"Ce film est extrêmement troublant" - Début critique sur The Zone Of Interest

  • l’année dernière
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Transcript
00:00 On va passer maintenant au Grand Prix, les amis,
00:02 The Zone of Interest de Jonathan Glazer,
00:04 avec Christian, Fridel et encore Sandra Hüller.
00:08 C'est la chronique de la vie de famille du commandant d'Auschwitz,
00:11 1h45 d'horreur hors champ.
00:14 Ce film a été le grand choc du festival et c'était votre palme, Bruno.
00:17 C'était ma palme avant que je vois le film de Catherine Breillat à la fin du festival.
00:21 Mais ça reste vraiment de mes...
00:23 Pas coup de cœur, parce que plutôt coup de cerveau,
00:25 parce que le film est vraiment plus plaisant en tant qu'objet théorique,
00:29 en tant qu'objet de mise en scène, on passe quand même un moment assez dur.
00:32 Le film ne vise pas du tout à nous mettre dans une zone de confort,
00:35 pour reprendre un peu le titre.
00:38 Moi, j'avais un peu peur en voyant le film,
00:41 peur parce que, et je me réjouissais aussi beaucoup,
00:43 peur parce que le sujet et le côté extrêmement glaçant
00:46 des derniers courts-métrages de Glazer laissaient penser
00:48 qu'on pouvait se retrouver face à un objet très antipathique
00:52 et potentiellement problématique,
00:54 et extrêmement hâte parce que c'est un cinéaste
00:56 à la cinématographie absolument immaculée jusque-là.
00:58 - "The Zone of Interest".
00:59 - Alors "The Zone of Interest", en fait, il faut savoir que le film
01:02 était tourné à Auschwitz même, vraiment à côté des camps,
01:07 et les Allemands avaient décrété que 40 km autour des camps,
01:10 c'était ce qu'on appelle la zone d'intérêt,
01:12 un peu à la façon de Tarkovski dans "Stalker",
01:14 une sorte de zone très mystérieuse.
01:16 Et le film va vraiment explorer, c'est paradoxalement un film
01:18 qui est plein de nature,
01:20 où les camps vont toujours être filmés en hors-champ
01:23 et où la mise en scène, un peu comme si c'était le loft à côté des champs,
01:27 on va vraiment raconter le fonctionnement d'une famille,
01:30 une sorte d'idéal familial à côté de l'horreur.
01:33 Et l'horreur, on va la ressentir grâce à une bande-son
01:37 absolument glaçante où on va entendre les grondements des fours,
01:40 des cris de détresse, des ordres.
01:42 Et le film, c'est vraiment un film atmosphérique,
01:45 il n'y a pas vraiment de scénario,
01:46 il n'y a pas forcément de tensions dramatiques hallucinantes,
01:49 mais ça va vraiment être comme de la musique ambiante,
01:51 un film d'atmosphère absolument terrifiant.
01:53 - Il avait l'air déçu, Jodetta de Glazer, de ne pas avoir la page.
01:56 - Forcément, il était déçu parce que c'était une possibilité.
02:00 C'était une possibilité.
02:01 Alors après, il faut se souvenir que dans l'histoire de Cannes,
02:04 souvent, au départ, ça a été brouillé ces dernières années,
02:06 mais au départ, La Palme d'Or était censée être un film plus populaire,
02:10 en fait, disons qu'il avait une vocation plus...
02:12 Et puis, le grand prix du jury, donc le deuxième prix, celui de Glazer,
02:17 est un film plus harti, plus arrêté, plus difficile.
02:20 C'était ça la différence entre les deux prix.
02:22 Et là, cette année, je trouve qu'on est parfaitement dans cette redistribution-là
02:25 parce qu'on pense qu'effectivement, il y aura beaucoup plus de personnes
02:27 pour aller voir le film de Triggy qui parle à tout le monde
02:29 que ce film aussi que je trouve très, très passionnant,
02:31 mais qui, comme Bruno l'a expliqué, est un film, là, pour le coup, théorique,
02:35 qui s'avance comme un film théorique, même s'il est censoriel.
02:37 - Théorique et censorier, voilà.
02:39 - Oui, c'est pour ça.
02:40 - C'est quand même...
02:41 - Et c'est ça que je trouve très fort,
02:42 parce que moi, je n'aime pas beaucoup les films à dispositif habituellement,
02:44 parce qu'au bout de 10 minutes, j'en ai assez, j'ai envie de m'en aller
02:47 en disant "ça y est, j'ai compris le dispositif".
02:48 Là, ce qui m'intéresse dans le film, c'est que le dispositif est renouvelé sans cesse,
02:52 c'est-à-dire qu'il y a sans cesse de nouvelles choses à voir
02:55 et par exemple, tout d'un coup, le film est en négatif et on voit des personnages...
03:00 - C'est une caméra thermique, je crois que ce n'est pas du négatif.
03:03 - Oui, enfin bon, bref.
03:04 - Qu'est-ce qui se passe ?
03:05 - Il y a un côté...
03:06 - Frédéric, qu'est-ce qui se passe ?
03:07 - On ne saura jamais ce que Jonathan Glaser a voulu faire.
03:09 - Comment ça ?
03:10 - Moi, je pense qu'il est très étonné de ne pas avoir sa palme d'or.
03:12 Non, mais moi, j'ai vraiment eu l'impression que c'était...
03:16 Je ne vais pas être grossier.
03:18 - Mais si !
03:19 - C'est un film installation, c'est une installation, il faut le dire.
03:22 C'est une idée assez intéressante.
03:24 Moi, contrairement à toi, assez vite, j'ai eu l'impression de savoir à peu près où
03:27 le film allait.
03:28 Le film ne me surprenait plus.
03:30 - Et donc, le final ne te surprend pas ?
03:31 - Attends, le film ne me surprend plus beaucoup.
03:34 Effectivement, il y a quelques moments, l'image en caméra thermique ou en négatif,
03:38 à ce moment-là, il se produit peut-être quelque chose, mais il ne se produit plus grand-chose.
03:41 C'est un film qui travaille beaucoup la question du hors-champ.
03:42 On est tous d'accord.
03:43 On est avec des gens qui sont en train de vivre au quotidien dans un jardin, en train
03:47 de manger et on entend des grondements.
03:49 On entend ce qui se passe à côté.
03:50 - On voit une cheminée quand même.
03:51 - C'est un film à voir.
03:52 - C'est un film à voir.
03:53 - Je vous assure que j'ai passé le temps pendant une heure et demie à me dire "Quand
03:57 est-ce qu'on va voir La Cheminée ?"
03:58 - Mais ça, ce n'est pas parce que vous n'avez pas d'empathie.
04:00 Non.
04:01 - "Quand est-ce qu'on va entendre La Boîte aux chiens ?"
04:02 - Vous manquez d'empathie.
04:03 La mise en scène, c'est aussi du son.
04:08 Parfois, on voit.
04:09 Parfois, on entend.
04:10 - C'est aussi l'horreur.
04:11 C'est nous qui la fabriquons.
04:12 - Je pense qu'il faut vite sortir de cette idée de s'intéresser au film par la seule
04:17 question du hors-champ.
04:18 Bien sûr, elle existe.
04:19 Elle est réelle.
04:20 Mais je crois qu'en réalité, il ne faut pas se tromper.
04:21 Dans le cadre, il se passe énormément de choses.
04:23 Et dans le cadre, il y a un dispositif passionnant.
04:25 Dans les premières secondes, les premières minutes du film, j'étais très décontenancé.
04:28 Je me disais "Qu'est-ce qui, dans cette photographie, me trouble autant ?".
04:31 Ce n'est pas du naturalisme.
04:33 Ce n'est pas quelque chose d'ultra stylisé, au-delà de la composition des cadres.
04:37 Pourquoi est-ce que ça m'accroche l'œil comme ça ?
04:38 Et j'ai réalisé que la caméra essayait de faire quelque chose qu'on voit finalement
04:41 très rarement au cinéma, c'est d'émuler le rendu de l'œil humain.
04:44 Si vous regardez, la photo, le soleil, les peaux, les carnations, c'est extrêmement
04:49 proche de ce que nous ressentons généralement.
04:52 Donc le film n'est pas du tout dans une espèce de reproduction réelle.
04:55 Il est dans une espèce d'hyper-réalisme, d'un spectacle du réel qui fait que ce qui
04:58 se passe à l'écran est absolument saisissant et il va faire ça en allant travailler quelque
05:03 chose.
05:04 Il faut savoir qu'historiquement, depuis 10-15 ans, en réalité depuis un peu plus,
05:06 depuis la chute du mur de Berlin, il y a énormément d'archives historiques qui sont sorties,
05:10 qui avaient été emportées par l'URSS, qui ont fait qu'on a pu découvrir notamment
05:14 comment une partie des Allemands ont pu sciemment choisir de collaborer à un truc horrible.
05:20 On le voit dans le film et c'est le premier film qui nous dit ça.
05:22 Si on peut vivre avec cette horreur…
05:23 C'est un grand film sur la dissonance cognitive.
05:25 On peut le faire parce qu'il joue bien rempli, bien rose, qu'on mange bien et c'est
05:30 justement Sandra Uller dans le film à un moment qui dit à son époux qui craint d'être
05:33 muté ailleurs qu'à Auschwitz, qui lui dit "il ne faut pas qu'on s'en aille,
05:36 c'est le paradis".
05:37 Et "Je suis la reine de Auschwitz", grand rôle aussi pour Sandra Uller qui est présente
05:42 dans les deux films principaux du Palmarès.
05:44 Je n'ai pas en tête d'autres exemples d'actrices qui soient à la fois dans "La
05:48 Palme d'or" et "Le Grand Prix" la même année.
05:51 Je pense que ça lui a coûté son prix d'interprétation d'ailleurs.
05:53 Évidemment, mais c'est de prix sacre son interprétation.
05:59 Elle est démente parce que vous ne voyez pas la même femme, vous ne voyez pas la même
06:03 actrice.
06:04 La démarche qu'elle emprunte, Justine Fried dit que c'est une actrice qui est un corps
06:10 avant tout et quand elle arrive le matin sur un plateau, on ne sait pas ce qu'elle va
06:13 faire de son corps.
06:14 Et la démarche qu'elle a en mère de famille, nazie, dans ses petites robes à fleurs, avec
06:20 ses babises, elle a des chaussures à bride plate et elle se fait une espèce de démarche
06:25 comme ça, très terrienne.
06:27 Et c'est vraiment ce personnage de petite bourgeoise glaçante.
06:31 Ce qu'elle fait dans ce film, c'est à la fois très distancié et extrêmement troublant.
06:39 Le film est extrêmement troublant.
06:40 Le film est extrêmement troublant.
06:41 Le film est extrêmement troublant.
06:41 Merci à tous !
06:43 Merci à tous !

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