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00:00 On en parle avec l'historien Jacques Rupnik.
00:02 Bonsoir Jacques.
00:03 Merci beaucoup d'être avec nous ce soir.
00:05 Bonsoir.
00:07 Vous êtes aussi tchèque, je ne me trompe pas ?
00:09 Pas tout à fait, mais en tout cas,
00:12 pragua d'origine.
00:13 Pragua d'origine.
00:14 Et vous le connaissiez très bien, Milan Kundera.
00:17 Quel est votre souvenir de Milan Kundera ?
00:20 D'abord, d'un homme qui n'aimait pas les réunions publiques,
00:27 mais qui était, je crois, dans son élément
00:31 quand il était en tout petit comité.
00:33 Voilà.
00:33 Et où son sens de l'humour, son ironie, sa culture,
00:38 voilà, voilà, étant petit, je crois que c'est ça.
00:41 C'était pas un homme public.
00:43 Il n'aimait pas les langues.
00:46 Et c'est d'ailleurs pour ça qu'il n'était pas engagé politiquement,
00:50 en tout cas depuis 68,
00:54 pas au sens premier du terme.
00:57 Parce que voilà, il ne voulait pas les manifestations publiques,
01:02 mais plutôt se concentrer sur son oeuvre.
01:04 Et il nous laisse une oeuvre immense, romanesque.
01:08 Oui, voilà. Est-ce que c'est avant tout un romancier ?
01:11 C'est un romancier et c'est un grand essayiste.
01:16 Il excelle dans les deux genres.
01:19 Bien sûr, le romancier d'abord.
01:21 Et vous avez mentionné l'insoutenable légèreté de lettres.
01:25 Voilà, c'est le succès planétaire de Milan Kundera,
01:29 écrivain tchèque qui est en France, qui est connu en Europe
01:33 et qui connaît le succès planétaire.
01:36 Aujourd'hui, vous pouvez aller dans une librairie
01:40 à Boston, à Tokyo, à Rio et vous chercher
01:44 au rayon littérature étrangère.
01:47 Vous trouverez Milan Kundera partout.
01:50 Donc c'est un écrivain tchèque
01:54 qui a, je crois, apporté beaucoup
01:58 par ses romans qui ont connu le succès à l'Ouest.
02:01 Moi, personnellement, à titre personnel,
02:03 j'ai un faible pour son roman
02:07 publié en France en 68 et qui s'appelle La plaisanterie
02:12 et qui est un roman formidable qui retrace tout l'après-guerre
02:16 de la Tchécoslovaquie
02:18 à travers quatre personnages principaux.
02:23 Et c'est là où c'est formidable parce qu'il n'y a pas le regard
02:27 du narrateur qui vous donne une vérité sur la situation.
02:31 Il y a les regards des différents personnages.
02:33 Et je ne vais pas rentrer dans le débat du roman,
02:37 mais c'est le roman qui, d'ailleurs, en France, a été identifié à 68
02:42 puisque le livre est paru immédiatement après l'invasion
02:45 de la Tchécoslovaquie.
02:47 Et donc, à ce titre-là, il y a eu une association,
02:49 bien que le livre ait été écrit avant et publié avant
02:52 en Tchécoslovaquie.
02:54 Il a joué un rôle formidable dans les années 60, dans son pays,
02:59 dans le renouveau culturel.
03:01 On oublie que le renouveau culturel tchécoslovaque des années 60,
03:05 c'était la littérature avec Kundera, avec Chpoletsky, avec Harabal.
03:10 Avant qu'il ne s'exile en France.
03:12 Voilà, avant qu'il ne s'exile en France.
03:14 Un mot, Jacques Rupnik, parce que vous êtes historien.
03:16 Et on peut dire que la littérature de Milan Kundera est inséparable
03:19 de son exil en France lorsqu'il a quitté la Tchécoslovaquie
03:22 après le printemps de Prague.
03:24 Il disait de ces pays d'Europe centrale qu'ils étaient des nations vaincues
03:28 et qu'il fallait se le rappeler que c'était des nations vaincues
03:31 pour comprendre leur histoire.
03:33 Vous êtes d'accord ?
03:33 Oui, je suis d'accord.
03:35 Il a publié, il y a exactement 40 ans, un essai très profond
03:40 qui s'appelle "La tragédie de l'Europe centrale où l'Occident est kidnappé".
03:44 Et en gros, quelle était la tragédie de l'Europe centrale à l'époque,
03:48 il y a 40 ans ?
03:49 C'est qu'il considérait que les pays d'Europe centrale
03:52 étaient culturellement à l'ouest, politiquement à l'est,
03:55 kidnappés par l'Union soviétique, et géographiquement au centre.
03:59 Et que donc, voilà la difficulté.
04:01 Et la deuxième idée importante, c'est que ce sont des nations
04:06 dont l'existence ne va pas de soi.
04:09 Ce sont des nations qui ne peuvent survivre
04:13 que par leur apport culturel
04:17 à l'Europe et à la culture universelle.
04:21 Et donc, le primat de la culture dans l'identité nationale,
04:25 il le transpose ensuite au plan européen.
04:28 Et pourquoi l'Europe n'a-t-elle pas considéré la coupure
04:32 est-ouest de l'après-guerre comme une tragédie,
04:36 comme les centres européens ?
04:38 Mais parce qu'elle ne se pense plus comme culture.
04:41 Elle se pense comme un marché, comme un état de droit,
04:45 comme toutes sortes de choses, progrès techniques, tout ce que vous voulez.
04:49 Mais elle ne s'en pense plus comme culture.
04:51 Et ça, c'est pour Kundera, dans son essai et dans d'autres textes qu'il a écrits.
04:56 C'est un thème qui revient, c'est-à-dire l'idée que,
05:01 voilà, au Moyen-Âge, l'Europe se définissait par la chrétienté.
05:05 Au 18e siècle, avec les philosophes,
05:07 c'est la culture qui prend le relais sur la religion.
05:11 Et aujourd'hui, l'Europe ne se pense plus comme culture.
05:14 Donc, il y a une crise de l'identité européenne.
05:18 Et je pense que c'est un thème à méditer dans le contexte actuel.
05:23 Dans le contexte qu'on connaît aujourd'hui.
05:24 Donc, il faut lire ou relire toute l'œuvre de Milan Kundera,
05:27 ses romans, mais aussi ses essais.
05:29 Merci beaucoup, Jacques Rupnik, d'avoir été avec nous ce soir.