Invité sur le plateau de Face à l'info, l'écrivain Nathan Devers s'est exprimé sur la résurrection d'un ver. Selon l'écrivain, «c’est comme si nous avions un fossile vivant».
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00:00 Déjà, ça fait partie des découvertes, quand on les lit dans le journal,
00:03 qui peuvent susciter un effet un peu étonnant.
00:05 On peut se demander si on ne lit pas un article de goraphie
00:08 ou un texte de science-fiction.
00:09 Ça fait penser un petit peu, il y a un côté hibernatus,
00:11 de nous dire qu'un être vivant,
00:13 alors en l'occurrence, ce n'est pas un être vivant
00:15 aussi développé que vous ou nous,
00:18 mais en tout cas, un être vivant a pu traverser, comme ça,
00:20 des dizaines de milliers d'années
00:22 dans un état de congélation et revenir à la vie.
00:24 Et en traversant, j'y reviendrai tout à l'heure,
00:26 la frontière entre la préhistoire et l'histoire,
00:28 c'est ça qui est le plus troublant.
00:29 On a l'impression que c'est de la science-fiction,
00:30 et en fait, ce n'est absolument pas de la science-fiction.
00:32 Alors, c'est un article scientifique qui a été publié il y a deux jours
00:35 dans une revue qui s'appelle "Plos Genetics",
00:37 mais sur une étude qui a été faite, en fait, dès 2018.
00:41 Ce sont des chercheurs qui ont étudié le pergélisol sibérien,
00:45 c'est-à-dire une partie du sol, de sédiments,
00:48 qui est gelée pendant au moins deux ans.
00:50 Donc, c'est-à-dire qu'il est dans un état
00:52 où la température est glacée de manière durable,
00:55 ce qui fait que ça peut avoir une conservation
00:57 d'un certain nombre d'êtres vivants qui sont capables
01:00 de résister à ces températures-là.
01:01 Et en l'occurrence, là, ça faisait beaucoup plus de deux ans
01:04 que ce sédiment était gelé.
01:07 Et donc, c'est dans ce contexte-là,
01:08 ils étaient en train d'étudier ces sédiments,
01:10 et à 40 mètres de profondeur environ,
01:13 ils tombent sur une nouvelle espèce de verre non répertoriée
01:16 et qui était en cryptobiose.
01:18 Alors, je vais revenir sur ce que signifie ce mot.
01:20 - Vous allez nous l'expliquer. - Je vais vous l'expliquer, bien sûr,
01:22 mais déjà, pour dire de manière très sommaire,
01:24 ils étaient congelés depuis des millénaires
01:26 dans un état qui était un peu intermédiaire
01:27 entre la vie et la mort, mais j'y reviens tout à l'heure.
01:29 Et juste en les déshydratant,
01:32 donc c'est-à-dire à la fois sur place et puis surtout en laboratoire,
01:35 ils ont pu les ramener à la vie, donc les faire revivre,
01:38 et puis après, avec une datation radiocarbone,
01:40 ils ont découvert que ces verres étaient congelés
01:43 depuis environ 46 000 ans, soit l'époque du Pléistocène,
01:48 c'est-à-dire une époque où la Terre était habitée
01:50 par des mammouths, par des tigres à dents de sabre,
01:53 par des élans géants, c'est-à-dire une époque
01:55 qui appartient à la préhistoire.
01:57 - En quelque sorte, hibernatus.
01:59 Vous nous disiez "cryptobiose", qu'est-ce que ça signifie ?
02:02 - Oui, qu'est-ce que la cryptobiose ?
02:03 Alors dit comme ça, ça peut sembler un peu étonnant
02:05 de se dire un concept scientifique qui veut que si on nous congèle,
02:08 on peut rester en état de semi-vie pendant très très longtemps
02:12 et revenir à la vie.
02:13 Alors la question que ça pose tout de suite,
02:14 est-ce que ça peut arriver à vous, à Régis Sosommier ?
02:17 Non, alors manifestement, en tout cas, pour l'instant...
02:19 - Très bien, pour les générations futures.
02:21 - Je ne le souhaiterais pas.
02:23 Pour l'instant, non.
02:24 Et c'est un concept qui remonte au moins à Claude Bernard,
02:28 le grand biologiste, qui, quand il fonde la biologie moderne,
02:32 disons, se rend compte qu'un des critères
02:34 qui distingue le vivant de l'inerte,
02:37 c'est la différence entre ce qu'il appelle le milieu extérieur
02:40 et le milieu intérieur.
02:41 C'est-à-dire qu'un être vivant,
02:43 il a à la fois une situation de dépendance
02:45 par rapport au milieu extérieur, pour rester en vie,
02:47 on a besoin de nourriture, on a besoin de lumière,
02:49 on a besoin de chaleur, etc.
02:51 Et que cette dépendance-là nous place en situation
02:54 de grande faiblesse.
02:55 C'est-à-dire qu'à supposer que le milieu extérieur
02:58 ne présente pas les conditions de viabilité,
03:00 eh bien, je ne peux plus vivre et donc je m'éteins.
03:03 Donc, ce qui caractérise pour Claude Bernard
03:07 le processus du vivant,
03:09 c'est qu'entre moi, entre guillemets,
03:11 et le monde extérieur, va se constituer un milieu intérieur.
03:14 C'est-à-dire que mon organisme va pouvoir présenter
03:16 des conditions d'équilibre pour un certain nombre de données
03:19 qui me permettent de rester en vie.
03:20 Par exemple, la chaleur, par exemple,
03:22 la composition en oxygène, etc.
03:25 Et c'est dans cette distinction-là
03:27 entre milieu intérieur et milieu extérieur
03:29 que dans les leçons au phénomène de vie commun
03:31 aux végétaux et aux animaux,
03:33 ils distinguent trois types de vie.
03:34 Et c'est un peu de là que vient le concept de cryptobiose.
03:37 Le premier type de vie, c'est ce qu'il appelle la vie latente.
03:40 Donc, c'est entre guillemets, pour les êtres vivants,
03:42 les moins développés,
03:43 ceux qui sont dans une dépendance totale au milieu extérieur
03:46 et qui sont incapables de présenter un milieu intérieur.
03:49 Donc, vous avez besoin de nourriture, de chaleur, etc.
03:51 Mais si le monde extérieur ne vous présente pas ces conditions-là,
03:54 eh bien, vous ne pouvez plus vivre.
03:56 Et alors, c'est alors que certains organismes,
03:58 donc qui ont, entre guillemets, une vie très primaire
04:01 ou très peu développée biologiquement,
04:02 parviennent dans ces conditions-là,
04:04 donc, par exemple, quand ils sont dans un état gelé,
04:06 à faire en sorte de stopper leur processus vitaux,
04:09 mais sans mourir pour autant.
04:11 Alors, très concrètement, ça veut dire quoi ?
04:12 Ça veut dire fin du métabolisme,
04:14 ça veut dire protection des membranes cellulaires,
04:17 ça veut dire, en quelque sorte, déshydratation aussi
04:19 de tout l'organisme, de toutes les cellules, etc.
04:22 Et c'est ce qui permet à ces vivants, en quelque sorte,
04:27 de rester comme ça longtemps,
04:30 dans cet état d'indécidabilité.
04:32 Alors, juste pour vous donner un exemple,
04:34 la cryptobiose, c'est pas la première fois qu'on découvre ça.
04:36 C'est un phénomène qui est très connu.
04:38 Je peux vous donner un exemple.
04:39 Il y a des organismes qui s'appellent les tardigrades.
04:41 C'est des micro-organismes qui vivent dans des milieux très humides
04:44 et de la même manière, quand ce sont des milieux
04:47 qui sont gelés, eh bien, ils restent dans cet état-là,
04:50 entre guillemets, d'indécidabilité.
04:52 Et j'ai envie de vous poser cette question, donc, mon cher Nathan.
04:54 Qu'est-ce qu'il faut retenir ?
04:55 Qu'est-ce qu'on peut retenir, conclure, en tout cas, de cette étude ?
05:00 Alors, la première chose, le premier paradoxe,
05:02 c'est que quand on pense à la préhistoire,
05:03 je vous ai parlé tout à l'heure de mammouth, d'élan géant, etc.
05:06 Et c'est de se dire que la seule chose
05:08 qui peut traverser cette frontière des millénaires
05:11 et de la frontière préhistoire-histoire,
05:13 ce sont paradoxalement les êtres les moins développés,
05:16 les êtres les moins autonomes, les êtres les moins complexifiés.
05:19 Ça, c'est le premier paradoxe.
05:21 Le deuxième paradoxe, c'est qu'en fait, là, ce à quoi on assiste,
05:24 c'est un petit peu comme si nous avions un fossile vivant.
05:27 Vous savez, il y a le philosophe Quentin Meillassoux
05:29 qui a fondé un concept récemment, le concept d'archifossile.
05:31 L'archifossile, selon lui, ça désigne une trace matérielle
05:34 qui indique la présence d'une terre et d'une matière
05:37 avant l'apparition de l'existence humaine.
05:40 Là, ce à quoi on assiste, c'est pas exactement cela.
05:43 C'est plutôt une archivie,
05:45 c'est-à-dire une vie vivante
05:47 qui indique l'existence d'une vie antérieure à l'histoire.
05:50 La grande frontière entre la préhistoire et l'histoire,
05:52 normalement, on la date à environ 5 000, 3 000 ans avant notre ère,
05:55 c'est-à-dire l'apparition de l'écriture.
05:57 Qu'est-ce que l'écriture ?
05:58 C'est précisément ce qui permet à la vie de laisser une trace.
06:01 C'est précisément la possibilité d'une trace.
06:03 Or, là, le fait qu'un organisme vivant
06:06 puisse voyager de la frontière de la préhistoire à l'histoire,
06:09 ça veut dire qu'il dépasse cette logique-là même de la trace.
06:12 Et donc, on assiste à une revivissance de la préhistoire
06:15 non pas une trace, mais presque, en un sens, une résurrection.
06:18 Alors, la question, évidemment, qu'on laisse ouverte,
06:20 c'est est-ce que plus tard,
06:22 des formes de vie plus complexes, éventuellement des humains,
06:25 pourraient connaître ce genre de résurrection-là ?
06:29 Pour l'instant, évidemment, absolument non.
06:30 Mais en tout cas, un certain nombre de gens futuristes,
06:32 notamment dans la Silicon Valley,
06:34 essaient de réfléchir là-dessus.
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