L'enterrement de Victor Hugo - Visites privées

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00:00 vous propose de revivre avec vous à Maury, les funérailles les plus spectaculaires de
00:04 l'histoire de France, celles de Victor Hugo.
00:07 La place des Vosges, en plein centre de Paris. Le point de départ pour vous raconter l'un
00:15 des plus grands événements populaires qu'ait vécu la capitale. Tout commence dans cet
00:20 hôtel particulier dont les archives abritent un trésor étonnant jamais montré au public.
00:25 Dans le placard, une petite boîte. On a dans cette enveloppe une relique absolument incroyable,
00:33 c'est la vraie barbe de Victor Hugo. Elle a été coupée par les membres de sa famille
00:38 quand il était sur son lit de mort. La barbe d'un des plus grands écrivains au monde.
00:43 Si l'on conserve cette barbe comme la relique d'un saint, c'est parce que Victor Hugo était
00:48 bien plus qu'un écrivain. A sa mort le 22 mai 1885, tous les français se sentent
00:54 orphelins. Par ses écrits et son action politique, Victor Hugo s'est imposé comme le porte-parole
01:01 des classes populaires. Contraint de fuir le régime autoritaire de Napoléon lll, il
01:06 s'exile près de 20 ans dans les îles anglo-normandes. Mais cet exil ne fait que renforcer sa popularité.
01:13 A son retour en 1870, il est accueilli en héros. Et lorsqu'il tombe gravement malade
01:19 à 83 ans, c'est un vrai drame national qui commence.
01:23 On arrive dans la chambre de Victor Hugo, c'est ça ?
01:27 On arrive dans la dernière chambre de Victor Hugo. Celle dans laquelle il a vécu les
01:32 dernières années de sa vie et dans laquelle il est mort.
01:34 D'accord. C'est le vrai lit dans lequel est décédé Victor Hugo ?
01:39 C'est le lit de Victor Hugo. Avec le couvre-lit, l'oreiller, voilà. C'est l'intégralité
01:45 du mobilier qui a été donné par les petits-enfants de Victor Hugo.
01:48 Le 19 mai, Victor Hugo est victime d'une congestion pulmonaire foudroyante. Son agonie
01:54 va durer trois jours, au cours desquels tout un peuple retient son souffle.
01:58 Cette agonie a donné lieu à d'innombrables communiqués dans la presse. Les journaux
02:04 à partir du 19 mai ne se consacrent pratiquement plus qu'à l'état de santé de Victor Hugo.
02:11 C'est même la toute première saga journalistique. Des bulletins paraissent quasiment heure par
02:16 heure. On s'intéresse autant à sa santé qu'à sa vie personnelle. La France ne vit
02:24 plus qu'au rythme des derniers battements de cœur de l'écrivain.
02:27 Ce n'est pas seulement la France, c'est l'Europe entière et le monde entier qui
02:31 s'intéressent et qui s'occupent de la santé de Victor Hugo.
02:35 En réalité, aussi fidèle soit-elle, cette chambre n'est qu'une réplique de la vraie
02:40 pièce dans laquelle l'écrivain est décédé. Car la maison qu'il habitait alors, à
02:45 notre bout de Paris, a aujourd'hui disparu. Une maison domicilier avenue Victor Hugo,
02:51 ça ne s'invente pas.
02:52 Le fait qu'il ait habité dans une avenue qui portait son nom, c'est quand même exceptionnel.
02:57 Quand Victor Hugo a eu 80 ans, la mairie de Paris a décidé de donner son nom à l'avenue
03:02 dans laquelle il habitait. Si bien qu'il a vécu pendant les trois dernières années
03:06 de sa vie dans sa propre avenue. Il recevait son courrier libellé ainsi à M. Victor Hugo
03:10 en son avenue.
03:11 Quelle a été la réaction de la population quand il est mort ?
03:13 Dès qu'on a su qu'il était malade, il y a eu un afflux de population. Les badauds,
03:18 mais aussi les journalistes. Il y avait un attroupement du monde devant cette maison.
03:22 Victor Hugo est resté pendant huit jours sur son lit de mort, c'est exceptionnel.
03:26 Côté scène, des milliers de Parisiens défilent. Côté coulisses, on prépare des funérailles
03:31 grandioses qui vont donner lieu à des tractations politiques qui vont changer le cours de l'histoire.
03:36 Car le contexte politique de l'époque est très tendu. Tout le monde veut récupérer
03:42 à son profit la mort de ce monstre sacré. D'un côté, un clergé en perte de vitesse
03:48 qui réclame une cérémonie religieuse d'envergure. De l'autre, un monde ouvrier en colère
03:54 qui vient de perdre un illustre défenseur. Et au milieu, la toute jeune Troisième République
04:01 qui voit dans ses funérailles un risque majeur de déstabilisation. Le parcours du cercueil
04:06 est donc étudié très longuement. Première étape, le 31 mai, l'arc de triomphe redécoré
04:14 aux couleurs de Victor Hugo.
04:16 Il y a eu 600 000 personnes qui se sont mis ce dimanche dans la foule, dans la queue en
04:23 fait, pour défiler devant le cercueil. Certains n'ont même pas pu parce qu'à 7 heures du
04:28 soir ils ont tout arrêté. En revanche, les gens sont restés, ils ont fait une fête.
04:32 Une très jolie fête, je dois dire, alors un peu loin du monument qui lui était gardé
04:36 mais dans les rues. Les gens ont commencé à boire, les prostituées étaient là. La
04:41 presse le lendemain, notamment la presse conservatrice, a parlé d'orgies. Donc les gens se sont faits
04:46 plaisir.
04:47 Au-delà de cette fête, certains profitent de la mort du génie pour s'enrichir. Des
04:53 vendeurs à la sauvette tentent de fourguer des produits marketing. Pins, statuettes,
04:57 encriers ou même jeux de cartes à l'effigie du défunt. Mais la priorité pour tout le
05:02 monde, être aux premières loges pour le défilé du cortège. Alors partout, des appartements
05:09 avec balcon sont alloués. Plus d'un million et demi de personnes veulent assister au spectacle.
05:15 Donc là le cortège venait des Champs-Elysées, il a tourné sur la place de la Concorde et
05:20 il a commencé à prendre le pont de la Concorde, c'est ça ?
05:23 Voilà, il prend le pont de la Concorde pour rejoindre le boulevard Saint-Germain. Il faut
05:26 imaginer que la foule est toujours très dense, il y a même des enfants accrochés au réverbère.
05:32 Il fallait être là, donc il y avait des gens sur les toits, il y avait des gens sur les
05:34 balcons, il y avait des gens qui avaient mis des tables, puis des chaises, puis des escabeaux,
05:38 on louait un bout de chaise. C'était noir de monde.
05:41 Et alors là, on passe aussi devant les tours de Notre-Dame, ça a une signification particulière
05:46 pour Victor Hugo avec son roman Notre-Dame de Paris.
05:48 Notre-Dame, ce jour-là, je pense que c'est aussi le symbole d'une guerre qui a eu lieu
05:52 entre le gouvernement et l'Église. Et l'Église est la grande perdante des obsèques de Victor
05:58 Hugo puisque Hugo, même deux ans avant de mourir, a écrit un testament où il explique
06:05 très bien qu'il croit en Dieu mais qu'il refuse les sacrements de toutes les Églises.
06:10 Ce qui voulait dire qu'il n'a pas reçu les derniers sacrements, il n'y a pas un prêtre,
06:14 ni un curé, ni un archevêque qui est entré dans sa chambre.
06:17 Victor Hugo n'aura donc pas de messe d'enterrement. Le gouvernement a gagné cette bataille contre
06:22 l'Église. Mais un autre danger guette, le pouvoir en place a très peur d'un soulèvement
06:28 ouvrier.
06:29 Là, on est devant l'Assemblée nationale, le cortège est passé ici, devant. C'est
06:35 une deuxième grande guerre qui est la guerre politique qui s'est jouée ici.
06:38 Le gouvernement a très très peur de cette émotion populaire. Donc le gouvernement
06:43 va choisir le jour des funérailles, un lundi, qui sera férié pour les écoliers, pour
06:48 les théâtres, pour les magasins, pour tout le monde mais pas dans les usines. Comme ça,
06:52 ils ne seront pas là. Et le tracé qui va éviter les quartiers populaires. Il y a de
06:56 la police partout, les gens sont fouillés.
06:59 On interdit les drapeaux rouges.
07:00 Les drapeaux rouges sont interdits. Tous ceux qui ont des fils sont allés chercher des
07:03 papiers à la préfecture et ont juré qu'ils ne voulaient pas la révolution.
07:07 Ah oui, ça allait loin quand même, il fallait prouver sa même foi.
07:10 Bien sûr, parce que voilà, il y avait des courants politiques très forts et c'est
07:14 une république bourgeoise qui s'installe, celle dont on a hérité, et qui a très peur
07:18 du peuple.
07:19 En gardant le contrôle permanent sur les funérailles, le gouvernement a réussi son
07:24 pari. Malgré la foule, on ne recense aucun débordement populaire, même lors de la dernière
07:30 étape, le Panthéon, un lieu hautement stratégique pour le pouvoir.
07:35 Le cortège arrive ici, place du Panthéon, parce que fait le plus marquant, Victor Hugo
07:41 va être enterré ici.
07:42 Au Panthéon, directement après sa mort, ce qui n'est jamais arrivé et ce qui n'arrivera
07:47 plus d'ailleurs, il a une panthéonisation directe.
07:49 C'est-à-dire quoi ?
07:50 C'est-à-dire que normalement, il aurait dû y aller dans son caveau de famille au
07:54 Père Lachaise et puis après, éventuellement, des années plus tard, comme ça se pratique
07:57 habituellement, être enterré au Panthéon.
07:59 Pourquoi est-ce que pour Victor Hugo, on le décrète tout de suite ?
08:02 Le gouvernement, toutes les chambres, etc. ont profité évidemment de cet événement
08:06 extraordinaire pour faire une espèce de cérémonie générale qui scelle le destin
08:12 commun de la France et de la République.
08:14 Bonjour Gaëtan.
08:15 Bonjour Amaury.
08:16 Merci de me recevoir.
08:17 Vous êtes administrateur du Panthéon.
08:18 C'est grandiose ici, on dirait vraiment une immense cathédrale.
08:19 On est le 1er juin 1885, il est 19h, Victor Hugo arrive ici.
08:20 Dans quoi ? Est-ce que c'est une église ? Est-ce que c'est plus une église ? Qu'est-ce
08:21 que c'est exactement ?
08:22 Ce lieu, au début de la Troisième République, au moment où Victor Hugo meurt, c'est pas
08:23 encore le temple laïque et républicain des grands hommes.
08:24 C'est encore une église.
08:25 C'est encore une cathédrale.
08:26 C'est encore une cathédrale.
08:27 C'est encore une église.
08:28 C'est encore une église.
08:29 C'est le symbole même de la royauté absolue et du christianisme.
08:47 Et c'est tout le sujet de la panthéonisation de Victor Hugo qui est, pour les républicains,
08:52 de profiter de cette occasion pour réaliser leur vieux rêve, né de la Révolution française,
08:57 de transformer ce monument, de le consacrer définitivement à ce culte laïque et républicain
09:02 des grands hommes.
09:03 Moi, j'ai hâte d'aller voir le tombeau.
09:05 On peut appeler ça un tombeau ?
09:06 Un caveau.
09:07 Un caveau.
09:08 Dans la crypte.
09:09 D'accord.
09:10 On peut y aller ?
09:11 Je vous y emmène.
09:12 Allez, super.
09:13 Donc, c'est ici le caveau de Victor Hugo.
09:23 C'est incroyable.
09:24 C'est très émouvant d'être ici.
09:26 Je suis entre Victor Hugo et Émile Zola.
09:29 À côté d'Alexandre Dumas.
09:31 Dans un endroit qui est interdit au public d'habitude.
09:33 Donc là, Victor Hugo est juste derrière cette pierre-là.
09:37 Son sacoche se trouve derrière cette pierre depuis 1885.
09:39 Pendant un premier temps, il a été présenté au public qui est venu lui rendre hommage
09:42 en déposant des fleurs, des éléments d'hommage.
09:44 Mais depuis lors, il est derrière la pierre et il n'a plus bougé depuis.
09:48 On va les laisser tranquilles.
09:50 Merci beaucoup de m'avoir fait visiter.
09:52 Merci.
09:52 J'ai commencé la mort par de la solitude.
09:58 Quand il écrit ses vers, Victor Hugo évidemment ne se doute pas une seconde que ses funérailles
10:02 seront le plus grand rassemblement populaire jamais organisé en France.
10:06 Et aujourd'hui encore, plus de 650 000 personnes par an viennent visiter son caveau.
10:11 Merci.
10:12 Enfin, ils viennent visiter le Panthéon en général.
10:18 Le Panthéon, bien sûr.
10:19 Y compris Victor Hugo.
10:20 Il y a tant d'illustres qui sont là.
10:22 Il est très visité quand même.
10:23 Le Panthéon est superbement restauré.
10:25 Merci à ceux qui l'ont fait au CMN.
10:28 Cela dit, il a bien soigné sa sortie Bruno Berthera.
10:33 Alors, il a soigné sa sortie et on l'a soigné pour lui aussi.
10:36 Le régime l'a soigné et il a défendu le régime républicain.
10:40 Donc, c'est vraiment un échange bon procédé entre le grand écrivain qui est le grand
10:43 homme et le régime qui lui doit beaucoup.
10:46 Mais quand on regarde même dans l'histoire et encore aujourd'hui, les funérailles,
10:51 quand elles sont nationales comme celle-là, c'est un moment important dans l'histoire
10:56 d'une nation, même sur le plan politique.
10:58 C'est-à-dire que ça dit beaucoup.
10:59 C'est un moment de communion générale.
11:02 C'est un moment de rassemblement.
11:04 C'est exactement ça.
11:05 Et puis, il y a des funérailles qui sont plus importantes que d'autres.
11:08 Dire que ce sont des funérailles nationales, cela veut dire que la nation s'implique
11:11 dans ces funérailles et veut les rendre très importantes.
11:14 Donc, il y avait eu auparavant Gambetta, mais Gambetta n'a pas été au Panthéon
11:18 puisque son père s'y opposait et est enterré à Nice.
11:20 Il y a eu ensuite Pittorigo qui était le grand homme.
11:23 C'est le seul cas, vous avez raison de le dire, où il est rentré directement.
11:27 Il n'est pas allé au Père Lachaise, il est allé directement au Panthéon.
11:30 Ce qui est intéressant à Maury aussi, c'est le côté célébration.
11:34 C'est-à-dire que c'est un peu ce que vous disiez tout à l'heure, on célèbre la vie.
11:36 Mais c'est devenu une fête en fait.
11:38 On n'a pas l'impression que ce sont des funérailles, c'est une fête.
11:40 Dans la rue, il y a des millions de personnes.
11:42 On buvait, on trinquait, on faisait la fête, on s'amusait.
11:45 Parce que c'était un symbole, c'était comme une manif.
11:48 Il y a un côté manif quand même.
11:50 C'était une manifestation très politique.
11:53 Organisée par le pouvoir, encadrée par lui comme ça a été dit,
11:56 pour ne pas qu'il y ait de débordements à l'extrême droite et surtout à l'extrême gauche,
11:59 de manière à ce que la République, telle qu'elle était en place, libérale,
12:03 soit confortée dans son existence.
12:06 Mais c'était important puisque le régime était assez neuf.
12:08 Il fallait vraiment bien se poser.
12:10 Et les funérailles de Victor Hugo, c'est l'équivalent des funérailles des rois
12:13 pour les régimes monarchiques.
12:14 C'est vraiment ça, c'est le grand homme qu'on enterre.
12:17 Mais avec lui, c'est la République qu'on célèbre.
12:19 - Pourquoi c'est lui qui portait ce symbole-là ?
12:21 Pourquoi ça a été cet auteur-là ?
12:23 - Il concernait tout le monde.
12:24 Il concernait les pauvres, il était très impliqué avec eux.
12:28 C'était le symbole de la liberté.
12:30 Les femmes, il concernait tout le monde.
12:32 Donc tout le monde a voulu se récupérer sans Victor Hugo.
12:35 Voilà, sauf que les ouvriers n'ont pas pu venir.
12:38 Le pouvoir avait peur de la révolution, donc ils ont travaillé ce jour-là.
12:42 C'était férié pour tout le monde, sauf pour eux.
12:44 - C'est fou ça, tout le monde était de relâche.
12:47 - En tout cas, c'est une belle leçon de récupération politique.
12:50 - Oui, ça c'est vrai.
12:52 Tout a été mis en scène pour que ça fonctionne bien.
12:54 Le Panthéon a été repris par la République pour en faire le Tambour des grands hommes.
12:59 Donc c'était une opération qui a magnifiquement réussi,
13:02 qui a laissé des grandes traces dans les médias.
13:04 On voit plein de photographies.
13:06 Il y a eu plein de choses décrites sur le sujet.
13:08 - Il y a un fait un peu important aussi.
13:11 Place de l'Etoile, c'est la première fois qu'on voit de l'électricité dans Paris.
13:15 Pour préparer la fête que ça va devenir,
13:18 la société Edison a fait venir l'électricité pour que les ouvriers puissent travailler la nuit,
13:22 préparer l'arc de triomphe, etc.
13:24 Avant, c'était éclairé au gaz, au pétrole, etc.
13:28 - Voilà un événement qui aura marqué les esprits à tous points de vue.
13:32 - Vous voyez, on a parlé de la fête des morts et des funérailles.
13:37 Et pour autant, on a découvert des pans entiers de notre patrimoine,
13:41 que ce soit le Père-Lachaise, la Basilique de Saint-Denis ou le Panthéon.
13:47 En tout cas, merci Bruno Berthera.
13:48 Je renvoie à la lecture des sources du funéraire en France à l'époque contemporaine.
13:53 - Merci de m'avoir accueilli.
13:53 - Merci beaucoup et merci de nous avoir éclairé sur cette question délicate qui reste encore un peu taboue.
14:00 mais votre émission va contribuer à le rendre moins tabou.
14:02 – Mais je l'espère !

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