Yazid Kherfi, ex-braqueur devenu médiateur, directeur de l’association Médiation Nomade, qui favorise le dialogue, la nuit, dans les quartiers populaires, était lundi 3 juillet le Grand témoin de franceinfo. Il répondait aux questions de Benjamin Fontaine.
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00:00 - Bonjour Yazid Kharfi, vous êtes à la tête de l'association Médiation Nomade qui va à la rencontre des jeunes des quartiers populaires la nuit pour faire de la médiation.
00:07 Vous êtes vous-même ancien braqueur, vous vous servez de ce passé pour sensibiliser les jeunes.
00:12 Vous sillonnez les banlieues toute l'année, depuis une semaine dans quel état d'esprit sont ces jeunes que vous rencontrez ?
00:17 - Les jeunes vont mal, on peut regarder les violences mais derrière il y a un appel au secours, c'est une façon de dire j'existe.
00:23 La violence est aussi un moyen de retrouver de la puissance, du pouvoir et en tout cas c'est des jeunes qui ne vont pas bien.
00:31 On part du principe que c'est quand même une extrême minorité de jeunes, la très grande majorité des jeunes dans les quartiers se comportent très bien.
00:37 Donc il faut aussi écouter cette jeunesse.
00:40 - Vous l'écoutez justement lorsque vous organisez vos veillées.
00:43 On lit et on entend des témoignages qui affirment que ces émeutes n'ont rien à voir avec celles de 2005 parce que les jeunes sont plus violents.
00:49 Est-ce que c'est votre sentiment aussi ?
00:52 - Oui, il y a plus de violence, c'est-à-dire qu'elle est peut-être plus jeune.
00:55 En tout cas, ils sont dans un mal-être beaucoup plus important qu'avant et les réseaux sociaux ont beaucoup amplifié le phénomène.
01:01 - Vous voulez dire qu'il y a une sorte de compétition aujourd'hui ?
01:04 - Oui, qu'il y avait une compétition, c'est-à-dire que plus tu es violent, plus on parle de ta ville et plus tu existes.
01:09 Mais derrière, il faut plutôt regarder l'appel au secours.
01:12 - Vous parlez du ressentiment, elle est animée par quoi cette violence ? Par le dégoût de la police essentiellement ?
01:18 - C'est surtout l'humiliation.
01:19 Beaucoup de jeunes, hier par exemple j'étais avec des jeunes, beaucoup de jeunes parlent de l'humiliation qu'ils ont vécue avec la police.
01:26 Je suis de Montageoli, il y a des jeunes qui ont été mis par terre, à genoux et ça ils n'ont jamais oublié.
01:31 Rappelez-vous de ces événements.
01:33 Là où sont passés le plus de ces événements, c'est dans des endroits où il y a eu des rapports polices aux jeunes très compliqués.
01:40 - Ils ne se comprennent plus finalement ?
01:41 - Non, parce qu'il n'y a pas de parole.
01:43 Je dis toujours que le problème des jeunes, c'est d'abord un problème d'adultes, c'est aux adultes d'aller écouter cette jeunesse.
01:48 - Il n'y a pas de dialogue, pas d'écoute non plus ?
01:50 - Il y a peu de dialogue, peu d'écoute.
01:51 - C'est peut-être ça qu'il faut aussi rétablir aujourd'hui ?
01:54 - Tout à fait oui. Je parle du principe que la parole est plus forte que la violence.
01:57 Plus on va écouter cette jeunesse, plus ils vont prendre la parole et moins il y aura de la violence.
02:00 - C'est aussi votre rôle avec ces médiations que vous organisez, avec ces veillées.
02:05 Qu'est-ce que vous entendez en ce moment dans ces rendez-vous que vous organisez ?
02:10 - Les jeunes parlent d'amour en vrai.
02:11 Ils me disent de toute façon les gens ne nous aiment pas.
02:13 C'est ça au départ, ils ont vraiment l'impression de ne pas être aimés, parfois détestés.
02:17 En tout cas stigmatisés.
02:19 Est-ce qu'ils ont besoin, c'est un moment ou l'autre de parler.
02:21 Il faut vraiment être dans la réconciliation avec eux.
02:24 - La semaine dernière, Emmanuel Macron a mis en cause le rôle des jeux vidéo.
02:27 Il estime que certains émeutiers ont été intoxiqués par les jeux.
02:30 Est-ce qu'il a raison ? Est-ce qu'ils sont vraiment hors du réel ?
02:32 - Non mais ça existe les jeux vidéo. C'est une partie aussi du problème.
02:37 Les jeux vidéo, la violence qu'il y a partout,
02:39 mais aussi les discours de plus stigmatisant sur cette jeunesse.
02:43 - Mais est-ce qu'il y a une forme de fascination pour la violence ?
02:46 - Parfois. Parfois pour certains, ils sont fascinés par la violence.
02:49 Ils regardent beaucoup les écrans et c'est vrai que beaucoup dans les écrans il y a de la violence.
02:53 - Est-ce que justement, ils vous parlent de votre parcours à vous ?
02:55 - Ils en parlent, c'est pas ce que je mets en avant.
02:58 Je parle d'amour d'abord avec eux, mais je dis ne choisissez pas la violence.
03:01 La violence, elle va vous ramener en prison, en tout cas, elle fera pleurer vos parents avant tout.
03:05 - Et en cela, vous êtes un exemple pour eux ?
03:07 - J'essaye d'être un exemple.
03:09 En tout cas, je vais à la rencontre de ces jeunes, aux heures où ils sont le plus disponibles.
03:13 Mais quand on se promène en France dans les quartiers le soir,
03:15 à part les commissariats de police, il n'y a pas grand chose d'ouvert.
03:18 - Éric Dupond-Moretier et Emmanuel Macron ont aussi appelé les parents
03:21 à jouer leur rôle, à prendre leurs responsabilités.
03:23 Est-ce qu'ils sont encore écoutés, ces parents ?
03:25 - Oui, mais il y a aussi un certain nombre de parents qui sont en difficulté avec leurs enfants,
03:29 qui n'arrivent pas à les comprendre, qui ne savent pas ce qu'ils font et tout ça.
03:31 Ce sont souvent des familles monoparentales, pauvres, qui n'ont parfois peu les moyens.
03:35 Ils sont en difficulté et donc il faut aider ces parents par rapport à leurs enfants.
03:39 - Et vous les aidez, justement ?
03:40 - J'essaye, mais moi, c'est pas mon boulot, je ne peux pas tout faire en même temps.
03:43 Je les renvoie vers les institutions, les partenaires,
03:45 qui peuvent, à un moment donné, travailler auprès d'eux.
03:47 - Ces parents sont dépassés parce qu'ils sont pris dans leur quotidien, peut-être, tout simplement ?
03:51 - Parfois dépassés, parfois ils n'ont pas les moyens,
03:53 et parfois la rue est beaucoup plus attirante que de rester à la maison pour certains.
03:57 - Et quel est le rôle qui est joué par les plus âgés, justement, dans ces quartiers ?
04:01 Est-ce qu'ils ont une forme d'influence aujourd'hui sur les jeunes ?
04:04 - La majorité des grands se comportent bien par rapport aux petits,
04:07 et parfois il y a des jeunes qui existent à travers la violence,
04:10 et les jeunes sont fascinés en les regardant en même temps.
04:12 C'est pour ça que, si nous on n'occupe pas le terrain, les adultes bienveillants,
04:15 il y en a d'autres qui occupent le terrain et qui montent la tête à nos jeunes.
04:18 - Est-ce que vous estimez que ce sont eux qui les poussent, aujourd'hui, à aller saccager, vandaliser ?
04:22 - En partie, mais c'est les jeunes entre eux qui ne vont pas bien,
04:24 et qui, au bout d'un moment, quand il y a plusieurs jeunes en colère collectivement,
04:27 au bout d'un moment, ils s'alimentent un discours contre les autres,
04:29 et au bout d'un moment, certains peuvent passer à l'acte.
04:31 - Et quand vous entendez le discours de fermeté du gouvernement,
04:33 est-ce que vous vous dites qu'on choisit la bonne voie ?
04:37 - Non, il faut sanctionner, c'est normal, à chaque fois qu'il y a un délit, il y a une sanction,
04:40 mais la sanction ne suffit pas. Il faut d'abord comprendre.
04:43 Comprendre ce qui s'est passé, et de quelle manière éviter la violence.
04:46 Moi, je crois beaucoup à la non-violence, à un moment donné.
04:48 Il faut éduquer les jeunes à la non-violence.
04:50 - Donc, en passant par l'école ?
04:52 - Par l'école, mais aussi comment faire face à la frustration,
04:55 quand on n'est pas content, comment on peut réagir, autrement que par la violence.
04:59 - Et vous avez le sentiment, justement, que le gouvernement
05:01 prend ce problème suffisamment en compte, aujourd'hui,
05:03 qu'il y a une volonté, justement, de dialogue, d'aller à la rencontre des jeunes ?
05:08 - Non, pas pour l'instant, parce que la réponse, elle est très sécuritaire,
05:11 beaucoup plus de policiers, alors que moi, je dis qu'il faut plus d'animateurs,
05:15 plus de médiateurs, plus d'éducateurs dans les quartiers.
05:17 On met beaucoup d'argent dans la sécurité, au détriment de la prévention.
05:21 - Et à cela, le gouvernement répond qu'il y a aussi de l'argent distribué dans les banlieues
05:24 pour rénover les quartiers, pour détruire des immeubles, en reconstruire.
05:27 Ça, ça ne suffit pas, à créer un climat différent ?
05:29 - On met l'argent dans les murs, ce qu'il faut, c'est dans l'humain,
05:32 en même temps, dans le vivre ensemble.
05:34 Ce n'est pas parce que vous construisez des beaux immeubles qu'il n'y a plus de problème.
05:36 Il faut beaucoup mettre des moyens dans l'humain, avant tout.
05:39 - Mais ça ne rend pas la vie plus supportable ?
05:41 - Si, si, c'est beaucoup plus beau en même temps, mais ça ne suffit pas.
05:45 On peut faire des beaux immeubles, mais si le jeune n'est pas bien,
05:47 forcément, au bout d'un moment, il peut péter les plombs.
05:49 - Alors, qu'est-ce que vous avez envie de dire, ce matin, au gouvernement, justement,
05:52 s'il vous écoute ?
05:53 - Écoutez d'abord cette jeunesse qui ne va pas bien, c'est un appel au secours, c'est un message.
05:58 Peut-être que c'est une opportunité, à un moment donné,
06:00 que chacun accepte de se remettre en cause,
06:02 parce que je pars du principe que le problème des jeunes,
06:04 c'est d'abord un problème d'adultes.
06:05 - Demain, vous serez à Nanterre, Yazid Kharfi, une semaine après la mort de Nahel.
06:09 Quel message, cette fois, vous voulez lancer aux jeunes ?
06:12 - Un discours d'apaisement, que la violence ne résout rien.
06:14 C'est un échec, qu'il faut, à un moment donné, se réconcilier,
06:17 parler aux autres, mais parler aussi de ce qui ne va pas,
06:20 mais à un moment donné, à l'adulte, d'aller vers l'autre.
06:22 - Merci beaucoup, Yazid Kharfi, pour votre témoignage, ce matin, sur France Info.
06:25 Vous êtes, je le rappelle, directeur de l'association Médiation Nomade.
06:28 Vous allez à la rencontre des jeunes des quartiers populaires.
06:30 On peut aussi retrouver votre livre en librairie,
06:32 « Guerriers non-violents », c'est aux éditions La Découverte.