Ces idées qui gouvernent le monde - France, où va ta diplomatie ?

  • l’année dernière
On a souvent fait reproche à la France d'avoir une diplomatie en surplomb, sous-entendu arrogante, de chercher à parler à tout le monde dans les conflits qui parsèment la planète, d'être toujours à la recherche d'une influence stratégique, sinon politique au sein de l'arène internationale. Avec de grands succès, Talleyrand et le congrès de Vienne, De Gaulle et la France parmi les grands au sortir de la deuxième guerre mondiale, plus proche de nous en 2015 la conférence sur le climat, mais aussi des échecs, sinon des faux pas en Afrique, au Proche Orient (la Libye notamment), au Maghreb, vis-à-vis de Trump, Erdogan, Poutine... qui ne se sont pas prêtés aux sollicitations françaises.
Certes, cela n'incombe pas exclusivement et exhaustivement à la diplomatie, mais au sein du concert des nations, diplomatie et sécurité sont liées, il en est de même avec le renseignement et la militarisation de la politique étrangère des Etats-nations lors des crises. A cela, il faut ajouter que la scène diplomatique nationale comme internationale doit compter avec les ONG, parfois très activistes, les intérêts financiers bien souvent corrupteurs, les empiètements de l'espionnage informatique et les lanceurs d'alerte. Pour en revenir à la France, nous évoquerons également les contraintes imposées au corps diplomatique et à cette espèce de dichotomie stratégique entre puissances moyennes, auxquelles on nous classe, et les hyperpuissances qui dominent l'économie mondiale et tirent les ficelles de la mondialisation.

Émile Malet reçoit :
- Jérôme Bonnafont, ambassadeur auprès des Nations Unies à Genève et des organisations internationales en Suisse
- Alain Rouquié, ancien ambassadeur, président de la Maison de l'Amérique latine
- Yves Saint-Geours, ancien ambassadeur au Brésil et en Espagne
- Philippe Gelie, directeur adjoint de la rédaction, Le Figaro

L'actualité dévoile chaque jour un monde qui s'agite, se déchire, s'attire, se confronte... Loin de l'enchevêtrement de ces images en continu, Émile Malet invite à regarder l'actualité autrement... avec le concours d´esprits éclectiques, sans ornières idéologiques pour mieux appréhender ces idées qui gouvernent le monde.

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Transcript
00:00 Générique
00:01 ...
00:22 -Bienvenue dans "Ces idées qui gouvernent le monde".
00:25 France, où va ta diplomatie ?
00:28 On a souvent fait reproche à la France
00:30 d'avoir une diplomatie en surplomb,
00:32 sous-entendue arrogante,
00:35 de chercher à parler à tout le monde
00:37 dans les conflits qui parsèment la planète,
00:40 d'être toujours à la recherche d'une influence stratégique,
00:43 sinon politique, au sein de l'arène internationale.
00:47 Avec de grands succès historiques,
00:49 Talleyrand et le Congrès de Vienne,
00:51 De Gaulle et la France,
00:53 parmi les grands au sortir de la Deuxième Guerre mondiale,
00:56 plus proche de nous en 2015, la conférence sur le climat,
00:59 mais aussi des échecs, sinon des faux pas,
01:02 en Afrique, au Proche-Orient,
01:05 la Libye, notamment, au Maghreb,
01:07 vis-à-vis de Trump, Erdogan, Poutine,
01:10 qui ne se sont pas prêtés aux sollicitations françaises.
01:14 Certes, cela n'incombe pas exclusivement
01:17 et exhaustivement à la diplomatie,
01:20 mais au sein du concert des nations.
01:22 Diplomatie et sécurité sont souvent liés.
01:26 Il en est de même avec le renseignement
01:29 et la militarisation de la politique étrangère
01:32 des Etats-nations, notamment lors des crises
01:35 et de cette guerre en Ukraine.
01:37 A cela, il faut ajouter que la scène diplomatique nationale
01:40 comme internationale doit compter avec les ONG,
01:43 parfois très activistes,
01:45 les intérêts financiers bien souvent corrupteurs,
01:49 les empiétements de l'espionnage informatique
01:53 et des lanceurs d'alerte.
01:54 Pour en venir à la France,
01:57 nous évoquerons également les contraintes
01:59 imposées au corps diplomatique
02:01 et à cette espèce de dichotomie stratégique
02:04 entre puissance moyenne,
02:07 auquel on nous classe,
02:08 et les hyperpuissances qui dominent l'économie mondiale
02:12 et tirent les ficelles de la mondialisation.
02:16 Pour en parler, je vous présente mes invités.
02:19 Jérôme Bonafon, que nous avons en visioconférence
02:23 depuis Genève, qui est ambassadeur
02:25 auprès des Nations unies à Genève
02:28 et des organisations internationales en Suisse.
02:31 Yves Saint-Jour, vous êtes ancien ambassadeur
02:34 au Brésil et en Espagne,
02:36 et vous êtes président du conseil d'administration
02:39 de l'Institut Pasteur.
02:41 Alain Rouquier, ancien ambassadeur,
02:44 président de la Maison de l'Amérique latine.
02:46 Philippe Gelly, mon confrère,
02:49 qui est directeur adjoint de la rédaction du Figaro
02:53 et, je crois, spécialiste et en même temps responsable
02:56 de la politique internationale.
02:59 Alors, partons de cette pensée du général De Gaulle.
03:10 Il faut prendre les choses comme elles sont,
03:13 car on ne fait pas de politique autrement
03:16 que sur des réalités.
03:18 La question que je voudrais vous poser
03:20 pour commencer ce débat, c'est que peut
03:23 la diplomatie française face aux réalités du monde ?
03:27 Est-ce qu'elle vous paraît bien orientée
03:29 en termes d'adaptation
03:31 à la conflictualisation de la planète ?
03:35 Jérôme Bonafon, vous voulez
03:36 nous donner votre première impression sur ce sujet ?
03:41 -Je me demande si la citation est complète,
03:43 parce que le général De Gaulle, il était animé par un projet,
03:47 par une ambition, par une vision,
03:51 par un idéal, et il pensait que la réalité se transforme
03:55 et que le but de la politique,
03:58 c'est d'agir pour que la réalité soit
04:02 en accord avec vos intérêts et vos valeurs.
04:06 Et donc, oui, bien entendu,
04:08 une diplomatie doit être fondée sur un principe de réalité,
04:12 mais une diplomatie est animée par un gouvernement,
04:15 par un président de la République,
04:17 en ce qui nous concerne, par un certain nombre
04:20 de visions et d'idéaux, et notamment la conviction
04:23 que dans l'état actuel de la société internationale,
04:26 il faut avoir pour mantra la recherche de la paix,
04:29 la recherche de la justice, la recherche d'une cohérence
04:34 entre nos actions économiques, nos actions politiques,
04:37 nos actions militaires, et ça, non seulement national,
04:40 mais aussi dans un cadre européen.
04:43 -Je vous poserai la question autrement.
04:45 Les autres nations considèrent
04:48 que la France a une politique de grandeur,
04:52 une politique arrogante, etc.
04:56 Qu'est-ce que vous répondez à ça ?
04:59 Sur la caractéristique de cette diplomatie.
05:02 -Quand le président de la République invite à Paris
05:06 pour un sommet sur un nouveau pacte financier mondial,
05:11 chef d'Etat,
05:13 dirigeant d'institutions internationales
05:15 publiques et privées, ils viennent.
05:18 Ils viennent parce qu'ils savent que la France
05:21 sait porter un certain nombre d'idées,
05:25 un certain nombre de propositions,
05:27 et sait agir sur un certain nombre de paramètres
05:30 qui font que nous sommes considérés
05:33 comme étant capables d'aller vers des solutions
05:36 plus inclusives, plus intéressantes,
05:38 plus pragmatiques.
05:40 Il ne s'agit pas d'avoir une diplomatie de la grandeur,
05:43 ça n'a pas beaucoup de sens,
05:45 il s'agit d'avoir une diplomatie ambitieuse
05:48 pour construire les éléments de la paix
05:50 et de plus de stabilité dans un monde
05:52 qui, comme vous le disiez, est brutal,
05:55 est conflictuel,
05:56 est travaillé par des tensions extrêmement fortes.
05:59 -Philippe Gély, qu'en pensez-vous ?
06:01 Vous êtes journaliste et observateur privilégié
06:04 de la politique internationale pour le Figaro.
06:07 -Il me semble qu'on ne peut pas faire de diplomatie
06:10 en dehors des réalités,
06:11 ou alors ça donnerait des résultats
06:14 probablement assez lunaires.
06:16 Il y a les réalités, pour moi,
06:18 c'est un mélange de trois piliers,
06:20 les réalités, les principes,
06:22 qui sont importants,
06:24 et, comme l'a dit Jérôme Bonin-Fond,
06:26 les ambitions, les objectifs qu'on se fixe.
06:28 Et il peut y avoir du jeu
06:31 dans la machine entre les ambitions,
06:33 les moyens qu'on se donne,
06:35 les principes qu'on respecte,
06:37 ou plus ou moins,
06:38 et c'est là où, évidemment, le débat commence
06:41 sur la politique étrangère d'un pays,
06:44 en l'occurrence, la nôtre.
06:45 -Bon, Yves Saint-Jean,
06:47 vous êtes historien également.
06:49 -Pour moi, les choses sont assez claires.
06:52 D'abord, c'est pas parce que les difficultés s'amoncèlent
06:55 qu'il faut renoncer à essayer de construire quelque chose.
06:59 Et c'est effectivement souvent dans les difficultés
07:02 que des propositions
07:04 paraissent irréalistes,
07:09 difficiles à mettre en oeuvre,
07:11 et à ce moment-là, on est axé de...
07:13 On est axé de tous ces adjectifs
07:16 dont il a été question.
07:19 Mais quoi ? La diplomatie, c'est quoi ?
07:22 C'est des intérêts.
07:23 Un diplomate va défendre les intérêts de son pays.
07:27 C'est des valeurs, évidemment,
07:29 et tout ça, c'est des réalités, y compris les valeurs,
07:32 parce que les autres ont d'autres valeurs.
07:36 Et des alliances qu'on a,
07:40 qu'on construit, qu'on fait évoluer,
07:42 et qu'on met au service des propositions qu'on fait.
07:47 Par conséquent, dans ce cadre,
07:51 moi, je considère que...
07:54 que certes, il est tout à fait absurde
07:58 de faire des propositions en l'air
08:00 sans tenir compte de ses réalités ou de ses intérêts,
08:04 mais que proposer, proposer encore,
08:07 et avoir l'outil diplomatique pour faire avancer les choses.
08:10 -Et vous, Alain Roquier,
08:12 vous récusez le terme d'arrogance de la diplomatie française ?
08:16 -Je le récuse totalement, d'abord parce que cette idée
08:20 que la France est en deuxième classe,
08:23 et plutôt voyage en première classe avec un ticket de deuxième classe,
08:27 que les Américains nous lancent à la figure,
08:29 ça ne tient pas la route, parce que ce n'est pas
08:32 en fonction de l'importance économique d'un pays
08:37 qu'on peut juger de sa diplomatie.
08:39 Un pays peut avoir une diplomatie,
08:41 et même un Etat comme le Vatican,
08:43 une diplomatie extrêmement active et mondiale,
08:46 et c'est pas une comparaison.
08:48 Il est vrai que ça ne dépend pas de l'étendue du territoire.
08:53 Sinon, à ce moment-là, la Russie aurait la première diplomatie
08:56 du monde, ce qui n'est pas tout à fait le cas.
08:59 Je crois que la France a une tradition diplomatique,
09:02 quel que soit le nom qu'on lui donne,
09:05 qui a un certain nombre de volets,
09:07 des responsabilités mondiales,
09:10 parce que nous avons un passé,
09:12 nous avons un présent où nous sommes présents,
09:15 dans l'Indo-Pacifique, en Afrique,
09:19 en Amérique latine, qu'on le mettra souvent,
09:21 où nous avons beaucoup d'intérêts économiques
09:25 et une présence culturelle très forte,
09:28 et la France ne fait pas mauvaise figure
09:31 étant une puissance atomique
09:33 et étant membre du Conseil de sécurité des Nations unies.
09:36 Donc, je crois que l'arrogance, je la vois pas.
09:39 La France a comme présent et avenir l'Europe,
09:44 et elle a le devoir de participer
09:47 à la résolution des problèmes,
09:50 des conflits,
09:52 mais aussi des défis mondiaux.
09:54 -On va en parler. -Des problèmes communs.
09:56 -Je ne balais pas d'un revers de main
09:59 l'accusation d'arrogance,
10:00 d'abord parce qu'elle nous est imputée
10:03 par souvent nos partenaires, y compris en Europe,
10:06 et pas seulement nos adversaires.
10:08 Ca n'est pas nécessairement une critique
10:10 qui n'est pas constructive.
10:12 Et ensuite, ça n'est pas l'appareil diplomatique,
10:15 l'outil diplomatique qui est arrogant.
10:17 Ce qui est arrogant, parfois, c'est la politique étrangère,
10:21 qui, en France, est décidée par un homme et une petite équipe.
10:24 Et ensuite, mise en musique par cet appareil,
10:27 cet outil diplomatique, qui est riche,
10:29 mais on fait quand même souvent une diplomatie de coups
10:32 plus que de stratégie, où, disons,
10:34 les coups ont tendance à faire de l'ombre à la stratégie,
10:38 parce que tout ça est décidé à l'Elysée entre trois personnes.
10:41 -Jean Monafon, peut-être que vous voulez répondre
10:44 à ce que vient de dire Philippe Chélie,
10:47 mais je voulais, avec vous, approfondir cette question.
10:50 Avant d'être à Genève, vous avez eu des fonctions au quai d'Orsay.
10:54 Quand on parle d'un projet industriel,
10:56 on parle de maître d'oeuvre et de maître d'ouvrage.
10:59 Quand on parle d'une action militaire,
11:01 on parle de chaîne de commandement.
11:03 Mais pour la diplomatie française,
11:06 qui décide et comment ça se passe ?
11:08 Entre le domaine réservé présidentiel,
11:11 dont je rappelle que ça n'est pas dans la Constitution,
11:14 le quai d'Orsay,
11:15 et l'ambassadeur qui lui est dépositaire
11:18 de l'autorité de l'Etat dans le pays où il est accrédité.
11:21 Comment ça fonctionne ?
11:23 En quelque sorte, c'est qui qui initie,
11:26 c'est qui qui décide ?
11:28 Comment ça se passe ?
11:30 -Il n'en va pas différemment de la diplomatie
11:32 des autres chapitres de l'action publique.
11:35 Il y a d'un côté un gouvernement,
11:38 il y a une légitimité démocratique, dans notre cas.
11:41 Il y a à la tête de l'Etat un chef de l'Etat
11:44 qui est investi de pouvoirs que la Constitution lui confère
11:47 et que la pratique institutionnelle lui confère.
11:50 Il y a un appareil d'Etat avec des hauts fonctionnaires,
11:53 des fonctionnaires territoriaux, des fonctionnaires nationaux,
11:56 qui sont chargés d'abord d'une mission d'expertise et de conseil,
12:00 ensuite d'une mission de mise en oeuvre une fois la décision prise,
12:04 et cela dans un dialogue permanent
12:06 entre la haute fonction publique et le gouvernement.
12:09 Je crois qu'il n'en est pas différemment dans la diplomatie.
12:13 Ce dont le gouvernement a besoin,
12:15 c'est de diplomates qui lui donnent de façon précise,
12:18 experte, rigoureuse, impartiale,
12:22 l'état des lieux de la situation mondiale.
12:25 Géographique, M. Rouquier parlait de l'Amérique latine,
12:29 il faut connaître l'Amérique latine
12:31 dans ses racines les plus profondes
12:33 pour pouvoir porter un jugement intelligent
12:36 sur ce qui se passe au Venezuela, au Brésil, à Cuba,
12:40 au Honduras, où nous avons des intérêts, en Argentine, etc.
12:45 Ensuite, il faut, sur les problèmes globaux,
12:47 le changement climatique, la santé mondiale,
12:50 le numérique, le terrorisme, les questions nucléaires,
12:53 il faut des gens qui à la fois connaissent
12:56 la substance technique des questions
12:58 et connaissent la façon dont cette substance se joue
13:01 à travers les rapports de force mondiaux.
13:04 C'est là que se situe le rôle du diplomate dans l'expertise.
13:09 Ensuite, le président, la ministre, le gouvernement
13:12 décident, entourés de ses avis,
13:14 et une fois la décision prise, la diplomatie exécute.
13:18 C'est un mécanisme de dialogue permanent
13:20 entre les uns et les autres,
13:22 et il ne faudrait pas vivre dans un état
13:24 dans lequel la technocratie l'emporterait sur le politique,
13:28 pas plus qu'il ne faudrait vivre dans un état
13:31 dans lequel le politique méprise la technocratie
13:34 et la réalité des choses telles qu'elles vont.
13:37 -M. Saint-Jour, on vient d'entendre Jérôme Bonafonte
13:40 dire que c'est l'ambassadeur
13:43 qui envoie quelques notes, si on peut, voilà,
13:46 et que c'est sur ces notes-là
13:49 qu'une décision se prépare, s'argumente, etc.
13:54 Mais est-ce qu'on est sûrs
13:55 que tant au Quai d'Orsay qu'à l'Elysée,
13:59 ça fonctionne et que les notes sont prises en considération ?
14:03 -Il a dit un peu plus que ça.
14:05 Il a dit qu'il y avait une chaîne
14:07 qui se déploie au sein du ministère des Affaires étrangères,
14:12 où il y a évidemment les directions de l'administration centrale
14:16 et aussi la capacité de collecter d'autres informations,
14:22 en interministériel ou directement,
14:25 et évidemment, il y a aussi,
14:28 on évoquait l'Amérique latine,
14:30 le plus proche du terrain,
14:32 la compréhension de ce que sont chacun des pays,
14:38 chacun des pays, ses positions,
14:40 ses valeurs, ses principes, ses actions.
14:43 Alors, moi, je considère que c'est parfaitement exact
14:48 et je considère même, peut-être,
14:50 ou de la même de ce qu'a dit Jérôme Bonafont,
14:53 que le Quai d'Orsay, c'est comme...
14:56 Dans nos institutions de la Ve République,
15:00 compte tenu du rôle spécifique du président de la République
15:04 et du domaine réservé,
15:06 c'est presque un grand cabinet du président de la République
15:10 qui est véritablement dédié
15:14 par à la fois ses initiatives propres
15:17 dans les ambassades ou à l'intérieur du ministère
15:20 ou par les demandes qui lui sont faites
15:23 à cette expertise, ses conseils,
15:26 ses conseils de mise en oeuvre, ses projets,
15:30 et évidemment, des discussions aussi
15:32 là où chacun est avec les autres.
15:35 Donc, oui, je considère véritablement
15:39 qu'au-delà même des autres départements ministériels,
15:43 on est tout à fait dans cette ligne
15:47 et au service d'une politique étrangère
15:51 que les diplomates ne définissent pas directement,
15:54 qu'ils mettent en oeuvre, qu'ils mettent en musique.
15:57 La question précise, c'est est-ce que toutes les notes,
16:00 est-ce que tout ça est pris en considération ?
16:03 Précisément, la question, c'est définition
16:07 d'une politique étrangère à port des serviteurs
16:11 de cette politique étrangère que sont les diplomates.
16:14 Certainement que la réponse est non, parfois,
16:18 parce qu'une ligne politique se dégage
16:20 qui ne va pas dans le sens de ce que va conseiller l'ambassadeur,
16:25 mais une politique plus générale se fait.
16:30 C'est vrai que, de temps en temps,
16:32 on peut être éventuellement déçu
16:34 par la décision qui est prise, ou pas prise, d'ailleurs.
16:38 -Alain Rouquier, pour aller plus loin là-dessus,
16:40 je vais vous laisser répondre,
16:42 mais je voudrais préciser cette chose-là.
16:45 Un de vos collègues, pour ne pas le citer, Gérard Raraud,
16:48 a déclaré au cours d'une fois d'une réunion
16:53 que, pour la politique étrangère,
16:56 selon le degré de proximité
16:58 entre le ministre des Affaires étrangères et l'Elysée,
17:03 ça fonctionnait plus ou moins bien. C'est vrai, ça ?
17:06 -Je ne suis pas là pour interpréter la pensée
17:08 de mon collègue ambassadeur de France,
17:11 mais je pense que nous avons beaucoup de chance
17:14 par rapport à d'autres pays.
17:16 Par exemple, aucun président de la République
17:19 n'a accepté de créer un conseil national de sécurité
17:22 au pays de l'Union Européenne,
17:24 qui aurait marginalisé le quai d'Orsay.
17:26 Je me souviens, quand j'étais directeur des Amériques,
17:29 que c'était le conseiller diplomatique
17:32 qui me téléphonait en me disant
17:34 "le président vous a donné une note à telle heure,
17:36 "sur tel sujet, tu me l'envoies."
17:38 Donc, la chaîne de communication
17:41 fonctionne parfaitement,
17:43 et, comme le disait Yves tout à l'heure,
17:46 le quai d'Orsay est au service de ceux qui prennent les décisions,
17:50 c'est-à-dire de les diser,
17:53 et ça, ça me semble très bien.
17:55 Par ailleurs, qu'il y ait de la perte en ligne,
17:57 évidemment, quand on est en poste,
17:59 on fait l'information, la synthèse des informations,
18:02 l'interprétation des informations,
18:05 et on fait des propositions,
18:07 si on est un vrai ambassadeur qui est conscient
18:09 de ce qu'il doit faire dans le pays où il se trouve.
18:12 Et ces propositions ne sont pas toujours acceptées,
18:15 parce que ça ne correspond pas à la politique du moment,
18:19 mais à des intérêts, intérieurs ou extérieurs,
18:21 européens ou mondiaux,
18:23 et bon, on est là pour ça,
18:25 mais on est là pour faire des propositions,
18:27 pas seulement pour envoyer de l'information brute.
18:30 Et ça, je crois que ça marche assez bien.
18:33 Il y a le filtre des cabinets, qui est un autre problème,
18:36 avec la multiplication des cabinets
18:38 qui n'existent pas dans d'autres pays,
18:41 mais avec des directions,
18:42 que ce soit géographiques ou thématiques,
18:44 ça fonctionne bien,
18:46 et je crois que ça va dans le bon sens.
18:48 A condition d'avoir des diplomates
18:52 qui soient des experts formés...
18:54 -On va parler de la formation.
18:56 -Et ayant la vocation de faire bien leur métier.
18:58 -Philippe Gély, là-dessus ?
19:00 -Je vais être voué à décrire le verre à moitié vide
19:03 dans cette émission, mais il me semble
19:06 que ce que décrit monsieur la perte en ligne,
19:09 c'est dans le cas idéal, c'est quand tout va bien,
19:12 c'est le minimum syndical,
19:14 mais on sait bien qu'il y a un certain nombre
19:17 d'administrations, de présidents, de gouvernements,
19:19 pas d'administrations, ça, c'est pour les Américains,
19:23 qui ont montré une défiance assez nette
19:26 pour les ambassadeurs en général
19:28 ou pour un certain nombre d'entre eux
19:31 sur des sujets particulièrement aigus.
19:34 Nicolas Sarkozy avait voulu créer un Conseil de sécurité.
19:38 Ca n'a pas marché, parce qu'il y avait
19:40 des complications constitutionnelles,
19:43 si je me souviens bien, mais il avait cette intention.
19:46 -C'est vrai que souvent, nos présidents,
19:49 qui sont les maîtres, quand même, de la politique étrangère,
19:53 peuvent reprocher aux diplomates d'être trop près de leur sujet,
19:57 d'être du côté du manche, d'être le nez sur le guidon,
20:00 de ne pas avoir assez de recul. Ca ne se passe pas toujours
20:04 de manière aussi idéale que vous le décrivez.
20:06 -Les présidents, surtout les présidents,
20:10 reprochent aux diplomates leur expertise,
20:13 d'en savoir trop, de tenir compte
20:15 de plusieurs volets de la même situation.
20:17 Si vous faites ça, ça va déclencher ça.
20:20 J'ai un exemple, c'était la déclaration franco-mexicaine
20:23 sur le Salvador de 1982.
20:25 Quand elle est arrivée de l'Elysée, c'était la déclaration,
20:29 la reconnaissance de la belligérance,
20:32 du caractère de belligérant des guerriers héros.
20:34 Ouh là là ! On aurait dit non, mais c'est pas possible,
20:38 sinon, avec les Etats-Unis, etc.
20:40 Finalement, c'est devenu la reconnaissance
20:42 du caractère représentatif des deux camps.
20:45 Voilà, ça sert à ça. -Irip, c'est un jour, là-dessus...
20:48 -T'as de l'expertise. -Ce que je dis,
20:50 c'est que ce que nous affirmons n'est pas contradictoire
20:54 avec ce qui vient d'être dit.
20:57 Il y a des hommes et des femmes derrière tout ça,
21:00 des situations derrière tout ça.
21:02 De fait, il arrive que les choses se passent comme c'est dit,
21:06 c'est-à-dire que défiance, confiance,
21:09 sur tel sujet, tentative,
21:12 mais ça, c'est une histoire qui est une histoire de toujours,
21:15 ceux qui ont écrit des livres le savent,
21:18 de diplomatie parallèle, parce qu'on considère
21:21 que les ambassadeurs vivent le syndrome de Stockholm
21:24 et sont au service d'un pays où ils sont accrédités.
21:27 Tout ça existe. Tout ça existe.
21:29 Mais ce qu'il faut dire, c'est que le dispositif tel qu'il existe,
21:34 et ce sur quoi j'assistais, lui, c'est un dispositif vertueux,
21:38 c'est-à-dire qu'il est une administration
21:41 avec une séparation, une division du travail,
21:45 qui est, me semble-t-il, bien faite,
21:47 avec des équilibres qui ne sont pas toujours les mêmes,
21:50 parce que le ministre est plus ou moins proche du président,
21:53 il est plus ou moins fort sur un certain nombre de sujets,
21:57 en tout cas dans l'histoire récente de la Ve République.
22:00 Maintenant, de fait, ça marche pas toujours formidablement.
22:03 -Jérôme Bonafon, je voudrais vous interroger
22:06 sur un sujet un peu polémique, si on peut dire.
22:09 Le corps diplomatique français a compté des figures illustres
22:14 parmi ses membres, de positionnements politiques diversifiés,
22:19 certains qui sont qualifiés d'atlantistes,
22:22 d'autotiremondistes, bon, ils proviennent
22:25 de formations distinctes, la mixité homme-femme,
22:29 finalement tardive, mais est en train de se faire.
22:32 Mais à votre avis, est-ce que tout cela est mis en péril,
22:35 est-ce que c'est en difficulté,
22:37 la pérennité diplomatique est en cause,
22:40 avec cette réforme de la haute fonction publique
22:43 et la disparition du corps diplomatique
22:46 en tant que corps spécifique ?
22:49 -Il n'y a pas un corps diplomatique,
22:51 il y en avait cinq,
22:53 et il en reste un certain nombre.
22:55 -Les deux essentielles.
22:57 -Ce qui a disparu, ce qui est en voie d'extinction,
23:00 c'est le corps des conseillers des ministres plénipotentiaires,
23:04 qui fusionne avec un grand corps des administrateurs de l'Etat.
23:07 Et les diplomates n'ont pas aimé cette réforme
23:10 parce qu'elle leur paraissait nier
23:13 la spécificité du métier diplomatique,
23:16 c'est-à-dire cette expertise à la fois géographique,
23:20 de civilisation et thématique,
23:22 qui fait leur caractéristique et ce mode de vie.
23:25 Il y a eu les Etats généraux de la diplomatie
23:28 à la demande de la ministre et du président de la République.
23:31 Ce que dit le président à la fin de ces Etats généraux,
23:34 c'est "je maintiens le métier,
23:37 "je vais lui donner plus de moyens,
23:39 "mais j'en modifie les conditions d'exécution
23:42 "en fonction de l'analyse que je fais
23:45 "de ce que doit être un Etat moderne."
23:47 Alors, à partir de là,
23:49 ce qui me paraît important en tant que diplomate professionnel,
23:53 c'est que nous ayons les moyens
23:57 de faire ce métier,
24:00 un, en recevant la formation qui est nécessaire pour le faire,
24:04 deux, en étant toujours animé
24:06 par cette espèce d'intense curiosité du monde
24:09 qui est la marque de fabrique du diplomate,
24:12 trois, en étant inséré dans l'Etat tel que l'Etat est aujourd'hui,
24:16 et quatre, en évoluant dans notre carrière
24:19 de façon à suivre le mouvement du monde,
24:22 que ce soit dans ses technologies, dans ses rapports de force,
24:25 dans l'émergence ou la disparition de puissance, etc.
24:29 Et de ce point de vue,
24:30 ce qui est en train d'être accompli comme réforme
24:34 sous l'impulsion de madame Colonna
24:37 me semble aller dans la direction
24:39 d'une diplomatie qui sera mieux installée dans l'Etat
24:44 et qui disposera des moyens de compétence nécessaires
24:47 pour continuer cette mission-là.
24:49 Après, il y aura toujours des gens
24:51 qui seront nostalgiques du système antérieur.
24:54 Il faudra toujours veiller à garder le professionnalisme
24:58 et la vocation qui fait la caractéristique de ce métier,
25:01 mais je pense, moi, je suis optimiste
25:03 sur l'avenir des métiers diplomatiques français.
25:07 -En somme, c'est comme si vous étiez des journalistes
25:11 sans carte de presse,
25:12 c'est-à-dire que vous perdez cette spécificité,
25:15 mais vous considérez que c'est pas gênant
25:18 pour l'innovation diplomatique et son...
25:22 -Quand le général De Gaulle et ceux qui l'ont servi
25:28 ont créé l'ENA,
25:29 ils ont créé un corps des administrateurs civils
25:32 qui avait vocation à rassembler
25:34 l'ensemble de la fonction publique interministérielle.
25:37 C'est un peu la même chose qui se passe.
25:40 Comment va-t-on garder la spécificité
25:43 du métier de diplomate tel qu'elle a besoin d'être
25:47 dans un Etat ouvert sur le monde et sur l'Europe ?
25:50 Et comment va-t-on en même temps faire vivre
25:52 cette ouverture à l'interministériel
25:54 qui est plus nécessaire que jamais
25:57 compte tenu des thématiques que la diplomatie brasse ?
26:00 Je pense que c'est un métier de vocation.
26:02 Et je pense que ceux qui, dans la durée,
26:05 voudront l'accomplir,
26:07 sont des gens animés par cela,
26:09 et que ceux qui ont une vague curiosité
26:11 de diplomate pendant un certain temps,
26:13 occuperont des fonctions de diplomate
26:16 de temps en temps, avec talent,
26:17 mais ce ne sera pas leur vie,
26:19 ce sera un passage dans une existence.
26:21 -Qu'en pensez-vous, Philippe Gély, en tant qu'observateur ?
26:25 -Il me semble qu'on est quand même encore
26:27 dans un système de diplomate professionnel,
26:30 en France, heureusement, d'ailleurs,
26:32 et qu'en dépit de cette réforme qui passe mal
26:35 et dont on ne saisit pas très bien la valeur ajoutée,
26:38 pour être franc,
26:39 de mettre dans un pot commun
26:42 des fonctionnaires d'un certain grade,
26:45 bon, ça va permettre, certainement,
26:47 comme le dit Jérôme Boninfon,
26:49 à des hauts fonctionnaires qui viennent d'autres corps
26:52 ou d'autres administrations,
26:54 de faire une incursion dans la diplomatie,
26:57 on n'en est quand même pas au point
26:59 où en sont les Etats-Unis, où chaque président nomme
27:02 dans les meilleurs postes ou les postes les plus prestigieux
27:05 des ambassadeurs qui sont en fait des contributeurs
27:08 à ces campagnes. -Oui, mais ce ne sont pas eux
27:11 qui portent effectivement la diplomatie de leur pays.
27:14 -Oui, mais enfin... -C'est généralement
27:16 des donateurs et voilà. -Oui, certes,
27:18 mais une fois qu'ils sont dans leur poste,
27:21 ils ont toutes les tâches de l'ambassadeur à accomplir
27:24 et parfois avec plus ou moins de bonheur.
27:26 Donc, on est, nous, je pense, toujours en France
27:29 dans un schéma de diplomate professionnel,
27:32 en dépit de ces petits coups de canif
27:34 aux corps diplomatiques au pluriel.
27:36 Après, il faut voir comment sera mise en oeuvre la réforme,
27:42 quelle ampleur prendra la part
27:45 du non-diplomate de vocation
27:48 dans l'exercice de la diplomatie,
27:51 et ça, je pense que c'est un peu tôt.
27:54 Musique rythmée
27:56 ...
28:00 -Vous venez de voir cette citation d'Elie Alevi
28:04 sous la menace de la force armée.
28:07 "Sans la menace, pardonnez-moi, de la force armée,
28:11 "la diplomatie n'est que jappement de roquet."
28:15 Ca vous fait réagir, ça ?
28:18 Yves Saint-Jour.
28:22 -C'est-à-dire que ne pas considérer
28:25 que, dans un conflit
28:30 ou dans une négociation difficile,
28:33 pour un moment où on est dans une politique de puissance,
28:39 c'est la guerre ou la paix,
28:41 que le recours à la force
28:43 est un moyen,
28:47 ça n'est pas raisonnable.
28:49 Il faut penser au recours à la force, bien sûr,
28:51 quand on est dans cette politique.
28:54 Ne pas le faire, ça n'est pas possible,
28:56 et effectivement, il faut, de ce point de vue-là,
29:00 être réaliste.
29:02 Alors, beaucoup d'autres personnes l'ont dit d'une autre façon.
29:06 C'est sûr qu'il faut y penser.
29:11 Alors, heureusement,
29:13 il y a 1 000 aspects de la diplomatie
29:15 qui ne sont pas ceux-là,
29:17 qui ne préparent pas la guerre.
29:23 Mais de fait, aujourd'hui, plus que jamais,
29:25 ou plutôt après 75 ans, en Europe,
29:28 de... Comment dire ?
29:30 De tranquillité,
29:33 ce genre de questions,
29:35 ce genre de citations revient nécessairement
29:38 à l'ordre du jour.
29:40 -Alors, monsieur Rouquet,
29:42 je voudrais avoir votre avis là-dessus.
29:45 Si nous prenons les grands événements
29:47 du 21e siècle,
29:49 le 11 septembre 2001,
29:52 avec les attentats aux Etats-Unis,
29:55 la crise des subprimes en 2008,
29:58 les printemps arabes en 2011,
30:02 et plus près de nous, la guerre en Ukraine,
30:05 qui a commencé en février 2022.
30:08 Pour s'en tenir à quelques événements comme ça,
30:11 finalement, rien n'a été prévu.
30:14 Vous voyez ça comme un échec de la diplomatie
30:17 en tant que vigie, en quelque sorte,
30:19 pour anticiper les crises ?
30:21 Parce que tout ça est arrivé par hasard,
30:24 on n'a rien vu ?
30:25 -Je voudrais dire plutôt le contraire.
30:27 Il n'appartient pas aux diplomates
30:29 d'empêcher des attentats.
30:31 -Je ne parle pas d'empêcher,
30:33 mais c'est tombé dans le ciel comme un tonnerre.
30:36 -Pour aller sur le sujet que vous abordiez auparavant,
30:39 à quoi cela sert-il d'être le pays
30:41 le plus militairement, le plus fort du monde
30:44 pour ne pas avoir empêché ces attentats,
30:46 pour avoir envahi l'Irak,
30:48 ce qui n'a servi à rien, sinon, à créer...
30:50 -Je ne parle pas que de la diplomatie française,
30:53 je parle de la diplomatie en général.
30:55 -Vous parlez aussi des rapports
30:57 entre la puissance militaire... -Absolument.
31:01 -La puissance militaire n'assure pas
31:03 une bonne diplomatie,
31:05 une bonne réalisation de la diplomatie.
31:08 Je parle de la crise de l'Irak, par exemple.
31:10 Il est évident que la crise de l'Irak,
31:12 la France et l'Allemagne s'y sont opposées,
31:15 mais ça a été une catastrophe.
31:17 -Ca, c'est venu après les événements du 11 septembre.
31:20 Tous ces grands événements sont arrivés là...
31:23 -Le 11 septembre, on pensait
31:25 qu'il y avait des capacités de renseignement aux Etats-Unis
31:28 qui étaient particulièrement pertinentes
31:31 et particulièrement développées.
31:33 On a vu que ce n'était pas le cas.
31:35 Donc rien n'empêche ce genre d'événements.
31:38 Quant aux diplomates, je ne sais pas,
31:40 on aura reproché de ne pas avoir prévu
31:43 les printemps arabes, de ne pas avoir prévu ceci, cela.
31:46 Ils ne sont pas là pour prévoir,
31:48 ils sont là pour informer. -Ils ressentent les situations.
31:52 -Ils ressentent, oui.
31:53 Enfin, pour ce qui est du printemps arabe tunisien,
31:57 les diplomates avaient ressenti.
32:00 Le gouvernement avait dit
32:02 "On appuie notre ami Ben Ali",
32:05 et on a continué d'appuyer.
32:07 Bon, il faut bien voir que les diplomates,
32:09 parfois, ont raison, parfois, ils ont tort,
32:12 mais souvent, ils ont tort d'avoir raison.
32:15 Et les gouvernements, parce qu'ils ont d'autres intérêts,
32:19 d'autres engagements,
32:21 ils ont d'autres visions du monde,
32:24 disent "Non, ce que vous dites là, on ne peut pas l'accepter,
32:27 "ça va exploser." "Non, vous n'en faites pas."
32:30 On a vu, à cette époque-là, pour la Tunisie, du moins.
32:34 -C'est pas votre sentiment, Philippe Gély,
32:37 que ça explose et finalement...
32:39 -Sur ce terrain-là, les journalistes
32:41 peuvent être solidaires des diplomates, je pense.
32:44 On n'est pas tellement meilleurs pour prédire les catastrophes.
32:48 Je pense qu'avant le 11 septembre,
32:50 un certain nombre de gens savaient
32:52 que Ben Laden existait,
32:55 que c'était quelqu'un à surveiller.
32:57 De là à dire que les événements allaient se produire
33:01 comme ils se sont produits,
33:03 comme le FBI aux Etats-Unis,
33:05 et il y a un rapport de 2 500 pages
33:07 du Congrès américain,
33:10 oui, il y a eu des erreurs humaines,
33:12 il y a eu des gens qui n'ont pas connecté les dots,
33:15 comme on dit.
33:16 Franchement, on ne peut pas...
33:18 C'est un peu commode de mettre ça sur le dos des diplomates.
33:21 -Et vous, Jérôme Bonaponte,
33:24 qu'est-ce que vous pensez de ce côté non anticipateur,
33:27 je me souviens, pour parler de notre pays,
33:30 la guerre en Ukraine, deux semaines avant,
33:33 les déclarations fort nombreuses
33:35 de certaines personnalités politiques,
33:38 militaires, journalistes,
33:40 étaient qu'il n'y aurait pas d'invasion de l'Ukraine.
33:43 Comment se fait-il qu'on n'arrive pas,
33:45 non pas à prévenir,
33:47 mais au moins à anticiper ces choses-là ?
33:50 -Oui, d'abord, sur Alevi, votre citation d'Alevi,
33:55 je pense qu'il faut l'étendre à autre chose,
33:57 les rapports de force en général.
33:59 La diplomatie, c'est la civilisation des rapports de force.
34:03 C'est d'essayer de régler par la négociation
34:06 des choses que les rapports de force économiques,
34:09 culturels, sociaux, militaires,
34:12 régleraient autrement par des moyens
34:14 qui seraient brutaux et qui seraient l'application de la loi de la jungle.
34:18 Je crois que c'est à ça que ça sert, la diplomatie.
34:21 Deuxièmement, je voudrais faire observer
34:24 qu'il y a eu des élections en Grèce
34:27 et des élections en Turquie,
34:29 et qu'aucun des bons observateurs,
34:32 les plus experts, n'ont vu
34:34 à quel point les victoires seraient nettes
34:37 dans un cas pour l'un, dans l'autre pour l'autre.
34:39 Ca, ça veut dire quoi ? Ca veut dire qu'en réalité,
34:43 il y a un brouillard sur le présent et ce qui se prépare.
34:46 Il y a des circonstances exceptionnelles
34:49 dans lesquelles, par le hasard d'une clairvoyance,
34:53 le hasard d'une information qui arrive,
34:55 vous savez précisément avant les autres ce qui va se passer.
34:59 Mais dans la plupart des cas,
35:00 vous êtes surpris par l'accident,
35:03 vous êtes surpris par ce qui arrive,
35:05 et votre mission, à ce moment-là,
35:08 c'est la capacité d'adaptation à ce qui vient de se passer.
35:11 Et je crois qu'il ne faut pas demander au système
35:15 des choses qu'il ne peut pas donner.
35:16 Un diplomate, pas plus qu'un journaliste,
35:19 comme le disait M. Gélier, n'est pas un prophète.
35:22 Un diplomate, c'est un analyste,
35:23 quelqu'un qui, par ses contacts,
35:25 par sa connaissance du terrain,
35:27 par sa expertise,
35:29 arrive à essayer de décrypter un certain nombre de choses.
35:32 Mais il ne peut pas savoir lui-même
35:34 ce que les gens du pays dans lequel il habite
35:37 ne savent pas eux-mêmes.
35:38 Je crois que très peu de gens au monde
35:41 savaient avant l'invasion de l'Ukraine
35:43 que le président Poutine avait décidé d'envahir l'Ukraine.
35:47 Je crois que ce nombre se compte
35:49 de façon très, très, très restreinte
35:51 et que les Russes eux-mêmes l'ignoraient.
35:53 Alors, comment voudriez-vous plutôt
35:56 que les diplomates le sachent ?
35:58 -Oui.
36:00 Qu'est-ce que vous en pensez, Yves Saint-Georges, là-dessus ?
36:03 On est là, ça arrive et voilà, ça tombe...
36:07 C'est pas plus les journalistes que les diplomates ?
36:11 Les événements nous tombent du ciel, comme ça ?
36:14 -Ca ne se passe pas tout à fait comme ça, quand même.
36:17 -Ecoutez, regardez.
36:19 Prenez ce qui se disait en France, par exemple,
36:21 deux semaines avant l'invasion de l'Ukraine.
36:24 Personne n'y croyait.
36:26 -On avait quand même un président qui allait à Moscou
36:29 pour essayer de convaincre Vladimir Poutine
36:32 de ne pas envahir l'Ukraine, sur la foi des renseignements américains.
36:35 -En réalité, dans la question,
36:39 il y a une autre question,
36:42 qui est celle de savoir si on n'essaie pas,
36:46 en ne dépeignant pas complètement
36:49 une réalité qu'on redoute,
36:52 de prévenir cette réalité.
36:55 Effectivement, le travail du diplomate,
36:57 c'est aussi d'essayer de faire des propositions,
37:00 comme on le disait, pour prévenir des situations.
37:03 De ce point de vue-là,
37:05 si... Vous voyez,
37:08 il y a une situation.
37:10 Les Américains semblent savoir
37:13 que M. Poutine va envahir l'Ukraine.
37:15 Bon.
37:17 Il y a une autre situation.
37:19 Le président de la République,
37:21 il va parler inlassablement avec M. Poutine
37:25 pour prévenir cela.
37:27 C'est donc qu'il craint quand même
37:30 que ça se réalise. Ah bah oui !
37:32 -Ecoutez, sortons de ces prudences,
37:34 sortons de ces prudences,
37:36 et je voudrais vous citer trois cas,
37:38 vous interviendrez, de télescopage
37:41 entre les failles diplomatiques
37:43 et des actions militaires, et avoir votre avis.
37:46 Alors, Jérôme Bonafont, pour la première,
37:49 si nous prenons l'attitude de Barack Obama,
37:52 les bras ballants réduits à l'impuissance en 2013
37:56 face au gazage des populations en Syrie,
38:00 et l'annexion qui suit l'année d'après
38:03 par Poutine et la Russie de la Crimée,
38:07 est-ce que vous pensez qu'à cause à effet,
38:09 il y a un lien entre les deux ?
38:11 -D'abord, je ne crois pas
38:13 que Barack Obama soit resté les bras ballants.
38:15 Barack Obama a fait un choix politique
38:18 qu'il a expliqué d'ailleurs longuement
38:20 dans l'Atlantique Journal,
38:22 avec lequel les Français n'étaient d'ailleurs pas d'accord,
38:25 qui est le choix de ne pas intervenir militairement en Syrie.
38:28 Ce n'est pas une passivité,
38:31 c'est une décision de non-intervention.
38:33 Et vous vous souvenez que la diplomatie française était...
38:37 Enfin, pardon, le gouvernement français,
38:40 le président de la République, était convaincu
38:42 qu'après l'usage d'armes chimiques
38:44 par le régime syrien,
38:46 il fallait cette réaction militaire.
38:49 Et les Américains, d'ailleurs les Anglais d'abord...
38:52 -OK, quittus là-dessus, mais sur le télescopage.
38:55 Un an après, l'invasion de...
38:58 l'invasion de la Crimée par Poutine.
39:01 Est-ce que ça vous paraît lié ?
39:03 -Il me paraît difficile de faire du commentaire
39:06 dans la position dans laquelle je suis.
39:08 Ce que je voudrais,
39:10 je voudrais légèrement déporter le débat
39:13 sur quelque chose d'autre,
39:15 c'est comment réagit-on maintenant
39:17 face à une menace nouvelle
39:19 qu'est la cybermenace
39:20 et qu'est l'ensemble de défis nouveaux
39:23 auxquels nous sommes confrontés,
39:25 d'abord par la manipulation de la vérité et de l'information
39:28 que permet cette nouvelle réalité,
39:30 et ensuite par la capacité technologique
39:34 d'entrer dans des systèmes
39:36 et de pouvoir les attaquer très durement.
39:40 Et là-dessus, ce que j'observe,
39:41 c'est que sous l'impulsion de nos autorités,
39:45 le gouvernement dans son ensemble,
39:47 et le Quai d'Orsay en particulier,
39:49 sont en train de construire de nouveaux instruments
39:52 qui vont permettre, espérons-nous, voulons-nous, souhaitons-nous,
39:56 d'intervenir contre la désinformation,
39:59 d'intervenir contre les cyberattaques,
40:01 de s'armer face à une menace nouvelle.
40:04 Et je crois que là, il y a une nécessité
40:08 d'anticipation, d'adaptation et de modernisation
40:11 sur laquelle il me semble que nous devons faire porter l'accent
40:15 et si nous voulons rester pertinents
40:17 face aux menaces du monde contemporain.
40:19 -Merci, Jérôme Bonafonte.
40:21 Sur ce télescopage, Philippe Gély,
40:23 j'aimerais avoir votre avis sur un autre télescopage.
40:26 L'intervention franco-britannique
40:30 en Libye, en 2011,
40:32 qui aboutit à la disparition de Kadhafi.
40:37 Et ce qui suit,
40:40 dans les années après,
40:42 c'est-à-dire la dispersion du djihadisme en Afrique.
40:46 Est-ce que vous y voyez un télescopage avec...
40:51 Certains ont reproché, en quelque sorte,
40:55 d'avoir laissé la Libye
40:57 dans un état de décomposition avancée
41:00 avec toutes les armes qui sont allées se distribuer en Afrique.
41:05 C'est pour montrer, si vous voulez, cette concordance des temps.
41:09 -Oui, mais on peut, effectivement, considérer
41:12 que c'est un des facteurs qui ont peut-être contribué
41:15 à cette dispersion du djihadisme.
41:17 L'intervention en Libye n'a pas inventé les djihadistes.
41:21 -Je ne dis pas ça. -On ne peut pas réduire
41:23 l'effet à une seule cause. -Tout à fait.
41:26 Mais qu'est-ce que vous pensez de ce télescopage dans le temps ?
41:29 -Ce que je viens d'en dire,
41:32 c'est-à-dire que c'est probablement une des causes,
41:36 certainement pas la seule, peut-être même pas la principale.
41:40 Sur votre télescopage précédent, c'est pareil.
41:44 Certains peuvent avoir le sentiment qu'il y a un lien,
41:47 parce que Poutine fait une analyse de la situation
41:50 dans laquelle il pense que les Etats-Unis
41:52 n'interviendront pas.
41:54 Mais si l'on veut faire la démonstration factuelle
41:57 qu'il y a un lien de cause à effet direct entre les deux,
42:01 c'est impossible, parce que la vie de la planète,
42:06 c'est comme la vie tout court.
42:09 Il y a toujours des facteurs extrêmement multiples et variés.
42:13 En l'occurrence, je ne crois pas,
42:16 de manière, je dirais, conceptuelle,
42:19 à des télescopages tels que vous les décrivez
42:22 d'une cause sur un effet.
42:23 -Et vous, qu'en pensez-vous ?
42:25 Alors, je prendrai un autre exemple
42:28 qui, lui, est complètement actuel.
42:32 On a eu les négociations Minsk I,
42:34 Minsk II, le format Normandie, etc.
42:38 Tout ça a laissé espérer
42:40 une collaboration entre l'Union européenne,
42:43 la Russie, même Mme Merkel l'avait initiée,
42:46 même au niveau de l'OTAN, etc.
42:49 Et finalement,
42:51 M. Poutine décide une invasion massive,
42:55 injustifiée et meurtrière
42:59 en Ukraine.
43:02 Comment vous voyez ce lien entre les deux ?
43:06 -Je veux bien revenir à l'Ukraine,
43:08 parce que c'est très intéressant.
43:11 Moi, ce qui m'a paru un des déclencheurs
43:14 de l'invasion de 2022,
43:16 c'est la passivité des pays occidentaux en 2014.
43:20 Tout a commencé en 2014,
43:22 et 2014 préparait l'invasion globale
43:25 et la décision de néantiliser l'Ukraine,
43:28 parce que ça avait commencé par là.
43:30 Or, la réaction a été relativement bénigne
43:34 et faible. On disait en violent,
43:36 on lacrimait, "Oui, c'est parti, le don base."
43:39 S'il y avait eu une réaction un peu plus vive,
43:43 comme après février 2022,
43:45 peut-être... -Qui est responsable ?
43:48 -Les choses se seraient passées différemment.
43:50 -Où est la responsabilité principale ?
43:53 -Comme tout à coup,
43:56 l'OTAN n'avait plus de valeur
43:58 pour un certain nombre de décideurs américains,
44:03 il n'y avait pas de raison
44:05 de penser qu'il fallait retendre les muscles
44:10 de cette organisation,
44:13 qui était quand même nécessaire
44:16 face à une violation de la souveraineté de l'Ukraine
44:20 particulièrement caractérisée.
44:22 -Oui, c'est un jour...
44:24 -Moi, je pense que...
44:27 Les questions posées
44:29 sont entrées à la situation de la France, en réalité.
44:33 -La France n'est pas isolée.
44:36 -Non, elle n'est pas isolée, mais justement.
44:38 -Elle a l'intention et la prétention
44:41 d'influencer la politique mondiale.
44:44 -Dans la... On ne peut pas...
44:47 Justement, c'est très intéressant,
44:49 y compris ces exemples,
44:51 parce que Dieu sait que...
44:53 en Europe, depuis déjà de nombreuses années,
44:59 les Français parlent d'autonomie stratégique,
45:03 de capacité de l'Union européenne
45:06 à avoir une substance, une consistance,
45:10 une robustesse politique,
45:11 premièrement.
45:13 C'est pour ça qu'à un moment,
45:16 le président de la République a parlé de l'OTAN
45:20 et de son...
45:23 Comment il a dit exactement ?
45:26 -Sa mort cérébrale. -Sa mort cérébrale.
45:29 -Ce qui n'est plus le cas aujourd'hui.
45:31 -Ce n'est plus le cas aujourd'hui, mais on ne peut pas...
45:35 Ce qui était clair pour nous,
45:37 c'était qu'il y avait évidemment une question à traiter
45:41 qui n'avait pas été véritablement traitée.
45:44 De même, quand on parle du premier exemple,
45:48 de nouveau, on est dans une situation de ce type.
45:52 La France n'est pas le pays le plus puissant du monde,
45:55 même si on revient au début de l'émission,
45:58 le pays le plus puissant du monde,
46:00 même s'il a des atouts, des moyens,
46:02 s'il a son rôle mondial
46:05 et s'il est de temps en temps...
46:07 Si elle est de temps en temps considérée comme arrogante,
46:10 dans la mesure où elle attire l'attention
46:13 sur des éléments très importants.
46:15 Et donc, moi, ce que je pense sincèrement,
46:18 c'est qu'effectivement,
46:21 on a...
46:22 C'est un concours, en quelque sorte,
46:26 de volonté un peu européenne,
46:31 il faut bien le dire,
46:32 de continuer dans cette espèce de long chemin de la paix
46:36 depuis 75 ans, qui a fait que la montée des périls
46:41 n'a pas été véritablement perçue
46:43 et qu'on a souvent pris des mesures timides,
46:48 on va dire, les choses comme ça.
46:50 Voilà, c'est ça, mon avis.
46:53 Et dans cette question, il faut penser
46:55 à la politique étrangère de la France
46:57 et aux diplomates, parce que Minsk 1, Minsk 2,
47:00 toutes ces choses-là,
47:01 beaucoup de diplomates français ont fait une expertise,
47:05 ont fait des analyses de ces situations-là
47:08 et elles n'étaient pas forcément optimistes
47:11 sur l'effectivité de ce qui était en train de se passer.
47:16 Je me souviens très bien de tous les dispositifs
47:19 qu'on a mis en place...
47:22 -Aujourd'hui, on considère que Poutine a berné beaucoup de monde.
47:26 Jérôme Bonafont,
47:29 je vous ai écouté sur la diplomatie
47:32 et la cybersécurité.
47:34 Est-ce que vous iriez plus loin en cas de conflit ?
47:38 Est-ce qu'on peut avancer
47:40 vers une militarisation de la politique étrangère
47:43 sans aller à ce qui s'est passé aux Etats-Unis ?
47:46 On se souvient qu'Henri Kissinger était à un moment donné
47:50 secrétaire d'Etat et conseiller à la sécurité.
47:53 Mais est-ce que vous pensez qu'en période de crise,
47:56 il y a une dimension nouvelle à prendre ?
47:58 Je me souviens qu'il y a quelques années,
48:00 Laurent Fabius au quai d'Orsay
48:03 avait considéré qu'au regard
48:06 de la mondialisation arrogante,
48:08 cette fois justifiée,
48:10 il fallait que le quai d'Orsay prenne en considération
48:13 les échanges économiques dans le monde.
48:17 Est-ce que vous pensez qu'à ce niveau-là,
48:20 il y a une orientation nouvelle à trouver ?
48:22 -Vous savez, la diplomatie est globale.
48:25 Une diplomatie qui serait monodirectionnelle
48:30 serait la diplomatie d'un pays
48:33 qui n'a qu'un seul rôle dans le monde.
48:35 Or, la France, elle est à la fois une puissance européenne,
48:40 elle est un pays francophone,
48:42 elle est un membre de l'Alliance atlantique,
48:45 elle est un pays qui a une culture mondiale,
48:48 elle est un pays qui a des intérêts économiques
48:51 dans le monde entier,
48:52 et donc sa diplomatie, par définition,
48:54 doit être une diplomatie qui embrasse
48:57 l'ensemble du prisme des relations internationales.
49:00 Premièrement.
49:01 Deuxièmement, il est certain que, comme le disait Yves Saint-Jour,
49:06 le président de la République,
49:08 chef de l'Etat, chef des armées,
49:11 responsable premier de la paix et de la sécurité nationale,
49:14 doit pouvoir compter sur un appareil diplomatique
49:17 qui est parfaitement affûté face aux menaces
49:21 telles qu'elles se présentent à l'heure à laquelle on a besoin d'elles.
49:25 Et par conséquent, il est évident que,
49:27 depuis les attentats en particulier que nous avons connus
49:32 contre Charlie Hebdo ou le Bataclan,
49:36 on a eu une diplomatie qui s'est énormément investie
49:40 sur toutes les questions de sécurité antiterroriste,
49:43 dans un rôle différent de celui des armées
49:45 ou des services de renseignement,
49:46 mais dans un rôle d'animation,
49:49 d'un renforcement de la dimension prévention,
49:53 protection, répression du terrorisme à l'échelle mondiale.
49:56 Aujourd'hui, nous avons affaire à un certain nombre de dirigeants
50:00 dans un certain nombre de pays
50:02 qui pensent que le recours à la force
50:04 redevient une méthode normale, banale,
50:09 de règlement des conflits,
50:10 avec les Européens, avec l'OTAN,
50:13 à nous de démontrer que cette voie-là est une impasse.
50:16 De ce point de vue, la question de l'Ukraine
50:18 est une question absolument capitale,
50:20 parce que la réponse qui sera donnée de la fin de cette guerre
50:24 va dépendre en grande partie de l'avenir du recours à la force
50:27 dans les relations internationales demain.
50:30 Et il est évident que pour un pays comme la France
50:33 et un continent comme l'Europe,
50:35 il serait catastrophique qu'on banalise le recours à la force
50:39 et que tout ce qu'on a fait depuis la Seconde Guerre mondiale
50:42 pour construire l'Europe, un système de sécurité collective,
50:45 nous conduit à vouloir mettre en place,
50:49 par une combinaison appropriée de moyens militaires,
50:52 de moyens de renseignement, de moyens cyber,
50:55 de moyens diplomatiques, de capacités économiques et financières,
50:58 un système de prévention et de règlement des conflits.
51:01 -Justement, nous allons conclure là-dessus à savoir,
51:05 est-ce qu'à votre avis,
51:07 et ce sera un petit peu la conclusion,
51:09 je vous laisserai à chacun une minute,
51:11 la guerre en Ukraine, on sait pas quand elle se terminera,
51:14 comment elle se terminera, etc.,
51:16 mais est-ce qu'à votre avis, dès à présent,
51:19 elle a changé les rapports de force ?
51:23 On a connu une guerre froide,
51:25 est-ce qu'aujourd'hui, on va vers un ordre occidental
51:30 avec des démocraties libérales
51:33 et en face des dictatures
51:36 ou en tout cas des régimes autoritaires expansionnistes ?
51:39 Est-ce qu'on est déjà rentrés dans cette nouvelle phase-là ?
51:43 Philippe Gellibrand. -Passe le sujet.
51:45 -Oui, mais est-ce que ce changement est en cours aujourd'hui ?
51:49 -Oui, bien sûr. La guerre en Ukraine
51:51 change les fondamentaux de beaucoup de choses en Europe,
51:55 sur le continent, sur les équilibres planétaires.
51:57 Aussi, la posture de la France, qui est compliquée,
52:01 de vouloir mener, d'être cette puissance d'équilibre
52:04 entre les blocs, alors qu'il faut quand même,
52:06 à certains moments, choisir son camp,
52:09 et même nos alliés nous y poussent.
52:11 Donc, oui, je pense que la donne est nouvelle.
52:14 En un mot, je dirais que, pour moi,
52:16 le problème de la France, c'est pas sa diplomatie,
52:19 c'est même pas du tout sa diplomatie,
52:21 c'est beaucoup plus souvent sa politique étrangère,
52:24 qui a quand même enchaîné pas mal d'échecs avec Poutine,
52:28 avec Xi Jinping, avec Trump,
52:29 avec même Biden, récemment,
52:32 avec l'inflation act, etc.
52:37 Donc, on a quand même un diplomate en chef
52:40 qui est très, très ambitieux, très actif, suractif,
52:44 mais qui n'a pas la crédibilité la plus forte,
52:49 et à cet égard, ce que vous avez évoqué tout à l'heure,
52:52 je m'en tiens là, mais le déclassement de la France,
52:55 à la fois économique et militaire,
52:57 il joue dans sa crédibilité, pour moi.
52:59 Il n'empêche pas d'être une puissance active,
53:02 mais il entame sa crédibilité.
53:03 -En deux mots, vous pouvez dire quelque chose,
53:06 Yves Saint-Jour, on a très peu de temps.
53:10 -Que l'Ukraine ait fait changer les...
53:12 Que la guerre en Ukraine ait fait changer les lignes,
53:15 c'est clair. Que...
53:17 Des enjeux très, très importants soient derrière cela,
53:21 en termes qu'expliquait très bien Jérôme Bonafons
53:24 sur la nécessité de construire un dispositif
53:27 de sécurité collective qu'en Europe,
53:29 nous n'avions pas véritablement reconstruit,
53:32 il ne faut pas l'oublier. -On a très peu de temps.
53:35 -Il y a quelque chose de très important
53:37 dans ce que vous avez dit. Est-ce que ça va être
53:39 "West against the rest" ?
53:41 Est-ce que ça va être l'Ouest contre...
53:44 -Non, je dis "Occident contre les autres".
53:46 -Oui, l'Ouest, c'est-à-dire l'Occident,
53:48 contre tous les autres. Est-ce qu'il y a un sud global ?
53:52 C'est sur ces questions-là qu'il faut qu'on travaille,
53:55 la politique étrangère française, et notamment la diplomatie,
53:59 dans un continent que nous connaissons bien,
54:01 Alain Rouquier et moi, l'Amérique latine,
54:03 où il y a des démocraties, presque que des démocraties.
54:06 -Merci. -Alain Rouquier,
54:08 mais très brièvement. -Très brièvement.
54:11 Nous avons changé d'époque. C'est pas uniquement la guerre
54:14 en Ukraine. Il y a eu le Covid, une certaine démondialisation
54:17 due au Covid, des fragmentations mondiales,
54:20 des rêves d'empires qui naissent ici ou là,
54:22 avec une forte conflictualité.
54:25 Il n'y a pas que la Russie et la Chine,
54:27 il y a le Tchérnobyl, le Tchernobyl, l'Iran.
54:30 Donc, il faut avoir des capacités de prévention, de riposte,
54:33 et il faut s'appuyer aussi, je vais finir comme mon collègue,
54:37 sur des pays démocratiques qui partagent nos valeurs
54:40 et qu'on a oublié beaucoup trop.
54:43 -Jérôme Bonaphone, pour terminer, mais vraiment un mot.
54:46 Vous considérez que la France est redevenue un pays occidental
54:49 avec la guerre en Ukraine ?
54:51 -Je crois que la France doit définir ce qu'elle veut
54:55 en ayant une sorte d'ambition pour l'avenir.
54:58 C'est-à-dire qu'il ne faut pas regarder vers le passé,
55:01 il ne faut pas définir le rôle de la France
55:04 par rapport à ce qu'elle a été,
55:06 il faut définir le rôle de la France
55:08 par rapport à sa situation en Europe,
55:10 par rapport au fait que le monde connaît une transformation énorme,
55:13 une transformation technologique, économique, démographique,
55:17 de civilisation en quelque sorte,
55:19 et il faut toujours vouloir que la France
55:21 ait un message moderne et optimiste pour l'avenir
55:24 et pour la portée. Ce message, il tient en un mot,
55:27 ça s'appelle l'humanisme,
55:29 c'est ce qui fait notre creuset de civilisation
55:31 et c'est ce qui fait que nous sommes écoutés
55:34 sur les cinq continents avec nos forces et nos faiblesses,
55:37 mais en tout cas en étant un pays français,
55:40 pleinement français, européen et avec des ambitions mondiales.
55:43 -Merci, Jérôme Bonaphone.
55:45 Il me reste à vous remercier d'avoir participé à cette émission.
55:49 Je voudrais remercier également l'équipe de LCP,
55:53 mais avant de nous quitter, je voudrais d'abord citer
55:56 une bibliographie. Je rappelle Jérôme Bonaphone,
55:59 "Diplomate, pourquoi faire ?"
56:01 Vous saurez tout, c'est publié chez Odile Jacob,
56:04 sur le métier de diplomate.
56:07 Je voudrais rappeler un ouvrage de Sylvie Berman,
56:11 "Madame l'ambassadeur de Pékin à Moscou,
56:14 "une vie de diplomate".
56:16 Sylvie Berman raconte son itinéraire de diplomate.
56:20 Alain Rouquier, je rappelle que vous avez écrit
56:23 un ouvrage d'anticipation
56:26 qui s'appelle "La fin des diplomates",
56:28 "Rue de Seine", c'est bien ça.
56:30 -C'est bien ça, mais ce n'est pas une anticipation.
56:33 Il faut le lire pour savoir ce que j'ai voulu dire.
56:36 -Il faut le lire. Je rappelle également
56:38 de Maurice Weiss et Yves Saint-Jour,
56:41 "Diplomatie française", un ouvrage très ambitieux
56:44 où on a un peu tous les outils, les acteurs,
56:47 depuis 1980.
56:50 Ca a été publié chez Odile Jacob.
56:52 Vous avez un livre à nous. -Je n'ai pas de livre à vendre.
56:55 -Et un livre à proposer ? -A proposer,
56:57 celui de la correspondante diplomatique du Figaro,
57:00 Isabelle Lasser, "Macron-Poutine, les liaisons dangereuses".
57:05 -Voilà. -L'observatoire.
57:07 -Il ne me reste plus qu'à vous remercier à nouveau
57:10 et nous terminerons sur cette citation.
57:14 "Je crois à la victoire finale des démocraties,
57:17 "mais à une condition, c'est qu'elles le veuillent."
57:21 Yves Saint-Jour, c'est de qui, ça ?
57:23 -Ah ! -Un libéral français.
57:26 -Un libéral français ? -Rémond Haron.
57:28 -Rémond Haron. Très bien.
57:30 -Ca ne pouvait être que de Rémond Haron.
57:33 -Oui, c'est vrai.
57:34 SOUS-TITRAGE : RED BEE MEDIA
57:37 Générique
57:39 ...

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