INTERVIEW - Le 10 mai 2023, la ministre de la Culture, Rima Abdul Malak a annoncé que le Centre Pompidou fermera ses portes pour travaux à partir de 2025. Sa réouverture est prévue pour 2030. Pour parler de l’histoire de ce musée d’art moderne et contemporain emblématique de la Capitale, Virginie Girod reçoit Bernadette Dufrêne, professeure des Université à Paris 8 et spécialiste des questions de communication culturelle. Inauguré en 1977, Beaubourg voit le jour sur proposition du Président de l’époque, Georges Pompidou. Ce dernier se disait “frappé par le caractère conservateur du goût français en matière d’art. Son objectif est de réconcilier l’art vivant et la société” explique l’historienne. Pour choisir les architectes, un concourt international d’architecture est lancé en 1970, remporté par le projet de Renzo Piano et Richard Rogers. “Ce qui retient l’attention du jury, c’est ce que le poète Francis Ponge résume parfaitement : cet aspect “moviment”, plutôt que “monument”. Ce monument est lié à l’idée de fête, de joie, d’une culture accueillante.” Pourtant, le projet a reçu de nombreuses critiques dès sa présentation : “Ce qui est rejeté, c’est le fait que ce bâtiment et la conception de la présentation de l’art, font que l’art est désacralisé, présenté dans un cadre qui n’est pas celui du musée temple, ou du palais.” analyse Bernadette Dufrêne.
"Au cœur de l'histoire" est un podcast Europe 1 Studio.
Ecriture et présentation : Virginie Girod
- Production : Europe 1 Studio
- Direction artistique : Adèle Humbert et Julien Tharaud
- Réalisation : Clément Ibrahim
- Musique originale : Julien Tharaud
- Musiques additionnelles : Julien Tharaud et Sébastien Guidis
- Communication : Kelly Decroix
- Visuel : Sidonie Mangin
"Au cœur de l'histoire" est un podcast Europe 1 Studio.
Ecriture et présentation : Virginie Girod
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- Musiques additionnelles : Julien Tharaud et Sébastien Guidis
- Communication : Kelly Decroix
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00:00 - Bienvenue au cœur de l'histoire dans les interviews du vendredi, je suis Virginie Giraud.
00:04 Le 10 mai 2023, la ministre de la Culture, Rima Abdul-Malak, a annoncé que le Centre Pompidou fermerait ses portes pour travaux à partir de 2025.
00:15 La réouverture de ce musée, qui est l'un des plus hauts lieux de l'art moderne et contemporain au monde, est prévue pour 2030.
00:23 Le chantier doit notamment servir à désamianter le bâtiment.
00:27 Avant que Beaubourg ne se refasse une beauté, je vous propose de revenir sur l'histoire de cet établissement culturel iconique de la capitale.
00:34 Pour en discuter, je reçois Bernadette Dufresne, professeure des universités à Paris VIII et spécialiste des questions de communication culturelle.
00:42 Bonjour Bernadette Dufresne.
00:44 - Bonjour.
00:45 - Alors pour commencer, faisons un petit peu d'histoire.
00:48 Le Centre Pompidou a été inauguré en 1977. Dans quel but a-t-il été construit ?
00:54 - Alors, comme on l'a souvent rappelé, le président Pompidou, nouvellement élu, adresse en 1969 une lettre à son ministre de la Culture, Edmond Michelet,
01:08 où il décrit le projet "un ensemble architectural qui devra non seulement comprendre un vaste musée de peinture et de sculpture,
01:17 mais des installations spéciales pour la musique, le disque, éventuellement le cinéma et la recherche théâtrale".
01:26 Il y ajoute aussi l'idée d'une bibliothèque.
01:29 Ce projet qu'il a en tête lui a inspiré par le Lincoln Center à New York, un établissement pluridisciplinaire.
01:41 Cela dit, je n'ai toujours pas répondu à votre question, pourquoi la création de ce centre ?
01:48 Alors, il y a plusieurs raisons et la première raison que l'on invoque peu fréquemment, c'est celle de mai 68.
01:57 Pompidou, qui était alors Premier ministre, a dû affronter les événements de 68 et une fois qu'il est élu président,
02:06 il réfléchit à leur sens et comme il le dit dans un ouvrage qui paraît un peu plus tard, "Le Neu Gordien",
02:15 il y voit une crise de civilisation.
02:19 Alors, quelles solutions politiques y a-t-il pour résoudre une crise de civilisation ?
02:26 Il imagine une politique des loisirs, c'est son expression,
02:31 qui inclut la politique culturelle à côté d'une politique du sport et d'une politique des grands médias audiovisuels.
02:41 Donc, la décision de construire le centre et la réflexion sur cette politique des loisirs sont concomitants.
02:50 D'ailleurs, je tiens à signaler un propos de Renzo Piano, un des architectes du centre,
02:59 qui voit dans ceci une intuition géniale dans la mesure où le bâtiment culturel est destiné à un public différent,
03:10 ce sont ses termes, différent du public traditionnel des musées.
03:16 Il dit, il ne s'agit plus d'un public d'élite et déjà cultivé, mais de ce qu'il est convenu d'appeler la grande masse.
03:24 Donc, la volonté d'ouverture sociale, sans pour autant sacrifier la qualité de ce qui doit être montré,
03:33 est la première raison de la création du centre et elle est,
03:40 cette volonté d'ouverture sociale des établissements culturels est directement liée donc aux événements de mai 68
03:52 et à l'interprétation qu'en fait Georges Pompidou.
03:56 - Et alors, pourquoi avoir choisi le 4ème arrondissement de Paris ? Pourquoi en plein cœur, presque aux limites du marais ?
04:02 - En fait, ce n'était pas un choix volontaire, c'était le seul terrain disponible dans l'immédiat
04:11 et Pompidou voulait aller vite parce qu'il était persuadé que s'il n'allait pas vite, rien ne se ferait.
04:18 Donc, il a retenu ce terrain et ce terrain était d'autant plus facilement accessible
04:28 qu'il avait déjà été prévu pour l'édification d'une bibliothèque en libre accès qui faisait totalement défaut à Paris,
04:38 donc la BPI.
04:40 Et tout ceci allait très vite, le terrain du plateau Beaubourg a été cédé par la ville de Paris à l'État en 69,
04:53 donc très peu de temps après la prise de décision de construire le centre.
04:59 Et effectivement, ce non-choix a été un hasard heureux puisqu'on est en plein Paris populaire et historique
05:09 et que les architectes du centre tireront vraiment parti de cet emplacement.
05:16 - Alors justement, vous évoquiez le nom d'un des deux architectes, Renzo Piano, mais il était accompagné par Richard Rogers.
05:23 Comment ont-ils été choisis ? Est-ce qu'ils avaient un projet extraordinaire ? Est-ce qu'il y a eu un appel d'offres ?
05:27 - Alors, le choix de leur projet, c'est vrai, tient un peu du miracle.
05:34 Il n'a été possible que dans ce contexte de la presse 68, parce qu'eux-mêmes étaient étrangers, jeunes,
05:44 et lorsqu'ils ont appris qu'ils étaient les lauréats du concours,
05:49 ils n'avaient même pas de cravate pour se rendre au moment où ils ont dû se rendre à Paris.
05:57 Alors, le projet a été retenu d'une part parce que le jury a apprécié la simplicité de l'architecture
06:08 et le fait que l'environnement avait été pris en compte.
06:15 Et la liaison avec l'environnement est un point essentiel.
06:19 Elle était restée un pensée dans la plupart des projets soumis,
06:23 alors qu'elle était un point fort du projet de Renzo Piano et de Rogers,
06:29 notamment du fait de la présence de la Piazza.
06:33 Donc, le jury apprécie beaucoup les échanges rendus possibles avec le quartier,
06:40 le fait qu'il était rendu aussi partiellement à la circulation piétonnière,
06:47 et le fait que la Piazza pouvait constituer un lieu de rencontre, de rassemblement, de distraction.
06:55 La deuxième raison, c'est l'animation de la façade,
07:00 l'effet entraînant de la circulation du public qu'on voit monter à travers les parois de verre dans l'escalade d'or.
07:13 - Vous pouvez décrire le Centre Pompidou pour les gens qui ne l'ont pas dans l'œil.
07:17 C'est un immense bâtiment quadrangulaire avec des façades en verre,
07:21 et puis ce côté tuyauterie bleu-vert.
07:24 Je crois qu'il y a un code couleur d'ailleurs, le rouge pour les escalators et les ascenseurs,
07:28 le bleu pour la climatisation, quelque chose comme ça, non ?
07:32 - Oui, alors il y a tout un code de couleur pour les fonctions,
07:37 mais ce qui retient vraiment l'attention du jury,
07:41 un mot de pont, je résume parfaitement,
07:44 cet aspect "moviment" plutôt que "monument".
07:48 Les architectes considèrent leur bâtiment comme un outil,
07:54 c'est-à-dire non pas un monument architectural conventionnel, rigide,
08:00 mais qui suit la règle des trois F, fluide, flexible, facile à changer.
08:09 Toute cette polychromie du centre, ce côté esthétique high-tech,
08:16 ont visiblement plu aussi au jury.
08:21 L'esprit de l'architecture du centre, c'était d'implanter,
08:26 de manière tout à fait anticonventionnelle,
08:29 un grand jouet urbain au centre de Paris.
08:33 "Grand jouet urbain", c'est l'expression de Richard Rodgers,
08:38 mais c'est une expression très importante,
08:41 parce que ce monument, ce mouvement,
08:44 est lié aussi à l'idée de fête, de joie,
08:48 d'une culture accueillante et non pas d'une culture compassée,
08:55 comme pouvait l'avoir dénoncé Bourdieu dans "L'amour de l'art".
09:00 - Alors s'il y a des gens qui apprécient énormément l'architecture novatrice du musée Baubourg,
09:05 il y en a au contraire qui détestent ça,
09:07 et parmi eux il y a Jean Dormeson,
09:09 qui réagit assez vertement dans un édito du Figaro du 31 janvier 1977.
09:15 Il écrit au sujet du centre Pompidou, je le cite,
09:18 "cette atroce, on dirait une usine, un paquebot, une raffinerie".
09:22 Est-ce que vous pouvez nous expliquer pourquoi il réagit aussi fortement ?
09:25 Et est-ce qu'il y a d'autres personnes qui réagissent comme lui ?
09:28 - Oui, alors un graphiste du centre, Jean-Paul Pichat,
09:32 a représenté la bataille du centre dans un photomontage.
09:37 Son inspiration, c'était la bataille de Midway.
09:41 Donc on voit le centre bombardé par des avions,
09:47 et donc effectivement les polémiques ont été nombreuses,
09:51 et n'ont pas concerné que l'architecture du centre.
09:55 Et dans l'ouvrage que j'ai dirigé, donc "Centre Pompidou, 30 ans d'histoire",
10:01 j'ai demandé à un auteur d'analyser les caricatures pour le centre.
10:07 Et souvent le centre est présenté comme un bâtiment ultra-turbulent,
10:13 parcouru d'excroissance, ou comme une fête foraine,
10:17 ou comme une méga-cache tantôt remplie de singes,
10:21 tantôt regardée par des ploucs, comme un grand magasin.
10:25 Et en arrière-fond de toutes ces caricatures, ce qui est rejeté,
10:31 c'est le fait que ce bâtiment et la conception de la présentation de l'art
10:39 font que l'art est désacralisé, présenté dans un cadre
10:44 qui n'est pas celui du musée-temple ou du palais.
10:47 - Mais alors Bernadette Dufresne, vous avez évoqué plusieurs fois
10:50 le fait que le centre Pompidou devait être un lieu accueillant,
10:53 ouvert aux masses, qui désacralise l'art.
10:56 Mais on n'a pas l'impression qu'aujourd'hui, le public du centre Pompidou,
11:00 à part peut-être la BPI, la bibliothèque, soit hyper démocratisé.
11:03 Est-ce que l'objectif a été atteint ?
11:05 - Je pense que l'objectif a été vraiment atteint,
11:10 parce que si vous comparez le public du centre Pompidou
11:15 au public d'autres musées, celui du Louvre, celui d'Orsay,
11:22 c'est quand même un public où on trouve beaucoup de jeunes,
11:27 qui a un certain style.
11:30 Et ce qu'il ne faut pas oublier dans cette optique de la démocratisation,
11:35 c'est que le centre se prête à toutes sortes d'usages qui cohabitent,
11:41 des plus populaires, vous avez évoqué la BPI,
11:45 aux plus sophistiqués peut-être l'IRCAM,
11:49 mais il y a aussi l'atelier des enfants,
11:52 il y a des ouvertures vers les publics adolescents.
11:58 Donc il y a un style centre Pompidou,
12:01 qui est beaucoup plus décontracté,
12:05 où conformément au vœu initial,
12:09 on se rend au centre dans la continuité des activités de la ville.
12:16 - Alors une dernière question pour conclure,
12:19 quel sort est réservé aux œuvres pendant la fermeture du centre Pompidou ?
12:22 Est-ce qu'elles vont être restaurées, prêtées ?
12:24 Est-ce qu'il va y avoir des expositions itinérantes ?
12:26 On ne les verra plus pendant cinq ans ?
12:28 - Oui, alors effectivement les œuvres vont être transférées
12:35 au centre Pompidou francilien à Massy.
12:40 Ce centre va organiser des expositions pour les publics,
12:46 évidemment les activités de restauration de près continuent,
12:53 mais il y aura surtout beaucoup d'expositions hors les murs en région,
12:58 et des expositions en partenariat avec d'autres institutions parisiennes,
13:04 le Louvre, la Conciergerie, le Grand Palais.
13:08 Et donc cette déconcentration des activités du musée
13:14 est tout à fait conforme à l'esprit initial du centre,
13:19 qui en tant que centre national d'art et de culture
13:24 devait animer justement des collaborations avec les régions
13:32 et aussi avec les centres à l'étranger.
13:35 - Merci Bernadette Dufresne pour cet échange passionnant
13:38 autour de l'histoire de la construction du centre Pompidou.
13:40 Je rappelle à nos auditeurs que vous êtes professeure des universités,
13:44 auteure de la création de "Beaubourg" parue en 1977
13:48 et éditée au Presse Universitaire de Grenoble,
13:51 et de "Centre Pompidou, 30 ans d'histoire" paru en 2007
13:55 aux éditions du centre Pompidou.
13:57 Merci Bernadette Dufresne.
13:58 - Merci à vous.
13:59 - Merci à tous nos auditeurs de nous avoir écoutés.
14:03 Au cœur de l'histoire est un podcast original,
14:05 Europe 1 Studio.
14:06 Et je vous dis à très bientôt sur votre plateforme d'écoute favorite.
14:09 [Musique entraînante diminuant jusqu'au silence]