1992 - Rencontre avec rené Vaultier

  • l’année dernière
Rencontre avec le réalisateur René Vautier, qui en 1958 brava le danger pour réaliser dans des conditions exceptionnelles (en plein guerre d'Algérie et dans les maquis du FLN) et avec des moyens techniques élémentaires, le documentaire dont l'auteur appuie la cause algérienne et témoigne de l'engagement des populations avec le FLN dont elles font partie. Il dément la propagande coloniale faisant de la guerre entreprise en Algérie de simples opérations de police et de maintien de l'ordre en montrant les bombardements de villages, les populations fuyant leurs terres brûlées, et les forêts ravagées par le Napalm. En vivant parmi "les moudjahidine», René Vautier et sa petite camera vont immortaliser la vie au maquis et le film proposé pour ce rendez n'est autre que : l'Algérie en Flammes

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Transcript
00:00 (Voix de l'homme qui parle en arabe)
00:10 (Voix de l'homme qui parle en arabe)
00:30 (Voix de l'homme qui parle en arabe)
00:55 Si je vous racontais les premiers contacts que j'ai eu avec...
01:00 Bon, j'avais tourné en France un film qui s'appelait "Une nation, l'Algérie".
01:05 Et pour ce film, j'ai été poursuivi pour atteinte à la sûreté intérieure de l'État
01:10 parce qu'en 1955, je disais "L'Algérie sera de toute façon indépendante".
01:14 Et le ministre de l'intérieur de l'époque, François Mitterrand, m'a poursuivi,
01:20 m'a fait poursuivre pour atteinte à la sûreté intérieure de l'État
01:23 parce que dire que l'Algérie serait indépendante,
01:26 c'est dire qu'il y avait des départements français qui allaient devenir indépendants.
01:29 Ça, il ne fallait pas. Donc j'ai été poursuivi.
01:33 Et comme j'avais déjà auparavant fait le premier film anticolonialiste français, "Afrique 50",
01:39 que j'avais été amené à casser le bras d'un commissaire de police,
01:44 d'un inspecteur de police qui voulait me saisir les bobines,
01:47 j'avais été condamné à un an de prison.
01:49 Mais c'était en litige, ça.
01:53 Et s'il y avait une nouvelle inculpation et une nouvelle condamnation, là je plongeais.
01:59 Je me retrouvais en tôle, ce qui est complètement inutile d'être en prison.
02:03 Ce n'est pas là qu'on fait des films.
02:05 Bon, alors j'ai décidé, moi, de partir sur la Tunisie
02:09 et en disant "Je prendrai contact avec des Algériens pour voir si,
02:13 comme j'étais secrétaire de l'association des anciens élèves de l'IDEC,
02:18 de l'Institut des hautes études cinématographiques,
02:21 je savais qu'il n'y avait pas un seul sujet français,
02:24 parce que vous savez, à l'époque, il y avait les citoyens français,
02:28 de plein droit, il y avait les sujets français,
02:30 c'est-à-dire tous ces gens à la peau qui n'est pas tout à fait aussi claire que la peau des Parisiens,
02:38 tous ceux-là, que ce soit jaunes, bronzés, noirs,
02:43 aucun de ceux-là n'était entré à l'Institut des hautes études cinématographiques,
02:49 sauf un qui était citoyen par l'intermédiaire d'un passeport sénégalais, je crois.
02:54 Bon, et alors là, les Sénégalais étaient, certains d'entre eux, étaient citoyens français.
03:01 Donc lui avait pu entrer à l'IDEC, mais enfin, côté Algérie, il n'y en avait pas.
03:05 Donc je me suis dit, si on veut faire un dialogue en images,
03:09 je pense que c'est ça le rôle du cinéma, de permettre des dialogues en images entre les peuples,
03:15 entre les gens, sans passer par la censure des gouvernements,
03:19 je me suis dit, je vais aller voir là-bas.
03:22 Et puis je suis tombé sur un gars,
03:24 c'était pas tellement facile de prendre contact avec,
03:28 je tenais pas à ce que ce soit très officiel au départ.
03:30 Alors je me suis dit, j'ai un copain algérien de la région d'Oran,
03:38 qui était réfugié, lui, à Tabarta, dans le nord de la Tunisie.
03:44 Et j'ai été le voir, et il m'a dit, si tu veux entrer là-bas,
03:48 et puis faire un reportage avec des gens au Maki,
03:51 mais pas le sommet, mais simplement des groupes au Maki,
03:55 je te mets en contact avec mon oncle, tu vas à telle ferme,
03:59 il me fait un petit plan, et la ferme était à 12 km à l'intérieur de l'Algérie,
04:04 à côté de la frontière tunisienne, mais à 12 km à l'intérieur de l'Algérie.
04:07 Du côté de la Cale, dans le nord, bon, il n'y avait pas encore de ligne Maurice.
04:12 Donc un jour, je suis parti par la montagne,
04:18 et j'ai été, en suivant son plan, dans la Mechta, où habitait son oncle.
04:24 Et puis je frappe, c'était la nuit, et je tombe sur un gars
04:29 qui ne parlait pas un mot de français, moi je ne parlais pas du tout l'arabe,
04:32 et qui arrive, et qui commence à me dire plein de choses,
04:37 en me prenant sans doute pour un français,
04:41 et croyant que la ferme était cernée.
04:43 Bon, alors, on discute comme on pouvait,
04:46 et puis il comprend que je veux prendre contact,
04:50 que je vienne de la part de Mohamed, le copain qui était à Tabarka,
04:55 je lui amène des nouvelles de Mohamed,
04:57 mais ce n'était pas le bon oncle, ça je l'ai su après.
04:59 C'était un oncle qui était, lui, un peu...
05:03 Bon, et il me dit d'attendre, il sort et il revient avec un vieux flingue,
05:09 mais un vieux fusil visiblement qu'il avait été déterré,
05:13 un vieux flingue sans doute à pierre,
05:17 bon, mais qui avait l'air quand même assez dangereux,
05:20 et il me braque, et il me fait comprendre qu'on va aller chercher les félagrams.
05:25 Bon, et on fait le tour, comme ça, pendant toute la nuit, on a marché,
05:29 j'en avais ras le bol, et puis au matin, on n'avait trouvé personne,
05:33 il est revenu là, et il m'a dit, enfin, il m'a servi du café,
05:40 et puis il m'a dit maintenant je ne veux pas que tu restes là,
05:44 tu t'en vas, tu retournes d'où tu viens, bon,
05:47 et puis je suis reparti, mais tant qu'à faire, comme je n'étais pas...
05:50 je suis reparti sur un abat, et comme je n'avais aucun papier m'autorisant
05:55 à être là à l'époque, que je devais être recherché pour le film précédent,
06:01 je suis parti du port de Beaune, dans la choute d'un pinardier,
06:11 c'est-à-dire dans l'espèce de grande citerne dans laquelle on met le vin en général,
06:19 et c'était à sec, alors il y a deux marins italiens qui m'ont collé là-dedans,
06:24 et qui pensaient ouvrir tout de suite, parce qu'un truc de genre,
06:28 c'est bourré, il n'y a plus d'alcool, il n'y a plus de vin,
06:32 mais il en reste toujours un petit peu au fond de la citerne,
06:36 et puis il y a surtout l'odeur qui reste, et finalement,
06:41 quand le bateau est sorti, ils n'ont pas pu m'ouvrir tout de suite,
06:44 parce qu'il y avait un bateau français de surveillance
06:46 qui les a accompagnés presque jusqu'à la sortie des eaux tunisiennes,
06:51 et je suis resté là-dedans, et quand on m'a sorti, j'étais réellement ivre mort,
06:57 avec l'odeur, et d'être une malade à crever,
07:00 et ils m'ont déposé dans un port sicilien,
07:05 et puis là je suis resté trois jours ou quatre jours à l'hôpital, à Palerme,
07:10 et les bonnes sœurs de l'hôpital m'appelaient Livrogne,
07:15 parce qu'elles étaient persuadées que j'avais pris une cuite carabinée,
07:21 et qu'il fallait me soigner pour ça, mais j'étais Livrogne français.
07:25 Alors ça, ça a été mes premières tentatives de contact.
07:28 Ensuite, je suis revenu à Tunis, et là on a projeté le film Afrique 50,
07:34 donc le premier film anticolonialiste français,
07:37 et puis un autre film, donc Algérie en flammes,
07:42 non, Une nation, l'Algérie, et il y avait des Algériens dans la salle,
07:48 c'était une projection au ministère de l'information tunisien,
07:53 et il y a des gars qui ont pris contact avec moi à ce moment-là,
07:56 et ces gens étaient eux-mêmes les responsables de la villa Yaoun,
08:03 de la zone 5, la région du côté de Tebessad,
08:08 et puis ils sont venus un jour, après s'être renseignés,
08:16 ils sont venus un jour me trouver, et puis je suis parti avec ma caméra et la pellicule,
08:21 et puis on a commencé à tourner en Algérie, avec des anecdotes,
08:30 par exemple, la première fois qu'on a participé,
08:36 que j'ai été amené à participer à une action en Algérie,
08:40 c'était à côté du Couif, et le gars qui m'emmenait,
08:46 Shérif Zénati, qui était le chef de section,
08:50 m'a dit "est-ce que tu acceptes de filmer une attaque contre un train armé ? "
08:59 Je dis "qu'est-ce que c'est un train armé ? "
09:01 Il me dit "c'est un train où il n'y a pas de civils, mais qui transporte du minerai,
09:07 et où il y a un petit char sur la dernière plateforme,
09:17 et quelques fois un autre petit char ou une automitrailleuse derrière la locomotive. "
09:22 Je lui dis "c'est la guerre, je suis là pour filmer la guerre,
09:25 si vous le faites, je filme. "
09:28 Et on a donc été filmer ça,
09:34 et puis les mines qu'ils avaient placées,
09:41 on le voit bien dans Algérie en flammes,
09:45 c'était des obus qui avaient été récupérés,
09:48 c'est-à-dire que des obus d'artillerie française,
09:51 qui avaient bombardé un village algérien,
09:53 les gars avaient récupéré les obus qui n'avaient pas explosé,
09:56 il y avait à peu près un obus sur 3 ou sur 4 qui n'explosait pas,
10:00 ils récupéraient ça, ils les traficotaient,
10:02 ils les transformaient en mines,
10:04 et ils faisaient sauter les mines, en général sous la locomotive,
10:09 comme ça tout le train déraillait derrière.
10:11 Et là, on fait, je filme ça,
10:16 le train saute, mais les mines explosent au milieu du train,
10:21 c'est-à-dire sous les wagons de minerai.
10:24 Et moi je remercie Sheriff Zenati,
10:27 parce que le but était atteint,
10:29 le train immobilisait complètement la voie,
10:32 ils ont mis plusieurs jours avant de dégager la voie après,
10:35 mais les gens qui étaient dedans n'avaient pas été tués.
10:38 Et le but c'était pas de tuer les gens,
10:41 c'était d'immobiliser la voie.
10:43 Enfin, j'ai pensé que Sheriff Zenati avait fait exprès,
10:46 comme il y avait quand même un français qui filmait là,
10:49 il s'est arrangé pour qu'il n'y ait pas mort d'homme,
10:52 au lieu de faire péter les...
10:54 Et puis, très longtemps après, en Algérie,
10:57 en faisant une émission, je raconte ça,
11:00 et j'interview en même temps,
11:02 avec une équipe de la télévision algérienne,
11:05 on interview Sheriff Zenati,
11:07 qui dit "oui on a essayé de faire péter la locomotive,
11:10 mais la première fois ça n'a pas marché".
11:12 Alors sans ça, ça faisait un beau feu d'artifice,
11:15 et les obus ont pété, ce qui était moins bon,
11:18 ils ont pété au milieu du train, sous les...
11:21 Alors, du coup, on s'est fait tirer dessus après,
11:24 par la mitrailleuse de l'arrière,
11:26 et par les gars qui étaient armés à l'avant du train.
11:30 On n'a jamais eu de problème avec l'unité avec laquelle j'étais.
11:38 Alors il m'a baptisé Féryd Baraka.
11:41 Et voilà, c'était...
11:44 Donc les gens, on a eu de très très bons rapports,
11:48 et quand j'ai ramené tous ces documents qu'on avait tournés,
11:51 d'autres trains qui sautaient, des attaques de postes aussi,
11:55 je suis rentré à Tunis,
11:58 et là on m'a dit, il faudrait projeter devant un responsable,
12:02 parce que maintenant il y a un gars qui vient d'arriver,
12:04 qui est le responsable de l'information.
12:07 Et du... non pas du GPRA,
12:10 puisqu'il n'y avait pas encore de GPRA à l'époque,
12:12 c'était avant le GPRA, c'était le CCE je crois,
12:15 enfin c'était... il y avait un responsable.
12:17 Et le responsable, c'était un bonhomme assez petit,
12:20 de visage rond,
12:22 et on a eu une espèce de sympathie dès le départ.
12:27 C'était Abad Ramdan.
12:29 Et quand il a vu ce que j'avais filmé,
12:34 il a dit "bon ben il faut qu'il continue".
12:36 Et puis j'ai été discuter avec lui,
12:39 alors ça posait des problèmes parce que
12:42 je voulais pas être...
12:44 j'ai bien expliqué que je n'étais pas là pour devenir membre du FLN.
12:48 J'étais là parce que je souhaitais que la guerre cesse,
12:53 et que la guerre ne pouvait cesser que par l'indépendance de l'Algérie.
12:56 Donc il fallait que l'Algérie soit indépendante,
12:58 mais ça c'était leur affaire.
13:00 Moi ce que je voulais c'était montrer
13:02 qu'il y avait des gens qui se battaient,
13:04 et que ces gens là continueraient à se battre
13:06 jusqu'à ce qu'ils gagnent, jusqu'à ce qu'il y ait l'indépendance.
13:08 Voilà.
13:09 Bon, alors, ils me demandaient mes opinions politiques,
13:13 j'étais communiste,
13:15 alors discussion là-dessus, sur les communistes, sur...
13:18 Bon.
13:19 Et puis finalement,
13:21 j'ai été accepté en tant que tel,
13:26 à la fois par Abad Ramdan,
13:27 et puis dès que je suis reparti,
13:29 alors en villaillé une, là c'était des frères quoi,
13:31 c'était...
13:32 on a toujours eu d'excellents rapports,
13:35 y compris lorsque j'avais été un peu blessé.
13:41 J'étais immobilisé sur un...
13:44 une sorte de glacis,
13:46 enfin de truc où je pouvais pas me cacher quoi.
13:48 Parce que j'avais voulu filmer
13:50 l'arrivée de parachutistes
13:53 qui sautaient de bananes, de...
13:57 Bon.
13:58 Et puis,
14:00 je ne savais pas qu'il y avait une autre section de parachutistes
14:04 qui était déjà descendue,
14:06 et qui balançait des grenades,
14:08 des grenades VB,
14:10 des grenades de patate, là.
14:13 En tir courbe, comme ça.
14:16 Et s'une est tombée à côté de moi,
14:18 puis j'ai eu le choc
14:20 qui m'a bloqué le bas du dos,
14:22 enfin le bas de la colonne vertébrale,
14:24 et puis j'avais des petits éclats dans les jambes.
14:27 Bon.
14:28 Et...
14:29 Et j'ai vu arriver,
14:31 sur la crête, à côté,
14:33 des parachutistes qui ont installé leurs fusils mitrailleurs
14:36 et qui ont commencé à...
14:38 à tirer sur moi,
14:40 alors qu'ils voyaient que je n'avais pas d'armes,
14:42 que j'avais...
14:43 Moi, je voyais très bien leurs fusils mitrailleurs,
14:45 et eux voyaient très bien que j'avais une caméra, quoi.
14:47 Mais je continue à les firmer par réflexe, quoi.
14:50 Et puis, ils ont tiré.
14:52 Alors, il y a dans...
14:54 Il y a les premières balles qui arrivent devant la caméra,
14:57 et puis,
14:59 la deuxième rafale arrive dedans, quoi.
15:01 Et la caméra a explosé,
15:03 puis j'ai été blessé à ce moment-là à la tête.
15:05 (tirs)
15:10 - La caméra est atteinte aussi.
15:12 C'est pourquoi nous n'avons pas d'image de l'assaut du port.
15:15 - Bon, les gars m'ont ramené dans...
15:18 Là aussi, c'était assez marrant,
15:20 parce qu'ils m'ont ramené...
15:22 J'étais en syncope,
15:24 et j'étais avec un groupe de Salasoufi,
15:26 qui est mort depuis le commandant Salasoufi.
15:28 Et il m'a ramené, donc, à la frontière tunisienne.
15:31 Et comme il y avait encore, à l'époque,
15:34 des médecins français, des médecins militaires français,
15:37 dans les hôpitaux tunisiens,
15:39 ils m'ont... Je me suis réveillé,
15:41 et je voyais partout autour de moi
15:44 des gens qui avaient des corps tout luisants.
15:47 Il y avait de la brume partout,
15:49 des espèces de nuages,
15:51 et des corps tout luisants,
15:53 et des gens qui portaient des pagnes.
15:55 Et je me suis dit, ça y est, je suis au purgatoire, quoi.
15:58 Dans la religion catholique,
16:00 telle qu'on la conçoit en Bretagne,
16:02 il y a le purgatoire où errent les âmes
16:05 dont on ne sait pas trop quoi faire,
16:07 si on va les envoyer fin d'art,
16:09 ou si on va les mettre au paradis.
16:12 Et je me suis dit, ça y est, je suis là-dedans, quoi.
16:15 Et puis, j'étais tout simplement dans les bains morts de Tala,
16:18 qui est l'un des plus vieux bains morts de Tunisie,
16:23 où, effectivement, il y a deux sources qui se mélangent,
16:26 et qui font plein de brume, une source chaude et une source froide,
16:29 alors ça fait plein de vapeur, de trucs...
16:31 Et je me suis dit, je vais simplement là-dedans.
16:33 Abba Nramdan avait conseillé
16:35 que l'on mette autour de moi des gens
16:38 qui apprendraient à se servir du matériel
16:41 de prise de vue et de prise de son.
16:44 Alors, sur le plan de la prise de son, c'était simple,
16:47 parce qu'il n'y en avait pas,
16:49 sauf un dictaphone,
16:51 et le dictaphone marchait avec des accus,
16:55 des batteries de voiture.
16:59 Mais c'est lourd, les batteries de voiture.
17:02 Alors, on a mis à ma disposition un âne,
17:05 et il y avait sur l'âne les batteries,
17:09 mais je me souviens que...
17:12 Et mon âne, c'était mon ingénieur du son, quoi.
17:15 Je ne dis pas ça pour vexer les ingénieurs du son en général,
17:18 mais là, c'est lui qui décidait des gens
17:20 que j'avais le droit d'interviewer.
17:22 Et c'était en fonction de leur odeur.
17:25 Si j'ai pu faire tout ce qu'on a fait à ce moment-là,
17:28 c'est aussi à cause de la confiance de gars
17:32 comme...
17:35 comme...
17:38 Mahmoud Guennaise,
17:40 comme...
17:42 Shrif Zedati,
17:44 comme un gars qui était secrétaire du capitaine,
17:48 enfin, du commandant de zone,
17:50 et qui s'appelait Abdelhabid Mokdad,
17:53 d'une famille très connue sur TBSA,
17:57 qui est mort quelques années après,
18:00 dans un accident de voiture
18:02 quand il était attaché culturel au Maroc.
18:04 Et c'était leur confiance
18:08 qui faisait que les gars avec lesquels je marchais,
18:13 ils avaient aussi confiance en moi.
18:16 J'ai déjà raconté en Algérie
18:21 l'histoire de ces gars qui demandaient
18:25 de ces "shaouides" qui demandaient à Mahmoud Guennaise,
18:29 mais...
18:32 "Wa shi amelou wa mana?"
18:34 "Qu'est-ce qu'il fait avec nous?"
18:36 "Wa francaise? Oulala!"
18:38 "Wa francaise, francaise, wa breton!"
18:41 "Wa shaza breton!"
18:43 "Wa shaza breton!"
18:45 "Wa breton, breton, kima shaouim ta franca!"
18:49 Et à partir de ce moment-là, c'est effectivement...
18:52 on s'entendait bien.
18:55 Et il y avait alors,
18:58 selon les directives d'Abban Ramdan,
19:02 données aux responsables militaires de la LN,
19:09 il y avait parmi ces gens,
19:12 des jeunes que l'on formait à l'utilisation de la caméra.
19:16 Alors ce n'était pas vraiment une école,
19:19 c'était un petit groupe de gars qui avait un pivot,
19:23 et le pivot, c'était la caméra et René Bautier avec la caméra.
19:27 Alors on leur apprenait à s'en servir.
19:30 Le seul qui soit arrivé à ma connaissance
19:33 jusqu'à la fin de la guerre,
19:35 parce qu'après, moi, quand je suis revenu,
19:38 j'ai été arrêté en 58,
19:44 en mai 58,
19:47 et je n'ai plus de nouvelles des gars jusqu'en 62.
19:51 Et on m'a dit à ce moment-là
19:53 qu'il n'y en avait qu'un seul qui s'était sorti de l'histoire,
19:57 c'était Abdelhamid Mogdad,
20:00 qui allait bêtement mourir après dans cet accident de voiture.
20:04 Il y avait un film qui existait,
20:07 qui était "Algérie en flammes",
20:10 et dans les engagements pris vis-à-vis d'Abban Ramdan,
20:14 je m'étais engagé à ne pas sortir de version arabe du film
20:18 sans son accord.
20:20 C'est-à-dire que j'avais le droit de sortir une version française,
20:24 une version anglaise,
20:27 mais sur le plan de la version arabe,
20:30 c'était sur le montage que je faisais,
20:33 un texte en arabe qui serait contrôlé par...
20:36 dont l'ALM serait responsable.
20:40 Et puis on nous a envoyé des gens, dont Yo-Yo Sala,
20:44 pour faire ce commentaire et enregistrer
20:48 la version définitive du film.
20:52 Et puis on n'a plus eu aucune nouvelle d'Abban Ramdan.
20:57 Alors, même en rentrant,
21:01 on n'avait pas... on était vraiment sans nouvelles.
21:05 On lui envoyait, comme c'était convenu, des lettres,
21:08 des... aucune nouvelle.
21:10 Alors, j'ai appris quand j'étais...
21:14 avec le film qui sortait du laboratoire,
21:17 j'ai appris qu'il y avait une réunion au Caire
21:20 de la direction du FLM.
21:22 Et j'ai pris le film sous le bras,
21:25 et je suis parti au Caire, mais je n'avais pas de visa.
21:27 Et c'était quelques mois après le coup de Suez.
21:31 Alors, je n'ai pas été très bien accueilli par les Égyptiens là-bas,
21:35 qui m'ont gardé pendant quelques jours comme ça,
21:38 pendant l'interrogatoire.
21:40 Et puis, on m'a... on a appelé un gars.
21:42 Moi, je disais, je veux donner ce film à Abban Ramdan,
21:46 et qu'on fasse une projection pour lui,
21:48 puisqu'il y a une réunion des responsables de la Révolution algérienne.
21:51 Contactez-les, et vous verrez que le film a été fait en accord avec eux.
21:55 Et on m'a envoyé un gars qui s'appelait Tawfik El Madani,
22:00 et qui était... qui a été après ministre des Habousses,
22:03 et qui est venu discuter avec les Égyptiens.
22:06 On m'a sorti des mains des Égyptiens.
22:09 On a organisé une projection du film.
22:11 Tout le monde m'a embrassé.
22:13 Et c'est là que...
22:16 Dans les grandes embrassades, il y a un gars qui a dit,
22:20 "Oui, mais il faut quand même couper une séquence du film."
22:24 Alors là, les boules !
22:26 Je lui ai dit, "Coupez une séquence, pour quoi ? Quelle séquence ?"
22:29 Il dit, "Il y a la séquence où on voit les djounouds à l'appel aux morts,
22:33 ils sont au garde-à-vous et ils pleurent.
22:36 Or, les djounouds ne pleurent pas."
22:39 Alors, bon, j'ai jamais accepté de censure en France.
22:42 Je ne vois pas pourquoi j'aurais accepté à ce moment-là une censure.
22:45 Mais en même temps, dans la version arabe, c'était pas ma responsabilité.
22:49 C'était engagé par...
22:52 C'était la responsabilité algérienne qui était engagée dans le commentaire.
22:57 Je lui ai dit, "Bon, écoutez, on va faire un pari.
23:00 Si je gagne le pari, je coupe rien.
23:03 Et si vous gagnez... Si je perds le pari,
23:07 vous faites ce que vous voulez."
23:10 Alors, on discute un petit peu, et puis Mahmoud Schrift,
23:15 qui était un des responsables algériens à l'époque,
23:18 dit, "Bon, alors, qu'est-ce que c'est, le pari ? On est d'accord."
23:22 Et je dis, "Je parie que le gars qui m'a demandé de couper les djounouds
23:26 en disant que les djounouds ne pleurent pas, il connaît pas un seul djounoud,
23:29 il connaît pas un seul djouni et il n'a jamais mis les pieds au maki."
23:33 Et les gars rigolent parce que c'était vrai.
23:36 Le gars n'avait jamais été au maki.
23:39 Et je me suis fait un ennemi, ce jour-là.
23:42 C'était cet Algérien qui demandait la censure.
23:45 Mais en même temps, j'ai gagné aussi contre la censure,
23:47 parce que le film est passé intégralement.
23:49 Après, donc, je suis rentré.
23:51 Enfin, je voulais rentrer en Tunisie, où théoriquement,
23:54 on m'attendait pour repartir au maki, avec les gens que je formais.
24:01 Et puis, on m'a dit, "Mais tu n'as plus de papier,
24:05 parce que les Égyptiens n'ont pas rendu ton passeport
24:08 et il faut que tu rentres là-bas.
24:10 Donc, on va te faire passer pour un prisonnier
24:13 et on va te mettre à l'arrière d'une Opel
24:17 qui rentre sur Tunis, à travers le désert libyen."
24:21 Alors, comme ça, si on est arrêté par les Libyens,
24:24 on dira, "C'est la Hélène, on a un prisonnier français,
24:28 on l'amène."
24:29 Ce que je ne savais pas, c'est que j'étais vraiment prisonnier.
24:32 Parce que, comme ils voulaient sortir le film,
24:35 en plus, j'avais demandé à corps et à cri
24:38 de voir Aban, or, il y avait parmi les gens qui étaient là,
24:43 ceux qui avaient liquidé Aban Ramdan,
24:45 parmi les responsables qui étaient là.
24:47 Donc, on s'est dit, "Qu'est-ce qui se passe ?
24:50 Les Égyptiens, paraît-il, ça, je l'ai appris après,
24:53 ont dit que j'étais un agent de Moscou
24:58 qui devait changer le sens de la révolution algérienne.
25:01 Toujours est-il qu'on m'a emmené dans cette voiture à Tunis
25:04 et on m'a foutu dans une prison,
25:06 dans une prison pour Algériens,
25:08 tenue par des Algériens, en Tunisie.
25:11 Une prison qui a été gérée ensuite par le GPRA
25:14 et je suis resté en prison jusqu'en juillet 60.
25:18 Et là, je suis sorti avec tous les honneurs.
25:21 C'était une grande erreur judiciaire.
25:25 On m'a embrassé, on m'a demandé si je voulais
25:28 m'occuper du service cinéma algérien à l'époque.
25:32 Mais il y avait des Algériens qui étaient formés,
25:34 je ne vois pas pourquoi ça aurait été un Français
25:37 qui se serait occupé du service cinéma algérien.
25:39 - Oui.

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