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00:00 [Musique]
00:10 Tipasa n'a pas oublié Albert Camus.
00:12 Ici, quand vient le soir, la terre semble toujours habitée par les dieux.
00:16 Un homme, jeune, des papiers et un crayon à la main,
00:20 semble parfois s'y promener comme naguère.
00:23 C'est ici que fut pensée l'étranger,
00:27 et, vu d'ici, l'absurdité du destin dessine un étrange parallèle entre l'auteur et son personnage.
00:33 Camus, 46 ans, tué dans un accident d'auto alors qu'il regagnait Paris dans la voiture d'un ami.
00:39 Meursault, petit employé à Belcourt,
00:42 condamné à mort parce que, par une étincelante journée d'été,
00:46 il tue un homme sans l'avoir voulu,
00:48 et que, circonstance aggravante, il ne pleure pas à l'enterrement de sa mère.
00:52 Bien sûr, Camus aurait pu prendre le train.
00:56 Bien sûr, Meursault aurait pu ne pas être mêlé à ce fait divers.
01:00 Alors, pourquoi la mort ?
01:03 À cause du hasard, de l'absurde quotidien dans lequel nous vivons,
01:07 et dont chacun de nous doit bien s'accommoder.
01:10 Tel est le véritable sujet de l'étranger, sujet à la fois si simple et si universel,
01:16 que des millions de jeunes, américains, japonais, soviétiques et argentins,
01:21 se sont reconnus dans l'histoire de Meursault, le petit employé pied-noir qui aimait simplement vivre.
01:27 Aujourd'hui, Lucchino Visconti tourne dans une Algérie qui, elle aussi, a suivi son destin,
01:39 l'adaptation cinématographique du roman.
01:42 L'aventure de l'étranger continue.
01:50 L'étranger, je crois, a été écrit chez vous.
01:53 L'étranger a été écrit entre 1936 et 1939.
02:00 La première version, la version définitive, a été terminée en 1941,
02:06 puisque Camus m'a demandé à l'époque si je voulais le publier, et surtout si je pouvais le publier.
02:12 C'était un imposte là, votre éditeur, en ce moment-là ?
02:15 Ce n'était pas un imposte, on ne s'en était absolument pas compte de ça.
02:18 On est rendu tellement peu compte qu'il ne reste pas une seule photographie,
02:21 il n'y a pas un seul document image de l'époque, n'est-ce pas ?
02:24 Il y a tout de même une évolution considérable entre la période de 1936 et celle de 1967.
02:31 Ça fait une trentaine d'années d'écart, pratiquement tout a changé.
02:35 Même l'atmosphère de Belcourt, où on a tourné récemment des scènes, est changée.
02:43 Le pittoresque de cette rue a changé.
02:47 Il y avait des tramways à baladeuses qui étaient assez extraordinaires,
02:51 il y avait des grappes humaines accrochées, ça n'existe plus, ça a été remplacé par des autobus.
02:56 Il y avait encore à l'époque une circulation de voitures à chevaux qu'on ne trouve plus.
03:02 Il y avait une vie de petit bistrot que je n'ai plus retrouvée, ni à Belcourt, ni ailleurs d'ailleurs.
03:11 [Musique]
03:25 Emmanuel Robles, on peut dire que votre groupe de copains, ce groupe d'écrivains pieds noirs,
03:30 à ce moment-là a mûri en quelque sorte au soleil de l'Algérie.
03:34 Les baignades, le soleil, l'été, tout ça tient une très grande importance.
03:39 Oui, c'était une très grande place.
03:41 Mais enfin, nous ne formions pas un groupe d'écrivains, un groupe à l'époque...
03:46 Vous n'étiez pas encore des écrivains catalogués et dictés ?
03:49 Non, chacun écrivait de son côté.
03:52 Enfin, c'était un groupe très fraternel, mais il n'y avait pas le moindre matuvisme, pour m'en préciser.
03:59 Mais nous allions parfois, le dimanche alors, lorsque mon service militaire me laissait libre,
04:06 nous allions avec les petits groupes de copains à Sidi Féruf, ou plus loin même, jusqu'à Tipazar.
04:13 Et vous vous y rendiez comment à ce moment-là ? Vous n'aviez pas de voiture ? Personne n'avait assez d'argent pour s'acheter une voiture ?
04:17 Non, soit en autobus, pour les plages les plus proches, soit en autocar.
04:22 Il y avait des services réguliers, surtout le dimanche.
04:25 Et alors ces sorties, ces balades ressemblaient terriblement aux balades de Meursault, le personnage central de "Les Mangers" ?
04:30 Oui, le petit groupe que Visconti a photographié partant pour la plage un beau dimanche matin,
04:38 c'était vraiment le genre de petit groupe à ce détail près que Camus suivait ou entraînait, l'été par exemple.
04:49 Il y a beaucoup de Camus dans Meursault, vous le savez.
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05:52 Marcelo Mastroianni, vous jouez Meursault, c'est-à-dire vous jouez l'étranger. Comment voyez-vous votre personnage ?
05:59 Oui, très simplement, c'est un homme normal, suffisamment intelligent, suffisamment sensible, pas du tout intellectuel comme beaucoup de mon croient,
06:09 et qui aime la vie. Il se promène, il travaille, il mange, il se couche avec les femmes, il boit, c'est tout, un homme normal.
06:18 Avec une qualité qui d'ailleurs c'est rare dans les hommes normaux, ça veut dire qu'il est honnête, il n'est pas hypocrite.
06:26 Et c'est la raison qui lui ruine, parce qu'il n'accepte pas de... je ne sais pas, avec peut-être une certaine philosophie méditerranée,
06:36 il n'aime pas se battre pour se faire comprendre, parce qu'il fait des choses tellement normales qu'il ne voit pas, parce qu'il faut se forcer de se faire comprendre.
06:44 Mais à cet homme ordinaire qui mène une vie normale, il lui arrive malgré tout une histoire qui elle est extraordinaire.
06:49 Il tue un homme, il tue un arabe, et il va être condamné à meurtre.
06:52 Parce que toujours les hommes honnêtes sont des victimes, je crois. Enfin, on est... je veux dire, on appartient tout à ce pays-là.
06:59 Même moi que je suis italien, du sud, peut-être qu'il y a quelque chose qui m'appartient, mais ça devient tout de suite de la prétention, si on ose le dire.
07:07 Ce que je peux dire, que ça ne m'appartient pas seulement à moi, ça appartient peut-être à tous les gens comme moi qui ont vécu une certaine période
07:14 où les choses ont été tellement différentes d'aujourd'hui. On a eu un moment que nous avons eu besoin d'être, enfin, honnêtes, clairs,
07:24 de n'accepter plus certaines idées que la société nous proposait. Alors, il appartient un petit peu à tous, les types qu'on a comme moi, 40 ans, 49 ans.
07:35 Au contraire, vous voyez, les gens d'aujourd'hui sont très différents. Ils sont vraiment des révoltés. Ils sont gagnés.
07:43 Pour ça, j'ai dit peut-être qu'il nous appartient à tous, Meursault, avec beaucoup de, disons, de modestie, parce qu'on n'était pas capables d'être honnêtes comme lui.
07:54 C'est au tribunal d'Alger, dans la salle de cour d'assises, que Visconti s'est installé pour tourner les scènes de la condamnation de Meursault.
08:12 Essayons de la mettre comme ça, on va voir. Ou bien, mets-la vers là-bas. Mettez-la du haut.
08:18 Nous avons très peu de pièces à conviction. Une seule, un révolver.
08:24 Lucino Visconti, qu'est-ce qui vous a intéressé, qu'est-ce qui vous a attiré dans le roman L'Étranger ?
08:31 Je dois vous dire que d'abord, c'est qu'on m'a offert de faire L'Étranger. Ce n'est pas moi qui ai choisi.
08:37 Mais comme je connaissais bien le roman depuis toujours, depuis sa sortie, j'ai été enthousiasmé de le faire.
08:42 Car je crois que c'est un sujet, une histoire terriblement actuelle, et qui peut être très bien comprise et appréciée par, par exemple, par la nouvelle génération.
08:52 Car il faut se rappeler que le roman est sorti en 1941, donc avec une anticipation extraordinaire sur, disons, une mentalité des nouvelles générations.
09:06 Cette espèce de anticonformisme, cette espèce de rébellion à l'hypocrisie et tout ça, tout ça.
09:11 Et c'est une chose qu'on voit chaque jour maintenant dans la jeunesse.
09:14 Et qui nous stupéfait un tout petit peu, mais pas moi par exemple, parce que j'étais sûr que les enseignements de ce personnage seraient devenus une espèce d'évangile pour la jeunesse.
09:27 Ça va ? Bravo !
09:30 - C'est toi que ça vous opprime, hein ? - C'est ça que vous m'opprimez.
09:36 Allez ! Parlez, discutez, allez !
09:39 ( Bruits de la foule )
09:54 ( Bruits de la foule )
10:00 ( Bruits de la foule )
10:21 Reprenez les conversations.
10:28 ( Bruits de la foule )
10:53 Messieurs, la foule !
10:56 Monsieur Laladie-Flici, quel est pour un étudiant algérien la signification de l'étranger ?
11:15 Il faut connaître l'œuvre de Camus, et surtout son engagement politique.
11:20 Sinon, on pourrait très mal interpréter l'étranger.
11:23 Oui, parce que certains, justement, n'y voient que l'histoire d'un pied-noir qui, en 1938, assassine un arabe.
11:28 C'est un Européen qui abat froidement un arabe.
11:31 Six coups de révolver, six coups de feu, et puis c'est la porte du malheur qui est ouverte.
11:37 Là, ça n'a absolument rien à voir avec le côté raciste de l'art.
11:41 Donc, ceux qui pensent que Meursault est simplement un pied-noir, une sorte de crise pied-noir pour les pieds-noirs, qui se fait pour les fautes des pieds-noirs, c'est une vision, à votre avis, un peu superficielle ?
11:52 Oui, bien sûr. Meursault n'est pas... c'est l'algérien, il était là.
11:57 C'est le français d'Algérie, comme le disait Camus, tout comme les personnages qui sont...
12:02 Ce ne sont pas les personnages qui sont vraiment importants, c'est le message que poursuit.
12:06 Par exemple, il parle de l'arabe, le para, l'arabe c'est le personnage flou qui aurait pu être...
12:11 Je vous disais tout à l'heure qu'il aurait pu être un japonais, il aurait pu être n'importe quoi.
12:15 C'est le décor d'une scène. Ce qui est important, ce ne sont pas les personnages.
12:19 C'est l'acte lui-même, c'est la description du phénomène d'absurde.
12:24 C'est un homme qui voule dans un milieu absurde et qui veut se libérer de cet absurde.
12:34 Oui, mais c'est moi qui ai offert le café au lait.
12:37 Les siens les juraient apprécieront.
12:40 Oui, mais tu les jurais apprécieront.
12:43 Et ils compteront qu'un étranger nous a proposé du café.
12:46 Mais qu'un fils devait le refuser devant le corps de celle qui lui a donné le jus.
12:51 (Applaudissements)
12:55 (Applaudissements)
13:00 (Musique)
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