Soumya Bourouaha, députée "Gauche démocrate et républicaine" de Seine-Saint-Denis.
Rien ne la prédestinait à devenir députée. Soumya Bourouaha n'avait ni la bonne carte d'identité, ni forcément l'ambition. Mais elle a découvert tardivement que l'engagement politique faisait partie de l'histoire de sa famille... une histoire secrète.
Pourquoi s'engage-t-on en politique ? Comment tombe-t-on dans le grand chaudron de l'Assemblée ?
Chaque jour, Clément Méric, dans un entretien en tête à tête de 13 minutes, interroge un parlementaire sur les personnalités, les évènements - historiques ou personnels - qui l'ont conduit à choisir la vie publique.
Car on ne naît pas politique, on le devient !
Rien ne la prédestinait à devenir députée. Soumya Bourouaha n'avait ni la bonne carte d'identité, ni forcément l'ambition. Mais elle a découvert tardivement que l'engagement politique faisait partie de l'histoire de sa famille... une histoire secrète.
Pourquoi s'engage-t-on en politique ? Comment tombe-t-on dans le grand chaudron de l'Assemblée ?
Chaque jour, Clément Méric, dans un entretien en tête à tête de 13 minutes, interroge un parlementaire sur les personnalités, les évènements - historiques ou personnels - qui l'ont conduit à choisir la vie publique.
Car on ne naît pas politique, on le devient !
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00:00 Rien ne l'a prédestiné à devenir député.
00:03 Mon invité n'avait ni la bonne carte d'identité
00:06 ni forcément l'ambition,
00:07 mais elle a découvert tardivement que l'engagement politique
00:11 faisait partie de l'histoire de sa famille,
00:13 une histoire secrète.
00:15 Musique de tension
00:17 ...
00:29 -Bonjour, Soumya Bouroua. -Bonjour, Clément Méric.
00:32 -Pendant longtemps, vous avez regardé la politique
00:34 un peu comme un enfant regarderait un gros gâteau
00:37 auquel il n'aurait pas droit de toucher,
00:40 tout simplement parce que vous ne pouviez pas voter
00:43 alors que vous étiez quand même très attirée par la politique.
00:47 -Oui, je ne pouvais pas voter
00:48 parce que je n'avais pas la nationalité française.
00:51 Je suis née à Razouet, en Algérie,
00:53 et j'ai demandé ma naturalisation très tardivement.
00:58 Voilà, en effet, ça a été une grande frustration.
01:02 -Oui, c'est-à-dire que vous...
01:04 Vous avez des souvenirs précis
01:06 qui évoquent un peu cela ?
01:09 -Alors, les souvenirs, c'est...
01:12 En effet, pour obtenir...
01:13 Enfin, pour pouvoir habiter en France
01:15 et aller à l'école et travailler en France,
01:18 il faut une carte de séjour.
01:19 J'étais obligée d'aller régulièrement,
01:22 dès l'âge de 16 ans, il me semble,
01:24 à la préfecture de Bobigny pour faire la queue
01:27 de 4h du matin avec une ouverture à 9h,
01:29 et ça a été très compliqué à vivre.
01:31 Je vivais ça comme une injustice
01:33 parce que, dans ma famille,
01:36 j'étais la seule à ne pas avoir la nationalité française.
01:39 -La présidentielle de 1981,
01:42 vous, vous ne pouviez pas voter,
01:44 vos frères et soeurs pouvaient.
01:46 Vous les avez même encouragées, en quelque sorte, à y aller.
01:50 -Oui, j'ai suivi toute la campagne des présidentielles,
01:53 mais malheureusement, je ne pouvais pas voter
01:56 parce que je n'avais pas la nationalité française.
01:59 Mes frères et soeurs avaient la nationalité,
02:01 donc je les encourageais et je les titillais
02:04 toute la journée du dimanche en leur disant "attention".
02:07 Ils attendaient la dernière minute.
02:09 Je les accompagnais, mais c'était aussi, peut-être,
02:12 pour moi, une façon de m'impliquer,
02:14 comme si c'était un vote par procuration.
02:17 En effet, je les accompagnais et je restais dans la salle.
02:20 J'aimais bien ce...
02:21 Bon, à voter.
02:23 -Vous l'avez évoqué,
02:24 vous avez été naturalisée française à l'âge de 31 ans
02:28 et avant cela, pendant des années, il a fallu aller
02:31 renouveler vos papiers,
02:33 votre titre de séjour,
02:36 alors que, pour vous, la France était votre pays,
02:39 vous projetiez un "avenir français".
02:42 Comment est-ce que vous avez vécu cela ?
02:45 C'était ce décalage entre votre statut
02:49 et ce que vous viviez vous, personnellement ?
02:51 -Je l'ai vécu véritablement comme une injustice,
02:54 je ne comprenais pas pourquoi j'étais pas intégrée
02:57 comme mes frères et soeurs.
02:58 En effet, mes frères et soeurs sont tous nés en France,
03:02 moi, je suis celle du centre, la quatrième,
03:04 et mes parents sont...
03:07 Dans leur histoire, ont dû retourner en Algérie,
03:10 après l'indépendance de l'Algérie,
03:12 avec l'espoir d'une vie meilleure,
03:14 et je suis née à ce moment-là.
03:16 Donc, en effet, j'ai vécu ça comme une injustice,
03:19 je ne comprenais pas pourquoi,
03:21 alors que j'étais scolarisée
03:23 comme n'importe quel enfant de France,
03:26 pourquoi je ne pouvais pas accéder
03:29 à cette naturalisation naturelle et d'office.
03:33 -Vos parents, eux-mêmes,
03:34 se projetaient pas forcément en France,
03:36 ils vous ont dit que toute la famille allait repartir en Algérie,
03:40 alors que vous, c'était pas votre rêve, on l'a bien compris.
03:43 Comment est-ce que vous avez vécu ce décalage
03:46 avec le désir profond de vos parents ?
03:49 -Alors, en effet, c'était très...
03:51 C'était assez compliqué à vivre,
03:53 on avait toujours le sentiment d'avoir une épée de Damoclès
03:57 au-dessus de la tête, on était contre,
03:59 on était complètement intégrés, scolarisés,
04:02 et nos parents nous disaient très régulièrement
04:05 que notre vie n'était pas là,
04:07 qu'on retournerait vivre en Algérie,
04:10 et nous, on vivait ça comme une angoisse.
04:12 -Le fait d'avoir une aspiration différente de vos parents,
04:15 vous aviez pas l'impression de trahir leur rêve ?
04:18 -Pas du tout, on avait pas ce sentiment,
04:21 parce qu'en même temps, nos parents nous encourageaient
04:24 à nous intégrer, à travailler très bien,
04:28 ils avaient beaucoup d'ambition pour nous,
04:30 ils souhaitaient qu'on réussisse dans notre vie familiale, scolaire.
04:35 -Vous n'êtes pas la seule dans votre famille
04:38 à avoir eu un engagement politique, votre père aussi,
04:41 sauf que c'est quelque chose que vous avez découvert
04:44 très tardivement. -Oui, je l'ai découvert
04:46 très tardivement, son engagement politique,
04:48 même si, à la maison, on parlait très souvent politique,
04:52 je savais que mes parents étaient intéressés par la politique,
04:55 et je l'ai découvert...
04:57 ...de manière assez furtive,
05:00 c'est-à-dire qu'on sentait qu'il y avait quelque chose...
05:04 -Là, c'est votre père qu'on parle.
05:06 -On sentait qu'il s'était passé quelque chose,
05:10 parce qu'il y avait toute une période de la vie de mon père,
05:14 et ça restait dans le secret.
05:16 Et je l'ai découvert suite à une commémoration
05:20 du 17 octobre 61, je rentre à la maison...
05:23 -Une manifestation au cours de laquelle
05:25 beaucoup d'Algériens sont morts, ont été tués.
05:29 -Oui, donc mon père a participé, il voulait y aller,
05:32 mais il avait été arrêté à la porte de Pantin.
05:35 Et donc, j'arrive chez moi,
05:37 il y avait un journaliste, Sébastien Pascoe,
05:40 qui travaillait sur les événements du 17 octobre
05:43 et qui était venu rencontrer mon père pour un témoignage,
05:46 pour faire un documentaire sur cette période assez obscure.
05:51 Et de là, les discussions...
05:55 -Vous avez découvert qu'il était engagé au sein du FLN en France,
05:58 mais que c'est un engagement qui, visiblement, est allé assez loin,
06:02 parce qu'il a été arrêté, même torturé,
06:05 par la police française sur le territoire en métropole.
06:08 -Oui. Alors, oui, il s'était engagé politiquement,
06:12 je pense qu'il devait participer à des réunions secrètes du FLN,
06:16 je pense qu'il devait aussi tracter.
06:18 C'était une période assez compliquée,
06:20 il y avait un couvre-feu et il a été arrêté.
06:23 Arrêté par la police française.
06:25 Il nous en a pas dit grand-chose.
06:28 On sentait beaucoup de souffrance dans ce qu'il nous relatait.
06:33 Il nous a juste dit qu'il avait vécu la pire nuit de sa vie.
06:38 Il nous a juste dit, je n'y rentrerai pas dans les détails,
06:42 mais on a tous compris qu'il avait été torturé.
06:45 Et il a été libéré le lendemain matin.
06:47 Le lendemain matin, certainement...
06:49 Enfin, grâce à un policier qui était très bienveillant
06:54 et qui l'a libéré en secret.
06:56 Et de là, quand il a quitté le commissariat,
06:58 il a fui. Il a fui parce qu'il était inquiété,
07:01 il avait été fortement inquiété.
07:03 Il a fui et il est allé se réfugier en Belgique.
07:06 -Votre père s'est battu pour l'indépendance de l'Algérie.
07:09 Vous êtes une députée qui représente la nation française.
07:13 Ca fait deux trajectoires opposées.
07:15 Vous y pensez à ça, souvent ?
07:17 -Moi, j'y pense très souvent,
07:19 surtout que mon père n'est plus de ce monde.
07:22 Il nous a quittés pendant le Covid.
07:24 Il a fait partie de ces gens,
07:26 des personnes qui sont décédées...
07:28 seules, dans les maisons.
07:31 Mais j'y pense très souvent et je me dis
07:34 qu'il doit être très, très fier de moi.
07:36 -Il aurait été fier de vous voir porter l'écharpe tricolore ?
07:40 -Il l'était déjà quand j'étais mère adjointe.
07:43 Je l'ai été pendant 12 ans. Il a été très, très fier.
07:46 On en parlait très souvent à la maison.
07:49 Il me disait toujours de faire attention.
07:51 Il avait toujours peur de mon engagement.
07:53 -Parce que lui a connu une autre forme d'engagement.
07:56 -Tous les chemins mènent à la politique.
07:59 Vous avez été engagée localement à la Courneuve.
08:02 Pourquoi vous avez déclenché cet engagement politique ?
08:05 Vous étiez parent d'élève et vous avez été repérée
08:08 par l'équipe municipale de l'époque,
08:10 qui vous a convaincue de vous présenter sur la liste.
08:13 Vous êtes devenue adjointe à la culture en 2008.
08:16 Au début, vous avez refusé de prendre votre carte
08:19 au Parti communiste.
08:20 La municipalité était communiste. Pourquoi ?
08:23 -Ce n'était pas un refusé,
08:24 c'est que je ne voulais pas m'encarter
08:27 dans un parti politique.
08:28 Je considérais qu'être personnalité citoyenne
08:31 et j'avais toute ma place dans ce conseil municipal
08:34 et je ne voulais pas m'encarter.
08:36 -Cet engagement, fondamentalement,
08:38 il est lié à ce département
08:40 où vous avez toujours vécu, la Seine-Saint-Denis.
08:43 C'est dans cette idée de servir sa population.
08:46 -Pour moi, il était très important
08:48 de rester dans le département qui m'a presque vue naître,
08:51 même si je suis née à Rézaouet.
08:53 -Où vous avez enseigné pendant longtemps,
08:55 notamment avec des élèves en difficulté.
08:58 -C'était primordial de rester dans ce département
09:01 qui est un département qui a un énorme potentiel,
09:05 qui est un département où ça foisonne
09:09 de culture, de social, etc.,
09:11 mais qui cumule toutes les difficultés.
09:13 J'avais le sentiment de servir à quelque chose.
09:18 C'est pour ça que je suis restée, quand j'étais enseignante,
09:21 dans le 93. -L'idée de vous rendre utile
09:23 à la population de Seine-Saint-Denis.
09:25 Quand on fait de la politique à la Courneuve,
09:28 on croise le chemin de Marie-George Buffet
09:31 à un moment ou à un autre.
09:32 Vous avez été sa suppléante en 2017
09:35 et en 2022, vous avez échangé les rôles.
09:38 C'est elle qui est devenue votre suppléante.
09:40 Vous partagez les mêmes combats,
09:42 pour les droits des femmes et pour le sport.
09:45 C'est ce qui a motivé une question
09:46 que vous avez posée au ministre de l'Intérieur
09:49 au mois de novembre dernier.
09:51 -Avec Marie-George Buffet,
09:54 nous avons alerté à de nombreuses reprises
09:56 sur le sort des sept joueuses
09:58 de l'équipe nationale afghane de handball,
10:01 réfugiées depuis de nombreux mois
10:03 à Islamabad, au Pakistan.
10:05 Pouvez-vous, monsieur le ministre,
10:07 me préciser quand des visas leur seront attribués ?
10:10 -Dès que cela sera possible,
10:11 dans les meilleurs moments et les façons les plus sécurisées,
10:15 nous pourrons, non seulement,
10:16 contribuer à leur appartement sur le territoire de la République.
10:20 -Ces handballeuses, elles sont aujourd'hui en France.
10:23 C'était un combat qu'avait porté Marie-George Buffet
10:26 jusqu'en 2022, que vous avez repris,
10:28 et qui a abouti concrètement.
10:30 Ca veut dire que quand on est député de l'opposition,
10:33 on peut faire aboutir des combats politiques à l'Assemblée ?
10:37 -Et heureusement.
10:38 Heureusement, on est quand même, quelquefois, utiles.
10:41 C'est vrai que j'attache beaucoup d'importance à ce combat,
10:44 parce qu'il allie le sport et le combat féministe.
10:47 C'étaient des femmes qui étaient inquiétées
10:50 dans leur pays, en Afghanistan,
10:51 et qui se sont réfugiées au Pakistan,
10:54 et elles sont arrivées juste avant les fêtes de Noël.
10:57 D'ailleurs, je les ai rencontrées à plusieurs reprises,
11:00 et je dois les inviter à l'Assemblée
11:02 dès la fin du ramadan.
11:04 -Bon, on suivra ça.
11:05 On va passer à notre quiz, à présent,
11:07 si vous le voulez bien. Je vous explique le principe.
11:10 Je vais commencer des phrases,
11:13 et ce sera à vous de les finir, de les compléter, on va dire.
11:16 On y va.
11:17 Quand je suis arrivée à l'Assemblée,
11:19 le plus dur a été...
11:21 -De comprendre...
11:24 Tout ce qui était juridique.
11:27 Voilà. Parce que la feuille blanche,
11:30 la feuille jaune, la feuille verte, pardon,
11:32 la motion de censure, à quel moment on peut la faire,
11:35 la Constitution, là, c'était très compliqué pour moi,
11:38 mais j'ai été très...
11:39 -Vous avez été formée en interne ?
11:41 -Exactement. J'ai eu des collègues dans mon groupe
11:44 et les collaborateurs et collaboratrices
11:47 qui ont été d'une aide incroyable.
11:50 -Parfois, je me dis que ma suppléante pourrait quand même...
11:53 Votre suppléante, Marie-George Buffet.
11:57 -Ma suppléante pourrait...
11:59 -Quand même quoi ?
12:00 -De temps en temps, me remplacer.
12:02 -Ca se fait pas comme ça, avec la Constitution.
12:04 -Oui, ça se fait pas comme ça,
12:06 mais en effet, c'est vrai qu'il faudrait quand même
12:09 se reposer la question du rôle du suppléant,
12:12 qui est un peu invisible.
12:15 Pas dans le cas de Marie-George Buffet,
12:17 puisque c'est une personne qui est mondialement connue...
12:20 -Qui doit rester très présente sur le terrain.
12:23 -Exactement.
12:24 Qui est toujours avec moi et qui tracte avec moi
12:27 et qui reste une militante...
12:29 -Hm. -...acharnée.
12:31 -S'il y a un combat que je souhaite faire aboutir
12:33 pendant ce mandat, c'est ?
12:35 -Il y en a plusieurs, mais il est vrai qu'il y en a un
12:38 qui me tient particulièrement à coeur,
12:40 c'est celui du vote des étrangers aux élections municipales.
12:44 En effet, je trouve qu'il serait très intéressant
12:46 de pouvoir permettre à ces gens issus de l'immigration,
12:49 après, voir sur combien d'années, mais peut-être y réfléchir.
12:53 -Au-delà des simples ressortissants
12:55 de l'Union européenne. -Exactement.
12:57 Oui, en effet, vous avez raison de le souligner,
13:00 les Européens ont le droit de vote, mais les autres, non.
13:03 Je pense que ça serait vraiment une véritable avancée démocratique.
13:07 -Merci beaucoup, Soumya Bouroua, d'être venu dans "La politique et moi".
13:11 -C'était un plaisir.
13:12 Merci.
13:13 SOUS-TITRAGE : RED BEE MEDIA
13:15 Générique
13:18 ...