Le harcèlement scolaire, une maladie invisible | Interview Sans Filtre avec Louise

  • il y a 2 ans
« Dire que le harcèlement scolaire existe est un acte citoyen. Plus le groupe en parle, moins le harcèlement scolaire aura de place pour exister. C'est-à-dire que la majorité silencieuse, les enfants qui ne sont ni harcelés, ni harceleurs, pourra intervenir. Plus il y aura d'enfants capables de donner l'alerte, plus on détectera le harcèlement scolaire pour le réduire. »
C'est ce que nous a expliqué Louise, engagée dans la lutte contre le harcèlement scolaire. Lors de son entrevue, elle nous a expliqué comme ce système se met en place et comment les séquelles à long terme peuvent être aussi lourdes, à travers son récit personnel.

Elle porte le projet La fille de Cristal, un compte Instagram qui partage des témoignages anonymes, ainsi qu'un livre qui sortira l'année prochaine.

︎Pour en savoir plus :
Son compte Instagram : https://www.instagram.com/lafille.decristal/
En attendant la sortie de son livre : lafilledecristal@gmail.com

︎Aller plus loin :
Notre podcast :
https://www.parents.fr/podcast/galere-sa-mere/mon-bebe-est-harcele-a-lecole-attention-jai-envie-de-mordre-877774

︎ Crédits :
Léa Leyris : montage

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Transcription
00:00 Je pensais que tout allait bien.
00:01 Un jour, je reçois un appel de mes parents qui me disent que ma sœur s'est suicidée.
00:05 Je ne voyais pas pourquoi elle aurait pu faire ça.
00:08 Et en arrivant à Toulouse, je découvre chez elle un journal intime
00:12 où elle raconte qu'elle a vécu un harcèlement scolaire pendant sept années.
00:15 Je m'appelle Louise, je vis au Danemark aujourd'hui.
00:19 Je suis une maman de deux enfants, un petit garçon qui a un an et une fille qui a trois ans.
00:22 Et du coup, je suis très engagée dans la lutte contre le harcèlement scolaire.
00:25 Alors, je suis là aujourd'hui parce que je porte un projet qui s'appelle
00:27 "Le projet de la fille des cristals", qui est un projet de sensibilisation
00:30 contre le harcèlement scolaire.
00:32 Et pour ce projet, je partage donc mon histoire personnelle.
00:34 Moi, je viens d'une famille de trois filles.
00:36 On a eu une enfance très heureuse près de Toulouse.
00:39 J'ai toujours rêvé de partir à l'étranger.
00:40 Et donc, dès que j'ai passé mon école de commerce, je suis partie à l'étranger, à Singapour,
00:45 où j'ai eu ma vie de jeune diplômée avec mon compagne à s'installer et tout ça.
00:49 Je pensais que tout allait bien.
00:50 Un jour, je reçois un appel le soir de mes 25 ans, donc à minuit,
00:54 de mes parents qui me disent que ma sœur s'est suicidée.
00:57 Incompréhension totale.
00:58 Je ne voyais pas pourquoi, en fait, elle aurait pu faire ça.
01:01 Et en arrivant à Toulouse, je découvre chez elle un journal intime
01:05 où elle raconte qu'elle a vécu un harcèlement scolaire pendant sept années.
01:08 Tout le collège, à partir de la 6e, tout le lycée.
01:11 Et qu'après, quand elle était adulte, elle a vécu avec des séquelles.
01:14 A savoir qu'un enfant qui a vécu ça, il vit avec des séquelles comme la phobie scolaire,
01:18 la peur des autres, des angoisses très fortes, la dépression parfois.
01:22 Et elle n'arrivait pas à se remettre.
01:23 Et un jour, elle a décidé d'arrêter.
01:26 Et elle n'en a parlé à personne de la famille.
01:28 Quand on s'en est rendu compte, c'était trop tard.
01:30 Et ça, en fait, malheureusement, quand j'ai commencé à en parler autour de moi,
01:33 je me suis rendu compte qu'il y a énormément de personnes
01:35 qui avaient vécu un harcèlement scolaire et qui ont souffert à l'âge adulte,
01:38 qui n'avaient pas su en parler, qui n'avaient pas trouvé les mots,
01:40 qui n'avaient pas du coup de soutien.
01:41 C'est des moqueries qui arrivent au collège.
01:42 Pourquoi quelqu'un de 21 ans, qui fait des études, qui sort,
01:46 qui a des amis, quelqu'un qui a l'air épanoui,
01:49 peut décider de mourir du jour au lendemain
01:50 à cause de quelque chose qui s'est passé au collège ?
01:52 Ça n'avait aucun sens pour moi.
01:53 Mais en fait, c'est après,
01:54 en parlant avec des associations à Toulouse ou à Paris,
01:56 j'ai découvert que ça te blesse
01:59 au moment où tu es en construction en tant qu'adolescent.
02:01 C'est au moment où tu construis ta personnalité,
02:03 ça détruit tout ce qui était là pour te protéger.
02:05 Un enfant qui vit un harcèlement scolaire sur la durée,
02:08 il n'aura pas les capacités plus tard
02:10 pour faire face à toutes les microagressions de la vie.
02:12 Et s'il ne reçoit pas d'aide, malheureusement, il va couler.
02:15 On estime qu'il y a environ une personne sur dix qui est touchée.
02:18 Ça, c'est les chiffres officiels.
02:19 Certaines associations diront plus que c'est une personne sur cinq.
02:22 Mais en fait, il y a différents types de harcèlement scolaire.
02:24 Il y a des personnes qui sont plus ou moins sensibles.
02:26 Mais d'une manière générale, on dit que le harcèlement scolaire,
02:28 il commence quand il y a une régularité.
02:30 Quand c'est un groupe, quand les personnes commencent à développer des angoisses,
02:33 c'est là qu'il faut absolument réagir.
02:34 Alors, c'est vrai qu'au départ,
02:36 j'ai juste partagé quelques pages du journal intime que j'avais retrouvées.
02:40 Il y a peu de personnes qui vont vraiment t'expliquer.
02:42 Il y a des personnes qui vont te dire "c'est très dur, je souffre",
02:45 mais qui ne seront pas forcément avec des mots
02:47 de se faire ressentir ce que vit une victime de harcèlement scolaire.
02:49 Et ma sœur, en fait, elle avait un talent particulier,
02:51 c'est qu'elle voulait être écrivain.
02:53 Et elle écrivait de manière très sensible.
02:54 Quand on lit son journal intime, on se met à sa place.
02:57 On comprend en fait très rapidement pourquoi elle a fait ces choix-là.
03:00 Ça aide les parents à comprendre ce cheminement,
03:04 ce qui est hyper important parce que si son enfant à soi ne parle pas,
03:07 d'avoir des exemples, ça permet d'alimenter une discussion,
03:10 d'avoir un support, une base en fait, pour commencer à aborder ce sujet.
03:13 Si je partage ces textes,
03:14 ça veut dire que d'autres victimes de harcèlement scolaire
03:16 pourront sortir du silence.
03:17 Ça veut dire qu'on pourra les aider,
03:19 et ça veut dire qu'ils n'arriveront pas aux extrémités où ma sœur est arrivée.
03:21 En tant que parent, on peut se demander
03:23 comment est-ce qu'on aborde un sujet comme ça.
03:24 Il faut savoir que si on montre à ses enfants que la porte est ouverte,
03:27 qu'ils peuvent nous parler de n'importe quel sujet,
03:29 ça leur fait un pas de moins à faire et c'est énorme.
03:31 Il vaut mieux parler à ses enfants du sujet ouvertement,
03:34 leur dire "le harcèlement scolaire, ça existe,
03:36 ça touche beaucoup d'enfants dans une classe".
03:38 S'il y a une classe de 30, une personne sur 10, ça fait 3 enfants.
03:41 Et c'est hyper important que tu nous en parles si ça commence,
03:44 comme ça on peut réagir à temps et on a les moyens de t'accompagner.
03:46 C'est quelque chose qui existe, il y a des gens qui sont formés,
03:48 je ne peux peut-être pas t'accompagner moi parce que je ne suis pas formée là-dessus,
03:51 mais je peux t'aider à trouver des réponses, à trouver de l'aide,
03:54 à faire en sorte que ça s'arrête si ça commence.
03:56 C'est rassurant aussi, tu sais, enfant.
03:57 Le harcèlement scolaire, c'est une spirale,
03:59 c'est-à-dire que c'est un système qui se met en place.
04:02 Le harceleur, souvent on lui jette la pierre,
04:04 mais en tant qu'enfant, je veux dire, il est aussi pris dans un engrenage.
04:08 Parfois c'est aussi un enfant qui a besoin d'aide.
04:10 Il ne faut vraiment pas croire que l'enfant qui est harcelé,
04:12 il peut faire lui-même les choses de manière à ce que le harcèlement s'arrête,
04:16 ou que l'enfant qui est harceleur peut juste arrêter le harcèlement et voilà.
04:19 C'est beaucoup plus complexe que ça,
04:21 c'est des systèmes psychologiques qui se mettent en place,
04:23 c'est des dynamiques de groupe.
04:24 Il faut vraiment l'interaction d'un professeur, d'un expert,
04:28 d'une association qui a l'habitude de gérer ces cas-là
04:30 et qui pourra dire "voilà, on va arrêter le harcèlement"
04:33 en sensibilisant par exemple toute la classe,
04:35 sans essayer de peser sur le harcèleur ou sur le harcèleur
04:37 qui sont en fait déjà des victimes.
04:39 Alors la loi sur le harcèlement scolaire, il faut savoir qu'elle a évolué cette année.
04:42 C'est vraiment perçu par la loi comme un délit.
04:45 C'est un délit qui est passible d'emprisonnement, de peine financière.
04:49 Mais ça veut dire aussi que maintenant c'est vraiment pris au sérieux par la police
04:54 et que les gens sont formés à recevoir des dépositions sur le harcèlement scolaire.
04:57 Ma sœur, quand elle a été majeure, elle est allée porter plainte
05:00 et elle écrit dans son journal intime que la police s'est moquée d'elle
05:03 parce qu'ils lui disent "on s'est moquée de toi,
05:05 quand t'étais au collège, t'as 18 ans, est-ce qu'il n'est pas temps de tourner la page ?"
05:09 Donc elle raconte que ça a été une expérience de plainte qui a été extrêmement difficile.
05:13 Malheureusement, le cyberharcèlement fait que le harcèlement scolaire
05:16 ne s'arrête plus aux portes de l'établissement scolaire.
05:18 Et face à ce nouveau contexte, c'est hyper important d'agir.
05:23 Agir, ça veut dire parler.
05:24 Dire que le harcèlement scolaire, ça existe,
05:26 c'est un geste extrêmement citoyen qui va aider tout le monde.
05:28 Parce que plus on en parle, plus le groupe en parle,
05:31 moins le harcèlement scolaire aura de place pour exister de manière silencieuse.
05:34 Donc ce qu'on appelle la majorité silencieuse,
05:36 c'est-à-dire des enfants qui ne sont ni harcelés ni harceleurs,
05:38 mais qui sont vraiment témoins.
05:39 Plus il y aura des enfants qui seront capables de réagir, de donner l'alerte,
05:42 plus on pourra détecter les situations de harcèlement scolaire et les réduire.
05:46 La place de l'éducation, de la sensibilisation est incroyablement efficace si elle est faite à temps.
05:51 Déjà, j'ai envie de vous dire, si vous avez vécu un harcèlement scolaire et que ça vous pèse,
05:55 il n'est pas trop tard pour en parler.
05:56 On peut en parler à tous les âges.
05:58 Il y a des personnes qui m'écrivent qui ont 40, 50 ans. Et si vous n'avez personne à qui parler,
06:02 je fais ce compte Instagram qui s'appelle lafille.decrystal,
06:06 où je poste les témoignages anonymes des gens qui ont envie de s'exprimer.
06:10 Sinon, il y a des numéros d'appels français.
06:13 Et il y a également des associations qui sont là pour vous aider au quotidien,
06:16 qui ont l'habitude, qui sont formées.
06:17 Donc il y a ce livre qui s'appelle La fille de Crystal.
06:20 C'est notre histoire, donc notre famille.
06:22 Donc la moitié du livre, c'est le journal intime de ma sœur.
06:24 Et l'autre moitié, c'est moi, qui vis à Singapour et qui raconte comment,
06:27 quand on est une grande sœur, qu'on fait une enquête sur ce qui s'est passé,
06:30 comment on le vit, tout simplement.
06:32 Donc c'est un livre qui s'appelle La fille de Crystal, qui sortira dans un an.
06:35 Sous-titrage Société Radio-Canada
06:37 [Musique]

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