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En moins d’un siècle, l’Afrique a totalisé environ 216 putschs, devenant la championne des coups d’État. Le continent est-il malade de ses États ou plutôt victime de ses armées ?

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Transcription
00:00 Imagine que ça, c'est un coup d'État.
00:02 Un enfant burkinabé d'un an en a déjà connu deux,
00:05 un Soudanais né en 1955 en a déjà vécu 17
00:09 et un Africain de 72 ans a déjà été témoin
00:11 d'au moins 216 coups d'État sur le continent.
00:14 Cela fait de l'Afrique la championne incontestée des putschs
00:17 bien loin devant l'Amérique du Sud et l'Asie de l'Est.
00:20 C'est quoi le problème ?
00:21 - Dans la plupart de mes États,
00:23 les institutions sont extrêmement fragiles.
00:25 L'armée semble être la seule institution qui fonctionne.
00:28 - Les États africains sont-ils malades de leurs armées
00:31 ou plutôt les armées africaines sont-elles victimes de leurs États ?
00:34 - Pour refonder l'État,
00:35 tant qu'on ne va pas voir en ces occasions des opportunités de refondation,
00:39 on va être toujours dans le même cycle.
00:41 - En attendant de mettre un terme à ce cycle de coups d'État,
00:44 l'Afrique tiendra-t-elle le coup ?
00:46 Qu'est-ce que ça ?
00:52 Sur les 487 coups d'État réussis ou ratés depuis 1950,
00:56 216 ont eu lieu en Afrique selon la VOA.
00:59 Ces deux dernières années,
01:01 le continent a connu six coups d'État et deux tentatives de coups d'État.
01:04 Au Burkina Faso, au Tchad, en Guinée, au Mali et au Soudan,
01:08 les militaires ont réussi.
01:09 Au Niger et en Guinée-Bissau, ils ont échoué.
01:12 Pourquoi l'Afrique connaît autant de coups d'État en une si courte période ?
01:16 - De façon directe, je crois que ce que nous observons
01:19 est principalement le résultat de la malgouvernance.
01:23 - Juste que Joe a servi une vingtaine d'années dans les FAB,
01:26 les Forces armées béninoises.
01:27 Dans les causes, il inclut aussi ce qu'il appelle
01:30 "les plaisanteurs géopolitiques".
01:31 - La plupart des pays que vous avez cités
01:33 sont de plus en plus la convoitise d'un certain nombre d'acteurs extérieurs.
01:37 - On y reviendra.
01:38 Intéressons-nous d'abord à cette statistique assez révélatrice.
01:41 Sous les huit putschs enregistrés ces 19 derniers mois,
01:44 six ont eu lieu dans la même sous-région,
01:47 l'Afrique de l'Ouest.
01:48 - Cette région a quelque chose en commun.
01:50 Il s'agit de la croissante insécurité
01:53 qui est causée par l'extrémisme violent.
01:56 - La chercheuse et militante Faridana Bourrema
01:58 décrit une atmosphère politique délétère.
02:01 - Dans le cas du Mali et du Burkina Faso,
02:04 nous avons vu des populations manifester dans les rues
02:07 plusieurs mois durant, surtout au Mali,
02:09 pour exiger plus d'actions de la part du gouvernement
02:12 pour dénoncer déjà certains problèmes auxquels ils faisaient face.
02:16 - L'atmosphère politique y serait délétère
02:18 parce que depuis les indépendances,
02:20 les systèmes politiques et militaires en place ne sont pas adéquats.
02:23 Ni pour résoudre les crises sociopolitiques majeures,
02:26 encore moins les crises sécuritaires.
02:28 C'est en tout cas ce que prédisait déjà en 1975
02:31 l'auteur Jacques Chevrier
02:32 dans "L'échec des systèmes politiques africains".
02:35 - Vous les voyez s'accaparer de toutes les institutions,
02:37 faire du pouvoir législatif une branche de l'exécutif,
02:41 faire du pouvoir judiciaire une branche de l'exécutif
02:44 qui ne sert qu'à réprimer et à persécuter leurs opposants,
02:48 à persécuter les activistes,
02:50 au lieu de renforcer ces institutions
02:52 afin qu'elles puissent véritablement protéger l'État
02:56 et prévenir toute forme de prise de pouvoir abusive.
03:00 - Ajoute à ça ce que Juste Codjo appelle
03:02 la présidentialisation des forces de défense et de sécurité.
03:05 - Nous observons, malheureusement, depuis les indépendances,
03:08 que dans la plupart des pays africains,
03:10 le Parlement est absent
03:11 quand il s'agit de contrôler, disons,
03:14 la gestion des forces de défense et de sécurité.
03:17 - Tout repose entre les mains du président
03:19 qui s'assure qu'avant de protéger le territoire et ses habitants,
03:22 les forces de sécurité protègent d'abord
03:24 le détenteur du pouvoir et son régime.
03:26 - Et à côté des Nanties, il existe une autre armée,
03:29 tout au fond de l'échelle sociale de la hiérarchie militaire.
03:32 Elle est faite de tous ces marginalisés en uniforme,
03:35 miséreux, clochardisés,
03:37 au cœur d'une galaxie où les privilégiés
03:40 affichent scandaleusement leur puissance et leurs richesses.
03:43 - Et ce système a un nom.
03:45 Juste Codjo l'appelle la démocratie d'hommes forts.
03:48 Le président, à lui tout seul, a cette responsabilité
03:51 que nommer qu'il veut, que démettre qu'il veut,
03:53 les utiliser pour les fins qu'il veut.
03:55 Donc cela, naturellement,
03:57 éloigne de plus en plus les forces de défense et de sécurité
04:00 de leur rôle principal,
04:02 qui est de se préparer pour la défense du territoire.
04:04 - Choyés et mieux outillés,
04:06 les gardes présidentielles et autres unités d'élite
04:08 deviennent ainsi les seules institutions organisées
04:11 et suffisamment puissantes pour faire pencher la balance.
04:14 - Au final, ils finissent par être victimes
04:17 de ces appareils qu'ils ont créés,
04:18 par être victimes d'une armée trop puissante,
04:21 par être victimes des institutions trop faibles,
04:24 par être victimes des populations
04:26 totalement dégoûtées par leur façon de diriger les choses.
04:29 - En 2019, parlant du Mali dans "Le Monde diplomatique",
04:32 la journaliste Anne-Cécile Robert titrait
04:34 "Coup d'État dans un pays sans État".
04:36 Selon elle, l'intervention de l'armée révèle
04:39 la fragilité des régimes politiques,
04:41 superfusion d'institutions financières internationales
04:44 et des multinationales.
04:45 - Quand nous nous retrouvons dans des crises extrêmes,
04:47 comme on l'a vu par exemple en Guinée avec la FATME,
04:50 il n'y a pas une autorité forte,
04:52 il n'y a pas une institution forte qui puisse vraiment régler.
04:54 Et donc, l'armée se retrouve finalement
04:57 un peu comme l'arbitre auquel on fait appel.
05:00 - L'autre chose que la plupart de ces pays ouest-africains
05:02 ont en commun, c'est leur passé colonial avec la France.
05:05 - Ces États, ces dirigeants,
05:07 sont toujours restés dans un système néocolonial.
05:12 Alors nous avons la renaissance d'un brin de panafricanisme,
05:16 la renaissance de pouvoir libérer l'Afrique
05:19 des systèmes politiques et économiques
05:21 qui ne permettent pas aux populations africaines
05:24 de vivre dans la dignité.
05:25 - En février 2022, Nana Akufo-Addo, présidente du Ghana
05:29 et à l'époque présidente de la CDAO,
05:31 constatait ainsi un phénomène contagieux
05:33 sur fond de luttes antiterroristes
05:35 et de guerres d'influence entre l'Occident et la Russie.
05:38 - Il est important d'intégrer cela dans toutes nos analyses,
05:41 non pas pour jeter la pied à X ou à Y,
05:44 mais tout simplement reconnaître la réalité
05:46 et pouvoir prendre les mesures qu'il faut
05:48 pour pouvoir atténuer un peu les impacts de cette rivalité
05:51 qui, comme je dis, on n'a pas le contrôle.
05:53 Ça a été le cas par le passé, c'est le cas actuellement.
05:56 - Il y a rivalité parce qu'il y a reconfiguration géopolitique,
05:59 mais pas que.
06:00 Il y a aussi en parallèle la découverte de nouveaux minerais ou gisements.
06:04 Du diamant et de l'or en Centrafrique,
06:06 du manganèse au Mali,
06:08 du pétrole et de l'uranium au Burkina, etc.
06:11 Toutes ces nouvelles ressources, tous ces nouveaux minerais
06:14 qui sont stratégiquement importants
06:16 pour les pays comme les États-Unis ou la France,
06:18 pour eux, il faut faire en sorte que
06:20 soit c'est eux qui ont le contrôle donc de ces espaces
06:24 ou alors faire en sorte que ce ne soit pas leur rival
06:27 qui ait le contrôle de ces espaces.
06:28 - Mais contrairement à la période de la guerre froide,
06:30 il y a une donne qui change tout.
06:32 Une jeunesse africaine de mieux en mieux informée
06:34 est de plus en plus active contre ce qu'elle perçoit
06:37 comme de l'impérialisme et du néocolonialisme.
06:40 - Et donc, moi je prédisais à l'époque déjà
06:42 qu'avec les réseaux sociaux,
06:43 le développement des nouvelles technologies,
06:45 l'accès à l'information,
06:46 cette jeunesse africaine finirait
06:48 à avoir accès à toutes les informations
06:50 et parfois pas toujours des informations fiables
06:52 mais des informations sur la base desquelles
06:54 elle finirait donc à agir.
06:56 - Du coup, il n'est pas surprenant, selon Faridana Burema,
06:59 de voir cette jeunesse-là, qu'elle soit civile ou militaire,
07:02 s'engager de plus en plus
07:04 dans le renversement des régimes défaillants.
07:06 - Quand l'État n'arrive pas à protéger les citoyens,
07:09 à garantir les droits,
07:10 quand l'État ne permet pas aux populations
07:13 de choisir eux-mêmes leurs dirigeants
07:15 dans les conditions normales,
07:17 on ne peut qu'avoir une jeunesse qui réagit
07:19 et une jeunesse qui est prête à se battre
07:21 pour obtenir ce qu'elle veut.
07:22 - Et pour obtenir ce qu'elle veut,
07:24 elle n'hésite plus à faire appel à l'armée,
07:26 souvent frustrée ou se sentant délaissée
07:28 par le pouvoir central.
07:29 - Dans certains cas, l'armée a été plus ou moins appelée
07:33 par les populations, par la jeunesse,
07:35 à prendre le dessus.
07:36 Et cela laisse à réfléchir
07:39 et devrait conduire les chefs d'État
07:40 de l'autre sous-région à comprendre
07:43 qu'il leur faut absolument
07:45 tenir compte de la volonté du peuple.
07:47 - Une fois au pouvoir, les poutistes ouest-africains
07:49 se réclament soit sankaristes et/ou rollinguistes,
07:52 deux militaires du Burkina et du Ghana
07:54 arrivés au pouvoir par coup d'État
07:56 et auxquels on reconnaît le mérite d'avoir redressé le pays.
08:00 Mais ont-ils l'étoffe de Thomas Sankara
08:02 ou de Jerry Rawlings ?
08:03 - Quand ils arrivent au pouvoir,
08:05 il faut qu'ils fassent un choix.
08:06 Il faut qu'ils choisissent de s'allier
08:08 à l'allié classique, à la France,
08:10 et être en défasage avec les positions de leur population.
08:13 Ou alors, ils choisissent de s'éloigner de la France
08:16 à leur risque et péril aussi.
08:18 - Dans ces démocraties jeunes mais essoufflées,
08:20 Jusqu'au-Djo propose de sauver l'État de lui-même.
08:22 - Ce qui se fait actuellement,
08:24 c'est un modèle de transition politique,
08:26 de retour à l'ordre constitutionnel
08:28 avec tout seul objectif les élections.
08:31 Il faut changer ce paradigme.
08:32 - Pour lui, il faut voir en ces coups d'État
08:35 des opportunités de refondation de l'État.
08:37 - Après tant de souffrances,
08:39 vous ne pouvez pas, à chaque fois qu'il y a un coup d'État,
08:42 donner comme objectif l'organisation de l'élection.
08:44 Ça manque de sérieux.
08:45 Aussi bien pour la communauté internationale
08:47 qui met cette pression,
08:48 comme pour les acteurs eux-mêmes.
08:50 - Il faudra ensuite, selon lui,
08:51 adopter de nouveaux modèles politiques.
08:53 Il propose par exemple ce qu'il appelle
08:55 la "concentracie",
08:57 un modèle de gouvernance fondé sous le consensus
08:59 et adapté aux réalités africaines.
09:01 - Et quand je dis réalité, c'est à la fois réalité sociologique,
09:05 réalité socio-économique,
09:06 réalité géopolitique et tout le reste.
09:09 - Au final, les récents coups d'État sont,
09:11 d'après Faridana Bourrema,
09:13 un message.
09:14 Le message clair de la jeunesse à ses dirigeants.
09:17 - C'est le moment, en fait, pour chaque dirigeant africain
09:20 de réaliser que l'heure est grave.
09:22 Ils font face à eux une jeunesse qui n'est pas passive,
09:25 à une jeunesse qui n'abandonne pas
09:27 et à une jeunesse qui ne s'assera pas
09:29 et les regardera faire sa bronchée.
09:31 - Qu'en pensez-vous ?
09:33 Ces coups d'État sont-ils une bonne ou une mauvaise chose ?
09:36 En Afrique, les coups d'État se multiplient souvent
09:38 dans des pays où les présidentielles passent,
09:41 mais les présidents demeurent.
09:42 Pour en savoir plus, regardez cette autre vidéo.

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