de la région.
35:08 Une organisation en circuit court qui lui permet de vivre.
35:11 -On s'en sort parce qu'on transforme tout ce qu'on produit.
35:16 Tout ce qui sort de cette ferme, c'est du produit transformé.
35:24 Produire beaucoup, c'est pas...
35:26 C'est secondaire.
35:29 On est encore dans le mythe productiviste,
35:32 qui est encore très ancré dans le monde paysan
35:34 et dans la société en général.
35:36 C'est valorisant de produire beaucoup.
35:39 Mais c'est pas parce qu'on produit beaucoup
35:43 qu'on va dégager un revenu et qu'on va vivre correctement.
35:46 C'est quelque chose qui nous guide presque au quotidien,
35:53 dans la recherche d'une autonomie maximale.
35:55 Dépendre le moins possible des banques,
35:59 des subventions.
36:00 L'autonomie, l'autonomie semencière.
36:03 -L'agriculteur boulanger a réservé un champ pour des expériences.
36:11 Au milieu de sa collection de blé libre,
36:13 il y a une petite parcelle de blé du catalogue.
36:16 Le décor idéal pour convier Jean-Pierre Berland,
36:19 le militant de la nature qui a quitté les laboratoires.
36:23 ...
36:25 -Ici, on est face à des blés.
36:28 Deux blés, un blé moderne.
36:30 Un blé moderne qui correspond aux qualités industrielles du blé.
36:34 Et on voit tout de suite que sa caractéristique,
36:37 c'est que les blés sont...
36:39 Les plantes sont toutes à la même hauteur.
36:41 Ici, on avait le paysan qui produisait du blé.
36:45 Ici, avec ça, on a l'exploitant agricole,
36:49 rien à voir avec le paysan,
36:51 qui produit, qui aide, qui est dans un système agro-industriel,
36:55 lequel produit des profits
36:58 en transformant les pesticides en pain jaqué.
37:00 Ici, on a affaire à des plantes en évolution constante.
37:04 Ici, Christian et ses collègues,
37:06 ils travaillent comme ils ont envie de travailler.
37:10 Ils choisissent, ils sont autonomes, ils sont libres.
37:13 ...
37:15 -Le choix des graines, finalement,
37:17 c'est un choix entre deux projets de société
37:19 que nous avons en permanence sous les yeux, sans le voir.
37:22 Regardez bien.
37:23 Nous quittons les 100 variétés de blé du paysan boulanger.
37:27 Et nous voici dans un champ industriel,
37:29 une armée de clones.
37:31 Moi, je ne regarderai plus jamais les champs de la même manière.
37:35 ...
37:38 En France, une association résiste aux multinationales.
37:42 Son nom ? Cocopélie.
37:43 -Donc, il est clair que nous sommes forts, fiers et heureux,
37:47 depuis 20 ans, d'avoir distribué des semences,
37:50 d'avoir vendu, donné, échangé,
37:52 dans l'irrespect le plus total de leur légalité.
37:56 Là où Cocopélie se situe, évidemment,
37:58 dans cette dynamique de libération des semences,
38:01 c'est que depuis 8 ans, on est dans les tribunaux.
38:04 -Parmi ses plus fervents soutiens, Vandana Shiva.
38:06 Cocopélie fait pousser des graines non répertoriées au catalogue,
38:10 les vend ou les distribue gratuitement.
38:12 A cause de cela, Cocopélie est poursuivie en justice
38:16 par les semenciers pour concurrence des loyales.
38:18 -Lettucis, Swiss chard...
38:21 -Voici 500 variétés.
38:22 J'espère que vous pourrez les passer
38:24 et vous transformer en contrebandiers professionnels,
38:28 comme nous depuis 15 ans. -Mais je l'ai déjà été !
38:30 -Cocopélie vient de perdre la première manche
38:33 d'un procès devant la Cour européenne.
38:35 L'association a fait appel et compte bien profiter des débats
38:39 pour dénoncer le projet de loi en discussion à Bruxelles.
38:42 Alors maintenant, ils votent de nouvelles lois
38:45 qui imposent l'uniformité,
38:46 à travers l'inscription obligatoire dans un catalogue.
38:49 Et l'affaire Cocopélie a amené cette question
38:56 dans l'agenda politique de manière très claire.
38:59 Nous devons écrire des lois positives
39:01 tout en résistant aux lois négatives.
39:04 En Inde, nous avons réussi à introduire dans la loi
39:07 la notion de droit des fermiers,
39:09 leur droit à conserver, échanger, améliorer,
39:12 et à rendre leurs graines un droit inaliénable.
39:14 Nous avons besoin du même texte en Europe.
39:17 Dans la tempête de la création de cette dictature des graines,
39:22 la France est au centre.
39:24 Parce que l'affaire contre l'association Cocopélie
39:28 marque un tournant décisif
39:30 et appelle le monde entier à se réveiller.
39:34 Musique douce
39:36 ...
39:46 A Bruxelles, où se joue une bataille décisive
39:49 de la guerre des graines,
39:50 Vandana a été appelée en renfort par les députés verts.
39:54 ...
39:57 -Elle est mon héros.
39:59 Nous, les verts, nous nous sentons souvent seuls
40:02 dans les combats que nous livrons.
40:04 Alors le soutien d'une scientifique,
40:06 d'une activiste connue mondialement,
40:08 c'est d'une très haute importance,
40:10 pour montrer aux citoyens que ce combat, c'est aussi le nôtre.
40:14 C'est une bataille que nous livrons ensemble
40:16 pour une meilleure agriculture dans le monde.
40:19 ...
40:25 -Down, up ? -Up.
40:27 -Vandana Shiva va tenter de convaincre l'Europe
40:30 que les graines doivent rester un bien commun de l'humanité.
40:34 ...
40:40 Applaudissements
40:43 ...
40:57 -D'où vient la nourriture ?
41:00 Qui nourrit le monde ?
41:01 72 % de notre alimentation est produite par des petites fermes.
41:06 Ce sont les chiffres de la FAO.
41:08 Cette loi sur les graines voudrait détruire 72 % de l'alimentation
41:13 et affamer les peuples.
41:16 Si le monde était redessiné par une loi de cet acabit,
41:23 il n'y aurait plus de nourriture.
41:26 La loi européenne s'inspire du modèle français.
41:30 Chaque graine vendue dans l'Union européenne
41:33 devra d'abord avoir été inscrite dans un catalogue européen.
41:36 La Commission européenne en est à l'origine.
41:39 Le but ? Protéger l'industrie semencière.
41:42 -La production des graines européennes
41:45 est la plus performante.
41:47 Nous sommes le plus grand exportateur
41:50 et la qualité de nos graines est reconnue comme la meilleure au monde.
41:54 ...
41:57 Nous respectons pleinement la pratique ancestrale
42:00 qui consiste, pour les fermiers, à avoir le droit
42:03 de garder les graines qu'ils produisent
42:06 pour leur utilisation personnelle.
42:08 Mais nous devons aussi trouver une solution
42:11 pour continuer à vendre des graines
42:14 produites en très grande quantité.
42:16 C'est pourquoi nous avons ce texte de loi
42:19 pour prendre en compte tout cela et trouver un compromis.
42:24 -Le compromis.
42:27 Les échanges seraient autorisés hors catalogue
42:29 entre une dizaine de paysans au maximum,
42:32 en gros, à condition de ne pas menacer
42:34 le marché des industriels.
42:37 -Si 100 agriculteurs veulent se mettre ensemble
42:39 pour faire des échanges de semences paysannes
42:42 pour développer leur production,
42:45 ils ne rentrent pas dans le circuit.
42:47 C'est interdit. C'est ça, la réussite dans ce genre de texte.
42:51 C'est qu'on est capable de vendre le bon Dieu avec le diable
42:55 et on a l'impression qu'ils sont à égalité.
42:58 C'est l'escroquerie extraordinaire.
43:00 -Cette loi est si importante,
43:04 car c'est un choix entre la guerre et la paix.
43:07 C'est un choix entre l'abondance
43:11 et la rareté.
43:13 C'est un choix entre les maladies,
43:16 les toxiques et la santé.
43:19 -De plus en plus de citoyens s'insurgent contre la malbouffe.
43:25 Une prise de conscience qui a convaincu quelques élus
43:28 de défendre la liberté des graines.
43:30 C'est le cas à Grenier-sur-Rhône, un village au sud de Lyon.
43:34 Depuis 3 ans, le maire achète à Cocopélie
43:36 toutes les graines qui sont semées sur les espaces verts de la commune.
43:40 -On est une des rares communes de France, si ce n'est la seule,
43:44 je pense, à organiser des semis des obéissants,
43:46 à le faire savoir, pour bien dire
43:48 qu'ici, on est contre le fichage et la privatisation du vivant
43:53 et qu'on l'exprime haut et fort.
43:55 La ville de Grenier est un ressourceur
43:59 et est fière de l'être, bien sûr.
44:01 Donc, à chaque fois qu'on sème nos graines
44:05 et nos semis des obéissants,
44:07 on invite, bien sûr, le préfet
44:10 et les différentes autorités qui ne se déplacent pas,
44:13 ce qui est fort dommage,
44:14 parce qu'on aurait beaucoup de choses à leur dire.
44:17 -Moi, je pense que là, il faut qu'on organise
44:20 des grands mouvements de désobéissance civique
44:24 et qu'on enfreigne les lois et qu'on distribue les semences,
44:28 qu'on les échange, qu'on les distribue, qu'on les sème
44:31 et qu'on dit "J'ai désobéi, j'ai enfreint la loi,
44:34 "je demande à être poursuivi",
44:36 pour en fait avoir permis aux vivants de se reproduire dans la terre.
44:40 Musique sombre
44:43 ...
44:51 -La fin de notre voyage nous emmène dans le Grand Nord.
44:56 En 100 ans, sous les effets de l'industrialisation
44:59 de l'agriculture, 75 % des graines cultivées
45:02 ont disparu de la surface de la planète.
45:05 ...
45:09 La solution contre cette catastrophe se trouverait ici,
45:12 à 1 000 km du cercle polaire, sur l'île du Spitsberg.
45:17 ...
45:22 Des graines arrivent du monde entier.
45:25 ...
45:27 Bienvenue au Svalbard Seed Vault,
45:30 une chambre forte futuriste encastrée dans la montagne gelée.
45:34 Les hommes l'ont construite pour y sauvegarder
45:38 l'ensemble des graines cultivées sur la planète.
45:41 Quatre fois par an, la porte s'ouvre.
45:45 Roland von Bottmer en est le gardien.
45:49 ...
45:51 -Nous sommes devant le Svalbard Seed Vault,
45:54 construit pour stocker les graines de toute la planète.
45:57 C'est une copie de sauvegarde des graines de plantes nourricières.
46:01 -Pourquoi cette copie ?
46:03 -C'est au cas où il arrive quelque chose dans les banques
46:06 d'où viennent les graines. Beaucoup de choses peuvent se passer,
46:10 des révolutions.
46:12 En fait, on perd des graines tout le temps.
46:15 ...
46:17 -Les graines viennent rejoindre une collection unique au monde,
46:20 800 000 échantillons différents, venus des cinq continents.
46:24 Des graines sélectionnées par les paysans,
46:26 mais qui pourraient bientôt leur être interdites
46:29 avec les nouvelles lois.
46:31 Nous voici au coeur de la chambre forte.
46:33 Ici, les graines sont stockées à -18 degrés, pour l'éternité.
46:37 Elles viennent d'Inde, de Colombie, de Thaïlande
46:41 et même de Corée du Nord.
46:42 Dernier arrivage des semences de la Syrie en guerre.
46:46 -Ils ont les mêmes graines dans les pays alentours,
46:49 mais si jamais c'est perdu, on pourra leur envoyer
46:52 cette boîte sur demande.
46:54 -Une arche de noé végétale, financée par 19 pays.
47:01 Mais en y regardant de plus près, parmi les donateurs,
47:05 nous trouvons les multinationales semencières
47:08 que nous connaissons déjà.
47:09 Dupont-Pionnier et Saint-Ginta.
47:13 Il y a aussi la fondation Bill et Melinda Gates
47:18 et enfin la fondation Rockefeller.
47:20 -La fondation Rockefeller est celle qui a promu
47:23 la Révolution verte en Afrique
47:25 et qui a détruit la biodiversité de ce continent.
47:28 Bill Gates a financé cette Révolution verte
47:31 et a également détruit la biodiversité
47:34 et l'autonomie des paysans d'Afrique.
47:36 Saint-Ginta, c'est le leader des biotechnologies,
47:43 après Monsanto.
47:44 Ces intervenants sont ceux qui ont créé la monoculture
47:49 et les monopoles.
47:50 S'imaginer qu'ils vont faire autre chose
47:53 avec les graines qui sont dans cette banque,
47:55 c'est oublier complètement leur histoire et leur trajectoire.
47:59 ...
48:05 -Alors, essayons d'imaginer.
48:07 Que se passera-t-il si une catastrophe écologique
48:10 arrive dans 200 ans ?
48:11 -Dans 200 ans, est-ce qu'on pourra ressemer ces graines ?
48:14 -Oui, enfin, personne ne le sait,
48:16 car nous ne savons pas combien de temps les graines peuvent vivre,
48:20 mais d'après nos calculs, dans ces conditions,
48:23 elles pourraient se conserver entre 400 et 500 ans.
48:28 ...
48:33 -Si on concentre tout au même endroit
48:35 et qu'en plus, on ne va pas ressemer régulièrement les graines
48:39 pour qu'elles gardent leur capacité de germer,
48:41 on n'aura que des graines mortes.
48:43 Elles servent à quoi ?
48:45 Uniquement aux multinationales qui peuvent faire la séquence génétique.
48:49 Un paysan, lui, a besoin d'une graine qui pousse,
48:52 et les graines de Cheval-Barnes ne pousseront plus.
48:55 On ne va pas ressemer.
48:56 Le seul intérêt, c'est les multinationales
48:59 pour les séquences génétiques.
49:01 Les multinationales déposent des brevets sur les séquences génétiques
49:04 qui existent déjà dans les graines,
49:06 et sont en train de s'en parer.
49:08 C'est à ça que ça sert Cheval-Barnes.
49:10 -Le Cheval-Barnes Seed Vault,
49:12 cette belle idée pour sauver la richesse des graines,
49:16 ne serait-il qu'un coffre-fort au service des géants de l'industrie ?
49:20 En cas de catastrophe écologique,
49:23 ils seraient en tout cas les seuls
49:25 à pouvoir récupérer les gènes des semences.
49:27 -Ces industries,
49:36 quand elles ont commencé à revendiquer un droit sur les graines,
49:39 elles se sont proclamées "industries des sciences de la vie".
49:43 Moi, je dis qu'elles sont des industries
49:45 de la science de la mort.
49:47 Nous n'avons pas besoin de fertilisants chimiques.
49:51 Nous n'avons pas besoin de pesticides.
49:53 En fait, en donnant au sol assez de nourriture,
49:56 en maintenant la biodiversité,
49:58 nous évitons les engrais,
50:00 et le sol est plus fertile que dans toutes les fermes chimiques.
50:04 Plus important encore,
50:07 ces champs recèlent une telle diversité vivante,
50:10 des araignées et leurs toiles,
50:12 et elles font le travail pour nous.
50:14 Elles contrôlent les maladies.
50:16 Nous n'avons pas besoin de déverser du poison
50:19 pour les abeilles.
50:21 -La guerre des graines n'est pas gagnée pour les paysans.
50:34 Plus grave,
50:36 elle pourrait déboucher sur une guerre
50:38 entre les multinationales et les Etats.
50:40 La bonne nouvelle, c'est que les agriculteurs
50:43 sont plus d'un milliard sur la planète.
50:45 Autant d'individus qui peuvent se mobiliser
50:48 pour protéger les graines et notre indépendance alimentaire.
50:51 Musique douce
50:54 ...
51:24 ...
51:48 [Sous-titres réalisés para la communauté d'Amara.org]

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