Incendies : "c’est un phénomène qui se généralise à l’échelle de la planète"
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00:00 - On décrypte la situation tout de suite avec notre invité du jour.
00:03 C'est vous Michel Ventier. Bonjour.
00:05 Merci d'être avec nous. Vous êtes membre de l'association Forêt Méditerranéenne,
00:09 chercheur d'INRA, l'Institut National de Recherche pour l'Agriculture, l'Alimentation et l'Environnement.
00:15 Merci d'être à nos côtés. Peut-être un mot déjà, une réaction sur ce qu'il se passe aujourd'hui.
00:19 Alors pas qu'en Grèce, mais on a décidé de faire le focus sur ce qui se passe dans ces îles grecques.
00:23 Est-ce que vous êtes surpris par la multiplication de ces départs de feu aujourd'hui ?
00:28 Non, il n'y a rien de surprenant du fait qu'il n'a quasiment jamais fait aussi chaud et sec,
00:36 à la fois en Grèce, mais également dans beaucoup d'autres pays du monde.
00:40 Et aussi par le fait que ces incendies, en fait, ils sont liés beaucoup à l'activité humaine.
00:48 Et c'est des endroits où il y a énormément d'activités humaines, avec le tourisme notamment.
00:52 Et donc la conjonction de conditions extrêmes avec une population très dense,
00:57 ça fait que ça n'a rien de surprenant avec la multiplication de ces feux.
01:01 Mais même dans des endroits du monde où il n'y a pas autant de monde,
01:05 où il n'y a pas autant de touristes, il y a aussi une multiplication des feux.
01:08 C'est un phénomène qui n'est pas propre à la Grèce.
01:11 Vous êtes auteur en 2006 de "Pourquoi les forêts brûlent-elles" aux éditions Le Pommier.
01:16 Vous dites que le feu participe du fonctionnement normal d'une forêt
01:19 et que l'action de l'homme, eh bien aujourd'hui, a des répercussions, des conséquences.
01:25 Oui, parce que le feu fait partie du fonctionnement des écosystèmes
01:28 quand il n'est pas trop fréquent et qu'il y a un équilibre
01:31 entre les incendies qui participent à la régénération des forêts
01:36 et la reconstitution de ces forêts sur un temps assez long.
01:41 Nous, ce qu'on a constaté dans des études qu'on a faites, à l'échelle même européenne,
01:46 c'est qu'il y avait une limite sur le nombre d'incendies dans le temps
01:51 qui fait qu'au-delà de cette limite, l'écosystème s'effondre.
01:54 Dans les zones méditerranéennes, s'il y a plus d'un feu tous les 25 ou 30 ans,
01:58 l'écosystème n'arrive pas à se reconstituer.
02:01 Et puis, il y a des forêts où le feu passe tous les 300, 400, 500 ans,
02:05 sauf qu'actuellement, on le voit par exemple au Canada,
02:08 il y a des surfaces brûlées qui dépassent tout ce qu'on avait imaginé.
02:13 Il y a déjà plus de 10 millions d'hectares brûlés,
02:15 mais il y a eu aussi récemment des très gros incendies
02:18 avec de très nombreux morts, plusieurs dizaines en Algérie.
02:21 C'est un phénomène qui se généralise à l'échelle de la planète,
02:24 vous savez aussi que ça se passe dans les forêts tropicales.
02:27 C'est à l'échelle de toute la planète que le feu,
02:30 en termes à la fois de fréquence et d'intensité,
02:34 devient beaucoup plus violent que la normale.
02:36 Et ça, c'est lié à la répétition sur plusieurs années,
02:40 sur de nombreuses années maintenant, des sécheresses et des canicules,
02:43 qui fait que la biomasse sèche s'accumule,
02:46 c'est-à-dire que chaque année, il y a des dépérissements,
02:48 pas seulement des arbres, mais aussi de tout le sous-bois,
02:50 les arbustes, les herbacées.
02:52 Et donc, quand l'incendie se produit, il y a énormément de biomasse sèche,
02:55 le sol lui-même est très sec,
02:57 donc la litière et le sol brûlent relativement en profondeur,
03:00 il y a des souches qui se consument profondément,
03:02 qui vont faire pénétrer le feu très profondément dans le sol.
03:07 Et donc, ce n'est pas seulement le fait qu'il y ait une canicule,
03:10 une sécheresse actuellement,
03:11 c'est l'accumulation de ces sécheresses et canicules
03:14 qui se répètent avec le temps
03:16 et qui font que les incendies sont toujours plus violents
03:19 et plus difficiles à maîtriser.
03:20 On était tout à l'heure avec notre correspondante à Tunis
03:22 qui nous parlait effectivement de ce mois de juillet
03:25 où l'on suffoque 50 degrés attendus aujourd'hui dans la capitale tunisienne.
03:29 L'Algérie, vous le disiez aussi, des victimes,
03:31 34 morts, dont une dizaine de militaires.
03:33 Voilà pour ce dernier bilan qui nous a été communiqué.
03:36 Revenons peut-être à ce qui se passe en Grèce.
03:39 C'est vrai que face à la situation qui s'aggrave,
03:42 un début de polémique aussi face à l'absence de communication des autorités.
03:45 Le Premier ministre a pris la parole hier devant le Parlement.
03:47 Vous allez rester avec nous.
03:48 On va l'écouter.
03:49 Le ton était plutôt grave, très grave même.
03:51 Écoutez-le.
03:52 Nous avons encore trois jours difficiles devant nous.
03:59 Nous estimons que la vague de chaleur va baisser en intensité.
04:03 Mais il est certain que dans les prochains jours,
04:05 dans les prochaines semaines,
04:07 nous devrons tous rester en alerte constante.
04:11 Je sais très bien que mes propos peuvent sembler banals,
04:14 mais ils sont sincères.
04:16 Ils décrivent la vérité.
04:17 Ils décrivent ce que j'ai vécu ces derniers jours.
04:20 Nous sommes en guerre.
04:22 Nous sommes exclusivement concentrés sur le front des incendies.
04:27 Nous reconstruirons tout ce qui a été perdu.
04:32 Nous indemniserons ceux qui ont été frappés.
04:35 Nous allons abasouiller ceux qui ont été frappés.
04:39 Voilà, à entendre le Premier ministre grec,
04:41 on a le sentiment d'un gouvernement totalement démuni face à ces feux.
04:45 Il y avait pourtant des choses à faire en amont,
04:48 d'autant que la Grèce a déjà connu pareilles situations
04:51 il n'y a pas si longtemps.
04:54 Oui, on voit à travers ce qui se passe en France par exemple,
04:59 par rapport à d'autres pays comme l'Espagne, le Portugal ou la Grèce,
05:02 que les politiques préventives,
05:05 notamment tout ce qui est le débonçaillement réglementaire,
05:08 quand il est bien fait,
05:10 la préparation de citernes d'eau régulièrement réparties,
05:13 l'entretien de pistes forestières
05:15 qui permettent aux pompiers d'entrer dans la forêt, etc.
05:18 sont importants, très importants,
05:20 de même que les politiques que nous avons chez nous
05:23 d'attaque des feux naissants avec des avions
05:25 dans les périodes de crise qui sont en vol en permanence
05:28 pour attaquer les feux dès leur départ.
05:30 Cette politique-là, elle est très importante
05:33 pour éviter la multiplication des grands feux.
05:36 Ceci dit, quand des feux de l'ampleur de ceux qui sont là actuellement en Grèce
05:40 ou au Canada se déclenchent et qu'il y en a plusieurs en même temps,
05:45 même en France, on peut être débordé.
05:48 On l'a vu ces dernières années avec les grands feux de 2003
05:51 ou quelques grands feux ces dernières années.
05:53 Sauf que là en Grèce, les critiques déplorent l'absence
05:56 carrément de gardes forestiers, de moyens pour les pompiers,
06:00 offerts ou en tout cas des renforts offerts aux pompiers
06:02 avec une faiblesse réelle des dispositifs de moyens de prévention.
06:07 Ça c'est une réalité qu'il faut déplorer ?
06:10 Oui, il faut le déplorer.
06:11 Après, je ne connais pas bien la situation en Grèce particulièrement,
06:14 donc je ne peux pas en parler savamment.
06:16 Mais c'est vrai que les politiques de prévention,
06:19 comme je vous l'ai dit, sont très importantes.
06:21 Donc il faut, dans tous les pays qui sont menacés par ces incendies,
06:26 il faudrait des politiques, notamment dans les zones méditerranéennes,
06:28 des politiques plus actives de prévention,
06:31 en sachant que c'est important,
06:33 mais qu'il faut se préparer aussi à des feux qu'on ne pourra pas maîtriser
06:38 parce que dans les conditions extrêmes qui nous attendent
06:41 actuellement déjà, pendant nos étés et encore plus dans le futur,
06:46 il y a des feux qu'on ne pourra pas maîtriser.
06:48 Donc il faut que l'habitat soit préparé,
06:50 il faut que les plans d'évacuation soient prêts.
06:53 Il faut vraiment se préparer à des très grands feux,
06:56 des feux très violents, même chez nous et évidemment dans les autres pays.
07:00 Là où ils n'ont pas encore fait l'effort, il ne faudra qu'ils le fassent.
07:03 Est-ce que vous diriez aujourd'hui, pour résumer la situation
07:06 et ces images impressionnantes de touristes qu'on a vus
07:09 quitter la plage avec beaucoup de précipitations,
07:12 en laissant tout derrière eux, sans avoir été,
07:14 ne serait-ce que prévenu par les autorités locales,
07:17 que ce pays, la Grèce, aujourd'hui, est dépassé par le changement climatique ?
07:22 Il est, comme beaucoup de pays, dépassé par le changement climatique.
07:27 Et je pense que quand on regarde ce qui se passe chez nous,
07:29 on l'est aussi un petit peu,
07:30 même on l'est peut-être moins sur le plan des incendies,
07:33 mais sur d'autres plans, sur le plan de la biodiversité,
07:35 sur le plan du dépérissement des forêts, etc.
07:38 On est aussi un peu dépassé actuellement.
07:40 Il y a des plans gouvernementaux pour essayer de lutter contre.
07:44 Il y a beaucoup de gens qui agissent pour lutter contre.
07:46 En Grèce aussi, je sais qu'il y a des collègues grecs
07:49 qui essaient de faire leur possible.
07:51 Après, s'ils ne mettent pas les moyens,
07:54 ils n'ont pas mis pendant longtemps.
07:56 Il faudra très longtemps pour rattraper le retard dans ce pays.
08:00 Mais comme je vous l'ai dit, je ne connais pas bien la Grèce.
08:02 Donc, je ne vais pas critiquer les coloniales.
08:05 Et ça ne reste que l'illustration d'un cas bien précis,
08:08 évidemment, dans nos éditions.
08:09 On rappelle que d'autres pays vivent
08:11 pareilles situations au moment où l'on se parle.
08:13 Merci beaucoup, Michel Ventier, d'avoir été notre invité du jour.
08:16 Je rappelle que vous êtes l'auteur de
08:17 "Pourquoi les forêts brûlent-elles ?" aux éditions Le Pommier.