L’interview d’actualité - Ali Rabeh

  • l’année dernière
Chroniqueuse : Johanna Ghiglia


Après les violences qui ont eu lieu pendant les manifestations dans la ville de Trappes, suite au décès de Nahel, le maire de la ville, Ali Rabeh, témoigne sur le plateau de Télématin. Une situation compliquée pour plusieurs villes, qui aurait pu être évitée, car il y a peine un mois, lui et une trentaine d’autres maires ont signé une tribune et prévenu le Président de la République, Emmanuel Macron. Soulagé, il constate un retour au calme dans la ville deTrappes.

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Transcript
00:00 En attendant, c'est l'interview d'actualité.
00:01 Johanna, vous recevez ce matin Ali Rabeh,
00:03 c'est le maire de Trappes dans les Yvines,
00:04 et il fait partie des élus qui ont été invités
00:07 à la mi-journée à l'Élysée par Emmanuel Macron.
00:09 Bonjour et bienvenue à vous.
00:10 Bonjour Ali Rabeh.
00:11 Bonjour.
00:11 Alors, il y a eu des débordements dans votre commune
00:14 en ces derniers jours.
00:15 D'abord, est-ce que vous pouvez nous dire
00:16 comment s'est passée la nuit à Trappes ?
00:18 On a été très calmes, comme les deux dernières nuits.
00:20 Donc on voit qu'on est dans une forme de fin de conflit.
00:23 Est-ce que vous pensez que le plus dur est passé ?
00:26 Oui, je pense que nous sommes sortis
00:28 de la phase la plus éruptive, la plus visible de cette révolte.
00:32 Maintenant, c'est le plus dur qui reste à faire.
00:34 Et selon vous, ce sont les appels au calme
00:36 qui ont mené à cet accalmi ?
00:38 Je suis sceptique.
00:38 Moi, vous savez, j'ai passé ma voix,
00:41 l'atteste, quelques heures et quelques nuits
00:43 à essayer de dialoguer, d'échanger, de déminer.
00:45 J'ai pu mesurer combien notre parole était dérisoire
00:47 et nos appels vins.
00:49 Je crois surtout que c'est le principe des accès de colère.
00:52 Ils sont violents, ils sont brutaux,
00:54 ils sont parfois imprévisibles,
00:55 même si celui-là ne l'était pas.
00:56 Président Macron avait été prévenu.
00:58 Et heureusement, une forme de retour à la normale
01:01 qui intervient assez rapidement,
01:03 en espérant qu'il n'y ait pas de récidive
01:04 à l'approche du 14 juillet,
01:05 qui est un moment traditionnel d'explosion dans nos quartiers.
01:09 Mais pour autant, je suis très inquiet
01:10 parce que le feu couvre sous les cendres.
01:12 Donc vous dites justement que ces violences
01:14 auraient pu être évitées,
01:15 que vous aviez prévenu Emmanuel Macron
01:17 avec une trentaine de maires,
01:18 vous aviez signé une tribune
01:19 en disant que la situation était explosive.
01:21 C'était il y a à peine un mois.
01:22 Quel signe vous permettait d'affirmer ça ?
01:25 Vous savez, le Covid a eu un impact très considérable sur le pays,
01:27 en particulier sur les banlieues,
01:29 où déjà en temps normal, la misère, la ségrégation,
01:32 le fait qu'on vive dans des enclaves,
01:33 créent beaucoup de détresse.
01:35 Mais le Covid a démultiplié cela.
01:36 Quand vous êtes à 8 dans un 3 pièces,
01:39 au 8ème étage d'une tour,
01:40 et que vous êtes enfermé à domicile,
01:42 ça fait monter la pression, ça fait bouillir la marmite.
01:45 On le ressentait à bien des indicateurs,
01:46 une augmentation du niveau de pauvreté.
01:48 Beaucoup, vous savez, ont perdu les petits emplois,
01:50 les intérims dont ils disposaient
01:52 pour pouvoir payer leur loyer, nourrir leur famille.
01:55 Et on a vu monter cette détresse, cette difficulté sociale.
01:57 On a senti aussi monter, et c'est inévitable,
02:01 la colère des jeunes vis-à-vis de la police.
02:03 On a vu justement ce moment où le pays entier
02:05 a été cadenassé pendant le Covid.
02:07 On a eu une vraie tension.
02:08 Pour vous, le Covid, ça a été un peu comme un accélérateur ?
02:10 Ça a été un accélérateur, ça a été vraiment
02:11 agréger des éléments chimiques qui étaient déjà là.
02:14 Mais il y a eu un détonateur avec ce drame de Nanterre,
02:17 avec ce jeune homme qui a été assassiné à Montportant, Naël.
02:20 Et beaucoup se sont sentis concernés
02:23 parce que ça faisait écho à des situations vécues
02:26 il y a quelques semaines, il y a quelques mois,
02:27 des humiliations, des contrôles au faciès répétés.
02:29 Et cette relation dégradée entre la police et nos jeunes,
02:32 on la voit monter ces derniers mois,
02:33 ces dernières années dans nos quartiers.
02:34 On était très inquiets.
02:35 Quand vous avez vu cette vidéo qui a été diffusée
02:38 sur les réseaux sociaux où le jeune Naël a été tué,
02:40 vous avez dit tout de suite ?
02:41 Instantanément.
02:42 Ça a provoqué une profonde colère ?
02:44 Ceux qui ont un peu de recul sur nos difficultés dans les quartiers,
02:47 ceux qui y vivent, ceux qui sont élus,
02:48 ceux qui sont des bénévoles associatifs,
02:51 connaissent les ingrédients qui permettent l'explosion.
02:53 Les ingrédients, ils sont là, on l'a vu.
02:54 C'est ce que l'on dit, les maires sans cesse, les médiateurs.
02:57 Vous avez rappelé l'appel des maires il y a un mois,
02:59 il y a aussi eu des alertes en 2021 du maire de la Courneuve
03:02 et beaucoup d'autres qui ont interpellé le gouvernement,
03:04 la Première Ministre, le Président de la République,
03:06 qui nous ont méprisés, qui nous ont tenus à distance,
03:08 qui n'ont pas écouté notre parole
03:09 et qui n'ont pas honoré leur parole
03:11 au moment de fixer des clauses de rendez-vous
03:13 pour travailler ensemble.
03:14 Ils n'ont même pas répondu aux demandes de rendez-vous
03:16 de l'Association des maires de villes et banlieues.
03:19 Et quand l'explosion a lieu, c'est trop tard.
03:21 Moi, j'ai été atterré ce matin de lire que le président Macron
03:24 indique qu'on va chercher les vraies raisons.
03:27 Ça fait des années qu'on les connaît.
03:29 Le carburant, il est là.
03:30 Et la mèche, à un moment donné,
03:32 il y a quelqu'un qui allume la mèche
03:33 et ça fait exploser l'incendie.
03:35 On le savait.
03:35 Justement, ce matin, on a appris qu'Emmanuel Macron
03:39 a dit devant des policiers de la BAC
03:41 qu'il envisageait à la première infraction
03:43 d'arriver à plus facilement sanctionner financièrement
03:46 les familles des jeunes impliqués dans les violences.
03:48 Pour vous, ça, c'est une solution ?
03:51 Pas compliqué, je vais vous parler de la vie concrète.
03:53 Je suis maire de banlieue, donc ces situations,
03:54 je les connais chez moi.
03:56 Vous avez des personnes, des mamans, souvent célibataires,
03:59 qui travaillent à Carrefour en horaire décalé.
04:00 Donc des familles monoparentales.
04:02 Souvent, très souvent.
04:03 Famille monoparentale, une maman qui travaille
04:05 en horaire décalé chez Carrefour et qui n'est pas là
04:07 au moment où son enfant sort du collège
04:09 et il traîne dans la rue.
04:10 Elle est toute seule à bosser pour essayer de remplir le frigo.
04:13 Cette maman, puis il y a beaucoup d'autres mamans
04:16 qui ont des problèmes, parfois psychiatriques,
04:17 parfois psychologiques, etc., qui ont besoin d'accompagnement.
04:20 C'est difficile d'éduquer des enfants
04:21 dans un contexte très dégradé.
04:23 La justice, parfois, condamne les auteurs très jeunes,
04:26 13 ans, 14 ans, quand ils sont encore mineurs.
04:28 Elle les condamne à des mesures éducatives,
04:30 c'est-à-dire qu'elle décide qu'un éducateur spécialisé
04:33 va venir accompagner la maman.
04:35 Est-ce que vous savez que de très nombreuses mesures éducatives
04:37 ne sont pas appliquées, faute de moyens,
04:39 par le ministère de la Justice ?
04:41 Quand on connaît cette réalité,
04:42 on regarde le discours d'Emmanuel Macron aujourd'hui
04:44 comme un discours cynique,
04:45 qui consiste à mettre de l'huile sur le feu,
04:47 à accuser ceux qui sont déjà victimes.
04:49 Alors on peut le faire, ça nous fait plaisir,
04:50 on peut se dire ça dans l'opinion publique,
04:52 avec les policiers, tout ce que vous voudrez,
04:54 mais mettre la tête sous l'eau de ceux qui sont déjà au fond du trou,
04:56 ça ne va pas nous aider à régler la situation.
04:58 Est-ce que l'État peut tout ?
04:59 L'État peut énormément, mais l'État fait très peu.
05:02 L'État fait insuffisamment.
05:03 C'est uniquement l'État qui est responsable dans ces situations ?
05:06 L'État est une part de responsabilité majeure,
05:07 parce que si on ne cherche pas à comprendre...
05:08 Et l'autre part de responsabilité ?
05:10 La responsabilité de la collectivité, c'est vous, c'est moi,
05:12 c'est M. le Président de la République,
05:14 c'est chaque personne qui peut apporter sa pierre à l'édifice.
05:16 Et la responsabilité, c'est aussi tous ceux qui sont égoïstes.
05:19 Parce que dans notre pays, s'il y a des enclaves de pauvreté,
05:22 où se concentrent tous les maux du monde,
05:24 c'est parce qu'il y a des enclaves de richesse,
05:26 et que nous ne voulons pas vivre ensemble.
05:27 Moi je vous le dis solennellement,
05:29 vous nous donnerez rendez-vous dans 5 ans, dans 6 ans,
05:30 à la prochaine émeute,
05:31 si nous ne prenons pas de mesures culturelles.
05:32 Pour vous c'est une histoire qui se répète ?
05:34 Depuis 40 ans.
05:34 C'est ce que vous allez dire tout à l'heure à Emmanuel Macron,
05:36 que vous rencontrez à midi à l'Élysée ?
05:38 S'il veut bien nous entendre.
05:40 Vous savez, Emmanuel Macron, je crois qu'il découvre tout ça.
05:42 Je pense qu'il est tellement hors sol, tellement décalé.
05:43 Vous allez y aller ?
05:44 Bien sûr, j'irai, parce que je vais tenter de porter ce message.
05:47 Mais j'ai très peu d'espoir au moment où je m'apprête à m'y rendre.
05:50 Vous pensez que c'est une rencontre pour rien ?
05:53 Vous avez peu d'espoir ?
05:54 Je pense à toutes les demandes de rendez-vous données
05:56 par les maires de banlieues qui n'ont jamais été honorés,
05:58 à ce mépris qui a été affiché.
06:00 Ça me permet de regarder avec beaucoup de scepticisme
06:02 ce rendez-vous de midi.
06:03 Les banlieues pour vous, c'est un peu l'enfant pauvre de la République ?
06:08 L'enfant oublié de la République, c'est pire.
06:11 Merci beaucoup Ali Rabbeh d'avoir été avec nous ce matin dans Télématins.
06:14 Je rappelle que vous êtes le maire de Trappes dans les Yvelines.

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