A la recherche de l'Archaeopteryx

  • l’année dernière
Et si on trouvait un fossile d'Archaeopteryx ... en France ? Un rêve qui pourrait devenir réalité plus vite qu'on ne le croit. Car dans le Sud de la France s'affairent des scientifiques paléontologues pour relancer des fouilles sur un des plus gros site fossilifère français : les carrières de calcaires de Canjuers, dans le Var. Un site strictement interdit au public et plutôt insolite car c'est le plus gros camps d'entrainement militaire d'Europe. Et j'y ai eu accès pendant une semaine. Je vous raconte tout dans cette toute première vidéo pour moi sur le terrain, une véritable aventure extraordinaire !

Un immense merci à Karin Peyer et Vincent Reneleau, paléontologues au CR2P du Muséum national d'Histoire naturelle de Paris qui m'ont invitée à venir rejoindre cette campagne l'été dernier. Merci également au camps militaire de Canjuers de m'avoir acceptée sur le site, et merci à Samya Ramdane du muséum de m'avoir offert la possibilité de filmer les spécimens de Canjuers à Paris !
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• Recherches / Écriture / Présentation / tournage/ montage : Marie Treibert
• Relecture : Karine Peyer, Vincent Reneleau

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Sources :

https://docs.google.com/document/d/1dVGig4EhNf_NkfQ8Bok8OqXGqVARGTrgaItop45S22Q/edit

#science #paleontologie #fossile

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Transcript
00:00 Parmi les milliers de fossiles exposés dans le monde, il y en a un que l'on surnomme
00:06 la Mona Lisa des fossiles, Archaeopteryx lithographica, un spécimen d'Archaeopteryx découvert à
00:13 la fin du XIXe siècle en Allemagne.
00:16 Sa conservation incroyable offre des détails uniques, dont des traces de plumes, du jamais
00:22 vu à l'époque.
00:23 Des fossiles d'Archaeopteryx, il y en a plusieurs au monde, environ une douzaine, majoritairement
00:28 trouvés en Allemagne dans les carrières de Solnofeln.
00:31 Pourtant, en France, il existe un site fossilifère aux caractéristiques très similaires.
00:37 Poisson, tortue, ptérosaure, crocodilien, et certainement le plus beau fossile de France,
00:43 un dinosaure théropode au doux nom de Compsognathus, conservé aujourd'hui au Muséum National
00:49 d'Histoire Naturelle de Paris.
00:51 Ce site, c'est celui de Canjouers, situé dans le Var, un site prometteur qui pourrait
00:56 contenir dans le creux de sa roche, lui aussi, un Archaeopteryx et bien d'autres fossiles
01:01 d'exception.
01:02 Voici donc le récit de mon voyage au cœur d'un lagon vieux de 150 millions d'années.
01:07 Bonjour à tous, aujourd'hui une vidéo vraiment spéciale.
01:20 Je me situe dans un lieu magique et insolite.
01:23 Je suis dans la carrière des baissons que vous voyez derrière moi sur le site de Canjouers.
01:27 Ce lieu est vraiment mythique, il y a déjà des fossiles incroyables qui ont été découverts
01:32 et aujourd'hui, plein d'humains s'affairent pour essayer d'en découvrir d'autres.
01:36 Et vous allez découvrir que c'est extrêmement physique, on n'est pas dans le Jurassic Park
01:39 avec des petits pinceaux mignons, mais plutôt du gros cassage de blocs de calcaire sous
01:44 un soleil de plomb.
01:45 J'ai vraiment beaucoup de chance d'être là, on va suivre au jour le jour ce qui se
01:48 passe sur le site, les découvertes.
01:50 Et voilà, c'est parti !
01:53 Me voici donc sur le plateau calcaire de Canjouers, dans le Var.
01:57 Un site strictement interdit au public puisque c'est un camp d'entraînement militaire
02:01 de l'armée de terre française étendu sur 32 000 hectares.
02:04 Là voici la carrière principale qui est l'objet de la majeure partie des fouilles
02:09 de cette campagne.
02:10 Là, au creux des plaques de calcaire, se trouvent d'autres animaux endormis.
02:15 Sur place, les fouilles sont dirigées par Vincent Renelaud et Karine Peyeur, paléontologue
02:19 au CRDP, qui ont soigneusement constitué une équipe de fouilleurs et fouilleuses composée
02:24 majoritairement d'étudiants.
02:25 Je vous présente donc Karine Peyeur, paléontologue de formation et actuellement chercheur au
02:30 CRDP.
02:31 Canjouers est un site qu'elle connaît particulièrement bien puisqu'elle travaille dessus depuis
02:35 presque 20 ans.
02:36 Après des études en Suisse, aux Etats-Unis et en France, elle a écrit sa thèse de doctorat
02:40 sur le petit héropode Compsognathus.
02:42 A la tête de cette campagne, il y a aussi Vincent Renelaud.
02:47 Paléontologue autodidacte et bénévole au CRDP depuis 2017, Vincent porte un regard
02:51 tout particulier à la vulgarisation et partage notamment son amour de la paléontologie sur
02:56 Twitter.
02:57 Quand j'arrive sur la carrière, certaines personnes sur place sont là depuis quelques
03:01 jours et d'autres depuis trois semaines.
03:03 Chaque carrière a été baptisée, allant de CH1 à CH10.
03:07 La principale zone fouillée cette année est CH1, qui elle va se diviser en deux zones
03:12 de travail, L6 et L7.
03:15 Pour ma première journée, je m'imprègne donc de l'ambiance du terrain du côté de
03:19 L6.
03:20 Bruit, sol rocheux, glissant, travail physique, chaleur écrasante, on peut dire que les fossiles
03:26 se méritent.
03:27 Le but du travail est de débiter des couches de calcaire les unes après les autres, à
03:31 l'aide de burins et de marteaux, qui sont ensuite eux-mêmes finement délités.
03:35 Un travail qui mêle aussi bien des phases de gros efforts physiques que des instants
03:39 de dégagement d'une minutie extrême.
03:41 Là on est juste en train de débiter les blocs parce qu'en fait ça ça a deux couches,
03:46 donc on les débite et on regarde à l'intérieur s'il y a quelque chose.
03:49 Chaque morceau de roche est soigneusement inspecté pour traquer le moindre indice fossile.
03:54 Petit à petit, les couches descendent, sont numérotées et s'enfoncent vers le fond
03:58 de la carrière.
03:59 Et le moins qu'on puisse dire, c'est qu'en trois semaines, l'équipe sur place n'a
04:02 pas chômé.
04:03 Donc nous on l'a débité sur cette partie là, on l'a fait enlever à la pelleteuse
04:07 là-bas, et petit à petit on descend les couches.
04:10 Les spécimens sont soigneusement entourés à la craie, numérotés et emballés.
04:14 Des brachiopodes, des coquilles bivalves, oursins, restes de poissons, mais aussi des
04:19 bélémnites, des céphalopodes apparentés aux sèches actuelles dont le squelette interne
04:24 peut se fossiliser.
04:25 Ni une ni deux, je me prépare donc à me mettre au travail.
04:28 Le sol, caillouteux, poussiéreux, glissant me réserve le meilleur des accueils.
04:33 Allez, rien de mieux que de se mettre en immersion pour comprendre les enjeux du travail
04:44 sur le terrain.
04:45 Muni de lunettes de protection, de gants, d'un burin et d'un marteau, je commence
04:49 à débiter des blocs, sous l'œil bienveillant de Karine, Vincent et des étudiants qui me
04:54 guident dans les techniques.
04:55 Une fois les morceaux de roche délités, vérifiés, ils sont jetés au fond de la
04:59 carrière.
05:00 Je m'installe alors mes burins le long d'une couche pour ensuite la soulever et la fendre
05:04 en morceaux.
05:05 Après ça, je délite en deux des petits morceaux pour découvrir si des trésors fossiles
05:09 s'y cachent.
05:10 Mais bon, c'est un peu comme chercher une aiguille dans une botte de foin.
05:13 Dans ce mélange d'excitation, de découverte, je ne vois finalement pas tant les heures
05:17 passées.
05:18 Si le climat est bien souvent aride et ensoleillé, ce jour là, c'est la pluie qui nous sort
05:23 du travail et sonne la fin de cette première journée.
05:25 Le lendemain, le temps est plus clément sur la carrière des baissons.
05:34 Aujourd'hui, une des couches de L6 vient d'être intégralement débitée.
05:38 Alors, afin d'en entamer une nouvelle, il faut la cartographier pour annoter et identifier
05:44 toutes les trouvailles réalisées à sa surface.
05:46 Je découvre alors le métier de Lee Rosada, la taphonomie.
05:58 Lee se balade avec son carnet, discret, et à l'aide de fouilleurs, il mesure, annote
06:02 et identifie chaque trace et fossile trouvé sur la surface.
06:05 Une fois les fossiles identifiés, ils sont emballés et soigneusement rangés.
06:18 Je suis un peu fascinée par cette discipline et la diversité des métiers qu'on peut
06:22 trouver en paléontologie, et j'ai hâte d'en savoir plus sur les secrets de la taphonomie.
06:27 Sous l'œil attentif de petite Yule qui grimpe le long des blocs de calcaire en toute
06:31 discrétion, la cartographie de la couche avance.
06:34 Aujourd'hui je me trouve à Canjouers, sur le plus grand camp d'entraînement militaire
06:38 d'Europe, rien que ça.
06:41 Mais il faut savoir que ce site ça n'a pas toujours été comme ça.
06:44 Avant c'était sauvage au début du siècle, il y avait des familles de bergers qui vivaient
06:48 là et il y avait des carriers.
06:49 Et on va découvrir que l'histoire de Canjouers elle est pleine de rebondissements et c'est
06:56 très magique et insolite, on va découvrir ça.
06:58 Le site de Canjouers a une drôle d'histoire, car beaucoup des fossiles ont été trouvés
07:03 par quelques familles de carriers qui ont exploité le site pendant seulement 6 ou 7
07:07 ans durant les années 60.
07:09 Et les familles n'ont jamais révélé l'emplacement de ces trouvailles sur le site.
07:14 Pour comparer à Solnofen dont je vous parlais, Canjouers n'a rien à voir avec l'ampleur
07:19 de l'exploitation du site allemand.
07:21 Pour contextualiser, le calcaire de Solnofen est exploité depuis des siècles sur des
07:25 chantiers de grande facture.
07:27 A la fin du XVIIIe siècle, ces calcaires lithographiques sont utilisés pour la lithographie,
07:32 une technique qui permet de dessiner à l'aide d'un crayon spécial directement sur les
07:36 plaques de calcaire au grain très fin et pur, qui après traitement à l'acide, pourra
07:41 être utilisée en imprimerie.
07:42 Cette invention offrira à Solnofen une réputation mondiale pour son calcaire de qualité.
07:47 Le fait que ce soit un gros chantier exploité a favorisé la trouvaille de nombreux fossiles.
07:53 En 6 ou 7 ans, quand on voit les fossiles extraits de Canjouers sur une toute petite
07:58 portion du site, et que l'on sait désormais que des conditions similaires à Solnofen
08:03 ont favorisé une qualité de fossilisation comparable, on ne peut que se dire que d'autres
08:08 spécimens exceptionnels n'attendent qu'à être trouvés.
08:11 Si quelques trouvailles des carriers ont été revendues en toute discrétion à des
08:15 collectionneurs avant que le site ne soit racheté par l'armée, à la fin des années
08:18 80, le Muséum National d'Histoire Naturelle décide à l'époque de racheter l'ensemble
08:23 des fossiles dont dispose un certain M. Louis Girardi, un ancien carrier, dans un souci
08:28 de protection de la richesse de ces spécimens à la conservation remarquable, constituant
08:33 un apport énorme pour la science.
08:35 Au fil des années, les scientifiques réalisent des travaux sur la géologie et la sédimentologie
08:40 du site.
08:41 Ils découvrent alors des spécimens de vertébrés exceptionnels, comme un ptérosaure, des poissons
08:47 et d'autres espèces d'invertébrés.
08:48 Aujourd'hui c'est extrêmement dur, il fait très très chaud, l'air est sec,
08:59 mais les fouilles continuent.
09:01 Troisième journée de fouilles.
09:03 Cette fois-ci, je vais du côté de L7.
09:05 Ici aussi, les blocs sont débités et je participe à l'effort collectif dans la
09:10 bonne humeur.
09:11 Ce qui est assez frappant du côté de L7, c'est qu'on voit vraiment en flanc de roche
09:15 les strates de calcaire qui nous font prendre de l'ampleur sur les couches présentes
09:19 dans la carrière.
09:20 Chaque strate représente un peu un genre de temporalité.
09:23 Can Juers dispose de ce qu'on appelle un lager stadeux, un gisement à conservation
09:29 exceptionnel datant du Jurassique supérieur.
09:31 Pour vous expliquer, ce lager stadeux est un ancien lagon datant d'il y a 150 millions
09:36 d'années.
09:37 Un paléo-environnement dont les caractéristiques favorisent une fossilisation exceptionnelle.
09:42 Le lager stadeux de Can Juers date du Titonien inférieur, épisode qui se situe il y a entre
09:48 152 et 145 millions d'années pendant le Jurassique supérieur.
09:53 Du côté de L6, l'équipe vient de faire une belle découverte, un squelette de poisson.
09:58 Bon, comme ça on ne dirait pas, car si dans les musées nous sommes habitués à des fossiles
10:03 bien propres et bien ordonnés, souvent les fossiles présentent des spécimens éclatés
10:07 et des ossements éparpillés.
10:08 Pour le grand public, c'est moins lisible et surtout moins esthétique, mais pour les
10:12 scientifiques, ça peut permettre d'obtenir des informations précieuses sur l'anatomie
10:16 du spécimen, de voir des ossements sous d'autres angles, et parfois cela laisse même entrevoir
10:21 les contenus qu'il y a à l'intérieur des estomacs des animaux.
10:24 Les petits oursins, eux aussi, qui paraissent abondants et insignifiants, peuvent livrer
10:29 de drôles de surprises.
10:30 "Là, l'intérêt de cet oursin, c'est que c'est par rapport aux autres qu'on a
10:33 l'habitude de trouver et différent dans son ornementation, donc c'est un autre genre
10:37 que ce qu'il y a le plus souvent ici."
10:39 Sur le site, ma vision de la paléontologie s'étoffe déjà et se diversifie au fur
10:45 et à mesure des journées.
10:46 Avec Vincent, on se pose un peu à l'ombre pour papoter.
10:49 "Alors moi je m'appelle Vincent Renelaud, je travaille au muséum au CR2P en tant que
10:55 bénévole sur la partie paléontologie, ce qui m'amène à travailler en particulier
10:59 sur les dinosaures."
11:00 "C'est toi qui as organisé cette campagne de fouilles ?"
11:02 "Tout à fait, avec Karine, en 2018, le site n'était pas à l'abandon, mais
11:09 personne ne s'en occupait vraiment.
11:10 Et maintenant, on va tout faire pour que ce soit un projet pérenne qui se fasse tous
11:14 les ans, parce qu'on a trouvé des fossiles et il n'y a pas de raison que ça s'arrête.
11:17 Tout simplement, pourquoi on fait ces efforts-là ? Parce que ce site vaut le coup.
11:20 Les Carriers ont sorti certes beaucoup de fossiles, ils ont retourné énormément de
11:25 pierres, mais on sait qu'il en reste beaucoup encore à découvrir et peut-être d'encore
11:29 plus importants."
11:30 "Ce serait quoi ta découverte rêvée sur le site ?"
11:33 "Ici, on est venu chercher si on veut rêver vraiment, et c'est comme ça aussi qu'on
11:39 a monté le projet, parce que c'est l'objectif scientifique, c'est trouver du tétrapode,
11:44 donc des animaux à quatre pattes, et si possible du téropode à plumes, des oiseaux, donc
11:49 type archéoptéryx, ça ce serait le rêve.
11:51 On a une faune qui est très commune avec Solnofen, notre site dont on parlait, et les
11:54 14 ou 15 archéoptéryx qui ont été découverts à ce jour ont tous été trouvés en Allemagne.
11:58 Il n'y a pas de raison a priori qu'on ne trouve pas des animaux similaires sur ce
12:03 site.
12:04 On est à la même époque, ou quasi, à un ou deux millions d'années près, dans
12:06 des environnements et un type de fossilisation complètement similaire, donc on a vraiment
12:11 des sites jumeaux.
12:12 Donc voilà, ils en ont trouvé là-bas, pourquoi nous on n'en trouverait pas ici."
12:16 "Ok, bah je te l'annonce, on va le découvrir cet après-midi."
12:19 "Exactement, c'est ce qu'on dit tous les après-midi."
12:22 "Voilà, c'est ça."
12:25 "Là je me dirige vers CH3, c'est le troisième site de fouille sur lequel il y a eu des choses
12:32 assez incroyables puisqu'on a trouvé des empreintes sur le fond du lagon."
12:36 Nouvelle journée sur Can Juers.
12:38 Bon, toujours pas d'archéoptéryx à l'horizon, mais cette année une belle découverte a
12:42 été faite sur un autre site nommé CH3, à environ 1 km de CH1.
12:47 "Donc ce qu'on voit là, c'est les numérotations des couches de calcaire lithographique, tout
12:52 est numéroté pour qu'on puisse déterminer quelles sont les couches et où on trouve
12:57 les fossiles."
12:58 En débitant des blocs, d'étranges traces sont apparues à la surface de la roche.
13:03 Des traces de griffes, des empreintes de pattes se sont révélées petit à petit.
13:08 "Celles-ci elles sont pas mal du tout.
13:10 Là on voit 1, 2, 3, 4 griffes, pareil."
13:14 "C'est trop fou parce que les fossiles, d'habitude on est habitué à voir des animaux figés,
13:19 et là t'as un espèce de mouvement de vie qui apparaît, je connaissais pas du tout
13:24 ce genre d'empreinte."
13:25 C'est ce qu'on appelle des « icnofossiles », des traces d'activité.
13:30 Oui, vous ne rêvez pas, des traces d'activité d'animaux qui remontent à 150 millions d'années.
13:35 "Ah waouh, on les voit ici, là, et là t'as des plus gros."
13:46 Je ne sais pas pourquoi ces traces font monter en moi beaucoup d'émotions.
13:51 Elles sont parfois si nettes qu'on a l'impression qu'elles ont été faites récemment.
13:55 Il faut s'imaginer que nous sommes au fond d'un lagon, et que ces traces ont été
13:59 faites au fond de l'eau.
14:01 Si ces lagons n'étaient pas propices à la vie, certains opportunistes, comme des
14:04 rincocéphales, des reptiles ressemblant un peu à des iguanes actuels, étaient capables
14:09 de plonger au fond du lagon pour saisir de la nourriture stagnante.
14:12 Pour remonter à la surface ou prendre de la vitesse, les rincocéphales prenaient appui
14:16 sur le fond, laissant derrière eux des traces de pattes et de griffes.
14:20 C'est ce qu'on observe sur la roche.
14:21 Sur place, Lee prend des photos, cartographie le site en fonction de l'emplacement des
14:26 traces.
14:27 Car son métier ne consiste pas juste à faire des relevés et des mesures, mais bien à
14:30 chercher des pistes.
14:31 A l'aide de ces données, il va être en mesure de déterminer si ces traces font dans
14:35 un certain sens, et tenter de reconstituer l'histoire d'une activité datant d'il
14:39 y a des millions d'années.
14:40 Dans quelle direction nageaient les rincocéphales ? Si un fossile est retrouvé à tel endroit,
14:45 est-ce que c'est la trace d'un courant qui allait dans tel ou tel sens ?
14:49 A la manière d'une scène de crime, Lee numérote et note patiemment dans son carnet,
14:53 tentant de reconstituer cette scène de vie d'antan.
14:56 Un peu plus tard dans la journée, Karine m'accompagne sur CH3.
14:59 Et ce qu'aime Karine, c'est dessiner.
15:01 Est-ce qu'on a un stylo ? Quelque part ?
15:06 Alors, sur un bout de roche, elle m'explique le processus de fossilisation dans les lagons
15:11 du Jurassique.
15:12 Ok, je vais vous expliquer comment le lagon a fonctionné.
15:16 Vers la fin du Jurassique, la mer recouvrait le plateau de Canjouers, et d'importants
15:21 récifs coraux jonchaient son fond.
15:22 Mais au fil du temps, à l'extrême fin du Jurassique, avec la mer qui se retire,
15:27 la barrière récifale émerge petit à petit, et forme un immense archipel constitué de
15:32 petites îles basses et de lagons situés dans des eaux très calmes et détachées
15:36 de la haute mer agitée.
15:37 En bas, tu avais cette fameuse couche de sédiments qui construisait les calcaires lithographiques.
15:46 Donc c'est sur quoi on est là maintenant.
15:49 Oui, exactement.
15:50 Le sédiment est arrivé avec des tempêtes de la mer ouverte.
15:55 Et le sédiment avec les animaux qui venaient avec se déposaient dans le lagon.
16:00 D'accord, donc ça racle toute cette partie-là et ça dépose tout au fond.
16:04 Exactement.
16:05 Et c'est aussi pour ça que de temps en temps, tu trouves dans ces sédiments-là, pas seulement
16:09 des animaux de la mer ouverte, mais aussi des animaux qui ont vécu soit sur les récifs
16:20 émergés ou bien sur les petits ports à droite et à gauche du lagon.
16:26 Il faut imaginer que sur ce fond-là, il y avait encore de l'eau.
16:33 Canjuers était donc l'un de ces lagons séparés du large dans cet archipel, les
16:38 courants marins y pénétrant exclusivement au moment des grandes intempéries ou pendant
16:42 les saisons des tempêtes.
16:43 Pendant ces épisodes, des cadavres d'animaux, terrestres vivant sur les îles ou des animaux
16:48 marins mais aussi des végétaux, transportés par les vagues de la haute mer, venaient se
16:53 déposer au fond du lagon.
16:55 Un lagon aux eaux stagnantes, impropres, peu oxygénés, peu renouvelés et trop chaudes
17:01 pour y permettre la survie d'espèces, même si quelques petits invertébrés pouvaient
17:05 y prospérer comme des oursins ou des éponges.
17:07 En revanche, c'était un environnement parfait pour que le processus de fossilisation se
17:12 fasse au fil du temps.
17:13 Car au fond du lagon se trouve une boue calcaire dans laquelle s'enfoncent les cadavres d'animaux
17:17 et qui sont recouverts rapidement par de nouveaux sédiments.
17:20 Du coup, quand ce sédiment est arrivé, bien sûr, si tu n'as pas de chenon qui sont
17:26 connectés vers la mer ouverte, ça va doucement commencer à dessécher.
17:30 Alors ça veut dire que l'eau que tu as ici, ça va diminuer, diminuer, jusqu'à ce que
17:37 tu te trouves parfois avec une très fine couche de l'eau.
17:42 Presque plus d'eau.
17:43 Presque plus d'eau, exactement.
17:45 Et c'est aussi pendant ces temps là que les petites traces de nage peuvent se produire
17:53 aussi.
17:54 Après ce super moment avec Karine, je flâne sur les sites.
17:57 J'entends des moutons.
17:59 Il faut que je me barre parce qu'il y a des patous et je ne voudrais pas me faire dévorer.
18:05 Oh un papillon !
18:06 Je découvre une biodiversité unique en son genre.
18:09 On ne dirait pas comme ça, mais sur les 35 000 hectares de camps militaires, de nombreuses
18:14 zones sont protégées.
18:15 Il y a même encore des bergers qui sont autorisés à venir faire pâturer leurs troupeaux de
18:19 moutons qui sont surveillés par quelques patous.
18:21 Ici la nature est riche, papillons, coléoptères, rapaces, chauves-souris et même trois meutes
18:28 de loups.
18:29 Cangevers est un écrin du vivant du passé mais aussi du vivant du présent.
18:32 Et la nuit tombée, les créatures de l'obscurité sortent de leur cachette.
18:37 Pour révéler leur beauté, les balades nocturnes avec des lampes UV nous offrent un ballet
18:41 des plus poétiques.
18:42 Le lendemain matin, j'accompagne Lee et Karine dans un conteneur situé sur le côté
19:12 du camp de base.
19:13 A l'intérieur, c'est un vrai casse-tête qui nous attend.
19:16 Des plaques sur lesquelles se trouvent des traces de rincs au céphale qui ont été
19:20 amenées à la hâte dans un souci de conservation.
19:22 Le petit souci, c'est qu'elles sont mélangées.
19:25 Il faut donc reconstituer le puzzle de roche pour que Lee puisse faire ses relevés et
19:29 compléter ses pistes.
19:30 Pour ça, il faut minutieusement repérer les traces, prendre des mesures, des photos,
19:34 numéroter les morceaux.
19:35 Donc là tu peux voir le déplacement d'un animal concrètement ?
19:39 Petit à petit, le puzzle se complète bien.
19:50 C'est l'heure de prendre la pause déjeuner et on continuera l'après-midi.
19:57 Sauf si entre temps, je décide de trébucher assez violemment sur une marche en roche
20:02 et d'exploser mon tibia en manquant de tomber dans les pommes.
20:05 Je viens de m'exploser la gueule sur une marche en roche, une énorme caillasse quoi.
20:12 J'ai tapé le tibia très très fort, je peux plus marcher.
20:15 En vrai je suis hyper dégoûtée, j'ai hyper mal et là je suis fatiguée.
20:19 Donc je verrai.
20:22 Voilà, c'était le journal de bord nul du jour.
20:26 Merci d'avoir écouté ces plaintes.
20:29 Je m'allonge et je suis rejoint par une autre blessée, Gaëlle, qui vient de se coincer
20:33 le doigt sous une plaque de calcaire.
20:35 Le terrain est quelque chose de difficile et fatigant et même si toutes les précautions
20:39 de sécurité sont mises en place, on n'est jamais à l'abri de ce genre d'accident.
20:43 Mais au final, plus de peur que de mal, rien de cassé pour ma part.
20:47 Sixième jour de fouille.
20:54 Bon, ce n'est pas ma blessure qui va m'empêcher de continuer l'aventure.
20:58 Maintenant que je sais que je peux marcher, je peux aller gambader même si j'ai un
21:02 peu mal à la jambe.
21:03 Alors je prends le temps pour dessiner, noter.
21:06 Jusque là, j'étais dans une telle émulsion de découverte que j'avais peu aménagé
21:10 de temps pour ces moments chers à mes voyages.
21:12 C'est aussi le bon moment pour que Lee m'en dise un peu plus sur son métier qu'est
21:24 la taphonomie.
21:25 Oui, moi je suis Lee Rosada.
21:27 Je suis paléontologue et l'une de mes spécialités, c'est la taphonomie.
21:33 La taphonomie, c'est l'étude des fossiles entre la mort des animaux et la découverte
21:43 par les chercheurs.
21:44 En gros, à un fossile, il lui arrive plein de choses.
21:46 Un animal meurt, déjà il faut trouver la cause de la mort.
21:49 Et ensuite, il lui arrive tout un tas de choses.
21:51 Il peut être piétiné, il peut être charrié par un cours d'eau, il peut être enfoui
21:55 tout de suite ou pas tout de suite, il peut lui arriver plein de choses.
21:58 Le rôle du taphonomiste, c'est de reconstituer les étapes de fossilisation et de tout ce
22:06 qui est arrivé au fossile jusqu'à la découverte.
22:08 En tant que grand public, quand tu vas dans un musée, tu vois un fossile tout figé et
22:12 tu ne te dis pas que derrière, il y a peut-être une histoire de cet animal qui est mort, comment
22:16 il est mort, il a pu rouler sur le sol, etc.
22:18 C'est un petit peu ça que tu fais, tu essayes de remettre un peu du contexte là-dedans
22:22 et de raconter une histoire petit à petit.
22:24 Exactement.
22:25 Du coup, il y a un grand aspect travail de terrain où on va relever tout un tas d'informations
22:31 contextuelles autour de chaque fossile.
22:33 Mon rôle, il y en a plusieurs, c'est le relevé spatial des fossiles.
22:39 On prend un peu tous les jours un temps pour relever la position de chaque fossile et l'orientation.
22:47 Et là, comme on est dans une zone à empreinte, on fait tout un travail de relevé de position
22:55 d'orientation, d'identification aussi des empreintes sur les dalles pour ensuite pouvoir
23:02 les étudier en laboratoire.
23:03 On travaille aussi couche par couche, mais ici aussi, en début de terrain, ce qu'on
23:07 fait, comme ici, c'est des calcaires lithographiques.
23:09 Donc chaque couche est censée représenter un événement de dépôt spontané, une tempête.
23:15 Et en fait, on a besoin de savoir dans quelle couche on est à chaque fois.
23:20 Donc en début de terrain, il y a un travail qu'on appelle souvent la sédimentologie.
23:25 Donc le taphonomiste est aussi obligé d'avoir des notions de sédimentologie.
23:28 Donc on va numéroter chaque couche et ensuite, dans chaque couche, on va décrire chaque
23:34 élément qu'on voit.
23:35 Donc à la fois, quel type de sédiment et ensuite, on va les numéroter et savoir quel
23:40 type de fossile on retrouve aussi dedans.
23:42 Est-ce qu'il y en a beaucoup ou pas beaucoup ? Est-ce qu'il y a des accumulations de
23:44 coquillages ou pas ? Est-ce que dans une couche, on a des fossiles qui sont orientés dans
23:47 un même sens, qui indiquerait un courant ?
23:49 C'est quoi qui te rend heureux dans ton travail du coup aujourd'hui ?
23:51 Qu'est-ce qui me rend heureux dans mon travail aujourd'hui ?
23:54 Ça, c'est une grosse question.
23:57 Je pense que le côté casse-tête, j'aime bien.
24:01 Même si des fois, c'est des gros casse-tête.
24:04 Le côté travail de terrain, j'aime beaucoup parce qu'il y a un côté très immersif.
24:10 Les empreintes, j'aime beaucoup.
24:11 Les traces d'activité, donc c'est les ichthnofossiles.
24:13 J'aime vraiment beaucoup parce qu'au-delà de trouver des squelettes qui sont très
24:18 cheloues, très cheloues, très cheloues, très cheloues, très cheloues, etc. l'étude des traces fossiles, c'est vraiment des traces d'activité de vivants.
24:24 Du coup, c'est assez chouette de savoir qu'on peut étudier des empreintes qui datent de
24:28 250 millions d'années, qu'elles sont toujours là et qu'on peut en déduire des informations
24:33 sur le mouvement, le mode de vie, etc.
24:35 À la fin de la journée, le ciel se part de nuages gris et la pluie battante nous contraint
24:39 d'arrêter le travail.
24:40 Dernier jour sur Canjouers.
24:49 Je rejoins Vincent sur CH3, le site des empreintes pour des ultimes relevés.
24:53 Alors là, je suis en train de faire des prises de vue avec ma petite caméra stabilisée.
24:58 L'empreinte qu'on a dans cette plaque, c'est une empreinte de tétrapode possible
25:02 rancocéphale et l'objectif, c'est de reconstituer ces empreintes en 3D après sur ordinateur.
25:08 Avec un drone, il va pouvoir photographier l'ensemble des traces et cette partie de
25:12 la carrière pour faire un rendu en 3D grâce à la photogrammétrie à son retour au muséum.
25:17 C'est fou parce que plus les jours passent, plus ma vision du lagon s'agrémente d'images
25:24 et de vie et ça fait appel à mon imaginaire.
25:27 Plus le temps passe, plus je vois de la vie partout et ça c'est assez fabuleux.
25:32 Je suis arrivée, je voyais des cailloux, je vais repartir, je vois de la vie partout
25:36 et ça c'est hyper fort.
25:37 J'ai comme une envie boulimique de tout faire ou tout refaire.
25:41 Refouiller, reflaner, redessiner, prendre du recul.
25:45 J'ai envie de discuter avec les gens sur place pour comprendre et saisir leurs impressions
25:49 et émotions.
25:50 Je pars ensuite sur CH1, la carrière principale, voir un peu où en sont les trouvailles.
25:55 Idriss, étudiant, me montre un poisson qu'il vient de découvrir.
25:58 Là on a la tête, on continue, on a les vertèbres et on a jusqu'à la queue.
26:03 Et en plus de ce bloc là, on a encore une empreinte avec les os qui est encore coincée
26:15 dedans.
26:16 C'est ultra stylé.
26:17 Pour le moment je crois qu'on n'a pas trouvé tout le monde.
26:20 C'est plus complet.
26:21 Voilà c'est plus complet.
26:22 Ça te fait quoi quand tu trouves des trucs comme ça ?
26:25 On est content.
26:26 C'est tout ? Non, non, non, on est content.
26:29 On est venu pour ça moi.
26:30 C'est pour ça que je suis venu, pour trouver des trucs, continuer.
26:34 C'est toujours sympa de trouver.
26:35 Et dans un coin de la carrière, toute discrète, il y a Monette.
26:39 Monette c'est celle qui m'a prêté ces bâtons de marche quand j'avais mal à la
26:42 jambe.
26:43 Et elle vient sur Canjouers depuis plus de 30 ans.
26:45 Alors je l'embête un peu pour savoir comment elle se sent.
26:48 Ça fait combien de temps que tu viens à Canjouers ?
26:50 Moi je suis venue trois fois mais avant les années 90.
26:54 Mais on trouvait rien.
26:55 Mais rien de rien, tandis qu'ici on trouve quelques indices de fossiles quand même.
27:02 Mais pourquoi tu reviens aujourd'hui ? Qu'est-ce qui te fascine sur le site ?
27:05 Parce que j'aime faire de la paléontologie.
27:08 J'aime l'ambiance, j'aime chercher.
27:10 C'est un petit bonheur.
27:11 C'est pas facile mais c'est un petit bonheur.
27:13 Il est temps de remballer avant de quitter Canjouers.
27:16 L'archéopérix semble se faire désirer.
27:19 Peut-être que là, dans un coin de roche, il attend.
27:22 Un fragment découvert avant de partir ressemble étrangement à une empreinte de plume.
27:26 Et ça fait rêver tout le monde.
27:28 Bon, il y a peu de chance que ça soit une plume, soyons clairs.
27:31 Mais cette forme délicate nourrit l'espoir de grandes découvertes à venir.
27:34 J'aime bien comment la roche catalyse ici l'enthousiasme et le rêve.
27:38 Comment la roche flirte avec l'imaginaire et les émotions.
27:41 Finalement, tout ça n'est pas vraiment une question d'archéopérix.
27:45 Je pense que Canjouers, ça va être une histoire très longue.
27:47 Il y a beaucoup, beaucoup, beaucoup de choses à chercher.
27:50 C'est très, très grand.
27:52 On ira de découverte en découverte.
27:55 Ce que j'ai beaucoup aimé aussi ici, c'est de voir les générations de gens.
27:59 On a vu des enfants qui sont passés nous voir.
28:01 Il y a des personnes qui viennent sur ce site depuis des dizaines d'années.
28:06 Et malgré ces âges très différents, il n'y a qu'une chose qui les rassemble.
28:11 C'est la passion, l'envie de découvrir des choses et de contribuer à faire avancer l'histoire du site.
28:18 Et voilà, moi, ça m'émeut tout ça.
28:22 Il y a beaucoup d'amour dans ces cailloux.
28:24 J'ai eu la chance d'intégrer cette première expédition inédite.
28:28 Et j'ai eu surtout la chance de croiser des humains incroyables, passionnés, bienveillants avec moi,
28:33 malgré mes chutes et ma caméra tout le temps collée à eux.
28:35 Alors merci.
28:37 En tout cas, je vais repartir la tête pleine d'images, de rencontres, d'échanges hyper enrichissants.
28:43 Et voilà, j'ai hâte de voir à quoi va ressembler cette vidéo.
28:50 J'imagine que ça, ça sera peut-être même la conclusion.
28:54 Voilà, merci à tous d'avoir regardé.
28:56 N'hésitez pas à vous abonner.
28:59 Et voilà, je vous fais des petits bisous fossilisés.
29:04 Allez, salut !
29:06 Si vous avez aimé cette vidéo, n'hésitez pas à vous abonner, à activer la cloche.
29:11 Laissez-moi un commentaire, c'est toujours un plaisir de vous lire et de vous répondre.
29:14 Et j'ai besoin de vos retours sur ces nouveaux formats vidéo sur le terrain,
29:18 que je réalise entièrement seule, sans équipe.
29:21 Un grand merci à tous et à bientôt.
29:24 Je suis un dinosaure !
29:26 C'est doté ça !
29:28 Bon, ça allait !
29:29 Il vient me piquer !
29:35 Hihihi !
29:36 Sous-titres réalisés para la communauté d'Amara.org
29:39 ♪ ♪ ♪

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